To Your Eternity : immortalité et mysticisme de l’évolution

Publiée au Japon depuis janvier 2017 et en France depuis avril aux éditions Pika, la série To Your Eternity de Yoshitoki OIMA a su s’imposer comme une série à suivre attentivement. Transpirant la singularité de la mangaka, plébiscitée depuis A Silent Voice, To Your Eternity nous offre un univers unique dans lequel nous n’avons pas d’autre choix que de plonger.
Pour la sortie du 3e tome, il est donc temps d’embarquer pour ce voyage teintée d’aventure, de poésie et, même, d’une certaine philosophie…

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Tout commença par le néant

“C’est à l’épreuve de la réalité que je saurai ce que je suis… Voilà pourquoi mon voyage commence.”
Un être immortel a été envoyé sur Terre. Il rencontre d’abord un loup puis un jeune garçon vivant seul au milieu d’un paysage enneigé. Ainsi commence le voyage de l’Immortel, un voyage fait d’expériences et de rencontres dans un monde implacable…”

Dès les premières pages, Yoshitoki OIMA met en place un univers totalement différent de ce dont nous avons l’habitude. Elle plonge le lecteur dans le néant, l’absence de tout, ou presque. Elle l’a dit elle-même lors de son interview avec Journal du Japon : elle souhaitait transposer le lecteur dans la vie du personnage principal qu’est Imm, créant ainsi un effet miroir. Pourtant Imm est le symbole même du néant : une sphère qui ne sait rien et qui doit tout apprendre, tout découvrir. Un peu à l’image du nouveau né que nous avons tous été. On se prend ainsi d’attachement pour cette créature atypique.

Mais la sphère atterrit et, déjà, le néant disparaît. Le premier lien est créé et la nouvelle vie de Imm commence…

 

À la découverte de soi à travers l’autre

Devenue une pierre, Imm est dans une position d’attente et de soumissions aux éléments. Mais un loup vient mourir à ses côtés et par mimétisme, Imm prendra son identité, ou du moins il essaie. C’est là que la première introspection commence.

Grâce aux différentes relations créées entre les différents protagonistes et Imm, nous pouvons observer un phénomène d’assimilation naturelle s’installer. En effet, Imm est encore cette page blanche sur laquelle chaque rencontre et chaque personne laisse leur marque. Pour le moment, tout au long du premier tome, Imm n’a pas accès à la parole, il ne peut qu’écouter, observer, un peu à l’image d’un nouveau né.

Suivant une logique évolutive, le second tome offre l’aperçu d’une personnalité prenant, petit à petit, forme en lui, mais sans nécessairement être la sienne. Ainsi, un effet de miroir s’installe dans ce deuxième opus entre Imm et l’une des principales protagonistes, March. Imm est perçu comme un personnage solitaire, introverti, presque indifférent, tandis que March est une petite fille bavarde, curieuse et enjouée à l’idée de devenir une adulte accomplie. Cette relation basée sur la complémentarité des personnages ressemble un peu à celle qui peut exister entre un jeune enfant et ses parents. Ainsi, à l’image des professeurs et des parents, ces derniers vont tout faire pour transmettre leurs connaissances les plus basiques comme le langage. March tente d’enseigner à Imm les quelques mots qu’elle connaît tout en faisant abstraction du don unique qui coule dans les veines de son nouvel ami, lui apportant alors bien plus que ce que les adultes de son village ont bien voulu lui donner à elle.
Mais il n’y a pas que cette approche enjouée de la découverte de l’autre qu’OIMA aborde. Au travers de son histoire avec March, Imm, est confronté à une soif de savoir mais va également découvrir des côtés obscures de l’être humain, qui tente de le percer à jour puis de le contrôler, et semblera devoir faire un choix dans son évolution personnelle. 

To Your Eternity, vol 2 © 2017 Yoshitoki OIMA

To Your Eternity, vol 2 © 2017 Yoshitoki OIMA

L’éternel fantasme de l’immortalité

De l’observation de cette créature qui avance dans sa propre histoire, ressort un un atout que nous n’avons pas : l’immortalité. Imm meurt mais possède cette capacité, un peu à la façon d’un phœnix, de se régénérer à partir d’un simple bout de chair et de revivre pour continuer sa route, aussi sinueuse soit-elle.

Nous sommes alors renvoyés à notre propre condition d’être humain. La mort n’existe pas pour notre héros, mais pour nous qui l’observons elle est bien réelle et une certaine symbolique à son égard s’est instaurée en notre sein au fil des siècles. Le design épuré et aéré d’OIMA, focalisé sur son personnage phare lors de ses introspections, permet de renforcer l’immersion, le dialogue entre Imm et le lecteur.

