Portrait de passionné : les éditions Cornélius et le Japon

Journal du Japon vous fait découvrir les éditions Cornélius, spécialisées dans la bande dessinée, qui propose des titres originaux dans des livres de très belle facture. Leur collection japonaise comprend des auteurs classiques tels qu’Osamu TEZUKA et Shigeru MIZUKI, mais également des artistes moins connus à découvrir d’urgence ! Le directeur de la maison d’édition, Jean-Louis Gauthey, a répondu à nos questions.
 
Edition Cornélius
Journal du Japon : Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de Journal du Japon ?
Jean-Louis Gauthey : Il y a peu de chose à dire sur la période avant Cornélius. J’étais un adolescent qui cherchait un sens à sa vie, ça aurait pu très mal tourner pour moi. Le monde du travail avec ses hiérarchies n’était pas fait pour moi. J’ai analysé ce qui serait le moins problématique, ce que j’aimais faire, et j’ai réussi à combiner métier manuel et monde de l’image grâce à la sérigraphie. J’ai également travaillé dans le secteur du livre en librairie et en diffusion. Ma passion pour la sérigraphie m’a donc amené à l’édition de livres, de BD.
 
Comment se répartissent vos titres entre créations originales, créations « patrimoniales », traductions ?
La maison Cornélius

La maison Cornélius

Cornélius est une maison bien installée qui aura 30 ans en 2021. Un tiers de notre catalogue est consacré à des créations spécifiquement pour Cornélius, un autre tiers est un travail de traduction (avec un gros travail de restauration à partir des originaux), et un dernier tiers est consacré à la réédition d’œuvres du patrimoine.

Nous proposons des grands formats pour des créations contestataires, à la marge, en rupture.
 
Votre collection japonaise propose de nombreuses œuvres d’Osamu TEZUKA et Shigeru MIZUKI, mais aussi des créations d’auteurs inconnus en France, et hors des sentiers battus par leur thème et leur graphisme, loin des mangas « grand public ». La revue Garo était, j’imagine, une ressource précieuse. Comment procédez-vous pour choisir les auteurs et les œuvres ? 

Le manga m’intéresse à titre personnel depuis de très nombreuses années. Je me suis souvent demandé pourquoi certains titres n’étaient pas publiés, réédités. Mais je ne me sentais pas légitime pour me lancer dans la publication, cela me paraissait trop vaste, trop compliqué. J’ai eu la chance de pouvoir lire certaines créations japonaises quand j’étais jeune grâce à une librairie d’import japonais. Quand j’ai vu TEZUKA édité en petit format, je me suis dit que ce n’était pas possible, qu’il fallait faire quelque chose.

Quelques titres des éditions Cornélius (2018)

Quelques titres des éditions Cornélius (2018)

J’ai ensuite rencontré un éditeur japonais. C’était l’époque où il y avait une certaine nippophobie en France, on parlait de l’impossibilité pour un Français de se rendre au Japon, d’incompatibilité des cultures, de barrière de la langue, il y avait même un certain racisme officiel vis-à-vis du Japon. Mais grâce à cette rencontre, je suis allé au Japon et j’ai pris conscience de l’étendue de la BD japonaise. C’était une époque où la BD était également florissante en Europe. J’y ai vu un grand tout mondial.

Mais les éditeurs de manga en France étaient peu informés donc peu informants. J’ai donc fait le choix d’apprendre pendant trois ans, d’aller plusieurs fois par an au Japon, d’acheter beaucoup de livres.
 
Je ne comprends pas le japonais, je me fais aider pour la traduction, mais beaucoup d’éléments de ma culture BD me permettent de comprendre assez facilement le contenu des livres. Je me suis beaucoup documenté dans les musées, auprès de spécialistes. Les Japonais que j’ai ensuite rencontrés m’ont très bien accueilli. Ils ont décelé que j’avais un œil BD, j’arrivais à reconnaître un auteur par son graphisme rien qu’en regardant la tranche d’un livre.
 
Cornélius a donc publié des mangas dans un grand format. Beaucoup se sont demandés pourquoi on faisait du manga, mais beaucoup sont aussi venus au manga grâce à nos publications.Depuis, les grands formats pour le manga sont arrivés également dans d’autres maisons d’édition.
 
La revue Garo est en effet une source inépuisable de découvertes.
Nous échangeons également beaucoup entre éditeurs sur les mangas que nous découvrons, que nous aimons. Le but n’est pas de nous concurrencer, mais de nous compléter (avec le Lézard noir ou les éditions Matière qui publient Yûichi YOKOYAMA).
Mais je garde Tsuge dont je suis un très grand fan !
 
Quel est votre rapport au Japon ?
Je m’y rends souvent et depuis de nombreuses années. Mais je vais peut-être casser l’ambiance en disant que je ne le trouve pas aussi idyllique que ce qu’on peut voir ou lire dans les médias. Je suis plutôt mélancolique. J’y vois une société qui se délite et qui annonce le déclin des sociétés humaines, au Japon et ailleurs. Je le sens fortement depuis une quinzaine d’années. Il suffit d’aller un peu à la campagne, pas forcément très loin de Tokyo, dans la région de Chiba, au bout de la ligne de train. Les habitants vieillissent, les villages se vident, les maisons abandonnées sont remplacées par des champs de panneaux solaires. Sans parler de la catastrophe nucléaire qui est loin d’être terminée.
 
