Fabrique-moi un anime : les dessous de la production japanime

Au cours des dernières années, le monde de la  production de séries animées a gagné un intérêt croissant au sein des spectateurs. Les noms des réalisateurs (autre que celui de Miyazaki) sont de plus en plus connus, une part croissante du public sait reconnaître “la patte” d’un studio en particulier ; et certains fans savent même repérer d’un coup d’œil, quel animateur a réalisé telle scène dans leur série favorite. Mais malgré tout cela, le processus de fabrication complet d’un anime reste encore très opaque, surtout pour un spectateur occidental occasionnel. Ainsi, nous vous proposons aujourd’hui une plongée dans le monde de la production animée ; depuis le premier pitch jusqu’au produit fini !  

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Les étapes de fabrication d’un anime ©2016 Copyright – Furansujin connection

Pré-production : le début du projet 

Le Comité de Production (CDP)

Un studio d’animation reçoit en général plusieurs propositions de projets, il leur appartient ensuite de choisir sur quoi ils voudront travailler. Dans le cas d’une adaptation de manga, c’est l’éditeur qui va démarcher le studio, puis se mettre en quête de partenaires financiers qui formeront le Comité de Production. Cette entité partagera à la fois les risques financiers et leurs spécialités. Il est par exemple intéressant de s’entourer d’une entreprise du monde de la musique quand il sera question de l’élaboration de la Bande Originale. Un éditeur seul ne pourrait pas gérer toute la complexité de la chaîne de production qu’implique la création d’une série animée (sans compter l’énorme risque financier déjà mentionné). Il n’y a bien guère que les “institutions” du milieu comme Khara pour assurer le financement et la réalisation en interne de films tels que les Rebuild of Evangelion. Ces investisseurs peuvent être des chaînes de la télévision hertzienne ou câblée, agences de publicité, radios, maisons d’édition, maisons de disque ou acteurs de l’industrie vidéoludique, … Parmi les plus connus, que vous avez déjà toutes et tous vu au générique de vos séries favorites, on peut citer Aniplex, Bandai, KADOKAWA.

Le risque pour le studio d’animation est de devoir gérer la pluralité des intérêts au sein du Comité de Production, et de se contraindre inévitablement à l’auto-censure. Notamment imposée par les chaînes de télévision qui représentent un apport financier non négligeable et un canal de diffusion indispensable. Pour prendre l’exemple du film Le voyage de Chihiro, “[Il] a été produit par les Studios Ghibli mais également par la maison de production Tohokushinsha Film Corporation, l’agence publicitaire Dentsū, la maison d’édition Tokuma shoten, le distributeur Buena Vista Japan, Mitsubishi Corporation et, enfin, la chaîne Fuji.” (Yokota, 2022)

Toutefois, le risque n’est pas partagé équitablement entre chacune des entreprises, avoir 10 partenaires sur le projet ne signifie pas que chacun apporte obligatoirement 10 %. Il est d’ailleurs très difficile d’obtenir des informations sur la répartition exacte, mais on peut quand-même s’en faire une idée en regardant l’ordre d’apparition des entreprises au générique. Les premières listées apportant le plus d’argent au projet, prenant également le plus de risque en cas d’échec ; et in fine récoltant le plus de revenus liés à l’exploitation des droits de l’anime. 

Le succès d’une série n’aura alors bien souvent que très peu d’impact sur les finances d’un studio d’animation qui fait rarement partie du CDP (ou alors en dernière position). La plupart du temps il tient le rôle de prestataire, mandaté par le CDP pour exécuter le cahier des charges établi en amont.

Enfin, une précision importante quant au mythe du lien entre montant du budget et qualité d’une série. Dans une interview parue en 2016, Shingo NATSUME (réalisateur de la série One Punch Man) et Chikashi KUBOTA (chara-designer sur OPM) expliquaient que les budgets variaient très peu d’une série à l’autre. En 2015, Masamune SAKAKI (animateur 3D) avait donné le chiffre de 250 M de yens pour un cour de 13 épisodes (soit environ 140.000 € par épisode). Pour Takayuki NAGATANI, producteur sur l’animé Shirobako, ce dernier avait coûté 500 M de yens. Mais dans une interview récente (2023), Terumi NISHII (animatrice, chara-design) confiait que les budgets post-pandémie avaient augmenté, allant maintenant de 30 M de yens (~180.000€) par épisode, jusqu’à 100 M de yens (600.000€) pour certaines rares productions très coûteuses. Il reste toutefois assez probable que cette augmentation soit pour majeure partie le résultat de l’inflation.

