NHK World : La TV japonaise à l’assaut du monde

À l’occasion de la projection à la Maison de la Culture du Japon à Paris de deux documentaires produits par la chaîne internationale NHK World, Journal Du Japon a rencontré Miwako NISHIKAWA – senior manager de la division « global strategy » de la chaîne – et Tomoko MATSUDA – productrice du documentaire Inside The Tsunami – venues spécialement du Japon pour présenter la chaîne au public français.

L’occasion de découvrir ou redécouvrir cette chaîne, de sa ligne éditoriale entre Japon et international au traitement de sujets complexes comme la catastrophe du 11 mars 2011 et d’autres plus attendus comme les futurs Jeux Olympiques, pour enfin s’attarder sur sa place dans le paysage télévisuel japonais.

 

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Journal Du Japon : Bonjour, dans un premier temps, pouvez-vous nous présenter le projet NHK World ?

Miwako NISHIKAWA : NHK World est la chaîne internationale d’information en continu dérivée de la chaîne publique japonaise NHK. Cette chaîne a été crée il y a une quinzaine d’années et diffuse du contenu en anglais dans 150 pays, 24 heures sur 24 et elle est suivie par environ trois millions de personnes à travers le monde. La majorité de la programmation est bien évidemment dédiée aux news, mais de nombreux documentaires sont également diffusés, sur l’alimentation, les voyages ou la culture par exemple.

 

En dehors des news, la ligne éditoriale de la chaîne est-elle exclusivement tournée vers le documentaire ou cherche-t-elle également à explorer le divertissement par exemple ?

Miwako NISHIKAWA : Pour ce qui est du sport, il n’y a pas vraiment sur NHK World. Le seul exemple concret est le programme Sports Japan qui n’est diffusé qu’une fois par semaine. Mais cette année, la chaîne va couvrir un grand événement sportif, puisqu’il s’agit des championnats de sumo.
Quand à la ligne éditoriale, bien que certains programmes soient directement produits pour NHK World, la chaîne reprend souvent des titres de la chaîne nationale pour ensuite les diffuser à l’international.
La chaîne s’ouvre également à l’animation, qui est très populaire dans le monde entier. La prochaine production d’animation à venir sur NHK World est The Dragon’s Dentist, une série produite par Hideaki ANNO, le créateur de l’univers d’Evangelion. La chaîne aimerait également produire des dramas (format de série télévisée très populaire en Asie, ndlr), mais c’est encore en discussion.

 

Quelle est la stratégie dans la programmation de NHK World ? Le sumo par exemple est un spectacle typiquement japonais pour lequel le public international n’a que peu d’intérêt et aucune connaissance des règles ni des enjeux.

Miwako NISHIKAWA : Certains sujets ne seront effectivement jamais diffusés sur NHK World et resteront sur la chaîne nationale car nous pensons qu’ils ne peuvent intéresser que le public japonais. Pour ce qui est du tournoi de sumo, ce sport est un élément très significatif de la culture japonaise pour le monde entier, et la diffusion sera agrémentée de commentaires afin que même ceux qui n’y connaissent strictement rien puissent comprendre ce qu’il se passe à l’écran.

 

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Miwako NISHIKAWA en présentation du film « 50 Years On: The Poison Of Thalidomide »

À l’approche des Jeux Olympiques, la NHK ambitionne de diffuser en 8K (seize fois plus de pixels que la HD, ndlr), une première dans le monde de la télévision. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Miwako NISHIKAWA : Dans un premier temps, ce sera plutôt l’apanage de la NHK. NHK World diffuse déjà en HD, mais c’est pour l’instant compliqué de passer à de la 8K sur un tel réseau. Cependant, il y a en ce moment même des tournages autour du sport qui se font en ultra HD pour le compte de la NHK, et ces films seront très probablement diffusés sur NHK World par la suite.

 

La 8K va donc devenir une norme sur NHK ?

Miwako NISHIKAWA : Je pense que ça va être le cas pour de gros événements, comme les Jeux Olympiques, ou pour certains dramas à gros budgets, mais je ne crois pas qu’il y ait de projet d’appliquer la 8K à tous les programmes pour l’instant.

 

Pouvez-vous nous présenter les deux documentaires diffusés aujourd’hui à la Maison de la Culture du Japon à Paris et nous parler de leurs genèses ?

Miwako NISHIKAWA : Le premier documentaire diffusé – 50 Years On: The Poison Of Thalidomide – raconte l’histoire du scandale du Thalidomide, un médicament qui a causé de nombreuses malformations chez plusieurs nouveaux nés. Le documentaire a été diffusé sur NHK et a reçu de très bons échos. Le film a également remporté le Grand Prix documentaire, qui est le plus prestigieux festival de film documentaire au Japon, ainsi qu’un prix au Festival du programme audiovisuel de Chicago.

