Junji Itô, invité d’honneur à la Japan Expo 2025

Nous ne présentons plus le célèbre mangaka Junji Itô, souvent considéré comme le maître de l’horreur. Même ceux qui ne le connaissent que de nom peuvent reconnaître son style de dessin ou ses personnages terrifiants comme la célèbre Tomie. Déjà invité au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême en 2015 et en 2023, où une première exposition lui était consacrée, il est revenu cette année en France lors de Japan Expo où son travail a été remis à l’honneur par une nouvelle rétrospective. Une bonne façon de le (re)découvrir !

Journal du Japon a pu rencontrer cet auteur inspirant, disponible et chaleureux lors d’une conférence de presse où il a répondu à nos questions ainsi qu’à celles des autres journalistes présents. 

L’horreur, un genre mis en avant en France ces dernières années

Junji Itô est connu pour ses œuvres horrifiques comme Tomie, édité en France, au départ aux éditions Tonkam puis, depuis 2025, chez Mangetsu. Tomie raconte l’histoire d’une jeune adolescente particulièrement belle et manipulatrice, qui peut se régénérer et fait sombrer ses victimes dans la folie. Dans Spirale, édité également chez Mangetsu, présente le village Kurouzu et ses habitants qui semblent souffrir d’une malédiction. Lors de sa venue à Angoulême en 2023, le mangaka a présenté une master class et a eu son travail mis en avant par une exposition Junji Itô, dans l’antre du délire. Cette année, l’auteur était présent en tant qu’invité d’honneur à Japan Expo. Une nouvelle exposition lui était dédiée dans le quartier manga intitulé Junji Itô, obsessions et cauchemars.

Le maître de l’horreur a pu nous émerveiller et répondre à quelques questions lors de deux conférences live drawing ouvertes à tous et toutes (âmes sensibles déconseillées cependant !) et recevoir quelques fans lors de deux meet and greets

Entrée de l’exposition ©Noémie Sirat pour le Journal du Japon

L’exposition présentait, dans une galerie de 400 m2 et à travers différents chapitres, les personnages tristement célèbres de ses œuvres. Il y avait également les auteurs qui ont pu l’inspirer, comme Kazuo Umezu ou encore Lovecraft, mais aussi quelques animaux : nous apprenons par exemple que Tomie était inspiré des lézards qui avaient la capacité à régénérer leur queue, ou encore que Gyo trouvait son origine dans le film Les dents de la mer de Steven Spielberg.

Conférence live drawing ©Noémie Sirat pour Journal du Japon

Le maître de l’horreur invité à la Japan Expo 2025

Lors de sa conférence de presse tenue le jeudi 4 juillet 2025, Junji Itô a répondu à de nombreuses questions de journalistes, qu’elles soient sur ses inspirations, les thèmes récurrents retrouvés dans ses œuvres ou encore quels conseils de lecture pouvait-il donner. Ce mangaka à l’allure sympathique mais pourtant timide au premier abord, nous a également exprimé son souhait d’écrire un jour une comédie romantique. 

Junji Itô lors de la conférence de presse © Noémie Sirat pour le Journal du Japon

Paysages du quotidien ou fictions : les différentes influences de l’auteur

D’où viennent vos idées ? Et comment choisissez-vous quelle histoire vous voulez décliner dans un plus long format ?

Mes idées me viennent à partir de situations présentes dont j’entends parler. Et quand j’entends aussi des histoires ou des anecdotes intéressantes, cela m’inspire.
Quand je sens que cette idée peut se développer sur la longueur, j’en fais alors un récit long.

Est-ce que vous avez été très influencé par des films d’horreur, japonais ou étrangers et pouvez-vous nous donner un titre qui vous a le plus influencé ou marqué ?

Un peu avant de faire mes débuts en tant que mangaka, j’ai vu le film de Sam Raimi Evil Dead et il m’a beaucoup marqué et influencé. En plus, le titre japonais peut être traduit par « les entrailles du fantôme de la mort ».

Au début de votre carrière, avez-vous été inspiré par des œuvres de Kazuo Umezu, notamment L’école emportée ?

Oui, j’ai été très influencé par cet auteur que j’ai beaucoup lu depuis mon enfance. Au Japon, il y a une expression qui dit que c’est « ma chair et mon sang », car son œuvre m’a beaucoup influencé. En plus, lorsque je crée une série longue, je me réfère toujours à L’école emportée comme modèle.

Est-ce qu’il y a des œuvres d’horreur qui vous intéressent et des titres que vous considérez comme digne d’attention et que vous voulez partager avec le public ?