En revanche, ce qui va vraiment jouer pour eux dans la qualité d’une série, c’est les talents qui vont rejoindre le projet. Mais comme on l’a vu, l’animation a peu de marge pour payer de gros cachets aux artistes vétérans, comme on le fait pour les grands acteurs dans un film live. Il va alors falloir se montrer assez persuasif afin de convaincre ces artistes talentueux d’embarquer sur votre projet, pour des nuits blanches, et au seul nom de l’art. Et ça, c’est le travail du producteur de l’animation.

Les producteurs

Au sein de chaque studio d’animation, on trouve plusieurs Producteurs de l’animation – Anime Producer (AniP). Le terme de producteur est un peu ambigu dans l’imaginaire collectif car on pense souvent à la personne qui finance un projet (le producteur délégué, en l’occurrence), mais dans le cas de la production animée, il se rapproche plus du terme de Producteur Exécutif ou de Gestionnaire de Production dans le cinéma live. Il s’occupe de sélectionner et d’engager les personnes qui vont travailler sur le projet (réalisateurs de la série, réalisateurs des épisodes, directeur artistique, … ), de trouver les studios sous-traitants si besoin, et doit garder un œil sur le planning et le budget de la série. A la frontière entre le management et l’artistique, il fait le lien entre le studio d’animation et le CDP. Bien que rarement impliqué directement dans le processus créatif, on reconnaît un bon AniP à son carnet d’adresses et son sens du discernement, en recrutant les bonnes personnes, il donne déjà une idée de la direction dans laquelle ira la série. Il peut toutefois être amené à participer directement à l’aspect créatif en donnant son avis sur une scène, en proposant de raccourcir un passage qui tire en longueur… 

Similiaire à l’AniP, mais avec une composante plus « opérationnelle », le Line Producer (LineP) est chargé de gérer l’ensemble de la chaîne de production et les dépenses quotidiennes du projet. “Il est chargé de contrôler le nombre et le type de personnes engagées par le studio, vérifie la disponibilité du personnel freelance, gère également le personnel chargé des illustrations officielles, et plus généralement toutes les pièces physiques qui accompagnent la sortie de l’œuvre.” Toutefois les rôles tendent à se confondre dans les crédits, on peut voir apparaître de manière interchangeable « animation producer » « production producer » et « line producers » . Parfois le LineP est crédité aux côtés de l’AniP, ou bien en tant “qu’assistant”. 

Les Assistants de Production (Production Assistants (PA) / Seisaku shinkô

Il s’agit de la fonction de « producteur » la moins importante, et qui constitue pourtant un rouage essentiel du système. Bien que le réalisateur ait déjà choisi les principaux postes clefs de la chaîne, il appartient au PA de contacter et recruter les dizaines d’animateurs qui participeront à chaque épisode. Il s’occupe généralement de plusieurs épisodes des séries auxquelles il participe.

C’est aussi lui qui s’occupe de vérifier et collecter tout le matériel liés aux épisodes ; depuis Shirobako on imagine sans peine le personnage de Aoi Miyamori courir aux quatre coins de la ville récupérer les planches des différents animateurs free-lance. A ce titre, il fait le lien entre le réalisateur et les différents animateurs, tout en veillant à respecter les deadlines. 

Bien que cette représentation du poste était traitée de manière humoristique dans la série, il ne faut pas oublier la réalité qui peut parfois conduire à enchaîner les journées de travail, “ne prenant que trois jours de repos en dix mois”, pour conduire jusqu’au suicide

Il s’agit bien souvent d’un poste d’entrée dans le monde de la production, sa connaissance de chaque étape de la chaîne de production lui permettant plus tard de devenir Anime Producer. Pour le réalisateur Shuhei YABUTA (Vinland Saga), la promotion rapide des assistants de production en AniP, a causé le creusement d’un fossé générationnel entre des PA de plus en plus jeunes et des créateurs ayant déjà une solide carrière derrière eux. Pour lui, c’est un poste extrêmement épuisant physiquement et mentalement, car constamment pris en étau entre le côté créatif et le bon déroulement d’un projet.

