Porcelâme : sur la Voie du Kirin et des animaux célestes !

Dans la littérature jeunesse, de plus en plus d’auteurs français puisent dans la culture japonaise pour écrire des romans dépaysants mêlant aventure et mystère. Après avoir lu Les Noces de la renarde de la jeune autrice Floriane Soulas aux éditions Scrineo, aujourd’hui, nous explorerons la voie du Kirin avec le premier tome de la trilogie Porcelâme de Célia Flaux, sorti aux éditions Bayard Jeunesse le 6 octobre 2021. Ce récit fantasy a tous les ingrédients pour faire entrer le lecteur dans son univers et ses 5 clans dont les emblèmes sont des animaux fantastiques.

Ascension de la montagne sacrée (Illustration de Florent Grattery) avec couverture du livre ©Bayard Jeunesse

 

5 clans et 5 animaux sacrés

Le Dragon, le Tigre, le Kirin, le Phénix et la Tortue : cinq animaux sacrés qui représentent les cinq clans qui composent l’empire. Pour maintenir la paix dans ce Japon fictif, les différents seigneurs s’étaient mis d’accord pour signer le Traité de porcelâme, dont les cinq lois gravées sur un rouleau de porcelâme sont :

1. Chaque clan doit allégeance à l’Empereur.

2. L’Empereur doit assistance à chaque clan.

3. L’Empereur est garant de la paix.

4. L’Empereur rend la justice entre les clans.

5. Chaque clan est autonome dans la limite de ses frontières.

La porcelâme est une matière magique créée par les dieux. A la naissance, chacun se voit attribuer une figurine en porcelâme d’une importance capitale : elle exprime l’état d’esprit de la personne, de son vivant comme après sa mort.

Les 5 clans ont leurs règles et spécificités qui restent en mémoire assez facilement, même si en contrepartie cela donne lieu à des facilités ou des personnages parfois caricaturaux. Le clan du Dragon est dirigé par l’Empereur ou l’Impératrice : le trône se transmet de parent à enfant. Les intrigues politiques y sont la règle. Les membres du Tigre sont des guerriers et le titre de Gouverneur (équivalent du Shogun) se gagne à la guerre. L’animal prête parfois ses pouvoirs de rage divine, sorte de berserk rendant presque invincible ! Le Kirin incarne la sagesse et son clan, qui vit dans la montagne sacrée, est réputé pour ses temples et son enseignement religieux. Les écoles du clan du Phénix forment les savants et les inventeurs. Le clan de la Tortue est riche grâce à ses marchands et navigateurs. Dragon, Tigre et Kirin incarnent donc les noblesses de sang, guerrière et religieuse. Le premier tome leur est principalement dédié. Le deuxième tome, Le Chant du Phénix, et le troisième, Le Labyrinthe de la Tortue, exploreront davantage les deux derniers clans.

Carte de l'empire dans Porcelâme

Carte de l’empire dans Porcelâme (Illustration de Florent Grattery) ©Bayard Jeunesse

 

Un récit initiatique sur la Voie du Kirin

Sur fond de meurtres dans le territoire du Kirin, le Seigneur du clan du Tigre est en passe de relancer une guerre civile avec l’invasion du territoire voisin du Kirin pour, dit-il, mener l’enquête. La vie de Tomoe bascule le jour où sa ressemblance avec l’avis de recherche risque de l’accuser de tous les crimes de la veuve noire, la criminelle recherchée depuis plus de 30 ans par le gouverneur Tora (Tigre en japonais). En parallèle, les porcelâmes de la famille impériale sont malades. Gikan Hayashi est le maître de la Porcelâme et gardien de l’autel des ancêtres de l’empereur Tatsuya. Il est trop âgé pour se rendre au temple du Kirin où se trouve la figurine de porcelâme de la petite-fille de l’empereur. Il missionne donc son fils Gintaro pour analyser celle-ci et trouver ainsi le remède à la maladie qui touche la porcelâme de la défunte fille de l’empereur, autrefois mariée au Seigneur du Tigre. Le destin du clan du Dragon et de l’Empire est entre ses mains. Pour assurer sa sécurité lors de l’ascension de la montagne sacrée, Gintaro recrute Kiyoshi, un jeune rônin. Tomoe, Gintaro et Kiyoshi sont trois jeunes qui se retrouvent au milieu d’un conflit entre les clans du Tigre, du Dragon et du Kirin. Leurs destins deviennent liés et ils devront faire face aux forces qui menacent l’empire.

