Aïnou : le peuple autochtone du Japon

Peu connu du grand public, ils représentent pourtant le passé du Japon et même son futur en terme de protection d’une ethnie oubliée et malmenée par les années de colonisation. Intérêt touristique, Journal du Japon vous présente ce peuple atypique, les Aïnous (ainu, ou « humain » dans leur langue), encore présent sur l’île d’Hokkaido.

La nouvelle est tombée en ce début d’année 2019 : le Japon, après des siècles de lutte de la part du peuple Aïnou, va reconnaître ce peuple indigène qui jusque là n’était mentionné nulle part dans les textes officiels. Ce projet de loi a pour but de soutenir financièrement la communauté, mais aussi de promouvoir leurs savoirs faire pour booster le tourisme. Si ce dernier intérêt peut faire sourire, le peuple Aïnou peut tout de même se féliciter de ce résultat, car des terres et des droits (comme celui de pouvoir couper des arbres pour les différents rites) seront attribués. Une victoire pour eux, mais aussi pour le Japon.

Une origine floue et indéterminée

D’où viennent-ils ? C’est une question à laquelle les scientifiques sont incapables de répondre à l’heure actuelle. Plusieurs hypothèses sont élaborées :
descendants de la préhistoire et plus particulièrement de la période Jomon ( de -15000 ans à l’an 400) ils sont de la même ethnie que les peuples indigènes d’Australie. Cette hypothèse est basée sur l’étude d’ossements provenant de la période Jomon.
Ils viennent de Mongolie, ce qui explique leur ressemblance physique avec les peuples autochtones de ce pays.
Ils viennent aussi de Russie. Un mélange d’origine avec les Mongoles se serait produit.
Une autre hypothèse suggère que ce peuple vient d’Europe, se basant sur la physionomie.

Les scientifiques avancent aujourd’hui que le peuple Aïnou est le premier à avoir habité l’archipel japonais.

Une communauté lors du sacrifice d'un ours.

Une communauté lors du sacrifice d’un ours.

Des relations sous flux tendus

Les Aïnous sont mentionnés pour la première fois dans les écrits japonais au 8e siècle, dans le Kojiki, un ouvrage relatant les légendes du pays (voir notre dossier qui lui est consacré, ici). Les écritures utilisent le terme Emishi pour les désigner ce qui signifie « barbare ». Ils vivent à ce moment-là sur l’île d’Hokkaido et au nord du Tohoku.
Emishi désigne les Aïnous, mais également d’autres peuples de cette époque. Ces derniers se sont rapidement adaptés et intégrés au schéma japonais, se mêlant à la population jusqu’à ce les coutumes disparaissent. Les Aïnous, plus au nord, subsistent.

À partir du 12e siècle les Japonais commencent progressivement à s’étendre sur l’archipel, à la conquête du métal pour la confection des bijoux ou des armes, mais aussi petit à petit pour élargir leur commerce.
Les Aïnous sont à chaque fois repoussés, parfois en résistant en vain, d’autres fois en capitulant tout de suite. Une liaison commerciale fragile va tout de même se mettre en place avec les Japonais.

Un homme Ainou pêchant sur la rivière.

Un homme Ainou pêchant sur la rivière.

Les Japonais investissent l’île d’Hokkaido

Le clan Matsumae prend le contrôle de ces liaisons au 15e siècle et s’installe au sud de l’île d’Hokkaido. Des pêcheries sont fondées, elles participent au commerce très prospère du Japon.
Le clan grandit, s’installe durablement en développant l’agriculture.

Les relations deviennent tendues avec les Aïnous, qui se sentent abusés par ce commerce. Une rébellion éclate en 1669, la plus sanglante de l’histoire des Aïnous. C’est Shakushain, le leader du clan Shibechari qui mène le peuple autochtone face au clan Matsumae.
Ces derniers vont réussir à empoisonner Shakushain ce qui va mettre fin à ce combat. Les Aïnous, perdants, voient leur richesses partir dans les mains des Japonais.
D’autres rebellions auront lieu, en vain.

Une répression prend place : les Japonais tentent de changer la culture des Aïnous en leur imposant leurs vêtements, leur éducation et leur religion.
Au 18e siècle les Russes envahissent le nord de l’île, les Aïnous se battent pour leur terre une dernière fois dans la bataille de Kunashiri Menashi. C’est un autre massacre. Le shogun va alors s’intéresser de près à ce territoire afin de faire fuir les Russes il met en place une politique de « rassemblement des peuples » encerclant encore plus la culture Aïnou.
L’île est annexée en 1869 et l’ère Meiji apporte son lot de restriction pour le peuple indigène : interdiction de se tatouer le visage, de parler leur langue avec une obligation d’aller à l’école et d’apprendre la culture japonaise.