Aoi Miyamori dans shirobako
© SHIROBAKO PROJECT

Enfin, c’est le PA qui fera le lien avec les différents studios sous-traitants. En effet, devant la quantité de travail à abattre il n’est pas rare pour le studio principal d’externaliser une partie de sa production ; à l’inverse d’une production entièrement réalisée en interne . Le seul studio à pouvoir se targuer d’être à quasiment 100% in-house est le studio Kyoto Animation. Au contraire, il existe des studios dont la raison d’être est cette fonction support, en raison de leur spécialisation bien souvent (la 3DCGI, le compositing, …) et pour encore d’autres c’est un stade transitoires avant d’être en charge de leur propre production. On retiendra le cas récent du jeune studio BUG Films qui après à peine deux ans en support (Summer Time Rendering, Spy Classroom), a récemment réalisé sa propre adaptation du manga Bucket List of the Dead ; avec les problèmes de production qu’on lui connaît aujourd’hui malheureusement.. 

La Conception des Designs

Une fois toute l’équipe réunie, il faut commencer à dessiner le “squelette de la série”. Dans le cas d’une adaptation d’un manga, on commence par décider quelles parties de l’œuvre vont être adaptées, quelle va être le rythme de la série etc. Puis chaque département apporte ses idées en termes de character-design, mecha-design, décors, costumes, … Dans le cas d’une production originale, il y a évidemment plus de travail en amont car il faut inventer de nouveaux personnages de zéro, en se basant sur les descriptions du réalisateur et des producteurs. Et dans le cas d’une adaptation, il faut tout de même retravailler les design originaux afin qu’ils soient adaptés au médium animé. 

Cette phase sera bien sûr plus longue dans le cas d’une série originale que pour une adaptation, car il n’y a aucun matériel sur lequel s’appuyer, et tout doit être imaginé de zéro. Selon le PDG du studio Clover Works, cette phase de préproduction dure au minimum trois à quatre mois. Et pour une série originale, cette étape peut durer jusqu’à un an.

Le script et le storyboard (E-konte)

Le comité de production et le réalisateur de la série (Director/Kantoku) proposent un synopsis au scénariste principal, qui va travailler sur une version complète du scénario. Après validation du réalisateur, le script est envoyé aux différents scénaristes d’épisodes qui vont découper cette trame en différents segments. Les scripts d’épisodes sont alors répartis entre les différents Directeurs d’épisodes (Episode Director (ED) / Enshutsu) pour qu’ils réalisent le storyboard.

Le storyboard permet de visualiser le découpage et la mise en scène d’un épisode, ainsi c’est là que la personnalité et le talent du réalisateur peuvent s’exprimer. Bien sûr le réalisateur et le réalisateur en chef (Chief Director/Soukantoku) ne peuvent se charger de tous les storyboards d’épisodes à eux-seuls, c’est pour cela qu’ils sont épaulés par les ED. 

Cette étape est similaire à celle où le réalisateur de cinéma live choisit ses angles de caméras, ses décors, la position de ses acteurs/personnages… Il ajoutera également des indications sur le rythme et la durée de chaque cut (changement de plan). 

Gundam storyboard
Dans la colonne de droite, on voit indiqué  : 7+ 18 = 7 secondes correspond à la durée de la scène + 18 images/24, donc + 0.75s d’animation = le plan doit durer 7.75s (Mobile Suit Gundam: Char’s Counterattack © Sunrise)

Notez que tout ceci reste très théorique, chaque réalisateur possédant son propre fonctionnement. Satoshi KON préférait utiliser des storyboards extrêmement détaillés afin de guider au maximum le travail des animateurs ; quand Hayao MIYAZAKI donnera très peu d’indications sur les mouvements afin de laisser beaucoup de liberté à ses animateurs pour la phase de layout.

En outre, le réalisateur est le garant de la cohérence artistique sur toute la série, veillant à ce que chacune des individualités des différents animateurs, coloristes, character-designers, s’harmonisent derrière l’identité globale de l’animé. C’est pour cela que les épisodes storyboardés et dirigés par le réalisateur de la série sont particulièrement attendus, ils sont l’assurance d’épisodes impactants avec des partis pris artistiques forts.

