Comment le Japon fait face au vieillissement de sa population ?

Une société qui fonctionne et qui voudrait continuer à le faire, en dépit des changements qu’elle rencontre, doit être en mesure de s’adapter. Le Japon, confronté à une augmentation continue de sa population senior, se questionne et se réorganise, à différents niveaux. Nous allons voir, dans ce second article consacré à la problématique du vieillissement de la population, quelles sont les initiatives prises dans les différentes strates de la société nippone.

Couple face à la montagne : Photo de Matt Bennett (Unsplash)

Mesures d’Etat, innovations et un marché du 3e âge porteur 

La question fondamentale, rarement posée directement mais qui est sur toutes les lèvres, pourrait être la suivante : quelle place peuvent occuper les personnages âgées dans un pays en proie à des difficultés économiques et à une baisse continue de ses naissances 

Les pensions de retraite sont insuffisantes et le retour au travail des plus de 65 ans ne résoudra pas la situation de précarité dans laquelle se trouvent plus d’un tiers des seniors. Pour eux, les difficultés sont nombreuses, qu’il s’agisse d’un accès au logement parfois très compliqué pour des raisons assez sordides – le fait qu’ils puissent se suicider ou mourir seuls, ce qui entraînent des frais de nettoyage et des difficultés à relouer la maison ou l’appartement – ou d’un accès très limité à des commerces ou des établissements de santé. Des solutions sont envisageables, et nous verrons par la suite que des idées naissantes laissent entrevoir une issue viable et plutôt positive à ce problème majeur. 

À l’inverse et dans une perspective extrême, la réalisatrice Chie HAYAKAWA imaginait en 2022, dans son film Plan 75, un futur proche dans lequel un programme gouvernemental inviterait les plus de 75 ans à mourir volontairement pour soulager la société nippone. Nous n’en sommes pas là, évidemment, mais cette simple évocation fait froid dans le dos et illustre bien l’urgence à laquelle fait face le pays.

Le secteur de la santé : un terrain fertile pour l’innovation

C’est sur le secteur de la Santé que l’Etat, en association avec les plus grands industriels du pays (Hitachi, Panasonic, Toyota, entre autres), semble à même d’apporter la réponse la plus concrète. Le souhait de la grande majorité des plus anciens est de ne pas passer leurs dernières années de vie au sein d’un hôpital ou d’un centre, mais chez eux ou dans un environnement stimulant et équipé pour leurs besoins quotidiens. Dans ce domaine, le Japon un temps d’avance sur le reste du monde et ses innovations technologiques orientées vers le bien-être des personnes âgées pourraient bien inspirer les pays qui seront bientôt confrontés à une problématique similaire.

Il y a plus de lits de soin au Japon que partout ailleurs… mais le personnel médical vient à manquer et un défaut de 700 000 soignants, d’ici à 2040, pourrait forcer le pays à s’ouvrir à de la main d’œuvre étrangère. Si des nombreux Vietnamiens, Indonésiens ou Philippins sont déjà appelés en renfort et qu’ils pourraient constituer une réserve de travailleurs pour aider les plus anciens à leur domicile, les efforts se concentrent pour l’instant sur les innovations robotiques qui permettraient de limiter le personnel nécessaire par senior à l’avenir. Et les progrès sont impressionnants, sur un marché en plein boom et propice à la créativité.

Main robot : Photo de Possessed Photography (Unsplash)

Pour la nouvelle génération d’ingénieurs, tout reste à faire, et les robots déjà proposés sont de plusieurs types : ceux destinés à soutenir les efforts des médecins et infirmières dans les hôpitaux et ceux – les plus nombreux – dont l’objectif est d’accompagner les personnes les plus âgées directement chez elles ou au sein de maisons de retraite d’un genre nouveau. Dans cette dernière catégorie, on trouve des détecteurs de chute – sur les murs ou au sol – qui déclenchent une alerte en cas d’incident, des matelas facilitant le passage, en autonomie, d’un lit à un fauteuil roulant, ou encore des lits intelligents capables de détecter l’état du patient et ses signes vitaux.

La technologie vise également à lutter contre l’isolement et le manque d’interactions sociales toujours croissants chez les plus anciens, avec des robots à câliner, des compagnons mécaniques qui peuvent interagir avec leur propriétaire en s’appuyant sur les récentes améliorations de l’IA, et des appareils de communication à distance pour faciliter les consultations avec des médecins. Enfin, les nouveautés dans le domaine de la mobilité sont nombreuses, de jambes mobiles pour faciliter les déplacements à des bras robots permettant de saisir des objets lourds ou difficilement accessibles.

