Feel good et tranches de vie, introduction aux récits du nouveau millénaire (2/2)

Suite de notre diptyque sur l’apparition de différentes catégories fictionnelle dans la  pop culture japonaise des années 2000. La première partie expliquait ainsi ce qu’étaient un sabaibu-kei, un sekai-kei ou un isekai, principalement des fictions démesurées avec de l’action et de l’aventure. À contrario, cet article sera dédié à une veine quotidienne de différentes œuvres japonaises (les animes en particulier).

Après un tour d’horizon de différentes tranches de vie, l’article reviendra plus en détail sur un duo de récits très populaire aujourd’hui encore : l’iyashi-kei et le nichijô-kei.

Les séries quotidiennes, un rendez-vous au fil du temps.

Historiquement, le quotidien occupe une place importante dans l’animation japonaise. Cela se remarque à l’impact de séries-fleuve et longues, toujours diffusées actuellement, comme Chibi Maruko-chan, Crayon Shin-chan, Doraemon ou Sazae-san, toutes adaptées de mangas. Malgré le temps qui passe, ces séries restent toujours aussi populaires auprès d’un large public, en particulier Sazae-san dont la longévité en fait le dessin animé diffusé depuis le plus longtemps à la télévision, et ce à l’échelle mondiale.

Sazae-san et sa famille occupent les écrans depuis déjà cinquante ans.

Il ne s’agit pas pour autant de longs feuilletons avec des histoires qui s’étendraient sur des années. La majorité de ces séries nous font suivre un même groupe de personnages qui ne vieillira pas d’un pouce d’année en année. La version télévisée de Sazae-san n’offre même pas la possibilité d’observer les évolutions techniques déployées au fil du temps puisqu’elle n’a jamais été distribuée en vidéo. Pour autant il est aisé de dire qu’elle possède un indéniable cachet old-school, de part ses dessins, ses intrigues ou même ses effets sonores qui détonnent avec les productions contemporaines.

Il existe cependant de nombreuses séries sous forme de tranches-de-vie qui se sont construites de manière feuilletonnesque. La série Touch, qui pourrait être qualifiée de « sportive », s’attarde  autant sur des matchs de baseball que sur le quotidien de ses personnages et leurs sentiments amoureux. L’anime s’avère finalement avoir plus de moments de calme que de scènes de tension pure. D’autres séries vont utiliser le temps long du quotidien pour proposer un récit jouant sur le temps réel. Les animes Magical Doremi et Full Moon wo Sagashite se servent de leurs longues durées (plus de 200 épisodes pour la première et une cinquantaine pour la seconde) pour lier la temporalité de leur histoire à celle de leur public. Ainsi une année scolaire vécue par les personnages de Doremi sera vécue dans le même temps par certains de ses spectateurs et certains épisodes mettront en scène des événements qui correspondront avec le jour de diffusion (les épisodes spécial Noël par exemple).

Cette implémentation de récits du quotidien, qu’il s’agisse d’une routine infinie ou d’une évolution progressive, a permis à différentes formes de récits de se développer. Parmi elles se trouvent notamment deux catégories nommées iyashi-kei et nichijô-kei. Chacune pose une forme particulière de narration dont nous allons maintenant voir les spécificités.

Iyashi-kei : le calme mis en valeur

Alpha, en couverture d’un tome de Yokohama Kaidaishi Kikô.

Saisir l’iyashi-kei revient d’abord à comprendre le contexte dans lequel ces œuvres ont pris de l’ampleur. Iyashi-kei désigne, avant tout, une variété d’objets visant la détente. Le terme était dans la continuité d’une culture américaine New-Age, avec des cures ou des albums de relaxations. Ce qui a médiatiquement été désigné comme iyashi-kei s’est cependant étendu à une large diversité d’objets, certains n’ayant pas été pensés dans cette optique. De même, des personnalités publiques ont commencé à être qualifiées « d’iyashi », comme des actrices ou des gravures idol.

Peut-être est-ce pour ça que l’on retrouve énormément d’héroïnes féminines dans les récits iyashi-kei. Le manga Yokohama Kaidaishi Kikô, qui fait figure de précurseur de ce genre, présente les journées simples et apaisées d’une jeune androïde nommé Alpha. Ce postulat pourrait être banal s’il n’était pas ancré dans un monde post-apocalyptique où, grâce à des souvenirs enregistrés et aux rituels humains perpétués (Alpha continue, malgré le peu de clients, à tenir ouvert son café), la vie continue malgré tout. Reste la mélancolie provoquée par les vestiges d’une civilisation, noyés dans une nature qui a repris ses droits. Ce sentiment lié à un quotidien peuplé de ruines se rapproche du mono no aware, un concept que l’on peut traduire par « le pathos en toutes choses » et qui exprime la compassion éprouvée envers des objets qui nous rappellent le temps qui passe.

Windy Tales, un anime au graphisme atypique.

Yokohama Kaidaishi Kikô montre que, malgré un personnage féminin central, l’iyashi-kei est avant tout une affaire de rythme et de décors lorsqu’il qualifie un récit. Des œuvres fantastiques comme Le Pacte des Yokai et Mushishi sont qualifiées de la sorte pour cette raison, et en particulier dans leurs adaptations animées. Ces dernières présentent des héros rencontrant quotidiennement des yokai, des monstres fantastiques du folklore japonais ; des série que l’on imagine aisément ponctuées de combats rythmés. Elles sont pourtant traitées sur un mode intimiste. Mushishi en particulier va relater des histoires très simples pour bâtir son atmosphère. De même la réalisation va s’avérer importante pour apaiser : Windy Tales décrit la relation entre ses héros et le vent grâce à un tracé franc et des couleurs rappelant la peinture à l’eau, couplés aux douces compositions de Kenji KAWAI.

