Junji Ito : le maître de l’horreur chez Mangetsu

Présenté comme l’un des grands maîtres de l’horreur, Junji Ito n’est certainement pas un nom qui vous est inconnu. Depuis son grand retour dans les librairies françaises, que l’on doit en grande partie à l’éditeur Mangetsu, le mangaka s’est à nouveau imposé auprès du public francophone comme l’artiste à suivre pour tous les amoureux du genre horrifique. Ce mois-ci, c’est son adaptation du classique de la littérature gothique Frankenstein que l’éditeur nous propose de découvrir. L’occasion pour Journal du Japon de vous (re)présenter ce grand nom de l’horreur.

Tomie : celle par qui tout commence

Né en 1963, Junji ITO est un des noms qui revient le plus souvent lorsque l’on parle du manga d’horreur. Aux côtés de Kazuo UMEZO, pionnier du genre, auteur notamment de L’école emportée (nouvelle édition en cours de parution en France) prépublié entre 1972 et 1975 dans le Weekly Shōnen Sunday, il est considéré comme l’un des auteurs les plus influent du genre, même s’il ne pense pas arriver à la cheville de celui qu’il appelle son maître. D’abord assistant prothésiste dentaire, ce n’est que sur son temps libre qu’il laisse s’exprimer ses idées. Inspiré par les légendes urbaines japonaises et soumis à une forte volonté de ne pas être un vulgaire copieur de son modèle, c’est en 1987 qu’il imagine Tomie.

© Junji Ito

Tomie est une yamato nadeshiko, une femme traditionnelle japonaise qui possède toutes les vertus que l’on attend d’elle, la qualifiant par définition comme la femme parfaite. Elle décède tragiquement à l’adolescence dans des conditions toutes particulières : c’est lors d’une sortie scolaire, avec son professeur et ses camarades de classe, qu’elle est tuée et démembrée. Cet événement sonne le début d’une série d’épisodes où Tomie revient inlassablement se venger. D’abord de sa classe, puis ensuite de tous les hommes qu’elle rencontrera et qui la tueront à leur tour. Car oui, Tomie hypnotise et captive les hommes, au point incommensurable qu’ils en viennent à sombrer dans une folie meurtrière.

C’est avec Tomie qu’il pose les bases de son écriture qui le distinguera tout au long de sa carrière : une femme vengeresse à la beauté enivrante au cœur d’un récit sordide où les corps se transforment, se métamorphosent, le tout dans une ambiance confuse où le lecteur et les protagonistes peinent parfois à cerner le cours des évènements, ou du moins leur potentiel logique. Cette femme, comme le reste des œuvres de Junji ITO, représente les parts sombres de l’être humain. Suivant les traces de Kazuo UMEZU, son modèle qui a révolutionné le genre « [d]es mangas d’épouvante [qui] mettaient principalement en scène des monstres ou des fantômes » car quand Kazuo Umezu « s'[en] est emparé, il a été le premier à dépeindre la laideur de l’âme humaine et à raconter des histoires d’horreur résolument psychologiques » (extrait de l’interview de Junji ITO parue dans le magazine Atom n°17) ; le mangaka cherche à questionner ses lecteurs : Tomie est-elle réellement une victime ?

© Junji Ito, Tomie, Mangetsu

Tomie est un titre tout particulier pour son auteur. Son écriture a commencé aux prémisses de sa carrière, dans le cadre d’un concours pour gagner le prix Umezu organisé par le magazine Gekkan Halloween. C’est suite à l’obtention de la mention honorable que Tomie fut publié et que la voie du succès s’est doucement dessinée pour son créateur. Après que les portes se soient ouvertes, il a pu se consacrer à d’autres histoires et d’autres personnages, mais Tomie l’a toujours suivie, et le suivra toujours. D’abord parce qu’elle fut le commencement de sa carrière de mangaka, mais aussi parce que jusqu’en 2000, il la dessinait encore. Plus de 10 ans partagés ensemble que l’on retrouve dans l‘intégrale proposée par Mangetsu qui nous permet de parfaitement observer l’évolution du personnage, de sa beauté, de ses transformations et de ses histoires « d’amour » au fil de toutes ces années d’écriture. L’ouvrage se clôture sur un épilogue analytique de l’œuvre particulièrement intéressant signé Morolian, qui a pu rencontrer Junji ITO pour l’occasion, dans lequel on (re)découvre les subtilités de ce qu’est Tomie.

