La mutation des forces japonaises d’autodéfense : un renouveau militaire après 78 ans de restriction

Depuis la fin des années 2000, la période de prospérité économique et d’échange diplomatique s’est vue grandement réduite. L’émergence d’une rivalité sino-américaine pour la place de première grande puissance mondiale, suivi de l’accroissement des conflits tel que la guerre en Ukraine ou encore le renouveau du conflit israélo-palestinien démontre une évolution de l’environnement géopolitique qui défie l’hégémonie des grandes puissances contemporaines.

Le Japon, 4e puissance économique mondiale et alliée des pays occidentaux, se trouve également concerné par la défiance des puissances dites « émergentes », plus particulièrement de la Chine.

Une bonne occasion pour faire le point sur la situation géopolitique et les choix du gouvernement japonais.

Forces d'autodéfenses japonaise (Creative Commons)
Forces d’autodéfenses japonaise (Creative Commons)

Article 9 et autodéfense

Dans ce contexte d’accroissement des tensions géopolitiques et d’une militarisation croissante des États du monde entier, le Japon se trouve dans une posture particulière. A la suite de sa défaite en 1945, le Japon s’est vu dans l’obligation de ratifier une nouvelle Constitution, sous l’œil plus qu’attentif des États-Unis, qui influença fortement sa politique de défense. En effet, depuis l’entrée en vigueur de la constitution japonaise en 1947, le Japon dispose d’une interdiction constitutionnelle l’empêchant de disposer d’une force armée qui pourrait l’amener à pouvoir déclencher une guerre. Cette politique se base sur l’article 9 de la Constitution Japonaise qui dispose que le Japon aspire « sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l’ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l’usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux ».

Depuis la mise en place de cette constitution résolument pacifiste, l’archipel nippon ne dispose que d’une « force d’autodéfense » dont le seul objectif est de limiter les capacités militaires japonaises à un rôle purement défensif, ce que l’on nomme aujourd’hui les Forces d’Autodéfense Japonaise (FAD). Pendant plus de 70 ans, l’article 9 de la constitution fut le pilier de la politique de défense nipponne. Cependant, ce dernier est aujourd’hui contesté au vu des événements mondiaux et de la militarisation massive que l’on peut apercevoir.

Cette remise en question de la limitation militaire a toujours suscité de nombreux débats au sein de la Diète. Toutefois, c’est depuis l’accession au pouvoir de Shinzo ABE en 2006 que l’article 9 s’est vu réellement défié avec la volonté de réformer la constitution. Le but est de donner de nouveau une marge de manœuvre importante aux forces armées.

La fin du pacifisme ?

Cette bataille contre la politique pacifiste qu’impose la Constitution a bouleversé la politique de défense nipponne le 28 novembre 2022, lorsque le Premier Ministre en exercice Fumio KISHIDA a annoncé l’augmentation du budget de la défense à hauteur de 2% du PIB national d’ici à 2027, soit un nouveau budget accru de 60%. Jusqu’ici, le budget de la défense japonaise n’était que de 1% du PIB dû à une volonté de limiter ses dépenses dans la cadre du respect de l’article 9 de n’avoir qu’une force défensive.

Cette hausse caractérise le changement de cap de la politique japonaise qui cherche désormais à rattraper son retard militaire afin de renforcer sa position régionale. De fait, la position japonaise au sein de la région asiatique est aujourd’hui très délicate. L’archipel est entouré en majorité de pays qui lui sont hostiles à différents degrés.

La Corée du Nord est l’acteur le plus inquiétant pour Tokyo qui voit régulièrement des tests de missile balistique potentiellement nucléarisé passer au-dessus de son territoire régulièrement. La Chine, quant à elle, poursuit sa politique de domination de l’espace indopacifique. Cela fait du Japon une cible potentielle importante au vu de son positionnement pro-américain dans le cadre de la rivalité entre Pékin et Washington. Les autorités chinoises ne cessent de le rappeler à Tokyo, notamment dans le cadre du contentieux autour des îles Takeshima revendiqué par la Chine. Enfin, la Russie est le dernier acteur qui inquiète l’archipel.

Le Président américain Joe BIDEN et le Premier Ministre Fumio KISHIDA, au 49e G7, en mai 2023 – Photo de la Maison Blanche sous licence Wikimedia Commons.

