La teinture à l’indigo – épisode 1 : origines, principes et techniques du shibori

Plus ancienne technique de teinture au Japon, qui figure aussi parmi les plus anciens artisanats d’art de l’Archipel, le shibori est une technique de teinture à l’indigo par nouage, proche du « tie and dye » (« nouer et teindre »). La teinture est fabriquée à partir d’une plante produite localement sur l’Archipel. Utilisé aux origines pour les vêtements des classes sociales supérieures et des samouraïs, le shibori a acquis ses lettres de noblesse dans le monde entier. Amoureux de l’artisanat japonais, Il était temps que nous lui consacrions un dossier, en 4 épisodes.

Dans ce premier opus, nous vous emmenons à la découverte sous toutes ses coutures de ce savoir-faire qui sublime les tissus.

Qu’est-ce que le shibori ?

Le shibori est une technique de teinture à l’indigo par nouage, ligature, pliage et/ou torsion de tissu. Tandis que le tie and dye consiste plutôt en des torsions et des ligatures du tissu, le principe du shibori veut que le tissu soit souvent noué par des fils d’aiguille en de nombreux petits points, puis attaché par des élastiques, ou encore enroulé et comprimé autour d’un mât. Autre différence : le tie and dye utilise tout le spectre des couleurs, quand le shibori a généralement pour teinte unique le bleu indigo.

Shibori (しぼり ou 絞り) signifie d’ailleurs presser, serrer, comprimer, tordre. Il s’agit en effet, après avoir noué le tissu afin que certaines parties du tissu ne soient pas teintes, de le comprimer dans le bain de teinture pour y imprimer des motifs. Il s’agit donc d’un procédé de « teinture à réserves », certaines portions du tissu étant protégées de la teinte, empêchées d’être colorées. Cette méthode artisanale de teinture par ligature permet d’obtenir des dessins ou motifs complexes, non seulement d’une infinie variété, mais aussi uniques.

Arimatsu, musée du Shibori, types de motifs

Arimatsu, musée du Shibori, types de motifs

Le shibori est l’une des plus anciennes formes d’industrie au Japon. Aux origines, au VIIe ou VIIIe siècle de notre ère, cette technique était utilisée pour la fabrication des vêtements de marque :  kimonos des nobles, et habits des samouraïs sous l’armure. Cette technique était également pratiquée en Inde et en Chine, mais c’est au Japon qu’elle s’est imposée à l’époque d’Edo, entre le XVIIe et le XIXe siècle. Elle s’est perpétuée et perfectionnée jusqu’à atteindre le niveau d’expertise et de raffinement que l’on connaît aujourd’hui.

Le berceau du shibori au Japon se trouve à Arimatsu, dans la préfecture d’Aichi, où ce savoir-faire se perpétue depuis plus de quatre siècles. Cette activité florissante a souvent été dépeinte dans des estampes du mouvement ukiyoe signées par de grands maîtres comme Hokusai et Hiroshige.

 

 

Différentes étapes de fabrication du shibori

Le shibori est le fruit d’un long processus de culture et de création, largement manuel, dont chaque étape nécessite un savoir-faire spécifique.

Tout commence dans les champs d’indigotiers. Après la récolte, les feuilles de l’indigotier sont séparées des tiges. Elles sont ensuite mises à fermenter jusqu’à l’obtention du sukumo, une matière première tinctoriale qui servira à la fabrication de la teinture. Nous aurons l’occasion de vous livrer les détails de ce processus de culture dans un prochain article. 

Le tissu utilisé doit être blanc ou à défaut, de couleur très claire. Il doit être lavé et séché. Avant le bain de teinte, il existe plusieurs manières de traiter et de préparer le tissu, selon le résultat souhaité, et selon parfois la nature de l’étoffe. Grosso modo, après l’avoir généralement plié, on peut le nouer ou le coudre. Le tissu peut être ligaturé ou noué soit avec du fil d’aiguille, soit avec des élastiques. Il peut encore être attaché à un cadre ou un montant avec des pinces et/ou des ficelles. Naturellement, le résultat varie selon la technique retenue. Il est aussi possible d’allier diverses techniques, pour un résultat qui gagne en subtilité.