Par la suite, ce storyboard est converti en version vidéo (V-konte) afin de se faire une idée du timing de chaque scène, permettre aux comédiens de doublages (seiyu) de commencer le doublage, et les départements de post production de commencer à travailler sur les effets et la photographie. Les storyboards ainsi finalisés sont relus par le réalisateur et l’assistant réalisateur (Assistant Director/Jokantoku), puis envoyés aux animateurs pour la phase de layout.

V-konte d’une scène extraite du film Les Enfants du Temps (Makoto Shinkai) ©TOHO animation)

Le Metteur en scène (Episode Director/enshutsu)

Le metteur en scène a les mêmes prérogatives que le réalisateur de la série, mais à l’échelle d’un épisode : il assure la supervision de tous les départements (photographie, décors, son…) et s’assure de la cohérence visuelle de tous les plans, par rapport au storyboard. A ce titre, il peut corriger les layouts de l’animateur clef et a le dernier mot sur ces dessins afin de les faire correspondre à sa vision. Il peut aussi faire modifier le timing des séquences. Le seul qui puisse le dépasser hiérarchiquement est le réalisateur de la série. Il garde aussi un œil sur l’aspect financier en vérifiant que le nombre de dessins n’excède pas le budget prévu initialement. De ce fait, au risque de faire une simplification grossière, on remarque globalement qu’ils sont issus de deux principaux parcours de carrière, soit d’anciens Production Assistants (côté gestionnaire), soit d’anciens animateurs (côté créatif). Les premiers peuvent mettre à profit leurs compétences en matière de gestion pour les tâches de supervision, tandis que les seconds ont une sensibilité naturelle au medium animé en tant que créatifs de longue date.

La chaîne de production (Pipeline)

sakuga genga  layout
Animation pipeline ©2016 Copyright – Furansujin Connection

Layout et Poses clefs (Key frame / Genga)

Le Japon est un des derniers pays à conserver un processus d’animation dit “traditionnel”. Bien sûr, l’informatique prend de plus en plus de place dans les étapes suivantes du pipeline, mais les dessins initiaux sont encore bien souvent dessinés à la main. Et avec cette méthode vient tout un système de correction bien particulier. 

La phase de layout consiste pour l’Animateur Clef (Key Animator – KA) en trois choses : dessiner le layout-cadre (les mouvements de caméras), le layout-décor (les principaux éléments de l’environnement), et surtout le layout-animation et ses fameuses poses clefs (key frames). Ces poses-clefs (ou images clefs) représentent les deux extrémités d’un mouvement, qui serviront de références à l’intervalliste, pour dessiner ensuite les images intermédiaires. En s’appuyant sur la feuille de référence des designs personnages, le premier KA va dessiner une version « brute » du layout (rough layout/ichigen) sur un papier blanc format A4.

Sango inuyasha

Inuyasha épisode 163 « Kohaku, Sango & Kirara: The Secret Flower Garden » ©Sunrise

On peut retrouver jusqu’à une vingtaine de KA sur un seul épisode, chacun étant responsable de plusieurs cuts. Les KA ont pour rôle de traduire les intentions du réalisateur depuis le storyboard en une animation concrète, ce sont eux qui décident de la structure de la scène. Ils vont notamment décider à partir du timing (en secondes) indiqué sur le storyboard, le nombre de dessins qu’ils jugent nécessaire pour cette séquence (tout en prenant en compte les contraintes de budget bien évidemment). En effet, comme le cinéma live tourne en 24 images par seconde, une seconde d’animation représente 24 dessins, mais pas forcément 24 dessins différents. Les animateurs peuvent choisir d’animer en “pas de 1” : on change d’image 24 fois, “en pas de 2” : on change d’image 12 fois, et ainsi de suite. Animer en “pas de 1” permettra une animation plus fluide mais pas forcément meilleure, et surtout demandera beaucoup plus de temps et d’argent à produire. Un style saccadé par exemple se prêtera mieux à certaines scènes d’action pour mettre en avant les impacts.