L’iyashi-kei est donc avant tout caractéristique d’une forme. Sur une base de récit doux et tranquille se grefferont des contextes et des personnages différents. Mais si l’iyashi-kei réussit à se perpétuer malgré des récurrences formelles, c’est aussi parce qu’il ne préétabli aucun univers. C’est pour cela que ces histoires intègrent parfois du fantastique (Mushishi, Le Pacte des Yokai) ou de la science-fiction (Yokohama Kaidaishi Kikô). Une perpétuation qui dure encore aujourd’hui avec des mangas comme Minuscule et Au grand air, tout deux adaptés en anime à l’hiver 2018.

Nichijô-kei : sur le rythme d’une année scolaire

Les héroïnes d’Azumanga Daioh.

Le nichijô-kei est un type de récit au canevas extrêmement réduit, mais à la descendance pléthorique. Le terme désigne les fictions de vie quotidienne d’un groupe de lycéennes, généralement destinées à un public adolescent ou adulte, qui ne servent aucun autre sujet que celui du temps qui passe. Toutefois une série qui intègre la vie quotidienne dans un récit d’aventure ne peut pas être considérée comme du nichijô-kei. C’est pourquoi ses représentants sont majoritairement des histoires légèrement comiques où s’intègre un sentiment mono no aware.

La démocratisation du nichijô-kei s’est effectuée grâce au succès d’Azumanga Daioh, qu’il s’agisse de sa version papier ou de son adaptation télévisée. Leur nombre a aussi exponentiellement augmenté dans les années 2000 avec la parution du Manga Time Kirara, un dérivé du magazine Manga Time spécialisé dans le yonkoma, mêlant ainsi un récit composé de diverses héroïnes à une structure de série en planches de quatre cases. Le magazine a connu de nombreuses déclinaisons, notamment le Manga Time Kirara Carat duquel sont sorties les séries à succès Hidamari Sketch, K-ON! ou encore New Game!.

L’impact du nichijô-kei peut aussi se mesurer par la quantité de séries concernées par le terme. Si ces récits concernaient une faible proportion des animes diffusés dans les années 2000, avec Hidamari Sketch, Lucky Star ou Hyakko, leur nombre va littéralement exploser après la diffusion télévisée de K-On!. Désormais, il est bien rare de trouver une saison d’anime sans nichijô-kei : Anima Yell!, Amanchu Advance, Comic Girls, Slow Start et Yuru Camp (titre japonais d’Au grand air) en sont tous et datent tous de 2018.

Le nichijô-kei reste cependant une catégorie réduite, car elle appelle à une certaine forme de minimalisme intimiste. Même une série comme A Place Further than the Universe, composée pourtant d’un groupe d’héroïnes typique de ces séries, se distingue de ce type de récit en narrant plutôt un périple riche en drames humains. À l’inverse une série comme Nichijô va s’amuser jusque dans son titre de ses liens avec le nichijô-kei pour mieux transformer le quotidien en une farce burlesque.

Dans Nichijô, le cartoonesque s’invite dans la tranche de vie.

Cette proximité avec des héroïnes, parfois totalement isolées d’une présence masculine, peut occasionnellement amener ces œuvres à être critiquées pour leur voyeurisme. Face à un spectacle ne montrant que la vie proche de jeunes filles, avec des personnages qui semblent écrits pour convenir aux canons des animes et du manga, il n’est pas difficile d’être gêné par le supposé regard masculin auquel on semble destiner ces séries. Ces critiques concernent notamment l’aspect mignon, et parfois infantilisé, des personnages féminins. Cependant, il est aussi possible de voir dans cette simplicité un moyen de créer des récits qui diffèrent par leur forme. L’anime Yuyushiki part certes de la refonte d’un club informatique, mais cela n’est qu’un prétexte pour faire divaguer ses héroïnes sur internet au gré de leurs discussions farfelues. Le succès d’un anime comme K-On! auprès d’une audience féminine et la publication française d’Au grand air dans une collection jeunesse achèvent de prouver que ces récits ne peuvent pas être réduits à un regard potentiellement fétichiste.

Le nichijô-kei peut par ailleurs instiler un sentiment proche de celui de l’iyashi-kei, ce qui explique pourquoi les deux vont souvent de paire. Ces récits possèdent cependant un rapport nettement plus intime avec celui qui y sera sensible. Ce dernier verra des héroïnes évoluer au fil des saisons, jusqu’à ce que le lycée se termine et qu’il soit temps de se dire au revoir. C’est pour cela que la cérémonie finale de la deuxième saison de K-On! marque ses spectateurs : pour eux comme pour les personnages, il s’agit de se dire au revoir.

Le paysage, l’autre star de Yuru Camp.

Voilà pour ce tour d’horizon de quelques types de récits parmi les plus fréquents ou populaires de ces dernières années dans le monde de la japanime. Nous espérons que cette introduction vous aura permis de mieux vous familiariser avec ces termes typiquement nippons, et pourtant de plus en plus utilisés aussi dans nos contrées. Et peut être même de vous en faire découvrir de nouveaux.

Bien sûr, certains de ces récits ont déjà commencé à décliner, tandis que d’autres sont peut être aujourd’hui au faîte de leur gloire. Il sera intéressant de suivre l’évolution de leurs popularités respectives dans les années à venir, tout comme de surveiller l’essor ou l’émergence de nouveaux types !

(Cet article se base en partie sur le travail de Joe de la chaine Youtube Pause & Select, dont cette image sert à la fois d’inspiration et de pense-bête)

1 réponse

  1. 7 février 2019

    […] panorama pourrait s’arrêter à ces trois axes, mais il resterait incomplet. Dans un prochain article, nous aborderons des catégories fictionnelles plus apaisantes, mais tout aussi passionnantes. […]

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