Killing et Ne Coupez Pas ! Retour sur le festival Kinotayo

Cette année, le festival Kinotayo a pris ses quartiers au Club de l’Etoile et à la MCJP un peu plus tard qu’à l’accoutumée, pour proposer une nouvelle fois un éventail assez large de films dans des styles très différents.

L’occasion de dresser un petit bilan de cette édition et notamment revenir sur 2 films particulièrement attendus : Killing, soit l’incursion très attendue de Shinya TSUKAMOTO dans le chambara (Ndlr : équivalent japonais du film de cape et d’épée), et Ne Coupez Pas ! Comédie a petit budget auréolée d’un gros succès surprise au Japon.

Killing : l’anti-Chambara

killing

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Un rônin (Sosuke IKEMATSU, déjà à l’affiche du très bon The Tokyo Night Sky is always the Densest Shade of Blue lors du Kinotayo précédent) vivant paisiblement au milieu de paysans dont il assure la sécurité voit la situation brutalement changer suite à l’irruption de plusieurs étrangers dans le voisinage à savoir un groupe de vagabonds patibulaires et un mercenaire qui lui propose de s’engager à ses côtés pour une campagne militaire.

Avec Killing, Shinya TSUKAMOTO continue de creuser plus profond le sillon débuté avec Fires on the plain, lui-même présenté en 2015 au Kinotayo. En effet, comme Fires on the plain était un « anti-film de guerre », Killing est un peu un « anti-chambara ».

Il est étonnant de constater l’évolution du cinéma de TSUKAMOTO. Ainsi, en septembre, lors de l’Etrange Festival, où Killing était déjà présenté, on pouvait découvrir, dans une sélection spéciale 8mm, son court-métrage de jeunesse du réalisateur Tetsuo : Les Aventures de Denchu Kozô. Le contraste entre les deux est saisissant. Et pourtant, qui d’autre aurait pu réaliser Killing ?

killing ©Nikkatsu

killing ©Nikkatsu

Bien qu’on semble s’éloigner du cinéma punk et anarchiste fiévreux des débuts de TSUKAMOTO, on retrouve cette même violence, mais distillée avec parcimonie. Moins épileptique, beaucoup plus sèche, mais finalement encore plus intense car hyper-réaliste, elle explose en de brèves effusions, que ce soit lors des scènes de combats – impressionnantes – ou des scènes de sexe. Eros et Thanatos liées comme c’était déjà le cas notamment dans Tokyo Fist.

La critique sur la société japonaise et sur la violence et la propension à l’autodestruction inhérente à l’être humain était déjà présente dans les films précédents du réalisateur, en particulier Tokyo Fist et Bullet Ballet. Le regard se fait là encore plus acéré et précis à mesure qu’il devient plus mature. On retrouve donc ici cette critique sans concession sur la pulsion de violence de l’homme et sur la peur qui l’habitent, l’empoisonnent et finissent par provoquer sa perte. TSUKAMOTO prend ainsi le chambara à contre-pied et interroge le fait même de tuer, thématique très présente dans le genre. L’instinct de tuer, la vengeance, la peur, la couardise et leurs désastreuses conséquences …

Un film aride et décontenançant pour qui s’attend à retrouver la fièvre et la folie punk des débuts du maître du cinéma cyber-punk, mais une œuvre ultra-maîtrisée aussi bien dans sa forme que dans son propos pour un réalisateur qui continue de nous surprendre !

 

 

Ne Coupez Pas : Faux film d’horreur fantastique, vraie comédie sur le cinéma

Ne coupez pas ©Asmik Ace Entertainment

Ne coupez pas ©Asmik Ace Entertainment

Le tournage d’un nanard zombiesque fauché se voit parasité par l’irruption de véritables mort-vivants. Le réalisateur, excédé par ses acteurs et son équipe, va saisir la balle au bond pour enfin tourner un film à la hauteur de ses exigences. Hors de question d’arrêter la caméra !! Mais est-ce bien tout ?

Gros succès surprise au Japon, le film de Shinichiro UEDA, Ne coupez pas ! a fait le tour des festivals précédé d’une solide réputation. On était donc très curieux de le découvrir.

Autant prévenir, pour toute personne allergique à la série z carton-pâte ou au film de zombie en found footage, One cut of the dead ( Ndlr: son titre international) commence mal ! Aucun des clichés inhérents au fantastique-gore fauché ne manque et on redoute le pire jusqu’à l’arrivée finalement assez rapide d’un générique de fin qui marque en fait le véritable début du film ; faux film de zombie, mais vraie comédie sur le cinéma et les affres de la création.

