Le webtoon : la bande dessinée coréenne à faire défiler

En cette année 2021 où le webtoon, la bande dessinée coréenne, se démocratise de plus en plus dans le paysage français de la BD, Journal du Japon revient sur ce phénomène culturel coréen débuté il y a presque 20 ans et qui ne cesse de s’intensifier avec le temps.

Webtoon, qu’est-ce donc ?

Si l’on s’en tient au mot webtoon, il s’agit du mélange des mots anglais « web » et « cartoon » et désigne donc une BD numérique. Mais vous en conviendrez, cela est un peu sommaire et expéditif comme définition. En effet, beaucoup de productions peuvent répondre à ces termes alors qu’il s’agit bel et bien de créations coréennes à la base. Pour le reste des bandes dessinées dématérialisées, on utilise d’avantage les termes de « webcomics » voire « webmangas » pour certaines d’entre elles. Alors comment les différencier ? Grâce aux caractéristiques du webtoon. En effet, ces BD possèdent plusieurs particularités qui forment toute la singularité des bandes dessinées sud-coréennes. Et la première d’entre elles est le scrolling ou défilement vertical.

Webtoon, comment ça fonctionne ?

Scrolling

Ainsi, contrairement à la majorité des BD qui se lisent de gauche à droite ou de droite à gauche (pour les mangas) et qui une fois numérisées suivent cette même logique, le webtoon se différencie par une lecture de haut en bas sur une bande continue. Cette particularité permet de ne pas être restreint dans la mise en case, les actions, les bulles ou les personnages pouvant allègrement se retrouver dans les zones blanches, les caniveaux, qui ne sont plus des limites mais bien des éléments participant au récit. On s’éloigne complètement de la traditionnelle grille en gaufrier pour allez vers plus de libertés.

Cette mise en case sur bande verticale permet également de faire varier les éléments de narration amenant à l’auto-création de suspens, le récit se déroulant selon le bon vouloir du lecteur. Car oui, la lecture mais surtout la narration par le mouvement des doigts sur un écran tactile ou bien le scroll vertical de la souris fait entièrement partie de l’expérience de lecture propre aux webtoons. Bref, une expérience participative et interactive faisant intervenir le touché, mais aussi parfois l’ouïe, ainsi que la vue qui se concentre sur des cases entièrement colorées, une autre particularité de la bande dessinée sud-coréenne.

Réseaux sociaux

Enfin, ce qui semble avoir boosté la visibilité et l’engouement des lecteurs pour le webtoon, plus que les styles tantôt cartoonesques tantôt réalistes du dessin, c’est l’interactivité que proposent les plateformes de diffusion : la possibilité d’aimer un contenu, de le partager sur les réseaux sociaux mais encore et surtout, la proximité qu’il existe entre le webtooneur et le lecteur. Il est assez simple de suivre et de communiquer via les plateformes de diffusion mais surtout grâce aux réseaux sociaux, notamment Instagram ou Twitter ce qui crée une relation de confiance et favorise la lecture de nombreux webtoons.

Aux origines des webtoons, la bande dessinée coréenne

Les rouleaux bouddhiques

Connaître le fonctionnement du webtoon est une chose, en connaître son histoire en est une autre. En effet, si beaucoup de personnes s’intéressent aujourd’hui à ce média, peu savent comment il est né et encore moins que plusieurs influences se retrouvent dans ces BD. En effet, lorsque l’on parle de webtoon on parle uniquement de bandes dessinées numérique sud-coréennes mais il existe également des BD papiers, les manhwas qui existaient bien avant le format dématérialisé. Ces derniers, dessinés non pas par des webtooneurs mais par des manhwagas, se sont inspirés de diverses sources pour avoir la forme que nous leur connaissons aujourd’hui. Ainsi, comme la majorité des bandes dessinées asiatiques, il est possible de lister parmi leurs ancêtres les rouleaux de prières bouddhiques ayant la particularité d’alterner entre passages d’écrits sacrés et illustrations.

Grand Dharanisutra de la Lumière Immaculée et Pure. Reproduction d’un original au Musée National de Corée (Wikimedia Commons – Photo de Naturhead).

Guerre de Corée et bande dessinée

Il est également possible de lister parmi les influences des manhwas les manhuas chinois, les mangas japonais ou encore les comics américains qui sont intervenus durant différentes parties de l’histoire de Corée. Les bandes dessinées chinoises se sont par exemple exportées par le commerce via les terres et le commerce maritime, la culture chinoise voyageant par ces mêmes biais. L’influence japonaise a elle été imposée lors de la guerre de Corée de 1950 à 1953, les mangas servant alors de moyen de propagande du peuple japonais, tentant d’effacer la présence des manhwas qui servaient à la résistance. Et bien qu’il s’agisse alors d’un outil, il est indéniable que la BD japonaise a influencé, notamment le dessin en noir et blanc, la production coréenne de l’époque.

