Dragon Quest et les aventures de Kamui Fujiwara

Comme dirait le slogan des éditions Ki-oon, l’année 2014 signe le grand retour en manga de la saga d’aventure et de fantasy Dragon Quest, avec l’opus Emblem of Roto. Cette institution de l’univers du RPG, qui a débuté au Japon en 1986, a toujours été accompagnée de mangas populaires, comme La quête de Dai ou Fly, connu de longue date en France.

Emblem of Roto fait partie des épisodes les plus vendus de la saga au Japon, (19 millions d’exemplaires écoulés) et c’est donc avec intérêt que nous avons suivi la venue de son auteur, Kamui Fujiwara, pour découvrir ce mangaka de 55 ans souriant et expérimenté. Nous sommes revenus avec lui sur le manga d’aventure en général et Dragon Quest en particulier, avec en bonus une question de Ryuhei Tamura, le créateur de Beelzebub qui est un grand fan, à lui poser !

Kamui Fujiwara - Dragon Quest

Avant tout, commençons par les présentations…

Né en 1959 à Arakawa d’un père appartenant autrefois à l’armée impériale, Kamui Fuijiwara est un élève qui excelle en mathématiques et en informatique et qui finit diplômé de « l’école de design de Kuwasawa »:http://www.kds.ac.jp/. Il ne se destine donc pas au métier de mangaka mais, pour arrondir ses fins de mois durant ses études, il travaille au sein d’une imprimerie et participe à différents concours de manga. En 1979 il remporte la mention honorable aux Tezuka Awards (cette année là un certain Tsukasa Hôjo gagne le grand prix de la compétition). Son style révèle rapidement une forte influence de Katsuhiro Otomo (il cite parfois Moebius également) et il est souvent remarqué pour son sens du détail ou ses personnages élaborés.

Après ce premier prix, l’homme s’immerge progressivement dans l’univers du manga mais aussi du jeu vidéo, en tant que character designer (sur Grandia Xtreme par exemple). À la jonction entre ces deux univers, il est logiquement fan de Dragon Quest – il y joue toujours d’ailleurs, sur 3DS ou sur smartphone – et il imagine déjà, à l’époque, des histoires inspirées de la saga. Il est donc ravi de pouvoir participer à l’aventure. Lors de la conférence qui lui était dédiée à Japan Expo, il s’avoue « trop émerveillé de pouvoir travailler avec ses personnages favoris pour ressentir de la pression » et il évolue même dans une relative liberté : « adapter un jeu vidéo NES laisse libre court à l’imagination tant au niveau des graphismes que du scénario car il est beaucoup moins élaboré que celui d’un manga. »

Néanmoins, même s’il s’est fait connaître par ce classique du shônen, il s’est plusieurs fois éloigné du genre, pour des œuvres plus intimistes comme son adaptation de la Genèse ou Unlucky Young Men, qui évoque la jeunesse nippone désabusée des années 60. Il a également collaboré sur une oeuvre publiée en France par Glénat, Raika, en tant que dessinateur.

Unlucky Young Men - Raika

Un homme aux multiples talents et facettes que nous avions hâte de rencontrer, donc passons sans plus tarder à l’entretien !

De Dragon Quest à Kamui Fujiwara : l’interview

Kamui Fujiwara

En ce dernier jour de Japan Expo, c’est avec le sourire – et ce malgré la fatigue – que le mangaka nous attend en salle d’interview, en compagnie des éditions Ki-oon. Lors de l’échange traditionnel des cartes de visite nous remarquons que le dessin d’un chien-loup orne celle de monsieur Fujiwara, un dessin que l’on retrouve également dans la bannière de « son site internet »:http://www004.upp.so-net.ne.jp/studio2b/contents.html. Nous lui demandons d’où il provient et le mangaka évoque alors un souvenir cinématographique : « oh, cela vient d’un de mes films préférés, Stalker « d’Andrei Tarkovsky »:http://en.wikipedia.org/wiki/Andrei_Tarkovsky où l’on retrouve ce chien gris qui guide un peu les personnages, qui fait office de fil conducteur dans l’histoire. »

Après cette première anecdote, l’interview peut donc commencer…

Journal du Japon : dans la préface du premier tome vous évoquez votre travail sur cette nouvelle version qui vient de sortir en France… Est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus ?
Kamui Fujiwara : Alors, spécifiquement pour l’édition française je n’ai refait que ces petits commentaires en début d’ouvrage, mais il est vrai que cette version se base sur une édition spéciale japonaise, l’édition perfect, pour laquelle j’ai fait tout un travail : redessiner certaines planches, retravailler le découpage, modifier l’ordre de certaines scènes, etc.