Mais ce récit reste celui d’un personnage sans fin, qui va et qui revient. Junji ITO passe alors des années à découvrir ce nouveau métier qui s’offre à lui en imaginant de courtes histoires avant de se lancer enfin dans son premier long récit : Spirale.

La malédiction de la spirale

De son titre original Uzumaki, cette œuvre nous conte les faits inquiétants et inexpliqués qui se déroulent dans la petite bourgade côtière de Kurouzu. On y suit Kirie et Suichi, une jeune lycéenne et son petit ami qui semblent être les premiers à remarquer les étrangetés qui se déroulent en ville. En effet, le père de ce dernier se comporte de manière particulièrement bizarre depuis quelques jours : il semble complètement obsédé par les spirales. Il en voit de partout et les collectionne sous toutes leurs formes (coquilles d’escargots, habits affichant ces motifs, ressort etc.). Au plus le temps passe, au plus ses propos deviennent incohérents et sa famille s’inquiète. Malheureusement, le père de Suichi sera la première victime de ce que Kirie appellera ensuite la malédiction de la spirale.

© Junji Ito

Publié initialement en 3 tomes, Spirale fait ses débuts dans le même format que Tomie (des histoires courtes, plus ou moins indépendantes les unes des autres, sans que l’intrigue principale n’évolue) avant de prendre la forme d’une histoire à proprement parlé. Comme dans toutes les œuvres de Junji ITO, les faits qui se déroulent dans la ville de Kurouzu sont résolument absurdes et l’on peine à comprendre la passivité des personnages face à la menace qui pèse sur eux. Mais c’est bien là ce que l’auteur réussi le mieux : nous happer, nous captiver dans son récit horrifique où la peur nous fait tourner les pages sans jamais nous décrocher de l’œuvre, à la rencontre de toutes les formes que prend cette angoissante spirale qui ne cesse de se renouveler.

Spirale, prépublié entre 1998 et 1999, érige définitivement Junji ITO à son statut de maître de l’horreur : une longue carrière, toujours d’actualité, débute alors pour le plus grand plaisir des amoureux du genre horrifique !

Junji Ito en France

© Junji Ito, Les chefs-d’œuvre tome 1, Mangetsu

Junji ITO est un auteur particulièrement prolifique et il n’est pas difficile de se perdre au milieu de sa bibliographie : entre ses courts récits publiés et republiés dans différents ouvrages et ses œuvres plus denses, on trouve de nombreux titres qui sont parfois présentés sous leur nom d’origine, parfois sous leur traduction. De quoi vite s’emmêler les pinceaux, d’autant plus que nombreux sont ses titres inédits en France.

Pour faciliter les choses, parlons ici des titres qui ont été ou qui sont disponibles en France. Parmi ceux-là, nous pouvons citer les classiques Tomie, Spirale ou Gyo, qui sont 3 des œuvres les plus connues de l’auteur, et qui illustrent bien la place que Junji ITO tenait en France jusqu’à maintenant : un auteur pour les connaisseurs du genre, qui ne risque pas de devenir la surprise inattendue de n’importe qui. En effet, longtemps restées des œuvres difficilement trouvables en France (ou à des prix défiant tout bon sens, comme le veut le marché de la spéculation autour des mangas collectors ou en arrêt d’édition), ces 3 titres sont les premiers à avoir été réédité en 2021, l’année du grand retour du maître de l’horreur dans nos librairies françaises.

