Shin Cutey Honey : flash nostalgique
Dybex édite Shin Cutey Honey en HD dans une très jolie édition collector. Une sortie qui commémore au passage les 30 ans d’existence de l’éditeur en France dont la série d’OAV était d’ailleurs le premier titre édité en VHS en 1996 ! Une occasion de se replonger délicieusement dans le passé avec cette série au style typique de ce format si particulier qu’était l’OAV dans les années 90, et d’évoquer en même temps l’univers de Go Nagai dont elle constituait une modernisation.

Tempus fugit
Qu’il me soit permis de rompre, une fois n’est pas coutume, la sacro-sainte neutralité journalistique pour me replonger un peu dans mes souvenirs.
L’annonce de la sortie en coffret Blu-ray collector de Shin Cutey Honey à l’occasion des 30 ans de Dybex m’a immédiatement transporté dans une lointaine époque : celle du milieu des années 90, époque charnière de mon parcours d’amateur d’anime et de manga.
Il y a 30 ans, Dybex s’appelait encore Dynamic Vision et lançait ses premiers titres en VHS et en manga. Dans les K7 promo distribuées dans les magazines de jeux vidéo et de manga de l’époque, on pouvait découvrir les premiers extraits de Street Fighter II-V, d’Evangelion, et aussi de Shin Cutey Honey (première sortie VHS du catalogue Dynamic). Cette dernière bande-annonce, menée tambour battant au rythme d’un générique rock survolté, promettait un rêve d’animation fluide et dynamique, d’action et de délire « Nagaïen ». N’ayant pas eu la chance d’acquérir la VHS à l’époque, c’est ce rêve, cette émotion, que cette annonce avait réveillée. Il était temps de la confronter à la réalité et de vérifier si cette promesse qui faisait tant envie était bel et bien tenue…

Goldorak Go Nagai
Déjà, à l’époque de sa sortie vidéo française et au-delà de sa bande-annonce terriblement accrocheuse, Shin Cutey Honey n’apparaissait pas dans le paysage comme un objet complètement inconnu : le vague souvenir d’enfance laissé par la série originelle lors de sa diffusion française, et surtout, l’aura de son créateur – Go Nagai – n’était pas sans un à priori positif, et suscitait donc une certaine attente.

Il est d’ailleurs intéressant de préciser que Dynamic Vision se présentait alors notamment comme la branche européenne de distribution des œuvres du légendaire papa de Goldorak et Devilman. Shin Cutey Honey elle-même était une nouvelle adaptation d’une série moins connue du maître (dont le manga date de 1973 avec une première adaptation animée dans la foulée), mais que l’on avait cependant pu découvrir en 1988 sur nos écrans sous le nom de Cherry Miel. Une série et un manga qui s’inscrivaient dans le versant délirant et fripon de l’œuvre de Go Nagai. Une dimension moins souvent mise en avant en France que celle des super robots géants dont Goldorak fut le plus illustre héraut en France ; sans oublier celle de ses œuvres plus sombres et violentes comme son magnum opus Devilman ou encore Violence Jack. C’est pourtant par ses comédies grivoises que le succès vint en premier lieu pour l’auteur au Japon, avec la série Harenchi Gakuen. Crée en 1968, l’École impudique de Go Nagai est un établissement où des élèves, plus intéressés par la drague et la blague, affrontent des professeurs tortionnaires, obsédés notoires et bas du front. On n’est pas loin d’une version particulièrement survoltée des Sous-doués avec ce manga qui allait rencontrer un grand succès dans un Shônen Jump naissant, tout en provoquant l’outrage des associations de parents d’élèves. Le décor était planté pour Go Nagai qui n’hésitera pas, par la suite, à poursuivre dans le genre avec des séries comme Kekkô Kamen et donc, Cutey Honey.


