La teinture à l’indigo – épisode 3 : les lieux à visiter au Japon
Après avoir présenté le shibori, ses principes et techniques, et son caractère écologique, place à la découverte des lieux au Japon où en découvrir encore plus sur cette méthode de teinture aux riches motifs et aux cinquante nuances de bleu.
Arimatsu, berceau du shibori
Pourquoi le shibori à Arimatsu ?
Berceau du shibori, la petite ville d’Arimatsu (有松) semble avoir échappé à la marche du temps. Dans la banlieue sud-est de Nagoya, dans la préfecture d’Aichi, Arimatsu recèle l’un des rares quartiers de la mégalopole à avoir été préservé des raids aériens de la Seconde Guerre mondiale qui ont ravagé Nagoya, alors centre de l’industrie aéronautique japonaise.
La petite ville d’Arimatsu était stratégiquement située sur la route du Tokaido, qui reliait Edo (Tokyo), siège du pouvoir shogunal, à Kyoto. À l’époque d’Edo, le Tokaido était l’une des plus grandes routes commerciales de l’Archipel. Dès 1608, sous le shogunat de TOKUGAWA Ieyasu, Arimatsu se lance dans la teinture par ligature, sous l’impulsion de Takeda Shokuro et d’autres pionniers.
Très vite, l’artisanat fait florès, trouvant sur place des débouchés commerciaux. Les samouraïs, marchands, pèlerins et simples voyageurs du Tokaido sont en effet nombreux à faire escale à Arimatsu. Ils achètent des textiles produits sur place, en guise de présents ou pour leur usage personnel. Et c’est ainsi que ces tissus de grande qualité ont obtenu leurs lettres de noblesse, et que le savoir-faire local s’est popularisé à travers tout le pays. Le seigneur du domaine d’Owari décida alors de protéger ce qui était devenu une véritable industrie.
Si la technique n’a pas été inventée à Arimatsu, et si le Japon avait déjà une longue histoire du shibori avant elle, ce sont bien les artisans nippons qui ont opéré un raffinement de la technique et sophistiqué les designs. Tout en complexifiant les tracés, les artisans d’Arimatsu ont adopté des supports spéciaux et des crochets métalliques pour parfaire l’alignement des boucles et des points.
Paysage urbain et bâtiments historiques d’Arimatsu
Un quartier hors du temps aligne encore de vénérables machiya, maisons traditionnelles de marchands datant de l’époque d’Edo et du début de l’ère Meiji. Agencé autour d’une rue principale, ce quartier historique s’étend juste au sud de la gare. On flâne avec délice dans un petit coin de Japon traditionnel qui exhale un charme renversant. Restaurées avec soin, les maisons basses abritent de jolies boutiques d’artisanat, des restaurants de nouilles udon ou soba, et quelques salons de thé. Les bâtiments historiques, magasins et entrepôts datant de l’époque des samouraïs ont valu au secteur son classement en tant que « district important de préservation pour les groupes de bâtiments traditionnels ».
Ce paysage urbain a pour élément caractéristique un alignement de fenêtres et devantures en treillis (renji-koshi), entrecoupées de namakokabe, des murs recouverts de croisillons. Datant de la fin de l’époque d’Edo, les murs de namako apportaient aux entrepôts des qualités ignifuges. Autre élément d’architecture typique, les toitures sont ornées sur leurs extrémités d’udatsu, des avant-toits frappés d’écussons familiaux ou de décorations. Ils servaient tant à éviter la propagation des flammes d’une maison à l’autre lors des incendies que de signes extérieurs de richesse.
Le quartier comprend plusieurs bâtiments notoires. La résidence Hattori a été construite en 1790. Elle comprend pas moins de onze bâtiments, dont une maison principale, un puits couvert, six entrepôts de stockage (pour le riz, le miso, la teinture…), et une maison de garde. L’ensemble a été classé par la préfecture d’Aichi « bien culturel tangible ». La résidence d’Oka présente quant à elle l’architecture caractéristique d’un grossiste en shibori du milieu du XIXe siècle, avec son vaste bâtiment unique et sa façade en treillis.
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Le musée du shibori d’Arimatsu
Au cœur du quartier historique, le musée de la Teinture Shibori (Arimatsu Narumi Shibori Tie-Dyeing Museum) présente les différentes techniques traditionnelles, toujours perpétuées depuis quatre siècles, et les divers motifs de tissus qui en résultent.
Des démonstrations sont données, et les visiteurs pourront même se faire la main et s’essayer à la technique du shibori lors d’ateliers. On y teint de petites serviettes, des pochettes ou des foulards (sur réservation). Il est aussi possible de louer un kimono pour sillonner le quartier historique comme aux temps jadis.