C’est donc depuis à peine plus d’un an que nous avons le plaisir de (re)découvrir l’auteur au travers des éditions Mangetsu et Delcourt, qui nous offrent tour à tour des titres incontournables comme Sensor et La déchéance d’un homme et des inédits comme les histoires courtes disponibles dans le recueil Les Chefs d’Oeuvre de Junji Ito, proposés en 2 tomes (Soïchi le possédé, La femme-limace, Un rêve sans fin et 16 autres nouvelles) que l’on retrouve dans la collection dédiée à l’auteur proposé par la maison d’édition : des ouvrages en grand format, cartonné, préfacés par différents auteurs, réalisateurs ou journalistes, et analysés par Morolian, présenté comme le spécialiste français de Junji ITO.

En ce mois de juin 2022, c’est Frankenstein que nous propose Mangetsu !

Junji Ito revisite Frankenstein

© Junji Ito, Frankenstein, Mangetsu

Inutile de vous présenter Frankenstein, même si la majorité d’entre vous doit croire que c’est le nom donné à la créature au centre de l’œuvre, alors que c’est en réalité le nom de son créateur. Mais qu’importe, nous parlons ici d’un classique implanté dans la culture littéraire, cinématographique et même orale depuis les années 1830 ! Et c’est en 1994 que Junji ITO se voit confier par la maison Asahi Sonorama la mission de s’approprier ce grand classique de la littérature fantastique qu’est Frankenstein . Une aubaine pour l’auteur qui y voit un grand privilège, et pour la maison d’édition qui surfe sur le phénomène grâce à la sortie du film avec Robert De Niro. Cette adaptation se veut proche de l’œuvre originale : Junji ITO se calque sur les déroulements que Mary Shelley avait imaginé pour son récit, mais fait tout de même le choix de modifier un élément final, que nous vous laissons bien évidemment le plaisir de découvrir par vous-même.

Égal à lui-même, Junji ITO nous livre ici un récit horrifique duquel on peine à décrocher : que ce soit le rythme ou les dessins, tout nous emporte dans cette malheureuse aventure dont Victor Frankenstein est à l’origine, obnubilé par son désir de créer la vie, comme Dieu. L’occasion pour découvrir ou redécouvrir l’histoire de ce scientifique suisse qui n’a pas su s’arrêter à temps.

© Junji Ito

Mais ce gros bébé de plus de 400 pages proposé par Mangestu cache bien son jeu. Frankenstein est en réalité découpé en 2 parties : une première moitié dédié à l’œuvre éponyme, et une seconde moitié dédiée à 10 nouvelles horrifiques dont 6 comptant les mésaventures d’Oshikiri, un personnage dont il est encore une fois aux premiers abords difficile de savoir quoi penser. Particulièrement complexé par sa taille, ce jeune homme solitaire et peu expressif fait preuve d’une certaine ambivalence au cours des histoires, passant de victime à tortionnaire, dans le cadre d’abominations quotidiennes dont il est, ou non, à l’origine. Ce personnage rappel sans mal celui de Tomie par les différentes multiplicités des deux protagonistes (ou antagonistes, selon les points de vue), et les différentes situations qu’ils vivent qui se font échos. Un plaisir donc pour le lecteur de découvrir des thèmes exploré par Tomie avec ce nouveau personnage bien loin de la yamato nadeshiko.

Mangetsu n’a pas fini d’étoffer son catalogue des œuvres de Junji Ito. La prochaine parution à venir est Zone Fantôme, tome 1 prévu pour le 17 août, toujours en grand format et agrémenté de nombreux bonus, pour compléter sa collection dédiée au maître de l’horreur ! Sont ensuite attendus Le journal de Soïchi, Fragments d’horreur, L’école décomposée et Le Mort amoureux, de quoi ravir les fans de l’auteur. Et finissons cet article sur une dernière bonne nouvelle : Spirale aura le droit à une adaptation animée de 4 épisodes, tout en noir et blanc, pour le mois d’octobre 2022 !

Rokusan

Roxane, passionnée depuis l'enfance par le Japon, j'aime voyager sur l'archipel et en apprendre toujours plus sur sa culture. Je tiens le blog rokusan.fr dédié aux voyages au Japon.

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