À ce titre, la série Shin Cutey Honey est une occasion particulièrement intéressante et surprenante de dresser des passerelles entre ces différents pans apparemment opposés de l’œuvre de Go Nagai. En effet, l’OAV marie une ambiance aussi sombre que sexy à un esprit d’hommage parodique qui multiplie les clins d’œil aux œuvres du maître ; le tout servi par une belle animation typique du format OAV tel qu’on l’affectionnait particulièrement dans les années 90…
Honey Flash : naissance d’une icône pop !

Qui est donc Cutey Honey au juste ? Celle que l’on surnomme la guerrière de l’amour est une androïde qui, au début de l’histoire originelle, ignore tout de son statut d’être artificiel. Honey Kisaragi est une jeune étudiante envoyée dans un pensionnat pour jeunes filles par son père, le professeur Kisaragi, un scientifique de génie. Alors qu’elle découvre cet établissement assez original dont les professeures pourraient presque être des versions féminines de ceux de Harenchi Gakuen, Honey est contactée par son père qui lui demande de le rejoindre sans attendre, son laboratoire étant attaqué par une organisation criminelle du nom de Panther Claw. Elle apprend alors qu’elle est en réalité un cyborg ultra-perfectionné capable de se transformer à volonté au cri de « Honey Flash », pouvant ainsi prendre de multiples apparences pour se sortir des situations les plus périlleuses et combattre les criminels et l’injustice. Car si son père et créateur en a fait une combattante puissante aux nombreuses capacités et à la plastique parfaite (tellement qu’elle en rend fou ses adversaires comme ses professeures et camarades), il lui a aussi donné la capacité de ressentir la douleur et les émotions au même titre que n’importe quel être humain, et donc de ressentir de l’empathie. Dans sa lutte contre l’organisation Panther Claw qui a assassiné le professeur, elle est secondée par Seiji Hayami un journaliste, et par Danbei, père de ce dernier, copie conforme du personnage de Riguel dans Goldorak, tout en poursuivant sa vie incognito au pensionnat.

Cutey Honey est un manga très court (2 tomes) et qui se finit en suspend, mais qui va pourtant connaître de nombreuses adaptations (dont un film live réalisé par Hideaki Anno). Pour être honnête, plus de 50 ans après sa création, le manga n’a pas totalement bien vieilli et certains aspects comiques, notamment ceux dans le pensionnat pourraient porter à polémique dans le contexte actuel. Mais le personnage de Honey, sexy et charismatique en diable, reste le point d’attraction central de l’œuvre et la raison du succès de ses adaptations. C’est vraiment elle qui est au centre et qui suscite l’intérêt tant des autres personnages, masculins comme féminins, bons comme méchants, que des lecteurs !
Mais surtout, la première adaptation de 1973 va bénéficier d’une réalisation très pop et d’un magnifique chara-design du légendaire Shingo Araki (La Rose de Versailles, Lupin III : Part III, Saint Seya et tant d’autres). Un design très swinging sixties, transcendant celui du manga (comme cela a pu être le cas pour Goldorak du même Nagai avec encore Shingo Araki dans l’équipe). Sans oublier la présence d’un thème musical explosif qui va marquer les esprits et sera réadapté et modernisé à quasi chacune des nouvelles adaptations (comme pour Lupin III) et donc en version très rock pour Shin Cutey Honey. C’est certainement le succès de cette première adaptation qui a marqué les esprits et cimenté la place du personnage dans l’imaginaire des Japonais.

Shin Cutey Honey ; elle a de sérieux atouts !
C’est donc en 1994, 20 ans après cette première adaptation animée des plus réussies, qu’est produite cette nouvelle version en OAV.