Après la libération du pays par les Américains en 1953, les comics ont également été assimilés par les artistes locaux pour produire de nouveaux manhwas, avec une nouvelle esthétique et de nouvelles thématiques. Pourtant, bien que transformée, la bande dessinée coréenne a continué à se différencier des autres par son sens de lecture de gauche à droite découlant de plusieurs siècles d’utilisation de l’alphabet coréen, le Hangeul.

Disparition des manhwas, apparition des webtoons

Très appréciés autour des années 1980, les manhwas ont commencé à se raréfier peu avant les années 2000. Les manhwagas n’arrivant plus à travailler sur le support papier se sont rapidement tournés vers le numérique dynamisé avec l’arrivée d’internet. Naissent alors les prémices du webtoon moderne : les blogs de manhwas. Ces derniers ont été un véritable laboratoire d’expérimentation pour tout créateur comme le début de la lecture verticale, conservée dans les webtoons actuels, la modification de la mise en case qui est partie des grilles en gaufrier jusqu’à la bande verticale actuelle, l’implémentation d’animations, etc. On arrive alors au début des années 2000 et les premiers webtoons tels que nous les connaissons sont nés.

Diffusion des webtoons sur le net

En Corée

Deux plateformes ont repéré le potentiel des bandes dessinées numériques et ont alors décidé de les diffuser pour la première fois : DAUM et NAVER. Ces deux géants d’internet ont ainsi été les premiers à officiellement diffuser du webtoon de manière gratuite, utilisant ces dernières comme publicité pour leurs marques et permettant par la même occasion de donner de la visibilité à des créateurs. Mais ce n’est qu’avec l’avènement de LEZHIN que le système économique des plateformes de diffusion a totalement été repensé, développant ainsi le freemium et permettant la rémunération des webtooneurs.

Les géants comme NAVER continuent la diffusion gratuite des œuvres mais d’autres systèmes comme la publicité ou encore la possibilité d’ouvrir une boutique permettent une rémunération des auteurs. Il y a même la création du fastpass, paiement qui permet de visionner en avant-première des chapitres. Plusieurs autres plateformes de diffusion commencent alors à émerger, certaines aujourd’hui très connues comme Kakao Page ou plus récemment Kakao Webtoon, appartenant toutes deux à KAKAO.

En France

La diffusion à l’international a débuté au début des années 2010 avec l’apparition des premières applications mobiles comme Line Webtoon, connue en France sous le nom WEBTOON, qui ont permis au webtoon de devenir non plus une BD sud-coréenne mais bien un élément de la culture mondiale, commençant ainsi la progressive et perpétuelle hybridation du genre. Plusieurs applications américaines comme Tapas puis francophones comme DELITOON, YURAI EDITIONS, WEBTOON FACTORY ou plus récemment VERYTOON ont elles permis une très importante diffusion française du webtoon. C’est grâce à elles qu’aujourd’hui plusieurs éditeurs s’intéressent grandement au phénomène en les publiant sous format papier.

Pourtant, il est possible de voir une différence nette entre les parutions sur papier et les grands titres numériques. Si aujourd’hui, mis à part Killing Stalking, un boy’s love, ou bien True Beauty et Qu’est-ce qui cloche avec la secrétaire Kim ? cartonnent, force est de constater que ce sont les titres destinés majoritairement à un public masculin qui sortent, comme en atteste le succès actuel de Solo Leveling. A contrario, sur le net se sont les publications romantiques et majoritairement destinées aux filles qui fonctionnent le mieux comme Let’s play ou encore Traditions d’Olympus entre autres. Cela peut s’expliquer par le nombre important d’autrices de webtoons dont YAONGYI (True Beauty) est l’une des plus connues. On se retrouve donc face à un véritable succès qui peut également s’expliquer par différents facteurs et notamment la Korean Wave.

Explosion du phénomène webtoon sur les écrans

Films et dramas

Il est possible d’associer l’engouement autour de la bande dessinée avec un phénomène culturel nommé la Korean Wave. Débuté dans les années 2000 avec la K-pop, cette dernière a rapidement été planétaire, amenant les fans de musique à s’intéresser à d’autres pans de la culture coréenne comme les séries télévisées (dramas), ou encore la bande dessinée (webtoons). La popularité grandissante autour de ces derniers a convaincu divers studios et chaînes de proposer des adaptations permettant d’une part de contenter le fans et de redécouvrir une œuvre qui leur plaît et d’une autre, de faire de la publicité pour cette même œuvre. Cette technique commerciale appelée transmedia storytelling est parfaite pour promouvoir un produit et lui assurer une plus grande visibilité. Ainsi de nombreux dramas comme récemment True Beauty popularisent de plus en plus les webtoons. Les films proposent une aussi grande visibilité, ayant le même rôle promotionnel.