La jolie boutique vend des articles originaux teints à la main : kimonos et autres vêtements, sacs, foulards, hankachi, nappes et jetés de table.
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Arimatsu Shibori Festival
Arimatsu célèbre ce patrimoine immatériel en organisant le 1er week-end de juin le festival du shibori. Les bâtiments historiques et les habitations se parent alors de tentures, tandis que fleurissent dans les rues les stands de street food. Des chars, appelés dashi, de 5 à 8 m de hauteur paradent dans les rues. Richement décorés et sculptés, ils sont surmontés de poupées en bois mécanisées, appelées karakuri. Les défilés ont lieu en journée puis en soirée, à la lumière des lanternes de papier. Au programme : cours d’initiation, défilés de chars dashi, stands, et bien sûr vente d’articles de shibori.
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Pour aller plus loin, le site de la préfecture d’Aichi et sa section sur Arimatsu.
Tokushima
L’« Awa-ai », l’indigo d’Awa
Au nord-ouest de Shikoku, Tokushima (徳島), ancienne capitale médiévale, figure parmi les principaux producteurs de colorants naturels à l’indigo du Japon. L’indigo a été produit dans l’ancienne province d’Awa dès l’époque de Heian (794-1185), sous le nom d’« Awa-ai », « indigo d’Awa ». Plus tard, l’époque de Sengoku (1467-1568), aussi dite « époque des provinces en guerre », marquée par des conflits entre seigneurs féodaux, vit augmenter drastiquement la demande en tissus teints à l’indigo.
L’implantation de la teinture à l’indigo (ou aizome) à Tokushima doit beaucoup à la topographie des lieux. La rivière Yoshino, en particulier, irrigue les terres environnantes, permettant l’épanouissement de la plante Perisicaria tinctoria, l’indigo japonais. Autour de ce qui était alors les plus grandes plantations d’indigo du pays, la production de teinture à l’indigo fit la prospérité de Tokushima dès le XVIe siècle, poussant le gouvernement à protéger les terres pour préserver cette activité lucrative. Ainsi l’« Awa-ai » est-elle devenue une marque de fabrique renommée à travers tout le Japon.
La Maison de l’Indigo de Tokushima
Dans une opulente ancienne résidence de marchand, l’Aizumicho Historical Museum, ou Ai-no-Yakata (Maison de l’Indigo) est une ancienne usine de teinturerie datant de l’époque où le commerce de l’indigo était florissant dans la province d’Awa. Dans le quartier d’Aizumi, à quelques rues de la rivière Yoshino, le bâtiment servait aussi de maison au propriétaire de l’atelier, négociant en indigo. Le musée présente les outils d’artisans, et des ateliers de 20 minutes permettent de s’essayer à la teinture traditionnelle à l’indigo sur une pièce de tissu (un mouchoir hankachi ou une serviette tenugui).
Pour aller plus loin : site en anglais de la ville de Tokushima
Kyoto
À Kyoto (京都), le musée d’Artisanat de Kyoto Shibori (Kyoto Shibori Museum) est l’autre grand musée du shibori au Japon. À quelques pas du château de Nijo, ce musée d’artisanat présente les outils, les techniques et les motifs qui en découlent. C’est aussi un musée didactique et interactif, où il est possible de toucher les tissus.
Outre des séances de démonstration et d’essais gratuits, le musée propose trois ateliers de teinture de foulards : ita-shime-shibori (30 à 60 min, 5 000 ¥ hors taxes), kyo-arashi-shibori (30 à 60 min, 5 000 ¥ hors taxes) et sekka shibori (30 à 60 min, 4 000 ¥ hors taxes). On repart avec son foulard imprimé de motifs en pointillé, typiques de Kyoto.
Il existe enfin des ateliers de furoshiki, cette technique traditionnelle d’emballage par pliage de tissu (60 à 90 min, 5 000 ¥ hors taxes sur du coton, 6 000 ¥ hors taxes sur de la soie).
Site du musée à Kyoto
Voilà pour ce petit tour du Japon en mode artisanat du shibori et teinture à l’indigo. Nous espérons que cette série d’articles sur le shibori vous a permis d’en apprendre un peu plus à la fois sur cet artisanat japonais d’exception, mais aussi sur cette technique assez simple et qui se popularise en France. N’hésitez pas à nous faire savoir si vous passez ou êtes passé(e)s par ces lieux.
Dossier teinture à l’indigo 2022 :
Episode 1 : Origines, principes et techniques du shibori
Episode 2 : Le shibori, un artisanat écologique
Photo de couverture, copyright, site de la ville de Tokusihma