« Upload A New Mind To The Body » : Les Mues de Mirai MORIYAMA

À l’occasion d’une performance exceptionnelle de la performance Upload A New Mind To The Body du danseur Mirai MORIYAMA proposée par la Maison de la Culture du Japon à Paris, Journal Du Japon a rencontré l’artiste aux multiples talents pour évoquer sa carrière et appréhender cette nouvelle œuvre.

 

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Journal Du Japon : Bonjour Mirai MORIYAMA. Pour commencer, est-ce que vous pourriez me parler de votre parcours.

Mirai MORIYAMA : Le déclic pour moi, ça a été Michael JACKSON. J’ai commencé la danse jazz à l’âge de cinq ans, c’était très à la mode au Japon à l’époque. À l’âge de six ans, j’ai commencé les claquettes, la danse urbaine à partir de 8 ans et le ballet dans la foulée. À partir du lycée, j’ai aussi appris le flamenco.

Dans un même temps, ma mère était très fan des comédies musicales hollywoodiennes avec Fred ASTAIR. Du coup, à dix ans j’ai rejoint une compagnie de théâtre. Ça m’a permis de jouer dans des comédies musicales dans un premier temps, puis dans des dramas et des films.

En fait, j’ai essayé de tester tous les arts possibles afin de vivre des expériences différentes. Pour revenir à la danse, j’ai senti autour de 25 ans que j’avais comme une sorte de mur en face de moi. Et c’est en rencontrant des personnes comme le chorégraphe Tomohiko TSUJIMOTO, le dramaturge britannique Steven BERKOFF, avec qui j’ai pu travailler sur la pièce Metamorphosis, et surtout le danseur Sidi Larbi CHERKAOUI que j’ai enfin pu m’ôter l’idée que je ne devais me cantonner qu’à un seul style de danse ; ça m’a vraiment libéré !

C’est à ce moment là que j’ai commencé à me dire que les outils que sont la danse et le théâtre devaient m’aider à trouver une expression globale sur scène. Et c’est alors que je commençais à appréhender cette vision artistique plus élargie que le Bunkachō, l’Agence pour les affaires culturelles du gouvernement japonais m’a proposé une mission d’ambassadeur culturel, ce qui m’a permis de travailler notamment avec la compagnie Inbal Pinto, en Israël. J’ai beaucoup appris avec ces personnes puisqu’ils m’ont appris à travailler sans me limiter à une seule discipline.

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Crédits photo : Pierre LAURET

Et c’est à ce moment là que j’ai rencontré Yuko HASEGAWA, la curatrice de cette performance que je présente à Paris. C’est une personne très importante au Japon, et c’est quand elle m’a invité à faire des performances dans des musées que j’ai eu l’idée de cette œuvre que je présente aujourd’hui.

 

En France, on marque souvent une séparation assez nette entre le classique et le contemporain. Qu’en est-il du Japon ? Vous mélangez les genres, est-ce quelque chose de courant ?

Au Japon aussi, c’est très sectorisé. Au niveau du public surtout ; le public de danse classique ne se mélange pas vraiment avec le public de danse contemporaine. Sur le plateau, ce sont deux mondes très différents. La danse contemporaine exprime un état, quelque chose de global. La danse classique, ou même la danse urbaine d’ailleurs, ont davantage pour but de montrer une perfection, quelque chose de beau. Mais il peut suffire d’un moment d’apothéose dans la danse contemporaine pour en faire une danse classique. Le point de départ est différent, du coup ce n’est pas évident de mélanger les deux disciplines sur un plateau ; le danseur doit être prêt à « casser » quelque chose en lui pour pouvoir s’exprimer ainsi.

 

Beaucoup de pans artistiques japonais sont liés à la culture du pays et à son histoire. La danse contemporaine est elle aussi intimement liée à la culture et à l’histoire du Japon ?

mirai_moriyama_04Je commence à m’intéresser au butō. Sans pour autant tomber dans la caricature, si le corps des japonais est aussi adapté à ce type de danse, c’est parce que le corps japonais a eu l’habitude de se pencher, de s’accroupir et de s’agenouiller. La physionomie japonaise est vraiment adaptée au butō. Dans la représentation, on peut trouver des éléments rappelant sans doute le butō, mais ils sont davantage liés à ma physionomie.