Les gardiens des quatre orients dans l’astrologie chinoise et le feng shui

Pour écrire sa trilogie, l’autrice s’est inspiré de la mythologie chinoise et plus précisément des quatre créatures célestes (四獸 sì shòu) connus au Japon comme étant les « quatre dieux » (四神 Shijin). Si vous les avez déjà rencontrés dans des mangas, des animés ou des kakemono accrochés au mur par exemple, connaissez-vous leur histoire et signification ?

La légende des quatre créatures célestes remonte au moins au 2e siècle av. J.-C, en Chine. Chacun des quatre emblèmes célestes de l’empereur chinois garde une direction cardinale et correspond à une saison, une couleur, un élément et des caractéristiques propres.

🐉青龍 Qinglong (chinois) / Seiryū (japonais), le dragon azur de l’Est à lequel on attribue le printemps et l’élément Bois.

🐅白虎 Baihu (chinois) / Byakko (japonais), le tigre blanc de l’Ouest à lequel on attribue l’automne et l’élément Métal.

🐦朱雀 Zhuque (chinois) / Suzaku (japonais), l’oiseau vermillon du Sud à lequel on attribue l’été et l’élément Feu.

🐢玄武 Xuan Wu (chinois) / Genbu (japonais), la tortue noire du Nord à laquelle on attribue l’hiver et l’élément Eau.

Le ciel chinois

Le ciel chinois avec les 4 points cardinaux (l’ouest, l’est, le nord, le sud) – Source : bonnetbidaud.free.fr

Au Japon, leur représentation est beaucoup plus rare qu’en Chine. Les Japonais leur préfèrent les divinités bouddhistes, les Shitennō (四天王 les « quatre rois célestes ») qui gardent eux aussi les 4 points cardinaux. Les premières traces des Shijin remontent au 7e siècle. Comme en Chine ou en Corée, les animaux apparaissent notamment sur des murs de la chambre funéraire du kofun de Takamatsuzuka, à Nara datant de l’époque Asuka (600-710). Ils avaient alors comme fonction de repousser les mauvais esprits. Les 4 animaux célestes sont aussi présents à la base de la Triade Yakushi du temple Yakushi-ji, aussi dans la ville de Nara.

Il est dit que le Kirin aurait le corps d’un cerf, la queue d’un bœuf, les sabots d’un cheval, un corps recouvert d’écailles de poisson et une seule corne. On raconte que son apparition présagerait d’un bon et sage gouvernement et d’une ère de prospérité pour la zone. Il vivrait au paradis et est associé à la sérénité et à l’harmonie. Il pourrait vivre jusqu’à 1 000 ans. En Chine, d’où il est originaire, il s’appelle 麒麟 Qilin. Son élément est la Terre. Dans le roman, le Centre lui est donc attribué. Les amateurs de bières japonaises savent reconnaître le Kirin. Hayao MIYAZAKI s’est aussi inspiré de la « licorne jaune » (son autre nom) pour créer son Dieu-cerf dans Princesse Mononoké.

Dieu-cerf dans le film Princesse Mononoké et Kirin servant d'emblème pour une marque de bière japonaise

Dieu-cerf dans le film Princesse Mononoké et Kirin servant d’emblème pour une marque de bière japonaise ©Studio Ghibli ©Kirin Brewery Company, Ltd.

 

Célia Flaux livre une histoire de fantasy qui saura tenir en haleine les adolescents et jeunes adultes. La réappropriation de la culture asiatique (chinoise et japonaise) en utilisant les animaux sacrés dans un pays fictif ressemblant au Japon féodal est une grande réussite. La lecture du premier tome de la trilogie Porcelâme annonce de bonnes choses à venir pour les deux derniers volumes. Malgré quelques révélations attendues, la progression est fluide et on prend plaisir à suivre les aventures du trio sur la Voie du Kirin !

David Maingot

Responsable Culture à JDJ et passionné de la culture et de l'histoire du Japon, je rédige des articles en lien avec ces thèmes principalement.

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