La série est pensée comme une suite prenant place 150 ans dans le futur. L’action se déroule à Cosplay City, une ville à l’architecture très sombre et que l’on pourrait qualifier de « Gaudi-esque », parcourue par des gangs dans une ambiance presque post-apocalyptique. Honey, qui semble avoir tout oublié de son passé, est la secrétaire du maire de la ville, Light. Lors d’une attaque, Danbei, son vieil acolyte qui a pu survivre en se faisant cybernétiser, la reconnaît et la pousse à se transformer en criant son légendaire « Honey Flash » pour recouvrer ses pouvoirs et combattre à nouveau le mal qui gangrène la ville sous la forme d’une substance dangereuse qui transforme les criminels en de véritables monstres.
Dans une interview de 1994 donnée à l’occasion de l’Anime America Convention et retranscrite dans le numéro d’octobre 1996 de Protoculture Addict, Nagai précise que l’idée derrière Shin Cutey Honey était de jouer du contraste entre la lumineuse Honey et un environnement très sombre et futuriste. Celui d’un Cosplay City qui évoque le Gotham de Batman. Pour Nagai, c’est sur Honey que repose l’histoire. Elle en est le moteur et apparaît comme une figure protectrice et maternelle, notamment pour les hommes qui l’entourent, souvent caractérisés par leur faiblesse.


Et le résultat de cette approche est très réussi ! Le contraste est bien présent entre le décorum très sombre et sérieux et le personnage de Honey, pasionaria malicieuse et flamboyante dans un monde décidément bien terne qui n’attendait qu’elle pour lui redonner un peu d’espoir et de couleur.

Tantôt journaliste, tantôt guerrière en armure, tantôt motarde, tantôt cambrioleuse callipyge façon Cat’s Eye, Honey est une héroïne aux mille apparences, dont les transformations sont autant d’occasions de multiplier les clins d’œil aux figures du cinéma, de la pop culture et de la japanimation. On pense aussi aux magical girls, dont Honey est finalement une digne représentante, avec des transformations et des armes et pouvoirs s’approchant des canons du genre, mais en accentuant l’aspect sexy généralement sous-jacent.
Il n’est d’ailleurs pas inutile de préciser cette dimension sexy de Cutey Honey pour éviter tout malentendu. Il ne s’agit pas là d’un animé érotique ou pornographique, mais légèrement coquin et grivois tout au plus (le manga poussait le bouchon beaucoup plus loin). On est bien plus proche de City Hunter que de Golden Boy ou même de Wicked City. Go Nagai force un peu le trait lors des changements de costume de son héroïne, inhérent au style Magical Girl. Sans oublier le personnage de Danbei et de son fils qui ne loupent pas une occasion de jouer les voyeurs, ce qui occasionne de nombreuses séquences comiques, mais rien de plus. De même, si Honey n’hésite pas à jouer de ses charmes pour se sortir de situations périlleuses lors ses enquêtes, cela reste sage et simplement objet de comédie. Les designers et animateurs se sont cependant fait plaisir à rendre la plastique de Honey qui n’a jamais été aussi affriolante.


Une série post-moderne : le plaisir du clin d’œil
Mais si Shin Cutey Honey assombrit le décorum de la série d’origine, elle ne laisse pas pour autant totalement de côté le style rétro qui a fait son succès en jouant avec plaisir de ses codes esthétiques. Freeze frame et cello crayonnées au moment du climax (le fameux Postcard Effect), grandes formules sentencieuses mais décalées assénées avec le plus grand sérieux, et blagues et jeux de mots référencés que les traducteurs ont bien pris soin d’adapter… De nombreux éléments de mise en scène évoquent cet héritage.


Ainsi, la série se joue doublement des codes pour un effet nostalgique renforcé, renvoyant à la fois au style des séries des années 60-70 caractéristiques de sa première adaptation, mais aussi évidemment, à son époque de production, celle des OAV des années 90 (on se rappelle par exemple de Yugen Kaisha – Exorcisme S.A. ou de L’invincible Nuku Nuku – autre histoire de cyborg –, pour rester dans la comédie d’action).
Le chara-design, lui-même extrêmement réussi, parvient à mixer la rondeur mignonne et délirante des personnages de Nagai, avec une dimension plus élancée, adulte et musclée, très 90. L’animation en elle-même est de belle qualité, du niveau des bonnes OAV de l’époque justement. On est au dessus d’une série standard, sans atteindre non plus le niveau d’un long métrage de cinéma, pour un résultat des plus plaisants, fleurant bon le savoir-faire des animateurs à l’ancienne, notamment lors des multiples séquences de transformations et de combats.


