Les yôkai : quand les esprits du Japon hantent aussi les jeux vidéo
Le Japon fascine autant par sa culture que par son folklore riche en créatures mystérieuses tels les yôkai. Fantômes, esprits ou monstres issus de légendes populaires, ces êtres aux formes multiples continuent d’inspirer artistes et créateurs de tous horizons, et les jeux vidéo ne font pas exception : ils transforment ces figures tantôt effrayantes, tantôt espiègles en ennemis à combattre ou en compagnons attachants. En cette période estivale où la fête d’O-bon célèbre le retour des ancêtres parmi les vivants, c’est l’occasion idéale d’explorer la manière dont le jeu vidéo s’approprie ces mythes.

Des esprits bien vivants : les yôkai et la fête d’O-bon
Au Japon, le mois d’août évoque la chaleur, les feux d’artifice… et le retour des morts. Pendant la fête d’O-bon, célébrée chaque été, les familles accueillent les esprits de leurs ancêtres qui reviennent brièvement parmi les vivants. Lanternes, offrandes et danses traditionnelles accompagnent ce moment figé dans le temps.
Ce lien entre vivants et défunts nourrit une grande partie du folklore japonais. Les yôkai, êtres surnaturels aux formes variées, proviennent souvent de croyances anciennes liées à la mort, à la nature ou aux phénomènes inexpliqués. Certains proviennent d’âmes errantes, d’autres s’enracinent dans des légendes locales. Tous incarnent une vision du monde où visible et invisible coexistent. On compte parmi eux des figures emblématiques comme le Kappa (esprit aquatique espiègle) ou la Yuki-onna (femme spectrale des neiges), mais aussi des entités plus inquiétantes telles que le Rokurokubi au cou extensible ou l’Oni, démon redouté au Japon.
En ce sens, O-bon et les yôkai partagent une même logique : celle d’un monde poreux, où les frontières s’effacent.

Yôkai de l’ombre : des figures ennemies aux esprits contrariés
Si certains yôkai peuvent être farceurs ou bienveillants, nombre d’entre eux restent associés à des forces hostiles souvent perçues comme des ennemis à affronter ou à éviter. Le jeu vidéo reflète bien cette ambiguïté : ces créatures deviennent alors des obstacles, des menaces ou des esprits tourmentés à apaiser.

Dans Yomawari: Night Alone et Midnight Shadows (réunis en 2018 sous le titre The Long Night Collection sur Nintendo Switch), le joueur ou la joueuse incarne une enfant qui explore une ville plongée dans la nuit. Les yôkai qu’elle croise prennent la forme d’entités étranges et inquiétantes surgissant de rues désertes. Ici, l’affrontement n’a pas lieu : tout passe par la fuite et l’évitement, renforçant l’étrangeté de ces créatures qui semblent tout droit sorties d’un cauchemar.

Dans Ôkami, dont le remake est sorti en 2017, on joue la déesse Amaterasu réincarnée en louve blanche, chargée de restaurer la vie et la couleur d’un Japon corrompu par des forces obscures. Ici, l’opposition est plus directe : les ennemis que la déesse Amaterasu doit vaincre sont souvent inspirés de yôkai issus du folklore, comme l’hydre Orochi ou les tengu corbeaux. Bien qu’inscrits dans un univers lumineux, ces esprits deviennent des figures du déséquilibre qu’il faut affronter pour rétablir l’harmonie.

Plus récemment, Assassin’s Creed Shadows propose une quête secondaire intitulée “Les yôkai” où le joueur enquête sur plusieurs créatures légendaires comme la Yuki-onna, le Kappa ou encore l’Ao Andon (une incarnation des plus grandes peurs humaines). Présentés comme des rumeurs à élucider, ces esprits incarnent les superstitions du Japon féodal et les peurs populaires de l’époque. Sont-ils réels, sont-ils fictifs ? Nul ne le sait…
Illustrant une facette sombre et conflictuelle du folklore japonais, ces yôkai sont toujours là pour mettre le joueur à l’épreuve. Leur fonction ludique et narrative reste celle de l’adversité et de l’inquiétude. Pourtant, ce même folklore ne se limite pas aux créatures menaçantes. Une autre facette, plus légère, s’est aussi imposée dans le jeu vidéo.
Yôkai espiègles : des compagnons aux mascottes
Dans la culture populaire, les yôkai ne sont pas toujours menaçants. Certains peuvent être facétieux, drôles ou même attendrissants et cet aspect plus léger se traduit dans plusieurs jeux vidéo plus ou moins récents.