Tomoko MATSUDA : Inside The Tsunami a été réalisé à l’occasion des cinq ans de la catastrophe qui a frappé la région du Tōhoku. La chaîne a donc mis beaucoup de moyens et d’énergie dans ce documentaire, à la demande des producteurs de l’antenne de NHK basée dans la ville de Sendai, qui a été très durement touchée par le tsunami.
L’intention première de ce documentaire – qui n’est pas le premier sur le sujet – était de transmettre à l’écran les émotions que l’on peut ressentir au moment d’une telle catastrophe. À l’appui des témoignages de survivants, le film recrée le vécu de ces personnes en vue subjective. Comme l’indique le titre du documentaire, il s’agit de montrer ce qu’il se passe à l’intérieur du tsunami, exprimer à l’écran ce qu’ont vécu ces survivants.
Le travail de recherche en amont de la production a principalement consisté en l’accumulation de données sur le tsunami qui avait frappé la région. Sa hauteur, sa vitesse et son mouvement entre les immeubles une fois arrivé au cœur de la ville, ce qui a piégé de nombreuses personnes. D’un point de vue technique, les calculs ont été effectués par un centre de recherche sur les tsunamis avec ce qui est aujourd’hui le deuxième plus puissant ordinateur du monde. Les images de reconstitution ont ensuite été réalisées en mêlant des images de synthèse et des effets spéciaux mécaniques.

 

La NHK est une chaîne publique et on sait que le gouvernement japonais est encore frileux quand il s’agit de s’exprimer sur les événements du 11 mars 2011. Avez-vous rencontré des problèmes ou certains conflits d’intérêts dans la production du documentaire Inside The Tsunami ?

Tomoko MATSUDA : Il peut effectivement y avoir quelques problèmes quand on veut aborder la question du nucléaire. Mais le sujet du tsunami n’est pas vraiment polémique. Ce qui a été le plus compliqué, c’est que les personnes interviewées sont des survivants, pour la plupart traumatisées par les événements, ça n’a donc pas été évident de les rencontrer et d’avoir le feu vert de leur part pour raconter leur histoire.

 

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Tomoko MATSUDA en présentation du film « Inside The Tsunami »

Le Japon a récemment perdu 11 places en matière de liberté de la presse, selon le classement établi par Reporters Sans Frontières. Il y a notamment eu un contrôle de l’information assez strict suite aux événements du 11 mars 2011 et l’écrivain Satetsu TAKEDA, que nous avions rencontré ici à la Maison de la Culture du Japon l’an dernier, nous parlait des limogeages qui avait eu lieu dans les rédactions, évoquant notamment la NHK et l’Asahi Shimbun. Comment ce phénomène a-t-il été ressenti au sein de la chaîne ?

Miwako NISHIKAWA : Il n’y a pas eu de tels problèmes à la NHK
De plus, la chaîne s’oblige à avoir plusieurs points de vue dans son traitement de l’information. Certaines personnes sont en effet contre le nucléaire, mais la NHK contrebalance avec des interviews de personnes qui y sont favorables par exemple. À la NHK, on cherche vraiment cet équilibre dans les points de vue.

 

À l’avenir, la NHK souhaite elle désormais produire davantage de documentaires de cet acabit ?

Miwako NISHIKAWA : Évidemment, on aime recevoir des prix ! (rires) Mais notre but pour l’instant, c’est surtout de pouvoir proposer des documentaires qui peuvent intéresser le monde entier, et pas seulement le public japonais.

Dans les programmes à venir, nous avons par exemple un documentaire qui traite des relations entre le Japon et les États-Unis après Pearl Harbor à l’échelle de deux personnes ; Mitsuo FUCHIDA, qui a ordonné le largage des bombes et qui est par la suite devenu missionnaire chrétien, et Jacob DESHAZER, soldat américain ayant notamment participé à la destruction de la ville de Nagoya en réponse au bombardement de Pearl Harbor et qui est également devenu missionnaire après la guerre, exerçant au sein même de cette ville qu’il avait alors attaqué. Ce sont deux ennemis jurés qui ont ensuite travaillé de concert à l’apaisement de l’animosité héritée du conflit. L’idée de ce documentaire est notamment de mettre en exergue les relations internationales contemporaines par un biais historique.

De même, une fois de plus en raison de cet anniversaire de la catastrophe du 11 mars 2011, beaucoup de documentaires autour du sujet ont été réalisés et vont être diffusés. C’est notamment le cas du film The Phone Of The Wind: Whispers To Lost Families. Ce film raconte l’histoire d’une cabine téléphonique abandonnée devenue célèbre au Japon. Aucune ligne téléphonique n’est reliée à cette cabine, mais les gens qui ont perdu un proche dans la catastrophe s’y rendent pour téléphoner aux disparus. Le réalisateur a alors installé dans la cabine une caméra qui a tourné en permanence pendant deux mois. Le film a été diffusé en mars sur NHK au Japon et a rencontré un grand succès auprès du public. Il sera diffusé prochainement sur NHK World, en espérant qu’il saura toucher le public international.

 

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« Inside The Tsunami »

 

Au-delà de la place de la NHK dans le paysage télévisuel japonais, nous vous invitons à approfondir les sujets des médias et de la liberté de la presse au Japon via nos interviews des auteurs Satetsu TAKEDA et Jake ADELSTEIN et à découvrir d’autres films et documentaires sur la catastrophe du 11 mars 2011 avec notre dossier Fukushima, dans l’œil de la caméra.

 

Merci à Miwako NISHIKAWA et Tomoko MATSUDA pour leur temps ainsi qu’à Cyril CADARS pour l’organisation de cette interview.

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