Le bois au Japon : le cœur vibrant d’un artisanat ancestral

Les forêts façonnent les paysages japonais et leur exploitation a, elle, façonné tout un patrimoine et une culture à travers l’architecture, la menuiserie et la création d’objets. Ainsi, l’artisanat du bois est partout au Japon. C’est une tradition ancienne, sophistiquée, née de l’abondance et de la diversité des forêts japonaises. Cette richesse a permis le développement d’une grande variété de techniques et d’objets alliant le plus souvent esthétisme, fonctionnalité et minutie. 

La longue histoire de la relation entre les forêts et les Japonais ne se limite pas qu’à la production de bois. Elle s’inscrit dans une vision du monde où chaque élément naturel porte en lui une part de sacré, et qui incarne l’importance de l’équilibre, du respect mutuel et de la coexistence harmonieuse avec la nature. De la sorte, le choix de l’essence et le respect qui lui est associé dans sa transformation se diffusent dans les objets fabriqués par les artisans jusqu’à son utilisateur.

Aujourd’hui nous vous emmenons au cœur de cette relation, entre bois et Japon.

Sashimono en cours de fabrication. © Pixabay.
Sashimono en cours de fabrication. © Pixabay

Géographie et histoire des forêts

Le Japon est l’un des pays les plus boisés du monde, avec environ plus de  65% de son territoire couvert de forêts. Les régions boisées du Japon couvrent une grande diversité de climats et d’écosystèmes, des forêts subarctiques de Hokkaidô aux forêts subtropicales de Yakushima – classée au patrimoine mondial de l’UNESCO –, en passant par les hêtraies et les forêts de conifères de Honshû et Kyûshû. Ces forêts sont à la fois des trésors écologiques, des lieux de ressources et des foyers de spiritualité et de contemplation. Certaines espèces symbolisent la connexion avec le sacré mais aussi, par exemple, la pureté, la longévité, la sagesse, la protection. Pour en apprendre un peu plus sur le lien entre spiritualité et l’utilisation du bois, la lecture de cet article sur l’architecture sacrée est éclairante.

Forêt du côté d'Osaka. © Pixabay.
Forêt du côté d’Ôsaka. © Pixabay.

Les principales essences exploitées par les Japonais sont le cèdre (Cryptomeria japonica), le cyprès (Chamaecyparis obtusa), le mélèze (Larix kaempferi), l’épicéa de Yédo (Picea jezoensis), le pin rouge et le pin noir (Pinus resinos et pinus nigra)

Dès l’Antiquité, les Japonais utilisent le bois comme matériau principal pour la construction de maisons, de temples et la fabrication d’objets du quotidien. Le 17e siècle, sous l’ère Tokugawa, et l’après Seconde Guerre mondiale, ont été des périodes d’exploitation intensive des forêts accompagnées ou suivies de politiques de reboisement notamment de cèdres et cyprès, espèces à croissance rapide qui permettaient de reconstituer les forêts (sur)exploitées. Cette problématique a aussi donné naissance au 14e siècle à la technique de pousse daisugi qui permet de produire des troncs droits sans abattre l’arbre, assurant ainsi une production durable et régulière pour la construction et le chauffage tout en offrant la possibilité de jouer sur la forme de l’arbre.

L’artisanat du bois au cœur du Japon

Une corde sacrée autour d'un arbre ou Shimenawa ©Pixabay.
Une corde sacrée –ou shimenawa– autour d’un arbre ©Pixabay.

Au fil des siècles, le bois a pris une place primordiale au cœur de la société japonaise qui a développé un artisanat exceptionnel autant fonctionnel qu’esthétique. Mais le bois est bien plus qu’un simple matériau. Il représente l’harmonie entre l’humain et la nature. C’est au Japon qu’est né le « bain de forêt” (shinrin yoku) durant lequel le contact avec l’arbre stimule le bien-être physique et spirituel des humains. Et c’est aussi au Japon que des cordes sacrées (shimenawa) entourent des arbres pour renforcer cette connexion entre la nature et la spiritualité. Quant au travail du bois, il incarne en quelque sorte la continuité ou l’extension du lien spirituel entre l’arbre et l’homme, ces deux entités vivantes et naturelles. Ainsi, chaque essence est choisie avec soin selon ses propriétés et valorisée avec minutie par les artisans. Par exemple, la légèreté du paulownia convient à la fabrication des coffres tansu, la résistance du cèdre à la construction et la flexibilité du bambou à la confection des ustensiles de cérémonie du thé. La mise en valeur des imperfections du bois, nœuds ou veines irrégulières, est une autre force de l’artisanat japonais démontrant avec brio le concept de wabi sabi. Le développement à l’échelle locale de spécialités, de savoir-faire et leur transmission de génération en génération participe aussi à cette philosophie du lien parmi le vivant (shokunin). 

