La période Jômon ou la naissance d’une civilisation

La grande richesse de l’histoire japonaise ne se limite pas à la florissante ère Edo ou aux tumultes de la période Sengoku. L’histoire de l’archipel est bien plus ancienne que sa fondation mythique. Même en remontant à sa fondation légendaire en 660 AEC (Avant l’Ère Commune), on ne couvre qu’une période limitée. Parmi les subdivisions traditionnelles de l’histoire du Japon, la première est la période Jômon, qui court de 14 000 AEC à 400 AEC, et qui voit la naissance de la première civilisation japonaise. Pourtant, la période Jômon a longtemps été mise à l’écart des manuels scolaires japonais, et encore aujourd’hui elle est le sujet de controverses politiques dans l’archipel.

Les débuts de la période Jômon

Le premier peuplement du Japon se fait sans doute entre 38 000 AEC et 32 000 AEC. À cette époque, le niveau de la mer est nettement plus bas et le Japon est connecté alors au continent. Les traces laissées par ces peuples sont nombreuses. Autour de 14 000 AEC, l’ère glaciaire prend fin et l’adoucissement du climat permet une mutation de la société. En effet, les ressources naturelles deviennent plus abondantes, ce qui permets aux Jômon de se développer. Les populations Jômon sont parmi les premières au monde à découvrir la céramique.  

Photographie de poteries Jômon issu du site de L'UNESCO
Poteries cylindriques Jômon issues du site de Goshono ©Ichinohe Town Board of Education

C’est le début de la période Jômon qui doit son nom à la technique de décoration de la céramique (mon) par impression de cordes (jō) de cette période. De nombreux exemples de vases Jômon bien conservés permettent d’admirer la qualité des productions artistiques de l’époque.

De nombreuses poteries sont également rendues inutilisables volontairement par des ornements en flammèche. Il semble que ces productions aient pu être intégrés à un culte du feu.

Poterie en forme de flamme, Trésor national du Jômon moyen (3000-2000 AEC) ©Tokamachi City, Niigata

Les statuettes dogū

Les populations Jômon ont laissé un grand nombre de dogū. Ces mystérieuses figures humaines et caractérisées par des déformations, avec de très gros yeux, au point de leur avoir attribué le surnom de statuettes « à lunette de neige ». On ne connaît pas exactement l’usage et la signification de ces dernières mais leurs caractéristiques communes laissent à penser qu’elles jouaient un rôle dans un éventuel culte de la fertilité.

Si les dogū vous fascinent, on vous parle plus en détail du Japon préhistorique ici :

Le mode de vie des Jômon

Il est également intéressant de constater un cas pratiquement unique dans l’histoire et qui a laissé de précieuses traces matérielles. Alors que les communautés se structurent en populations importantes avec des groupes allant jusqu’à 1 000 individus, des premiers exemples de sédentarisation très précoces sont trouvés. Ces sites semblent avoir abrité des constructions de grande taille pour l’époque.

Photographie d'habitations Jômon semi-enterrées, reconstituées sur le site de Yoshinogari
Habitations semi-enterrées du Jômon tardif reconstituées sur le site de Yoshinogari – Photo de Fg2 (Wikimedia Commons)

Les Jômon restent cependant des chasseurs-cueilleurs, dans un modèle dit du « néolithique non agraire ». C’est une caractéristique rare, la sédentarisation étant généralement permise et causée par la naissance de l’agriculture. La nature est alors assez riches pour fournir à des populations sédentaires de quoi vivre sans cultiver la terre.

Photographie de Bâtiments Jômon reconstruits sur le site de Sannai Maruyama
Reconstruction proposée d’un bâtiment Jômon sur le site de Sannai Maruyama – Photo de 663Highland (Wikimedia Commons)

Cette sédentarisation première laisse place autour de 5 000 AEC à un retour partiel à un style de vie nomade, sans doute dû à la raréfaction des ressources. Ce mouvement se fait sans que les sites sédentaires de stockage ou de production artisanale ne disparaissent.

Des sites classés par l’UNESCO

Toutes ces caractéristiques uniques ont justifié le classement de nombreux sites qui relèvent d’une « culture pré-agricole sédentaire » dont la spiritualité complexe se manifeste entre autres par les fameux dogū.