Arimatsu, musée du Shibori, matériel

Arimatsu, musée du Shibori, matériel

Une fois ligaturé, le tissu est d’abord plongé dans un premier bain d’eau claire, puis immergé dans la cuve de teinture, de quelques minutes à une demi-heure. Pendant ce bain de teinte, on remue le liquide de teinture à l’aide d’un bâton, afin que la pigmentation s’imprime au mieux dans les fibres. Les micro-organismes imprègnent alors le tissu en profondeur. Lentement et patiemment, les motifs se dupliquent sur les plis. Les pliages, nouages, cordages élastiques appliqués sur certaines sections du tissu donnent naissance à l’impression sur le tissu motifs uniques.

Au sortir de la cuve,  ce sont les micro-organismes qui, en s’oxydant au contact de l’air libre, donnent aux tissus la couleur bleu cobalt si caractéristique du shibori.

Après séchage à l’air libre pendant une vingtaine de minutes, l’opération d’immersion du tissu dans la cuve peut être réitérée plusieurs fois, selon l’intensité du coloris souhaitée (voir plus loin les nuances de l’indigo).

Après répétition des étapes de trempage et d’oxydation, après obtention de la teinte souhaitée lorsque le tissu est suffisamment sombre, celui-ci est définitivement sorti du bain de teinture. Les nœuds, fils et élastiques sont détachés du tissu en même temps qu’il est rincé dans de l’eau claire et chaude.

 

Différentes techniques de nouage

Au-delà du principe intangible de la teinture à l’indigo, le shibori revêt une multitude de techniques de nouage, dans le but d’empêcher la couleur d’imprégner certaines parcelles de l’étoffe. Les trois principales sont le pliage, le nœud et la couture. Voici les principales techniques de shibori que l’on peut épingler, et dont résulte une incroyable diversité de motifs.

Le kanoko shibori, le shibori classique ou tie-and-dye à l’occidentale

Le kanoko shibori est l’une des techniques les plus populaires de shibori, et l’une des plus faciles pour commencer. Il correspond à la méthode occidentale de teinture par nouage.

Des parcelles de tissu sont nouées avec du fil, en vue d’obtenir des motifs qui varieront selon le positionnement des nœuds et le degré de serrage. Si les ligatures sont faites de manière aléatoire sur le tissu, les motifs représenteront des cercles aléatoires ; si le tissu est plié avant la ligature, alors les motifs seront plutôt géométriques.

Le tissu peut aussi être noué autour de billes ou de petits cailloux, ou poinçonné.

Le miura shibori, tissu pincé ou reliure en boucle

Cette technique est elle aussi assez répandue. Ici le tissu est non pas noué, mais arraché sur certaines sections à l’aide d’une aiguille à crocheter, selon un principe proche du crochet. Puis un fil est enroulé autour de chaque section. Il n’y a pas de nœud à proprement parler, mais le tissu est enroulé dans le fil. Seule une pression ou une tension est exercée sur certaines parcelles du tissu. 

Non noué, le tissu est facile à dérouler après le bain de teinture. Il en résulte des motifs concentriques comme mouvants, d’une légèreté quasi aquatique.

Arimatsu, musée du Shibori, modèles

Arimatsu, musée du Shibori, modèles

Le kumo shibori, réserve plissée et liée

Dans le kumo shibori, le tissu est plié dans le sens de la longueur, de manière fine et régulière. Puis des fils de liage successifs sont enroulés autour du tissu plissé pour créer le motif.

Il en résulte des lignes fines et nettes caractéristiques du kumo shibori, évoquant la toile d’araignée.