Ainsi, même si le réalisateur a donné des indications générales durant l’étape précédente, c’est pendant l’étape du layout qu’ils ont toute la latitude d’exprimer leur créativité. C’est pour cela que certains KA très talentueux peuvent acquérir une véritable renommée au sein de la communauté des passionnés d’animés. Leurs présences au générique d’un épisode étant l’assurance d’une scène de grande qualité et bien souvent de Sakuga, ce moment où l’animation est si fluide et bien exécutée qu’elle fait briller vos pupilles. 

Princess Mononoke (Layout : Hayao Miyazaki / Genga : Yoshinori Kanada)

(Yoshinori KANADA, un des vétérans du milieu, est une véritable référence pour tous les gens de sa génération et après ! Dans notre récente interview, le réalisateur Katsuhito ISHII le citait comme une influence majeure !)

Puis le Superviseur de l’animation (Animation Director / Sakuga kantoku) vient superposer ses corrections avec un papier jaune. Le poste de Sakuga Kantoku – abrégé « sakkan »- laisse très peu de place à l’aspect créatif de nos jours, il est avant tout le garant de l’uniformité des poses clefs et in fine de toutes les séquences animées. Notamment à cause de l’arrivée de la webgen, des débutants en animation se retrouvent catapultés à des postes d’animateurs clefs, accroissant drastiquement la charge de travail des superviseurs. Toutefois, il y a encore une vingtaine d’années, ce poste permettait au superviseur de faire passer son style à travers ses corrections, on pouvait alors identifier sa “patte” plus facilement. 

sango inuyasha
Inuyasha épisode 163 « Kohaku, Sango & Kirara: The Secret Flower Garden » ©Sunrise

La quantité de responsabilité et l’aspect supervision au détriment du côté créatif en font un métier assez peu populaire en ce moment au sein des animateurs d’expériences qui ne recherchent pas vraiment cette promotion. Ses corrections se concentrent particulièrement autour de la cohérence des visages et des expressions des personnages, surtout pour le premier épisode, qui fera la plus forte impression dans l’esprit du spectateur. 

Vient ensuite les corrections du Superviseur de l’Animation en Chef (Chief Animation Director / Sou sakuga kantoku) sur un papier vert. Depuis les années ‘60, quand ce système de supervision a commencé à se développer, et jusque dans les années 90-2000, un seul sakkan par épisode était suffisant. A présent il n’est pas rare d’en trouver 10 ou 20 pour un même épisode ; et 40 ou 50 animateurs clefs… Ainsi, avec l’essor du secteur et les animateurs contraints d’enchaîner les productions à un rythme effréné, un échelon supplémentaire de coordination a finalement été nécessaire. Le Sou Sakkan pourra donc se charger de plusieurs épisodes dans une même série, et passera après les corrections des sakkan afin de vérifier la cohérence à travers les épisodes. Malheureusement, on commence même à trouver plusieurs Sou Sakkan par épisode à présent. Et diversifier la supervision de la cohérence, ne peut évidemment que finir par mettre en péril cette dernière… 

Enfin, des directeurs de l’animation spécialisés dans divers domaines pourront à la fois soulager le travail des sakkan et apporter une expertise sur un thème de design particulier. Il existe ainsi des directeurs de l’action, directeurs des mechas, directeurs des effets… Dessiner des robots et leurs formes géométriques si caractéristiques demandent une certaine palette de compétences que tous les animateurs ne peuvent se targuer de posséder. Notez que pour un anime comme Food Wars! On trouvera même un “Cooking Animation Director” comme Dana SHUHARA pour s’assurer spécialement de la qualité de l’animation de la nourriture. 

Une fois les diverses corrections récoltées, on passe à l’étape de la seconde animation clef (ou nigen / clean genga). L’Animateur Clef (le plus souvent), va alors intégrer toutes les corrections à son dessin, pour en faire une version plus aboutie, en y ajoutant notamment les zones d’ombres et de lumière. Historiquement c’était le premier KA qui reprenait ses scènes, mais avec l’accroissement de la charge de travail des Sou sakkan et l’allongement de la période de feedback de leur part, le KA en question ne travaille parfois même plus sur le projet ! Il faut alors encore recruter de nouveaux animateurs, tant est si bien, que l’on se retrouve au final avec des dizaines de personnes ayant travaillés sur une seule scène. Le premier KA perd aussi l’occasion de recevoir un retour sur son travail et de s’améliorer. 