Photographie d'objets exhumés dans un cercle de pierre (UNESCO)
Objets exhumés des cercles de pierres d’Oyu ©Kazuno City Board of Education

De nombreux sites ont été fouillés et sanctuarisés. Et 17 d’entre eux bénéficient depuis 2021 d’un classement auprès de l’UNESCO sous l’appellation « Sites préhistoriques Jômon dans le nord du Japon ».

Photographie du site des fouilles archéologiques de fosses d'habitation à Ofune (UNESCO)
Vestiges d’une fosse d’habitation de grande taille, site d’Ofune ©Hakodate City Board of Education

Les mouvements de population vers l’ère Yayoi

Des divisions entre les groupes régionaux apparaissent dans les millénaires qui suivent. Une frontière culturelle ténue semble se dessiner et sépare l’archipel en deux, vers le centre de la grande île principale Honshū. Autour de 2 000 à 1 000 AEC, l’ouest du Japon connaît d’importants mouvements de population depuis le continent, depuis la péninsule coréenne sûrement. Ces nouveaux arrivants vont se mélanger aux Jômon présents à l’ouest du pays.

Photographie d’habitations Jômon reconstituées avec rizières
Reconstitution de rizières et d’habitations sur le site archéologique de Toro – Photo de Halowand (Wikimedia Commons)

 Les techniques d’agriculture modernes, notamment en rizières inondées, et les apports culturels des arrivants sino-coréens ont tôt fait de renforcer la séparation entre les nord et nord-est Jômon et l’ouest de l’archipel.

Les controverses historiques

La cohabitation des deux cultures continue entre 800 et 400 AEC. Pourtant, le dynamisme agricole et technique de la culture Yayoi contribue à convertir des populations. L’aire culturelle Jômon est progressivement repoussée vers le nord. De nombreux sites témoignent de la transition, et les découvertes récentes ont conduit à un débat encore en cours sur les bornes historiques entre Période Jômon et Yayoi.

Pendant la période marquée par l’impérialisme de la fin du 19e au début du 20e siècle, la question de la transition Jômon-Yayoi a été utilisée pour justifier d’une supériorité raciale du peuple japonais sur les aborigènes aïnous. En effet, les historiens japonais considèrent généralement que les Aïnous sont les descendants directs des Jômon, ce qu’atteste de nombreux éléments de leur culture fortement similaires aux riches traces retrouvées sur les sites archéologiques. Les Japonais se retrouvent plus dans une filiation à la culture Yayoi amenée depuis la Chine et la Corée, et dont l’avancement technologique a progressivement menée à l’extinction quasi-totale de la culture Jômon. Les chercheurs contemporains sont fort heureusement plus nuancés, mais la question reste brûlante dans les manuels scolaires où le gouvernement refuse souvent des références trop directes aux Jômon jugés archaïques.

Heureusement, les découvertes archéologiques et le classement de certains site par l’UNESCO ont piqué l’intérêt des Japonais. La culture Jômon trouve lentement sa place dans l’enseignement et dans la culture japonaise.

Longtemps ignorée par les historiens japonais, la période Jômon est aujourd’hui de plus en plus étudiée. Et pour cause, s’intéresser à cette époque, c’est découvrir des perspectives fascinantes et étudier la naissance de la première civilisation de l’archipel nippon ! Laissez-vous emporter par la fièvre des dogū et prenez-vous à rêver de rites ancestraux. Pour explorer l’univers de la préhistoire japonaise et se faire une image de ces temps immémoriaux, le carnet de voyage de Franck Ferrandis est une porte d’entrée magnifique. Cette œuvre est disponible chez notre partenaire Amazon.

Sources :

  • Hoang, Tony. « Période Jōmon ». Encyclopédie de l’Histoire du Monde.
  • Masayuki HARADA, « À l’origine du Japon, les merveilles de la culture Jômon », Archéologia, no 570,‎ novembre 2018

1 réponse

  1. françoise milleraud dit :

    découverte pour moi après un bref aperçu lors de notre rencontre au déjeuner du Sénat vendredi dernier. Cet article, très documenté, me donne envie de poursuivre l’évolution de cette période historique inconnue.

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