Ne coupez pas ©Asmik Ace Entertainment

Ne coupez pas ©Asmik Ace Entertainment

Le réalisateur fait siennes les limitations de son budget pour coller au projet et on sent, avec une jubilation certaine, le vécu et les anecdotes de tournages galères, la frustration face aux égos des uns et des autres, bref, toute l’expérience d’un tournage. Des obstacles à transcender pour parvenir à créer quelque chose dont on soit fier, en dépit d’un budget famélique et de la mauvaise volonté de certains. On s’amuse donc beaucoup avec cette version japonaise de Ça tourne à Manhattan/Living in Oblivion au pays des morts-vivants.

Finalement couronné du Soleil d’Or de cette édition du Kinotayo, le film détonne de la grande majorité du cinéma japonais qui parvient généralement sous nos latitudes. A découvrir donc !

 

 

Pour une poignée de films en plus

Si Killing et Ne coupez pas ! étaient certainement les titres les plus attendus, nous avons pu profiter du festival pour découvrir quelques autres productions inédites en France.

Love and Wolbachia

Documentaire qui aborde avec bienveillance un sujet important et généralement occulté au Japon, celui de la communauté transgenre ; une thématique très intéressante donc. Cependant, le film se disperse en brossant le portrait de trop nombreux personnages sans aller au fond des choses, et l’on s’y perd un peu. D’autant plus que la forme du documentaire, à l’esthétique DV peu soignée, finit vite par lasser.

Love and wolbachia

Love and wolbachia

The last recipe

Un chef de génie tombé en disgrâce utilise son palais infaillible pour reconstituer les recettes d’un festin légendaire. Un film commercial sans prétention et proprement mis en image qui se déguste comme un épisode de Top Chef. L’intrigue traîne un peu en longueur et n’échappe pas au pathos, mais on prend plaisir dans la cuisine à découvrir les recettes et leur mise en scène, et c’est déjà pas mal.

Last recipe

Last recipe

Penguin Highway

Aoyama, jeune garçon surdoué, se met en tête de découvrir ce qui se cache derrière l’apparition mystérieuse de pingouins dans sa petite ville.

Un anime familial réalisé par Hiroyasu ISHIDA à l’animation soignée, au style lumineux et aux personnages malicieux. On prend plaisir à suivre cette histoire d’entrée dans l’adolescence qui évoque E.T. Comme dans le film de SPIELBERG, la vie d’un enfant est perturbée par un événement fantastique – ici l’apparition d’étranges pingouins – qui va le forcer lui et ses amis à se confronter à l’incompréhension du monde des adultes. Un film qui mériterait une sortie française !

penguin_highway

penguin_highway

Yurigokoro

Alors que son monde est chamboulé par la disparition de sa fiancée, Ryosuke découvre, dans les affaires de son père, le journal intime d’une femme racontant son passé de tueuse en série. Une découverte qui va jeter le trouble dans son cœur.

un film imparfait mais intéressant. Adaptant une histoire très sombre de l’écrivaine Mahokaru NUMATA, âmes sensibles s’abstenir pendant le premier tiers du métrage, le réalisateur, Naoto KUMAZAWA, livre un film à l’esthétique soignée mais au scénario un peu prévisible. On peut toutefois louer le choix du réalisateur de s’être éloigné de manière plutôt bienvenue de l’histoire originelle dans la conclusion de son film, changeant la morale du film par rapport à celle du roman. Mais le vrai problème du film vient de sa distribution car sii certains acteurs comme Kenichi MATSUYAMA sont irréprochables et parviennent à porter un film assez dur et intense émotionnellement, d’autres, et en premier lieu le personnage principal masculin, plombent le film, le faisant couler par moment dans le ridicule. C’est dommage, car ce film reste intriguant et ne manque pas de qualités.

Yurigokoro

Yurigokoro

Au final, nous avons vu la moitié des films programmés cette année. On peut regretter de n’avoir pu découvrir The Chrysanthemum and the Guillotine le film historique de Takahisa ZEZE qu’on espère avoir la chance de voir lors d’une sortie nationale. Quoiqu’il en soit, le festival Kinotayo reste une occasion précieuse de découvrir en salle, y compris en province, des films qui, en grande majorité, ne seront hélas pas distribués en France, ni au cinéma ni ailleurs. Ainsi, si Ne Coupez Pas ! a bien une date de sortie française fixée au 24 avril prochain, on ne sait pas encore si Killing bénéficiera, lui, d’une diffusion en salle. On croise donc les doigts pour que des distributeurs aventureux jettent leur dévolu sur ces films.

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