En effet, depuis 1945, aucun Armistice n’a jamais été signé entre ces deux États à cause du contentieux autour des îles Kouriles. De plus, là encore, le positionnement de Tokyo ne plait pas à Moscou qui se voit limité dans sa marge de manœuvre en Asie.

Une politique dissuasive

Ce renouveau traduit une profonde mutation des Forces d’Autodéfense Japonaises qui, bien que justifié par Fumio KISHIDA comme étant toujours dans « les limites de la Constitution et du droit international », aurait pour objectif pour la défense japonaise de renouer avec une « capacité de contrattaque ». Cette nouvelle vision du concept militaire japonais est réaffirmée dans le Livre Blanc du ministère de la Défense Japonais de 2023. Dans ce Livre Blanc, l’ancien ministre de la Défense Hamada YASUKAZU affirme que bien qu’ayant toujours comme volonté première l’usage de la diplomatie, il est essentiel que le Japon puisse se défendre. La mutation des Forces d’Autodéfenses Japonaises sert ce principe. Désormais, la défense du Japon passe par une politique de dissuasion.

Porte hélicoptère de classe Izumo en manœuvre (Wikimedia Commons)

Afin de réaliser cette politique, la défense japonaise doit évoluer en nombre, en moyens et en technologie pour atteindre une compétence de contre-attaque. Cette politique se fait d’autant plus pressante que Tokyo se rend compte de sa dépendance vis-à-vis des États-Unis en matière de Défense. D’autant plus que cette protection s’érode, car l’équilibre des forces ne cesse de pencher en faveur de la Chine et de ses forces armées en constante croissance. L’idée d’un déclin des États-Unis s’est installée au sein des politiques et stratèges japonais. Par conséquent, afin de rétablir un équilibre des forces en faveur de l’allié américain et, de facto des intérêts japonais, Tokyo modernise et se réarme à l’image de son plus grand navire de guerre, le porte-hélicoptère de classe Izumo qui a été modifié afin de devenir un porte-avions capable de recevoir les avions de combats américain F-35B.

Le discours du Japon est désormais celui d’une nation à prendre en compte dans l’espace indopacifique. Malgré un apparent effort d’un discours pacifiste, le Japon compte bien accroître ses capacités militaires afin de conserver ses intérêts dans la région… dont elle est le porte-étendard du camp occidental. 


Bibliographie

(1) Afp, (2022). Le Japon vise un budget de la défense à 2% de son PIB d’ici 2027 [en ligne]. Le Figaro. Disponible sur : https://www.lefigaro.fr/flash-eco/le-japon-vise-un-budget-de-la-defense-a-2-de-son-pib-d-ici-2027-20221129

(2) Arnaud, R., (2022). Le Japon révolutionne sa doctrine militaire : aux armes, contribuables japonais ! [en ligne]. IFRI – Institut français des relations internationales | Institut de recherche et de débat indépendant, consacré à l’analyse des questions internationales et de gouvernance mondiale.Disponible sur : https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/japon-revolutionne-doctrine-militaire-aux-armes-contribuables-japonais#:~:text=Les%2043.000%20milliards%20de%20yens,sur%20les%20cinq%20années%20passées.

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(3) Géopolitis, (2019). Japon, l’empire se réveille [en ligne]. YouTube. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=ZqsLz72PPZc

(4) Ministry of Defense, (2023). Defense of Japan 2023 [en ligne]. Ministry Of Defense. Disponible sur : https://www.mod.go.jp/en/publ/w_paper/wp2023/DOJ2023_Digest_EN.pdf

(5) Picard, L., (2023). L’évolution de l’équilibre géostrategique dans le nord-est asiatique. Mémoire BAC+4, ILERI.

(6) Rousseau, Y., (2022). Défense : face à la menace chinoise, le Japon enclenche un réarmement inédit [en ligne]. Les Echos. Disponible sur : https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/defense-face-a-la-menace-chinoise-le-japon-enclenche-un-rearmement-inedit-1890112

(7) Vilars, T., (2023). Remilitarisation du Japon : « Les Japonais sont conscients que le monde a changé » [en ligne]. L’Obs. Disponible sur : https://www.nouvelobs.com/monde/20230609.OBS74287/remilitarisation-du-japon-les-japonais-sont-conscients-que-le-monde-a-change.html

1 réponse

  1. Damien dit :

    Extrêmement intéressant !

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