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Inuyasha épisode 163 « Kohaku, Sango & Kirara: The Secret Flower Garden » ©Sunrise

Les intervalles (in-between animation / douga)

Une fois la version clean des poses clefs obtenues, il reste à dessiner les intervalles (douga), c’est-à-dire l’ensemble des images manquantes pour faire le lien entre la Pose A et la Pose B et obtenir une animation fluide. Contrairement à l’animation occidentale, les intervallistes (dougaman) ont également la charge de repasser les lignes crayonnées et de délimiter les zones de couleurs à l’aide de lignes bleues et rouges. Cette étape préalable permet de faciliter le travail des coloristes qui pourront remplir les zones ainsi définies plus facilement. 

Enfin, dernière étape de cette partie de la production consacrée à l’animation : “douga kensa”, ou “vérification des intervalles”. Le superviseur du douga va vérifier et corriger que les traits de tous les dessins (ichigen + nigen) soient nets et connectés les uns aux autres pour la phase de remplissage. En outre, il va s’assurer que les intervalles sont placés conformément aux attentes des animateurs clefs, suivant le timing décidé dans la Timesheet.

Historiquement, le rôle de dougaman était une porte d’entrée pour devenir KA, le réalisateur Takeshi KOIKE (réalisateur du film Redline, notamment), a travaillé comme intervalliste pendant près de dix ans avant d’avoir accès à des postes plus ambitieux ! Mais avec l’arrivée de la webgen, des jeunes animateurs débutants émergent des quatre coins de la planète et sont très rapidement promus animateurs clefs sans avoir les bases nécessaires en animation. Le salaire d’intervalliste étant ridiculement bas et plus personne ne voulant l’effectuer, les studios japonais sous-traitent bien souvent cette partie à des studios coréens ou chinois, où le coût du travail est plus bas. 

sango inuyasha
Inuyasha épisode 163 « Kohaku, Sango & Kirara: The Secret Flower Garden » ©Sunrise

Encore plus inquiétant, depuis quelques années des logiciels capables dé générer automatiquement les dessins intermédiaires, comme CACANi, ont atteint un stade de développement relativement satisfaisant. Cette avancée technologique relance globalement le débat sur l’Intelligence Artificielle : Oui d’un côté, s’affranchir d’une tâche aussi rébarbative et peu gratifiante telle que dessiner les intervalles semble être une bonne chose. Mais d’un autre côté c’est surtout le moyen pour les jeunes animateurs d’engranger de l’expérience en apprenant aux côtés de vétérans tout en commençant à être payé. 

L’émergence de cette nouvelle génération a été rendue possible par l’essor de l’animation digitale, permettant de travailler de n’importe où avec seulement une tablette graphique. Mais travailler à l’étranger n’est pas le seul critère, de plus en plus d’animateurs japonais en studios (souvent les plus jeunes) travaillent eux aussi sur tablette. Cette méthode a l’avantage de faciliter le travail d’intégration et de compositing que l’on détaillera plus bas.

salaire anime
Salaires moyens dans l’industrie à l’époque de la sortie de l’animé Shirobako (2014) © SHIROBAKO PROJECT

Couleurs et décors 

Arrivé à ce stade, on peut dire que l’animation en elle-même (“sakuga”) est terminée : des personnages qui se déplacent de manière fluide sur un fond blanc, sans couleur, sans CGI, sans décors.

L’attaque des titans – The final Season Part 2 – genga : Takashi Kojima

Les coloristes vont pouvoir à présent appliquer les couleurs numériquement grâce à des logiciels permettant de sélectionner des zones entières d’un seul coup (d’où l’intérêt de les avoir correctement délimitées auparavant!). Pour cela ils peuvent s’appuyer sur la palette de couleur développée par le color designer, en accord avec les artboards (ombres, couleurs, lumières, textures,…) du réalisateur et du Directeur Artistique. Ce dernier s’inspire bien souvent des couvertures du manga original par exemple, mais il peut aussi faire des changements (en accord avec l’auteur) pour accentuer et soutenir les partis pris du réalisateur de la série. 

En parallèle de leur genga personnage, les animateurs clefs ont commencé à dessiner les décors sur une feuille à part (rough layout decor) en se basant sur des blueprints (ébauches de décors) élaborés par les artistes décors (background artists) pendant la phase de storyboard. Puis, toujours en se basant sur les artboards de références, les artistes décors vont coloriser les layouts ainsi transmis par les animateurs clefs.