De même, je pense qu’il y a dans la performance une certaine idée d’animisme. L’exposition au sein de laquelle s’inscrit Upload A New Mind To The Body est emmenée par plusieurs artistes asiatiques et du Moyen-Orient, régions où cette idée de ne pas séparer humains et « choses » est plus présente qu’en occident.

 

Est-ce que vous pourriez justement nous parler de cette performance ; Upload A New Mind To The Body ?

C’est un spectacle pluridisciplinaire ; il y a du texte, de la musique et des mouvements corporels. C’est une façon de rassembler tous les outils d’expression que j’ai emmagasiné au fil des années sur le même plateau. J’ai voulu baser cette performance sur la mémoire du corps. Naturellement, je vais inclure des mouvements qui sont comme imprimés dans mon corps. Ça sera peut-être de la danse d’une discipline ou d’une autre, ou ce que le corps peut faire surgir avec les mots. La représentation s’articule autour de mon propre nom, épelé en japonais – mo-ri-ya-ma-mi-ra-i – et en alphabet latin – m-i-r-a-i-m-o-r-i-y-a-m-a. Les syllabes et les lettres se mélangent alors dans la musique jusqu’à donner de nouveaux mots.

Pour ce qui est du concept, mon corps est recouvert d’une espèce de membrane translucide. Un peu la même que pour les médicaments, vous voyez ? (rires) Ce qui est intéressant, c’est qu’avec ma transpiration pendant que je danse, la membrane devient plus malléable et se colle à ma peau. Cependant, elle se durcit ensuite très rapidement et se craquelle. Certains lambeaux tombent, d’autres se mêlent directement à ma peau.

 

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Crédits photo : Pierre LAURET

Upload A New Mind To The Body évoque l’idée d’une renaissance, de nouvelles valeurs. Il y a cette idée de « remplacer le modernisme », mais vous comparez votre performance à la mise à jour d’un système d’exploitation d’ordinateur et travaillez avec un centre d’art et technologie des médias. Est-ce que ce ne sont pas là des concepts à opposer ?

J’ai créé cette performance dans le cadre d’une exposition pluridisciplinaire donnée au ZKM, à Karlsruhe en Allemagne. Cet événement s’intitule New Sensorium et s’articule autour de la problématique « Échapper aux failles de la modernisation ». L’idée véhiculée par ma performance est effectivement l’intégration de nouvelles valeurs qui viennent remplacer le modernisme. Mais je ne veux pas nier en bloc. La membrane qui recouvre mon corps représente également ce modernisme qui se colle à ma peau. Ensuite, certains bouts tombent et d’autres restes. Il y a eu des performances où toute la membrane est tombée et d’autres ou au contraire rien ne s’est craquelé. Que tout soit tombé ou que tout se soit mêlé à ma peau, cela varie d’une performance à l’autre, et je trouve que ça représente bien la complexité du problème. La performance dure une quarantaine de minutes et, même si elle est improvisée, tend à se stabiliser au fur et à mesure des représentations. Et malgré ça, je ne peux jamais deviner dans quel état je vais terminer la performance.

Je fais partie de la dernière génération avant le développement généralisé des outils numériques. Je ne veux pas accuser la jeune génération, j’utilise moi-même tous ces outils, mais j’essaie plutôt de créer un lien entre ma génération et la suivante pour essayer de comprendre.

Enfin, je ne pense pas que cette performance soit si engagée que ça. Le message s’exprime davantage par mon histoire et mon patrimoine et le fait que l’issue de la performance dépende de beaucoup de facteurs crée un compromis entre les deux mondes qui semblent s’opposer.

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Crédits photo : Pierre LAURET

 

Merci à Mirai MORIYAMA pour son temps, sa patience et sa bonne humeur. Merci infiniment à Aya SOEJIMA pour avoir rendue cette rencontre possible, pour sa gentillesse et ses qualités d’interprète inestimables. Merci à Pierre LAURET pour les photographies de l’interview.

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