Beauté naturelle, fonctionnalité, durabilité et simplicité, voilà qui résumerait le travail des artisans du bois japonais. Certaines de ces spécialités artisanales sont plus populaires ou spécifiques que d’autres. Mais avant d’en présenter quelques-unes ci-dessous, voici un lien vers un article détaillé sur la charpenterie écrit lors d’une exposition à la Maison de la Culture de Japon.

La menuiserie et l’assemblage sans clous 

L’un des savoir-faire les plus spectaculaires est celui de la menuiserie et l’assemblage sans clous avec des techniques telles que le kumiko ou le sashimono. 

Le sashimono est un système d’assemblage de meubles et d’objets en bois sans clous. Il semble à la fois complexe et délicat, et est permis grâce à des joints de bois, appelés hozo. Ces joints sont pensés et réalisés pour s’imbriquer à la perfection, ce qui assure une solidité exceptionnelle à l’ouvrage. N’utiliser que du bois offre l’avantage d’éviter les déformations et la rouille ou la corrosion liée au métal. Cette technique offrirait l’avantage d’une meilleure robustesse et d’une meilleure stabilité grâce à une meilleure répartition des charges, et d’une meilleure durabilité puisque démontable, transportable et réparable. 

Panneau en bois qui utilise la technique du kumiko ©JournalduJapon
Panneau en bois qui utilise la technique du kumiko ©JournalduJapon

Le kumiko consiste en l’assemblage sans clous ni colle de toutes petites pièces de bois taillées afin d’obtenir des motifs géométriques traditionnels évoquant la nature comme la feuille de chanvre (asanoha) ou la fleur de cerisier (sakura). Ces motifs portent des significations spirituelles et de bon augure, suivant la tradition japonaise d’attribuer aux éléments décoratifs une fonction protectrice ou porte-bonheur. C’est un artisanat unique seulement présent au Japon. Il est principalement utilisé dans la création de panneaux shoji mais il orne aussi meubles et objets décoratifs. Cet artisanat demande une extrême précision pour assurer autant la symétrie que la longévité de la pièce. Cet assemblage sophistiqué permet l’entrée de la lumière et la modularité de l’espace, deux principes fondamentaux de l’esthétique et de la philosophie de l’architecture japonaise traditionnelle.

Ces deux méthodes d’assemblage sans clous révèlent la pureté du matériau et sa relation harmonieuse avec la nature, sa simplicité, sa flexibilité, modularité mais aussi la recherche constante d’harmonie entre l’humain, le matériau et son environnement.

Yosegi-zaiku, la marqueterie de Hakone

Boîte en Yosegi, marquetterie d'Hakone ©Konjaku
Boîte en Yosegi, marquetterie d’Hakone ©Konjaku

Né il y a environ 200 ans dans la ville de Hakone, le yosegi-zaiku est une technique de marqueterie dont le savoir-faire s’appuie sur la découpe et l’assemblage méticuleux de fines plaquettes de bois colorées. Il s’agit pour les artisans de former des panneaux ornementaux aux motifs géométriques en sélectionnant soigneusement des essences aux couleurs naturelles variées. Les essences de bois japonais offrent une palette de couleurs et de nuances extrêmement riches et subtiles allant du blanc au rouge, en passant par le brun, le bleu ou le jaune… Cette diversité chromatique naturelle permet une infinité de combinaisons dans les motifs et sublime la richesse et la variété des forêts japonaises : du noyer, du cerisier, du camphrier, du cornouiller, du magnolia japonais, du mûrier ou même encore de l’amarante.

Les motifs géométriques créés, complexes et raffinés, sont typiques de cet art et, dans un sens, chaque objet décoré en yosegi-zaiku porte la diversité naturelle et culturelle du Japon.