Le nui (mokume) shibori, shibori cousu ou brodé

La technique du nui shibori repose quant à elle sur des points de couture classiques très fortement serrés afin de maîtriser la formation de motifs en rayures ou en chevrons.

Cette technique permet un contrôle très précis du motif et une grande variété d’imprimés, mais elle est chronophage et requiert une grande patience dans la préparation du tissu.

L’arashi shobori, tissu enroulé serré ou shibori à la perche

Dans le arashi shibori, le tissu est enroulé en diagonale autour d’un bâton, d’un rouleau ou d’un mât, puis solidement fixé à l’aide de ficelle, du haut vers le bas. Le tissu est ensuite froissé sur le poteau.

On obtient ainsi un plissé et des motifs linéaires en diagonale, suggérant la pluie battante, l’orage ou la tempête (arashi en japonais).

L’itajime shibori, résistance à la forme ou à la surface

La technique de l’itajime shibori s’avère plus rare. Le tissu est d’abord humidifié dans de l’eau, et plié en accordéon. Des matériaux solides sont utilisés pour maintenir le tissu. Il s’agit de plaques, traditionnellement en bois, sinon en plastique. Le tissu plié est maintenu entre ces deux plaques, comme pris en sandwich. Il est maintenu en place par des ficelles ou des pinces afin d’empêcher la teinture d’atteindre les zones qu’elles recouvrent.

Il en résulte des formes géométriques ou asymétriques.

Autres motifs de shibori

Dans le mokumenui, les motifs sont faits d’alignements de traits blancs à intervalles réguliers, qui contrastent sur un tissu froncé. Le karamatsunui est un motif en demi-cercles concentriques marqués autour d’un pli, et agencés autour d’un point central. Dans le tegumo, un crochet métallique est attaché par une ficelle au montant d’un support servant à maintenir le tissu tendu. Le tissu est fixé au crochet et tiré au niveau des plis. Dans le makiage, on coud avec des points courants des lignes sur le tissu en le fronçant, avant de nouer le tout.

Il existe au total une centaine de motifs de shibori différents.

Arimatsu, musée du Shibori, tentures

Arimatsu, musée du Shibori, tentures

Coloris et nuances de l’indigo

La pratique de la teinture à l’indigo s’appelle aizome. La teinte obtenue est connue comme le « bleu japonais ». Mais l’intensité de la teinte peut varier en fonction du nombre de trempages : plus les bains de teinture sont répétés et prolongés, plus le tissu prend des teintes sombres et profondes. Pour une teinture légère à moyenne, il faut opérer trois ou quatre bains successifs, et au moins huit pour obtenir un indigo foncé.

Parmi les différentes nuances, citons, du plus clair au plus foncé, le shira ai (indigo presque banc), le kamenozoki (bleu pâle), l’asagi (bleu-vert pâle), le usu ai (indigo léger), le hanada (bleu azur), le nando (bleu-vert foncé), le ruri kon (bleu lapis-lazuli) l’ai (indigo, bleu de Prusse), le tetsu kon (bleu de fer ou bleu foncé), le nasu kon (couleur aubergine pourpre), et le kachiiro (indigo foncé, bleu-noir).

 

Le shibori, teinture à l’indigo par nouage, est l’un des plus anciens artisanats traditionnels du Japon. Autour d’une constante, la teinture à l’indigo, il existe de nombreuses variantes dans le pliage, le nouage et la fixation, dont résultent des motifs d’une grande diversité. Du nombre et de la durée des trempages dépendent l’intensité de la couleur. De par la diversité des motifs, et l’infinité des nuances de la teinture, chaque pièce de shibori est une création unique. Artisanat manuel par excellence, requérant patience, précision et minutie, le shibori est l’un des artisanats d’art les plus colorés du Japon.

Dossier teinture à l’indigo 2022 :

Episode 2 : Le shibori, un artisanat écologique

Episode 3 : Les lieux à visiter au Japon

Arimatsu, musée du Shibori, tentures 2

Arimatsu, musée du Shibori, tentures 2

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