Et qu’est-ce que ça vous a fait de revenir, 10 ans après, sur cette saga ?
Il faut vous imaginer que j’ai dû retravailler en 6 mois ce que j’avais fait en 10 ans auparavant… Donc finalement c’était plutôt rude ! (Rires)

Emblem of Roto : l'édition française et sa frise spéciale

Emblem of Roto : l’édition française et sa frise spéciale

A propos de Dragon Quest, il y a un grand fan de votre travail qui est présent sur Japan Expo : Ryuhei Tamura, l’auteur de Beelzebub. Nous avons eu la chance de le rencontrer hier et nous lui avons demandé s’il avait une question pour vous… Et il en avait une ! (Rires général dans la salle)
Il voulait tout simplement savoir comment s’est déroulé votre travail avec votre « tantô »:http://www.hachiju.com/?p=1215 sur la série Emblem of Roto…

En fait, il faut savoir que sur cette série, le tantô a changé à trois reprises et le scénariste deux fois, donc il y a eu beaucoup d’échanges. Avec le premier tantô cela s’est bien déroulé et il est même devenu directeur éditorial du magazine. J’ai donc changé de responsable éditorial et avec le second tout se déroulait très bien, on s’entendait parfaitement et nous étions sur la même longueur d’onde, la même énergie. Mais à partir du troisième, la relation s’est un peu dégradée donc c’est assez difficile de faire un résumé, disons que c’est allé en se dégradant ! (Rires)

Le prince Arus, le héros d'Emblem of Roto

Dans les mangas d’aventure, comme Dragon Quest ou One Piece par exemple, on retrouve régulièrement des héros au cœur pur, alors que le cinéma et la littérature se tournent de plus en plus vers des héros torturés… Est-ce que vous pensez que le manga est le dernier bastion des héros au cœur pur et quel est votre avis là-dessus ?
Oui je suis d’accord avec vous sur cette tendance, mais je pense qu’on la retrouve aussi dans le manga. Ce qu’on appelle aujourd’hui le shônen manga ressemble plus, selon moi, à du seinen, de par ses héros notamment. C’est un genre évoluant avec son lectorat qui est différent de l’ époque où sortait Emblem of Roto, par exemple.
Après il faut aussi comprendre les responsables éditoriaux et les impératifs de vente il faut satisfaire le client en quelque sorte – mais je suis un peu attristé par cet état de fait et j’aimerais que le shônen manga retrouve un peu ce style qu’il avait lorsqu’il est né, ces codes qui l’ont défini dont, justement, le héros au cœur pur.

Qui dit manga d’aventure dit aussi combats donc qu’est-ce qui fait, selon vous, un combat réussi dans un manga ?
Ça tient à ce qu’on appelle « sokaikan » (littéralement la fraîcheur ou la légèreté nous informe l’interprète, NDLR), qui est beaucoup inspiré du Kabuki, le théâtre japonais où l’on retrouve ces poses très emblématiques, où l’action se fige et le personnage prend une posture bien particulière. C’est ce qui définit aussi beaucoup le manga d’action japonais et c’est la beauté de cette pose, sa classe ou son coté cool et le charisme qui naît de ça, qui fait une bonne scène d’action.

Au sein de cette saga vidéo-ludique et d’un genre, le shônen, qui n’est pas forcément le votre, où se cache votre patte ?
Pour moi, Emblem of Roto était ma première véritable expérience dans le shônen manga, à la fois une expérimentation et un challenge, d’ailleurs. J’étais plutôt libre dans mes précédentes publications mais le shônen est un style avec ses codes et ses règles un peu particulières. De plus, comme la série était publiée sur un rythme hebdomadaire, il y avait un retour régulier des lecteurs et nous nous adaptions à leurs avis, à leurs réactions.
C’est un travail assez difficile finalement, plus que pour un seinen, donc de là à introduire mon style, ce n’était pas vraiment évident. J’ai l’impression qu’il se situe dans des petites touches cachées, dans le découpage par exemple où l’on peut retrouver mes influences nées de la bande-dessinée. Ce genre de choses.

Kamui Fujiwara - Dragon Quest

Quand on regarde justement vos influences vous citez Moebius ou Otomo, assez éloignés du shônen comme une bonne partie de vos œuvres… Quels sont vos thèmes de prédilection ?
Plutôt qu’un genre de prédilection, je vois chaque manga comme une œuvre différente en cherchant comment avoir la meilleure touche graphique, celle qui sera adaptée à l’histoire et à la série qu’on me propose ou que je veux réaliser. De ce point de vue, Unlucky Young Men est une expérience dont j’étais extrêmement satisfait, même si évidemment tout de suite après l’avoir fini, j’aurais voulu revenir en arrière pour corriger plein de choses ! (Rires)
Cela dit, le sentiment de satisfaction que j’ai eu sur cette œuvre reste sans doute le plus grand de toute ma carrière.

Il n’y a plus qu’à espérer qu’elle arrive un jour chez nous ! Merci monsieur Fujiwara.

Kamui Fujiwara - Dragon Quest

Retrouvez Dragon Quest : Emblem Of Roto avec la sortie du volume 4 ce mois-ci et le cinquième annoncé le 11 septembre prochain. Pour découvrir la série rendez-vous sur le site des éditions Ki-oon, où vous pourrez notamment lire un extrait du premier volume. Pour en savoir davantage sur Kamui Fujiwara vous pouvez aussi vous rendre sur son site officiel Kamui’s Note (en japonais) ou le suivre via son compte Twitter.

Remerciements à Kamui Fujiwara pour son temps et sa gentillesse. Merci également à nos interprètes du jour et aux éditions Ki-oon pour la mise en place de cette interview.Photos Danielle Gueugnot pour ©journaldujapon.com

Paul OZOUF

Rédacteur en chef de Journal du Japon depuis fin 2012 et fondateur de Paoru.fr, je m'intéresse au Japon depuis toujours et en plus de deux décennies je suis très loin d'en avoir fait le tour, bien au contraire. Avec la passion pour ce pays, sa culture mais aussi pour l'exercice journalistique en bandoulière, je continue mon chemin... Qui est aussi une aventure humaine avec la plus chouette des équipes !

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