Adaptation télé du webtoon True Beauty... la bande dessinée à faire défiler prend vie à l'écran

Image promotionnelle du drama True Beauty ©VIKI

Japanimation

Une publicité qui ne cesse de s’intensifier avec un total de 37 séries totalisées sur l’ensemble de l’année 2021 avec par exemple The Sweet Blood, une romance vampirique ou encore la série boys’ love Semantic Error adaptant l’histoire d’amour entre un développeur de jeux vidéo et un designer. Le phénomène webtoon n’est pas prêt de s’achever, surtout pas en France. Les webtoons, ces bandes dessinées coréennes ont aussi été adaptées par la japananimation. Ainsi, The God of High School ou encore Tower of God ont permis aux plus jeunes et aux fans du genre de découvrir sous un nouveau support ces BD qui leur plaît tant. Une publicité d’une vingtaine de minutes chaque semaine est une parfaite vitrine pour ces œuvres dont les adaptations foisonnent et se diversifient toujours plus.

Explosion du phénomène : le webtoon au format papier

Solo Leveling, webtoon publié chez Kbooks

Couverture du 1er tome. Solo Leveling ©DUBU (REDICE STUDIO), CHUGONG 2018 D&C WEBTOON Biz Co., Ltd.

Les précurseurs

Rapidement mentionné précédemment, il nous semble important de parler plus longuement de la deuxième vague de webtoons imprimés. Car oui, au milieu des années 2000, des éditeurs comme CASTERMAN avec la collection « Hanguk » ou encore CLAIR DE LUNE étaient des précurseurs en la matière. Ils ont publié des titres comme Catsby mais ces derniers n’ont pas eu énormément de succès.

Deuxième vague et succès du format papier

La deuxième vague par contre, initiée par Killing Stalking publié chez TAIFU en fin 2020, a été une véritable révolution. De nombreux éditeurs ont alors commencé à s’intéresser aux webtoons et notamment aux best-sellers. C’est ainsi que OTOTO a mis en avant Tower of God ; NAZCA EDITIONS a lancé DICE ; KI-OON s’illustre avec Bâtard ou encore DELCOURT et son label Kbooks envahissent les rayons avec pas moins de 4 séries en cours (Solo Leveling, Noblesse, True Beauty, Qu’est-ce qui cloche avec la secrétaire Kim ?) et 2 à paraître (Hellbound et Crush of Lifetime).

L’engouement autour du webtoon est si important qu’AKILEOS a décidé de se tourner vers les productions internationales. Est donc sorti en France Space Boy de Stephen McCranie. La parution papier est un véritable phénomène qui va sûrement s’intensifier encore plus dans le futur. Il est donc tout à fait possible qu’arrivent dans nos librairies des best-sellers comme Let’s play, Traditions d’Olympus, Born Sexy Tomorrow de VVGB ou encore BJ Alex.

Avec toutes ses particularités, tout son univers à la fois coréen et mondial, le webtoon ne risque pas de disparaître. Bien au contraire, les multiples adaptations dont il fait preuve montrent que ce genre s’est imposé comme une des références de la BD numérique. Faire défiler sur son écran une bande dessinée est certainement la clé d’un tel succès mondial.

6 réponses

  1. NATHALIE SANSAS dit :

    Bonjour,
    moi qui est fan de mangas, j’ai passé le virus à mes fils. C’est eux qui m’ont fait découvrir scanmanga, je le trouve excellant car il y a du choix mais en plus quand j’ai une série qui me plait, j’ai de la chance de pouvoir la trouver sous forme papier et ça c’est génial car malgré, l’évolution de la technologie, le format papier reste mon préféré.

    • Andres Camps dit :

      Bonjour et merci pour ces retours. Le webtoon est vraiment un sujet fascinant et effectivement les adaptations papiers qui arrivent en librairie permettent à une plus grande audience de les connaître. Une double entrée qui permet deux expériences de lectures différentes et complémentaires.

  2. Navarre dit :

    Superbe article, on apprend plein de choses…

    • Andres Camps dit :

      Bonjour et merci pour ces retours si positifs. J’ai tenté autant que possible de résumer toute la complexité de ce qu’est le webtoon et je suis heureux que vous ayez pu apprendre en parcourant cet article. Au plaisir de vous en apprendre plus sur divers dans de futures parutions.

  3. Elvira dit :

    C’est vraiment super! Intéressant, enrichissant et instructif!! Hâte de lire le prochain

    • Andres Camps dit :

      Bonjour et ravi que cet article vous ait plu. J’ai tenté au mieux de condenser toutes les singularités du genre webtoon, de son histoire à ses caractéristiques. Et je suis d’autant plus ravi qu’il vous a paru instructif. Encore merci et au plaisir de vous revoir sur de prochains articles.

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