L’identification au héros se fait naturellement, et vient alors notre propre introspection : “Et que ferais-je si j’étais immortel ?

Vaste et très ancienne question. Freud disait “Dans l’inconscient, chacun de nous est convaincu de son immortalité”. Cependant, contrairement aux différents personnages populaires supposés immortels, Imm ne semble pas réellement connaître de point faible pouvant le tuer, ce qui le rend d’autant plus unique. Son immortalité, contrairement à celle d’un vampire figé dans le temps, l’oblige à évoluer et à constamment s’adapter un peu plus à son environnement et à sa condition d’être particulier. Pourtant, malgré ce qui semble le rendre supérieur à son univers, Imm semble assujetti à la mort, passage obligatoire pour poursuivre son évolution. Ainsi, bien qu’immortel, Imm ressemble davantage à une âme, se réincarnant constamment, plutôt qu’à l’immortalité populaire dont les récits fantastiques nous abreuvent.

To Your Eternity, vol 1© 2017 Yoshitoki OIMA

To Your Eternity, vol 1© 2017 Yoshitoki OIMA

La nature, cette divinité impitoyable

Mais il n’y a pas que cet aspect d’Imm qui interpelle.
OIMA a mis au centre de son scénario la nature et la puissance qu’elle évoque depuis toujours dans la littérature et dans la culture, aussi bien occidentale que japonaise. En effet, que ce soit à travers le paysage enneigé du premier tome ou avec l’ours violent du deuxième, elle cherche semble-t-il à interpeller, à peu la façon de MIYAZAKI, sur cet équilibre qui est censé régner à la fois autour mais aussi au sein de l’être humain.

Il est facile de constater, grâce à son univers, à quel point OIMA accorde de l’importance à la nature, qu’elle veut à la fois bienfaitrice mais aussi cruelle et implacable. En effet, elle s’est appliqué à faire naître Imm dans un environnement hostile et impropre à la vie, comme pour le tester, lui et sa détermination naissante. Mais elle s’est également attachée à créer un personnage quasi divin avec cet ours craint de tous pour lequel des sacrifices sont vitaux et qu’Imm se devra d’affronter s’il souhaite poursuivre son apprentissage. Cet aspect du scénario nous renvoie là à nos origines d’êtres humains qui, fût un temps, craignions ce genre de divinité, dans un mysticisme découlant de l’incompréhension totale de notre environnement, qui semblait avoir pouvoir de vie ou de mort sur tout être vivant.

To Your Eternity, vol 2 © 2017 Yoshitoki OIMA

Et la suite alors ?

Alors que les deux premiers tomes semble nous conter une histoire différente à chaque fois, un première prise de recul se dessine à la fin du deuxième volume et nous nous rendons compte qu’il s’agit en réalité de l’histoire d’une vie dans son ensemble. Les premiers chapitres représentent la naissance d’Imm, ce que tout cela implique tandis que les suivants sont sa petite enfance où, par mimétisme, Imm commence doucement à gagner une forme d’indépendance.

Pourtant, après chaque rencontre importante, Imm choisit de ne pas oublier et emprunte l’apparence des êtres qui l’ont marqué, un peu comme une photo qu’il pourrait sortir à n’importe quel moment. 

C’est alors qu’on réalise qu’Imm peut être n’importe lequel d’entre nous. Il avance, il évolue, il grandit comme tout à chacun. La série To Your Eternity n’est alors plus un manga parmi tant d’autres, mais une véritable leçon d’introspection sur nous-mêmes et sur notre relation avec le monde et les créatures qui nous entourent. Sa talentueuse auteure a su créer une oeuvre unique qui amène une réflexion profonde, sincère et naturelle au cours de la lecture.

Car au final, nous sommes tous Imm, OIMA la première.

To-your-eternity

Juliet Faure

Tombée dans la culture japonaise avec le célèbre "Princesse Mononoké" de Miyazaki, je n'ai depuis jamais cessé de m'intéresser à ce pays. Rédactrice chez Journal du Japon depuis 2017, je suis devenue la yakuza de l'équipe. Plutôt orientée RPG et Seinen, je cherche à aiguiser de nouvelles connaissances aussi bien journalistiques que nippones.

2 réponses

  1. 9 mars 2018

    […] chez nous, comme Golden Kamui et To Your Eternity dont on vous a dit le plus grand bien ici et là, où des titres déjà annoncés en France pour 2018 : Chi no Wadachi, L’atelier des sorciers […]

  2. 28 juin 2018

    […] Japon c’est Yoshitoki OIMA, la mangaka des excellents A Silent Voice et To Your Eternity, qui a le plus fait briller les yeux de la rédaction de Journal du Japon, surtout depuis la […]

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