Le yakisugi, la technique du bois brûlé

Différentes intensités de Yakiqsugi ©Caroistda, wikipédia
Différentes intensités de yakisugi ©Caroistda, wikipédia

Le yakisugi, ou shou sugi ban en Europe, est une technique de préservation du bois dans laquelle la surface du bois, souvent du cèdre ou du cyprès, est carbonisée pour la protéger des insectes, des intempéries et du feu. Née il y a plusieurs siècles pour rendre les habitations plus durables et robustes, cette technique s’est aussi développée dans la fabrication de meubles. Depuis quelques années, le yakisugi connaît un regain d’intérêt pour sa durabilité et son esthétique distinctive s’implantant même en Occident.

 Les artisans japonais ont mis des siècles à développer cette technique qui repose sur trois facteurs afin d’obtenir une multitude de possibilités : l’intensité du feu, l’essence du bois et la technique de sciage (dosse ou quartier). Le cèdre du Japon est l’arbre le plus utilisé et celui que les artisans ont développé en même temps que leur technique.

La sculpture du bois

Hida est la représentante de l’artisanat de l’ébénisterie grâce au mobilier portant son nom qui associe qualité des essences et techniques de tournage avancées, et qui est réputé par-delà des frontières du Japon. C’est une ville de la préfecture de Gifu, région montagneuse et densément boisée du centre du Japon. Les travailleurs du bois de cette région ont gagné depuis le 8e siècle le nom de Hida no Takumi –Maîtres de Hida. Ils ont notamment participé à la construction de la capitale impériale de Nara et ont développé des techniques qui leur sont uniques. Aujourd’hui, la ville de Takayama est un peu le centre de leur héritage, qui se perpétue tout en s’adaptant au monde actuel. À côté de l’intégration des machines et de techniques étrangères comme celle du bois courbé, une école, Hida Artisan School, a même été créée. Néanmoins, à Hida c’est l’artisan qui reste le seul maître de la fabrication et qui finit la pièce pour lui assurer sa ligne parfaite et sa longévité.

Les essences travaillées vont du hêtre au noyer, en passant par le cyprès hinoki et le cèdre japonais. C’est en fait plus de 350 espèces qui sont au cœur de cet art du bois. Mais dans la préfecture de Gifu, un arbre semble pourtant avoir une place particulière : l’if (ichii). L’if est même emblématique de ce territoire puisqu’il est à l’origine d’un type de sculpture connu sous le nom de Ichii itto. C’est une spécialité pointue et exigeant une grande dextérité de la part des sculpteurs. Les objets en bois brut sont travaillés de manière à mettre en avant les deux teintes de cette essence de bois : le blanc à la surface et le rouge au coeur de l’arbre. La patine acquise avec le temps sublime ce jeu de nuances entre les deux couleurs, démontrant autant la beauté des couleurs naturelles que tout le savoir-faire de l’artisan.

Icchi Itto d'un Tanuki ®Konjaku
Icchi Itto d’un Tanuki ©Konjaku

Le bois dans le quotidien

Qui n’a jamais remarqué la gourde ou le récipient en bambou des itinérants japonais dans les films historiques ? À côté des techniques sophistiquées, l’artisanat du bois a vraiment touché la vie quotidienne des Japonais depuis des siècles. Il a façonné les objets de tous les jours et qui restent les représentants les plus populaires de la culture japonaise : baguettes, boîtes à bentô magewappa, poupées kokeshi, sandales geta, coffres tansu, baignoire en bois (furo-oke), les ustensiles de cuisine, les égouttoirs en bambou ou encore les objets de cérémonie en bambou comme la cuillère chashaku et le fouet chasen pour la cérémonie du thé ou encore les éventails uchiwa.

Le bois est partout dans le quotidien des Japonais - Licence pixabay
Le bois est partout dans le quotidien des Japonais ©pixabay

L’artisanat du bois a occupé et occupe encore une place primordiale dans la société et la culture japonaises. Il a permis le développement du pays de son architecture aux objets du quotidien, s’est même immiscé dans les croyances et le folklore, créant un lien encore vivace entre le peuple japonais et la nature. Si comme tous les artisanats aujourd’hui, ceux du bois souffrent de la concurrence de matériaux inertes et moins chers ainsi que de la standardisation et la massification des productions, ils restent une valeur sûre dans la recherche d’objets singuliers, fonctionnels et attachants. Aussi, en s’adaptant à la modernité, les artisans japonais du bois s’attachent à survivre par la transmission et l’innovation. Et de notre côté, essayons d’accorder aux objets comme aux artisans un peu de notre soutien et de notre amour pour le Japon.

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