Oui, j’aime beaucoup Mes cent contes mortels de Anji Matono car j’adore ce concept d’histoires très courtes racontant chacune un accident et un personnage principal à qui il arrive des horreurs.
J’aime beaucoup le sens très aiguisé de l’auteur. Je l’ai déjà rencontré et j’étais très surpris qu’il s’agisse d’une femme car son nom a une connotation masculine.

Vous avez grandi en pleine campagne et, dans vos œuvres, on retrouve souvent des histoires qui se passent dans la campagne isolée. Quelle influence votre jeunesse a eue sur vos œuvres ?


J’ai grandi dans le village de Nakatsugawa, dans la préfecture de Gifu. C’est un endroit très montagneux avec une rivière qui passe au centre. J’avais toujours une vision vers le haut et les montagnes ou vers le bas et la vallée. C’est pour ça que je ne vois jamais les paysages à plat et que je les vois en volume, en 3D. C’est lié à la profondeur des paysages de mon enfance.

Le dessin, l’horreur et le lectorat

Est-ce qu’il y a une différence entre l’horreur japonaise et l’horreur que l’on retrouve dans le reste du monde ?

Autrefois, au Japon, on avait des kaidan, des récits de fantômes japonais. C’était des histoires de classe. En effet, les guerriers maltraitaient et tuaient des citadins ou des villageois qui appartenaient à des classes plus basses que la leur. Leurs victimes se transformaient alors en fantômes et revenaient se venger.
Maintenant, il y a plus d’échanges avec les pays étrangers et donc une influence mutuelle, y compris dans le domaine de l’horreur.

Vous publiez vos mangas dans des magazines s’adressant à un jeune public ou à des jeunes adultes. Pourtant, il s’agit d’histoires d’horreur. Pourquoi ?

Je dessine souvent dans des magazines à destination d’un jeune public. C’est pour cela qu’un certain nombre de mes personnages sont des enfants ou des adolescents, ce qui permet à un public plus jeune de s’identifier plus facilement à des personnages qui ont le même âge qu’eux.
Je publie aussi dans beaucoup de magazines shôjo. C’est pour cela qu’il y a beaucoup de filles dans mes mangas.

Je pars de mon histoire et j’essaye de façonner des personnages qui vont pouvoir évoluer dedans. Lorsque j’ai un personnage qui est assez fort, je vais décliner le récit dans une série. Ensuite, le personnage va prendre de plus en plus d’importance, alors sa nature et sa personnalité vont beaucoup plus s’inspirer de moi.

Quelle œuvre voulez-vous qu’un nouveau lecteur découvre en premier ?

Je pense à des séries comme Spirale ou Gyo. Mais, personnellement, je préfère mes histoires courtes qui sont publiées sous format de recueil.

Pour la plupart des gens, la maison est un lieu de sécurité. Mais chez vous, c’est un lieu d’horreur où tout peut arriver. D’où vient cette angoisse ? Est-ce que c’est un souvenir de votre enfance dans la maison où vous avez vécu ?

La maison où je suis né et où j’ai grandi était déjà une vieille habitation qui avait 80 ans, ce qui est très vieux pour le Japon. Et il y avait un passage souterrain pour aller aux toilettes qui se trouvaient vers le jardin extérieur. Et j’avais très peur d’y aller la nuit.
Mais il n’y avait pas que de la peur dans cette maison car il y avait des lieux très chaleureux. Par exemple, le salon permettait d’avoir des moments de détente en famille. Mais il y avait aussi partiellement d’autres endroits qui faisaient peur. À l’étage, il y avait une pièce qui correspondait presque à une remise et qui était remplie d’objets divers. Et peu de personnes s’y rendaient. C’était pour moi un endroit inquiétant où je n’aimais pas aller. Ça a peut-être influencé la manière dont je mets en scène l’horreur.

Le suicide est un thème récurrent dans vos œuvres. Comment est-ce que vous construisez vos histoires autour ?

Je le fais sans trop réfléchir. Il y a différents patterns pour faire survenir la mort. On peut avoir un tueur en série, un accident ou un suicide. Le choix est fait selon l’histoire. Il y a aussi le thème du doppelganger, celui du double, qui est très présent dans mes récits. Par exemple, si on croise son double dans la rue, on va mourir dans la semaine à venir. Et on peut choisir le suicide.

En 2017-2018, vous vous lancez dans l’adaptation du roman La déchéance d’un homme, qui est un roman très connu au Japon. Comment s’est fait votre travail ? Comment avez-vous pu imprégner dans cette œuvre votre patte horrifique ?