L’un des plus grand plaisir de cette série d’OAV est directement lié au transformisme de Honey qui permet, comme on l’a évoqué, de multiplier les hommages cinématographiques, en particulier dans la seconde partie. L’épisode 6 par exemple, convoque les grandes figures du jidai geki, tandis que l’épisode 7 s’intéresse aux furyôs et aux films du genre sukeban (gangs de lycéennes) ainsi qu’aux films de prison style Scorpion.


La série est aussi l’occasion de multiplier, avec une jubilation communicative, les références à l’œuvre de Go Nagai en elle-même, que ce soit Devilman, Harenchi Gakuen ou Mazinger Z et Goldorak, etc. Certains protagonistes s’inspirent de ceux d’autres séries, et l’on retrouve ainsi dans l’épisode 7, un personnage dénommé Akira Fudo et ressemblant trait et caractère à son homologue de Devilman, ou une chanteuse prénommée Siren au détour de l’épisode 3, sans oublier ceux présents le temps d’un simple plan. Le personnage de Danbei lui-même est source de multiples clins d’œil parodiques : sa transformation en cyborg (par le professeur Kabuto lui-même, papa de Mazinger Z) l’a équipé de tout un arsenal d’armes et accessoires repris des différents robots de Go Nagai, et il n’hésite pas à faire usage de fulguro-poings et autres astéro-haches pour le plus grand bonheur du spectateur attentif.

Sans atteindre non plus le foisonnement d’un FLCL ou d’un Abenobashi qui brisait allègrement le quatrième mur, ce post-modernisme des références est l’un des grands atouts de la série et participe beaucoup au plaisir de sa (re)découverte aujourd’hui !
Tout tout pour ma chérie : une belle édition anniversaire

Comme à son habitude, Dybex édite Cutey Honey dans un coffret prestige au format A4, fort bien rempli. C’est assez volumineux, mais le rendu graphique, avec de belles illustrations de chaque côté de la boîte et des effets de brillance sélective, est particulièrement réussi. À l’intérieur, en plus du Blu-ray dans un boîtier amaray noir, on trouve une jolie illustration lenticulaire, un poster recto-verso, huit cartes A4, une médaille, et un gros livret de près de 100 pages bourré de settei (designs), illustrations et photogrammes de la série.
Une fois le visionnage achevé, on ne peut réprimer un regret certain que cette série d’OAV à l’animation de qualité n’ait finalement jamais connue la conclusion qu’elle aurait méritée – la production de la série TV Cutey Honey Flash, plus grand public, lui ayant coupé l’herbe sous le pied. Un peu à la manière du manga, elle s’arrête en suspend au bout de huit épisodes, alors que l’intention était de l’amener à douze. Mais son aspect délirant et parodique lui permet cependant de rester un délicieux petit bonbon, acidulé comme il faut : un anime drôle, léger, dynamique et post-moderne comme on les apprécie. Il est très heureux de voir Dybex célébrer son histoire et rééditer ainsi toute une catégorie d’animes que l’on aurait tort d’oublier et qui faisaient très justement le sel et la variété du paysage de l’animation japonaise dans les années 90 ! On a récemment évoqué les OAV de Macross + ou Macross Zero à l’occasion de leur ressortie, mais l’on pense aussi plus spécifiquement à des licences moins connues aujourd’hui comme Yugen Kaisha, Nuku Nuku, Golden Boy ou les premières séries de Ah! My Godess et You’re Under Arrest, pour n’en citer que quelques unes. Sans oublier un chef d’œuvre comme Otaku no Video, édité en DVD en son temps par Dybex justement. On espère évidemment que l’éditeur poursuivra sur sa lancée et que d’autres n’hésiteront pas à lui emboîter le pas !

Shin Cutey Honey est édité chez Dybex en Blu-ray en édition intégrale collector – 30e anniversaire.