Portrait d'une femme Ainou et de son bébé.

Portrait d’une femme Ainou et de son bébé.

Les pratiques se perdent peu à peu, le savoir des anciens se transmettant uniquement oralement.
Les Aïnous doivent être agriculteurs eux aussi et sont employés comme des esclaves dans les champs. Les maladies en tout genre pullules parmi ce peuple, l’alcoolisme gagne du terrain ainsi que la pauvreté.
La résistance n’est plus et la plupart des Aïnous acceptent de suivre le mode de vie Japonais. La disparition est alors proche.

La prise de conscience

Au 20e siècle, avec l’essor du tourisme, les Aïnous sont parqués dans une réserve afin de satisfaire la curiosité des touristes de passage. Beaucoup accepte encore ce sort, car ils estiment que c’est un bon compromis en échange de pouvoir recommencer à pratiquer leurs rites.

Dans les années 30-40 une association est crée : les Aïnous d’Hokkaido. À partir de là, ce peuple voué à disparaître va se battre pour ses droits :
-1968 : la loi de 1899 est revue : les Aïnous peuvent percevoir les aides sociales.
1971 La statue du leader emblématique de l’histoire des Aïnous, Shakushain, est érigée à Hidaka.
1987 : ils sont admis dans le groupe de travail crée au sein de l’organisation des Nations Unis sur les peuples autochtones. Le Japon n’a toujours pas reconnu les Aïnous comme un peuple à part entière.
1997 : Sapporo reconnaît les Aïnous comme minorité ethnique au Japon et encourage la promotion de leur culture dans des centres d’études.

2008 : le gouvernement Japonais reconnaît les Aïnous comme peule indigène du Japon.
2019 : le Japon envisage de reconnaître les Aïnous comme minorité ethnique au Japon.




Un peuple encore peu apprécié

Aujourd’hui l’estimation du nombre des Aïnous à Hokkaido est d’environ 24 000. Il est très difficile de procéder au recensement, car nombreux sont ceux qui ont décidé de se fondre dans la culture japonaise en taisant ses origines.
Les Aïnous subissent encore de la discrimination de la part des Japonais. C’est à l’école que les enfants subissent le plus de réflexion au quotidien.
La volonté des Aïnous est de vivre en harmonie avec leur culture et leur mode de vie, tout en étant intégré à la société.




Le mode de vie des Aïnous

À l’origine chasseurs et pêcheurs les Aïnous ont développé de nombreux outils afin de faciliter leur quotidien. Ils vivent d’échange ou de commerce de fourrures et de poissons.
Les femmes se tatouent le visage à la puberté, mais aussi les bras. C’est une forme de critère de beauté, mais aussi une étape pour le passage à l’âge adulte.

Portrait d'une femme Ainou tatouée sur le dessus de la lèvre.

Portrait d’une femme Aïnou tatouée sur le dessus de la lèvre.

Ils vivent dans un foyer fait de chaume et de paille. Les maisons n’ont qu’une seule pièce avec un feu de bois au milieu où se réunit toute la famille pour les repas. Ils dorment ensuite tous ensemble sur un sol fait de nattes de roseaux. On trouvait ces habitations au bord des rivières principalement, pour l’accès à l’eau et à la pêche. Le poisson constitue la base de leur alimentation avec la viande et les légumes qu’ils cueillent dans la nature, mais ne cultivent pas.

Activité quotidienne devant une maison traditionnelle Ainou.

Activité quotidienne devant une maison traditionnelle Aïnou.

En dehors de leurs travaux quotidiens, les femmes aiment broder et font du tissage. Elles fabriquent notamment des costumes de cérémonies aux motifs censés éloigner le malheur et les maladies. Les hommes eux, pratiques la sculpture sur bois. Aujourd’hui encore le touriste peut acheter une œuvre faite dans les centre d’études Aïnous.

La musique prend une part très importante dans la culture, permettant ainsi de perdurer la tradition. En effet les Aïnous n’ont pas de système d’écriture et tout se fait oralement. Les chants racontent donc des histoires, tristes ou amusantes, mais aussi des leçons de morale pour les enfants. La danse accompagne le plus souvent ces spectacles. Très théâtrale, elle représente un ours pour glorifier la chasse du jour, mais aussi le romantisme d’un mariage ou la tristesse d’un enterrement.




Le village était dirigé par un chef et les mariages s’effectuaient entre les villageois d’un même village la plupart du temps. Ils réglaient les conflits ou les délinquances à l’aide de coût de bâtons. Les meurtriers eux, voyaient une partie de leur corps coupée, comme les oreilles, un pied… Ils ne procédaient cependant pas à des mises à mort.