Et aux yôkai ?
Depuis tout petit, les contes me passionnent. Il y a beaucoup de fables françaises qui mettent en scène des créatures fantastiques. Je me plongeais également dans les contes de toutes les régions du monde (Afrique, pays nordiques etc.), grâce à de grands livres qui les rassemblaient en une superbe collection.
Pour les yôkai, j’y suis venu par Shigeru MIZUKI. Il a commencé à les faire apparaître dans ses livres pour s’amuser avec eux. Il a ainsi ressuscité l’intérêt des gens pour ces créatures, puis il s’est consacré totalement à elles en réalisant un véritable travail encyclopédique !
 
Y a-t-il encore des recueils sur les yôkai de Shigeru MIZUKI à publier, alors qu’il nous a quittés fin 2015 ?
Oui ! Shigeru MIZUKI a continué à travailler sur les yôkai jusqu’à la fin de sa vie, et même à s’intéresser aux monstres du monde entier : ceux des autres pays d’Asie (Corée, Chine, Laos, Thaïlande etc.), ceux des civilisations nordiques,  ceux des Amériques, de l’Europe. Mais nous nous cantonnerons pour notre part à ceux du Japon et des régions limitrophes. Le prochain ouvrage sera consacré aux Mononoke, mot ancien pour désigner les esprits, les fantômes.
Nous aurons également d’autres nouveautés japonaises, dont Docteur Toilettes, paru dans les années soixante-dix dans Shônen weekly, un surprenant ouvrage très scatologique !
 
On a hâte de découvrir cela !
 
Journal du Japon remercie Jean-Louis Gauthey pour le temps qu’il a consacré à cet échange passionnant.
 

Deux livres à découvrir parmi beaucoup d’autres

YOKAIDO : Quand MIZUKI revisite HIROSHIGE

Yokaido de Shigeru Mizuki : couvertureDans la série des livres consacrés aux yokai dessinés par Shigeru MIZUKI que publient les éditions Cornélius, le dernier, Yokaido, est un régal pour les yeux ! MIZUKIy revisite en effet les estampes de Hiroshige qui a peint les cinquante-trois stations de la route du Tokaido qui relie Kyoto à Edo (Tokyo). Cinq cents kilomètres, cinquante-trois paysages en gravure polychrome.
MIZUK Iconnaissait les légendes et les yokai de chaque région du Japon. Il lui a donc semblé tout naturel de les intégrer dans les paysages de la route du Tokaido. Estampes d’Hiroshige et yokai sont des piliers du patrimoine japonais et s’associent donc tout naturellement pour produire un ouvrage à la fois sérieux et facétieux. C’est un travail énorme qu’a réalisé MIZUKI, reprenant les techniques traditionnelles de gravure des estampes, mêlant ainsi passé et présent, pour un résultat merveilleux !
On trouve donc de très nombreux yokai sur les ponts, les routes, les montagnes. Chaque yokai se trouve dans son « milieu naturel », comme le kappa dans la rivière. Les couleurs sont franches,avec parfois des fonds plus clairs pour mieux faire ressortir les créatures, les traits des estampes d’Hiroshige sont retravaillés pour leur donner un côté plus moderne.
Il est impressionnant de comparer pour chaque station les deux estampes et de chercher les détails, les nuances, d’admirer l’intégration des yokai à chaque scène, de voir tel yokai prendre la place de tel humain.
On peut aisément passer des heures à admirer les estampes de deux maîtres qu’autant d’années séparent mais qu’un même amour des paysages et du folklore japonais anime !
 
Un très beau livre à regarder sans jamais se lasser !
 

Les fleurs rouges (œuvres 1967-1968) de Yoshiharu TSUGE : gens de la campagne

Les fleurs rouges de Yoshiharu Tsuge : couvertureCe recueil de douze nouvelles met en scène des personnes en marge de la société, souvent isolées dans la campagne japonaise.
Dans beaucoup de ces nouvelles, un avatar de l’auteur arrive dans des endroits « perdus » pour assouvir sa passion de la pêche (de l’omble chevalier dans les torrents de montagne), des bains et des promenades dans la campagne. Il y rencontre des vieux et des vieilles qui tiennent des auberges perdues dans la montagne, un chien qui erre, un homme qui parle aux oiseaux, une femme qui profite de la plage en solitaire, une fillette qui tient une boutique pendant que son père boit, un homme qui s’est échappé de l’hôpital psychiatrique et que les villageois cherchent partout. Autant de vies en marge, oubliées, ignorées. Le portrait d’un autre Japon, bien loin des lumières des villes et de la modernité naissante.
 
Les dessins sont fins, les décors détaillés plongent tout de suite le lecteur dans une ambiance campagnarde, avec maisons traditionnelles, champs, jardins, montagnes et rivières. Les personnages sont bourrus, sauvages, souvent touchants. En deux coups de crayon, une silhouette de paysan apparaît devant une maison.
Des nouvelles comme des tranches de vie, une littérature de l’image que les lecteurs de SÔSEKI ou de KAWABATA seront enchantés de découvrir !
 
N’hésitez pas à aller découvrir sur leur site les nombreux titres japonais que propose cette belle maison d’édition !

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