Il s’agit de l’adaptation du roman d’un auteur très connu, Osamu Dazai. C’est ma responsable éditoriale qui m’a suggéré de faire cette adaptation. Je ne connaissais pas l’histoire et je me suis dépêché de lire le livre. J’ai trouvé que le héros me ressemblait étonnamment et j’ai éprouvé beaucoup de sympathie pour le personnage principal. Par contre, nous avons une grande différence. En effet, il a beaucoup de succès avec les femmes, ce qui n’est pas du tout mon cas. Mais c’était aussi une très bonne motivation pour dessiner beaucoup de jeunes femmes très belles. Il s’agit de littérature blanche qui ne fait pas peur. Quand j’ai fait son adaptation, c’est moi qui ai choisi d’y intégrer des éléments d’horreur comme des histoires de fantômes japonais classiques. Ce sont des histoires que l’on peut retrouver dans du rakugo. Elles font peur et traitent de la fatalité et de la destinée. J’ai intégré ces éléments pour ma propre adaptation de l’histoire.

Vous êtes venus plusieurs fois en France. Quelle est la particularité du marché et du public français ?

La France est l’un des premiers pays en Europe à avoir publié beaucoup de mangas. C’est un pays qui est aussi très ouvert sur la culture japonaise et c’est pour cela que le manga y est très bien accepté. J’ai rencontré beaucoup de fans lors de mes dédicaces et je les trouve très polis. 

Vous êtes souvent qualifié comme le maître de l’horreur. Est-ce que vous-même vous avez de temps en temps peur ou êtes angoissé ?

En effet, on m’attribue souvent le titre de maître de l’horreur et ça me gêne, car je considère que beaucoup d’autres auteurs sont des grands maîtres de l’horreur. Je dois donc sans arrêt faire des efforts pour continuer à mériter ce titre.

En fait, je suis très peureux et tout me terrifie. En plus, j’ai une grande détestation des cafards et des insectes, surtout ceux qui ont plein de pattes.

Dans votre biographie, vous dites que lorsque vous étiez enfant, vous dessiniez déjà des mangas et que vous aviez peur de les faire lire aux autres, peur de trop vous dévoiler dedans. Est-ce que vous avez encore la même appréhension aujourd’hui ?

Quand j’étais enfant, je dessinais pour le plaisir. Mais quand mon histoire était plus sentimentale, j’avais peur de trop en révéler sur moi et je ne voulais la montrer qu’à mes amis d’enfance et parfois à ma mère.
Maintenant, c’est mon travail et j’ai envie d’être lu par le plus grand nombre de personnes.

Est-ce qu’il y a un thème ou un genre sur lequel vous n’avez pas encore travaillé et dans lequel vous avez envie de faire quelque chose ?

J’aimerais beaucoup faire une comédie sentimentale avec des adolescents. Mais je ne pense malheureusement pas en être capable. Et si le cas se présente, je risque d’aller vers l’horreur.

Vous avez commencé à travailler en tant que prothésiste avant d’être mangaka. Est-ce que cela vous a inspiré pour créer des monstres ?

Cela ne m’a pas été vraiment d’une aide pour concevoir des monstres. Mon travail était de fabriquer des dentiers et des reproductions fidèles des dents. C’est un métier très spécialisé avec un savoir-faire pointu.
C’est d’ailleurs peut-être pour cela que je dessine souvent des personnages avec de très belles dentitions. Mais par contre, le savoir-faire technique que j’ai acquis m’a permis de transformer mon matériel de dessin et mes plumes. 

Toutes les œuvres de Junji Itô sont du même genre : l’horreur… et c’est peut-être pour cette raison qu’il est souvent appelé le maître de l’horreur, en plus de son talent d’écriture, de dessin et de son imagination débordante. Ce mangaka ne cessera de nous étonner, de nous effrayer avec ses histoires, mais en observant le public français qui l’accueille à bras ouverts et qui partage son admiration à chacune de ses visites, cela ne peut que signifier que son succès est mérité et qu’il est toujours le bienvenu en France ! Peut-être à une prochaine fois? 
Journal du Japon remercie infiniment Junji Itô ainsi qu’à son interprète Myako Slocombe pour leur temps et leur disponibilité lors des conférences ainsi qu’à l’équipe de Japan Expo ainsi qu’aux éditions Mangetsu pour l’invitation et l’organisation des événements et de l’exposition.

Si vous voulez en savoir plus sur le mangaka et ses oeuvres, un autre article est disponible sur notre site : Junji Itô, le maître de l’horreur chez Mangetsu

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