Enfin, ils vont veiller à harmoniser les couleurs et textures entre le calque du personnage et celui du décor, donnant l’impression que ce dernier se fond dans l’arrière-plan; on appelle cela un “harmony effect”. Et découle de ce processus, les harmony cells, un héritage du temps où on dessinait encore l’animation sur Celluloïd (feuille transparente d’acétate de cellulose sur lesquels on peignait les animations). Il suffisait alors de superposer le cellulo contenant les traits du genga personnage, avec une feuille de papier, peinte à l’aide d’acrylique ou d’aquarelle par exemple. Ce sont ces fameux plans iconiques que l’on retrouve souvent en fin d’épisode pour souligner un moment dramatique ou un cliffhanger. L’image se fige alors un instant, prenant les allures pastel d’un tableau.

On doit cette technique au regretté Osamu DEZAKI, fondateur du studio MADHOUSE, et réalisateur de la série Ashita no Joe de 1970, dont ce plan iconique est reconnu comme le premier “Postcard memory” ou “Dezaki Effect”. Cette tradition s’est un peu perdue avec la démocratisation de l’animation numérique, mais on en trouve encore de très beaux exemples récents. 

Et avant de passer à la dernière partie, faisons un récap’ de tout ce que nous avons vu jusqu’à maintenant, depuis le rough layout, jusqu’à l’intégration du background, en passant par l’ajout des couleurs et des ombres.

crédit vidéo : @Zzz_animation

3D / CGI

Cet article a pour vocation de se focaliser principalement sur la production d’animé 2D. Toutefois la part croissante de CGI (Computer Generated Imagery) dans les séries et films d’animation japonais, nous pousse au minimum à aborder le sujet. Le pipeline 3D est tout autre procédé qui mériterait un article à part entière, d’ailleurs si le sujet vous intéresse, le studio Illumination (Moi, Moche & Méchant, Super Mario Bros, …) a créé une infographie très ludique sur le sujet. Pour le cas présent nous aborderons rapidement la spécificité de l’animation 3D au sein d’une production 2D.

Vous l’avez déjà remarqué, les animés 2D utilisent parfois quelques scènes en 3D : que ce soit pour les mechas, le mouvement de l’eau, les ballons dans Haikyū!!, les vélos dans Yowamushi Pedal ou bien encore la foule. La 3D est très pratique dans ce dernier cas où dessiner à la main chacun des personnages est une tâche extrêmement longue et fastidieuse, là où “copier-coller” tout un groupe de personnages fera gagner beaucoup de temps à la production. 

Ainsi, après un travail en pré-production, similaire à celui du pipeline 2D : chara-design, recherche de références, artboards des couleurs, … La principale différence réside dans l’étape du Rig. Ici, les character model vont être envoyés au rigger pour qu’il crée le squelette du personnage. Cette étape consiste, en somme, à créer des articulations afin de pouvoir manipuler le personnage dans différentes poses, comme une marionnette. L’animateur va ensuite articuler les personnages pour leur faire prendre des “poses clefs” comme le Key Animator. L’avantage de cette technique est de pouvoir se passer de l’étape des intervalles, le logiciel 3D calculant automatiquement toutes les poses intermédiaires entre deux poses clefs. 

Du côté des arrières-plans, il arrive que les artistes décors utilisent des modèles 3D pour ajouter les textures, les ombres, les lumières en 2D, puis renvoie au département 3D qui anime la séquence finale. On appelle ce procédé le camera map.

Post-Production : Compositing et Montage 

Compositing / photographie

Enfin, nous entamons la dernière grande partie de cette chaîne de production : La post-production. En animation, le département de photographie (ou compositing) a le rôle de combiner les décors et les pages colorisées durant l’étape précédente, et d’y ajouter les effets visuels (VFX). Pour la petite histoire, le terme “photographie” provient de l’époque où on devait littéralement filmer à l’aide d’une caméra multiplane les différentes scènes en superposant les celluloïds des personnages avec les décors peints sur papier. Le département de photographie devait alors redoubler d’inventivité pour simuler manuellement des effets d’opacité, de sur ou sous exposition, la profondeur de champ… 

Avec l’arrivée du numérique, ce processus consiste à présent à superposer des couches (calques sur Adobe After Effects) pour donner une certaine atmosphère à la scène, appuyer la direction artistique voulue par le le Directeur de la Photographie (DoP) et le réalisateur. Cela peut être des particules, des effets de lumières, la superposition des décors, des effets de caméra, les éléments 3D, la colorimétrie, … En tout, une seule scène peut comporter plus de 300 calques ! 