C’est notamment le cas de Pokémon qu’on ne présente plus : de nombreuses créatures sont directement inspirées de yôkai traditionnels comme Goupix, et son évolution Feunard, faisant tous deux partie de la première génération des Pokémon. Goupix possède six queues tandis que Feunard en a neuf. On pense alors immédiatement au Kitsune, ce célèbre renard mystique qui développe des pouvoirs (tels que la métamorphose ou la production d’illusions) après des centaines d’années et qui possède, lui aussi, plusieurs queues. D’autres yôkai, tel que le Kappa (un esprit aquatique espiègle), ont inspiré les Pokémon (Nenupiot ou Hidotama), Sans oublier les flammes fantomatiques errantes, pour Fantominus ! Ces références, discrètes mais omniprésentes, enrichissent l’univers Pokémon et l’ancrent dans un imaginaire japonais familier, faisant des créatures de poche les mascottes que l’on connaît tous aujourd’hui !

Pocky & Rocky Reshrined, remake d’un classique des années 1990, met en scène une prêtresse shinto et un tanuki repoussant des yôkai farceurs. Loin de la noirceur des récits traditionnels, le jeu adopte un ton léger et coloré : les créatures folkloriques, même lorsqu’elles sont ennemies, gardent une apparence amusante et cartoon qui les rend plus attachantes qu’effrayantes.

Enfin, Gimmick! 2, sorti en 2025, adopte une approche originale en faisant du yôkai le héros de l’histoire. On y incarne Yumetaro, un petit esprit bienveillant lancé dans une quête pour sauver une amie. Dans ce platformer aux couleurs vives, le yôkai n’est plus un obstacle ni une menace mais devient plutôt un personnage mignon et attachant.
En transformant les yôkai en compagnons de jeu, ces représentations permettent de réinterpréter un folklore millénaire avec un ton joyeux et amusant. Elles prouvent que ces créatures ne se cantonnent pas à l’horreur et peuvent aussi incarner l’émerveillement et l’amusement.
Yôkai gardiens : entre équilibre et ambivalence
Certains yôkai échappent cependant à une lecture manichéenne et incarnent plutôt des forces d’équilibre. C’est le cas de Yukari Yakumo dans la série Touhou Project. Surnommée « The Youkai of Boundaries » (que l’on peut traduire par « la Yôkai des Frontières »), elle veille sur les barrières qui séparent le monde humain de Gensokyo, l’univers où se déroule la saga. Ni véritablement hostile ni totalement bienveillante, Yukari se situe dans une zone grise : tantôt adversaire, puisqu’elle apparaît en boss caché dans l’épisode Perfect Cherry Blossom, tantôt alliée de l’héroïne Reimu Hakurei dans d’autres épisodes. Dotée d’une grande intelligence et d’un tempérament mystérieux, elle passe autant de temps à protéger l’équilibre du monde qu’à… dormir profondément !
Cette représentation souligne une facette singulière du folklore : celle d’esprits dont le rôle ne se résume ni à faire peur ni à amuser, mais à maintenir une harmonie fragile entre deux réalités.

Des frissons nocturnes de Yomawari à l’univers coloré de Pokémon, les yôkai se déclinent dans le jeu vidéo sous toutes leurs facettes. Ces créatures ancestrales témoignent de la richesse du folklore japonais et de sa capacité à se réinventer. En conservant leur essence tout en s’adaptant aux codes du jeu vidéo, elles rappellent que, même à l’ère du numérique, l’imaginaire japonais continue de faire cohabiter visible et invisible… et d’enchanter les joueurs du monde entier.
Découvrez comment ces esprits s’invitent également chez vous à travers les jeux de société et les mangas !