Aujourd’hui quelques familles continuent de parler la langue des Aïnous. Cependant, suite aux longues années de répression, elle est vouée à disparaître si les futures générations ne s’attachent pas à l’apprendre et la pratiquer.

https://www.youtube.com/watch?v=jR5JFsGTXGw

Moi le touriste, face aux Ainous ?

Il est possible de partir à la rencontre de ce peuple et de découvrir son mode de vie traditionnel.

Le musée d’Hokkaido à Sapporo
Ce musée comprend une grande partie sur l’Histoire des Aïnous avec une reconstitution d’une maison traditionnelle. Le touriste peut aussi écouter des chants traditionnels. Ludique et bien composé, ce musée ne propose cependant que des explications en anglais.

D’ici 2020, un nouveau musée Ainou
Avec une partie en plein air et une partie musée ce nouvel ensemble proposera un village en taille réel avec des Aïnous pour vous accueillir et vous montrer leur culture au quotidien. Ce musée se veut respectueux des valeurs Aïnous. Son ouverture est prévue à l’horizon des JO 2020.

Avec de la persévérance et du courage, le peuple Aïnou a réussi à survivre face à la colonisation de ses terres et offre un modèle aux autres peuples indigènes de la planète, même si quelques progrès de la part des gouvernements restent encore à faire. Les Aïnous ont souffert dans l’histoire du Japon et prouvent aujourd’hui qu’un autre modèle est possible pour cohabiter tous ensemble en se respectant mutuellement.

Madeline Chollet

@mad_ctravel

6 réponses

  1. Sophie dit :

    Merci pour cet article très complet et grandement intéressant. J’avais déjà fait quelques recherches sur les Aïnous pour un exposé dans mon école de langue à Kyoto, mais je n’avais pas poussé ça aussi loin.
    J’espère pouvoir me rendre au futur village-musée qui promet d’être une expérience enrichissante 🙂

  1. 14 juillet 2019

    […] Références : Shoah – Le peuple autochtone des Aïnous. […]

  2. 13 octobre 2020

    […] honorer les nombreux kami (divinités) qui lui ont été associés. Ainsi, son nom remonterait aux Aïnous, une population aborigène, et viendrait de « Kamui Fuchi » (la déesse qui apaise le […]

  3. 31 octobre 2020

    […] du folklore aïnou, donc de Hokkaidô (北海道、ほっかいどう), les Koropokkuru (コロポックル) sont des […]

  4. 15 mars 2023

    […] LES AÏNOUS, plus vieux peuple du Japon Sans doute arrivés de Sibérie avant même l’ère Jomon – à la même époque, ils sont également présents au sud de la péninsule du Kamtchatka et dans les îles Kouriles et Sakhaline – les Aïnous sont mentionnés pour la première fois dans des écrits japonais du VIIIème siècle, sous le terme générique d’Emishi (« barbares »). Eux-mêmes se désignent comme Aïnous (« humains ») ou Utari (« camarades »). Ils vivent alors sur l’île d’Hokkaido et au nord-est de Honshū mais vont être repoussés toujours plus au nord, au fur et à mesure de l’expansion nippone. Au XVème, un clan japonais se développe à Hokkaido, y favorise la pêche et l’agriculture et intensifie le commerce avec l’archipel. Son importance devient telle que les Aïnous, s’estimant lésés, se révoltent en 1669. Mais leur rébellion est écrasée, comme le seront les suivantes. Au XVIIIème siècle, la conquête du nord de l’île par les Russes pousse les shoguns à s’intéresser plus fortement à la région qu’ils ne l’avaient fait jusqu’alors. L’île est finalement annexée au Japon en 1869 et l’ère Meiji s’accompagne de multiples restrictions pour les indigènes : interdiction de se tatouer le visage et de parler sa langue, obligation d’apprendre la culture japonaise (vêtements, éducation, religion…). Dépossédés de leurs terres (loi de 1899 sur la « protection des anciens indigènes »), parfois réduits à l’esclavage dans les champs et victimes de maux importés tels que l’alcoolisme, les Aïnous finissent par s’intégrer de gré ou de force au mode de vie japonais (de même que ceux de Sibérie sont marginalisés par les colons russes). Leur reconnaissance a débuté à la fin des années 1960. En 1997, une loi a été votée pour promouvoir leur culture mais sans les reconnaître comme indigènes, statut contraire au mythe de l’unicité du peuple nippon et susceptible d’alimenter des demandes de réparations financières, voire des revendications territoriales (les leurs et celles de l’ancien royaume des Ryūkyū). Leur caractère d’autochtones disposant de leur « propre langue, religion et culture » a finalement été reconnu, à l’unanimité, par le Parlement japonais en 2008. L’année suivante, un nouveau texte a été voté pour promouvoir des mesures visant à instaurer une société respectueuse de la fierté des Aïnous. Pour en savoir plus : journal du Japon […]

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