C’est un rôle primordial qui peut sublimer ou gâcher une scène. Dans les extraits ci-dessous, le DoP de l’anime Tengoku Daimakyô, Kentaro WAKI, nous donne un exemple assez unique de l’attention portée au compositing. L’image de gauche représente la scène avant l’étape du compositing : les personnages, décors et l’attaque glaciale de l’ennemi ont été dessinés par les animateurs et les décorateurs (en utilisant l’harmony effect, vu précédemment). Cependant cette scène ajoute un nouveau défi : Le mouvement de cassure généré par l’attaque du personnage et les morceaux de glace éclatés générés en compositing, doivent s’accorder avec l’arrière-plan travaillé en harmony. L’expertise du DoP a permis de mettre en cohérence tous ces éléments, pour un rendu homogénéisé et crédible.

Un autre exemple de compositing qui vient rapidement en tête est l’anime Demon Slayer, réalisé par Ufotable, où l’animation très fluide est sublimée par un compositing très flashy.  Mais il ne suffit pas d’ajouter des effets de flare et booster la saturation des couleurs pour avoir une bonne photo. Cette scène de Black Clover illustre assez nettement ce cas d’un compositing maladroitement intégré, qui peut faire sortir le spectateur de la scène… 

Enfin pour en apprendre plus sur le compositing et toutes ses facettes, on vous recommande le très bon article du blog KeyFrame, grâce auquel cette partie a été écrite. 

Montage final

Pour terminer, tous les plans sont réunis dans une même séquence, on fait les coupes nécessaires pour correspondre au format TV et on ajoute les musiques, les effets sonores et les voix. Ces éléments ayant été développés en parallèle du pipeline de l’animation depuis la phase du storyboard animé (vkonte) pour ne pas perdre de temps. Les dessins de références étant très peu élaborés à ce moment-là, des corrections sont bien sûr nécessaires par la suite : un seiyu qui crie plus fort que l’animation de la bouche prévue initialement, des bruitages inadaptés, … 

En définitive, le point crucial de la production animée semble être le planning. C’est la gestion du planning qui permet de coordonner les dizaines de personnes intervenants sur un seul épisode de la série. Car au-delà des postes principaux que nous avons présenté dans cet article, il faut imaginer trois ou quatre postes d’assistants / vérificateurs / sous-assistants à chacune des étapes du projet. De même pour la chaîne de production, nous avons vu les étapes clefs mais il faut bien garder à l’esprit des dizaines et dizaines d’allers retours effectués pour chaque cut entre tous les animateurs, décorateurs, directeur photo,… 

On a essayé de rendre cet article le plus exhaustif possible tout en le gardant assez accessibles aux néophytes. On espère qu’il vous aura donné envie de vous intéresser de près au monde de la production, et les armes nécessaires pour faire vos propres recherches !


Sitographie :

L’équipe KeyFrame, Glossaire de l’animation japonaise, 2023, accessible en ligne

Raphaëlle Yokota, « Plateformes de vidéos à la demande : quel rôle dans la production cinématographique contemporaine au Japon ? », Ebisu, 59 | 2022, 179-210. accessible en ligne

KViN, « WHAT IS AN ANIME’S PRODUCTION COMMITTEE? » , Blog Sakuga Booru, 2017, accessible en ligne

Vinh (Japan Vrac), « Comité de production : quel est son rôle dans la vie d’un anime ? », Journal du Japon, 2019, accessible en ligne

Eric Stimson, « Anime Insiders Share How Much Producing a Season Costs », Anime News Network, 2015, accessible en ligne

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Le regretté Furansujin Connection à qui l’on doit ces limpides infographies nous permettant de nous y repérer dans ce dédale kafkaïen qu’est la production animée.

2 réponses

  1. mikelion dit :

    Bonjour
    Un super article vraiment très intéressant. Beau boulot.

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