Autant d’avancées très prometteuses, qui restent toutefois extrêmement onéreuses pour l’instant. En 2023, on estime qu’environ 1/5 des maisons de retraite disposeraient de matériel issu de ce genre de technologie, avec principalement des outils destinés à la communication.

Le bien-être des seniors est ainsi un secteur marketing porteur, désigné sous l’appellation de Silver Market, et les industriels proposent désormais de larges gammes de produits du quotidien à destination du 3e âge. Si le chiffre le plus éloquent nous apprend que les ventes de couches pour seniors ont dépassé, dès 2012, celles des couches pour bébés, les commerces sont également envahis d’habits absorbant les odeurs, de sacs poubelles dédiés aux couches seniors, de consommables faciles à mastiquer et de plats préparés adaptés aux papilles gustatives des plus âgés, qui se détériorent plus rapidement après 60 ans.

Des décisions plus ciblées avec des résultats en demi-teinte

L’Etat cherche, d’une manière générale, à s’appuyer sur le savoir-faire de ses grandes entreprises pour transformer la société en y incluant les seniors. Mais des initiatives nationales et régionales plus spécifiques sont également de la partie et démontrent que les municipalités les plus touchées par le dépeuplement et/ou l’augmentation d’une population vieillissante au sein de leur territoire, ne comptent pas abandonner leurs citoyens ni se voiler la face vis-à-vis des problèmes découlant de cette situation. Certaines mesures sonnent comme une évidence, quand d’autres paraissent plus drastiques et ne rencontrent pas forcément le succès escompté. En voici quelques exemples.

Lutter contre les accidents de voiture

Sur l’île de Kyūshū, la compagnie ferroviaire JR Kyūshū expérimente un système de billets de train illimités à destination des plus de 65 ans. Pour bénéficier de cette offre, les seniors doivent rendre leur permis de conduire et ils sont alors éligibles à un pass mensuel à 5 000 yens (soit environ 30 euros). Une idée visant à réduire les accidents de la route les plus graves – 16,7 % des accidents mortels ont été causés par des 75 ans et plus en 2022, avec une hausse de 33 % par rapport à l’année précédente – tout en permettant aux plus âgés de se déplacer plus aisément, sans risque. Une mesure adoptée par les villes de Fukuoka, de Kitakyūshū, d’Oita et de Saga, qui semble pourtant rencontrer un succès assez limité.

Les seniors ne semblent pas encore prêts à abandonner l’autonomie que leur confère leur voiture, en particulier quand ils vivent en périphérie ou en campagne. Depuis 2009, les Japonais de plus de 75 ans doivent tout de même passer des tests cognitifs, dont les critères de validation ont été durcis en 2017, s’ils veulent renouveler leur permis. Cependant, plus de 90 % des conducteurs soumis à cet examen le réussissent et parmi eux, certains sont responsables d’accidents par la suite. Le système n’est donc pas irréprochable et l’idée de créer un permis spécial pour seniors, avec lequel ils seraient autorisés à conduire uniquement un véhicule doté d’un système de freinage automatique, est à l’étude.

Combattre les arnaques en ligne

Une autre initiative restrictive ayant pour objectif de protéger les seniors est également en discussion et elle viserait à suspendre les cartes bancaires de plus de 65 ans qui n’en ont pas fait usage lors de la dernière année. Une mesure que certains jugent discriminantes, mais qui répond à un chiffre éloquent : sur le premier semestre de l’année 2023, les pirates informatiques ont volé plus de 100 millions d’euros à leurs victimes et les cibles principales se trouvent évidemment parmi les personnes les plus âgées, plus vulnérables face à ce genre d’escroqueries. Il ne s’agit pour l’instant que d’une suggestion de l’Agence nationale de police qui constate que les campagnes de sensibilisation aux arnaques en ligne, menées depuis quelques années, ne semblent pas porter leurs fruits.

Hommes au restaurant : Photo de Steven Su (Unsplash)

Briser la solitude et faciliter les déplacements

L’exemple de la ville de Toyama, dans la préfecture du même nom, est assez représentatif des bonnes décisions qui peuvent être prises par une municipalité responsable. C’est la ville qui possède le plus haut pourcentage de seniors inscrits dans des clubs du 3e âge et de nombreuses initiatives ont germé dans l’esprit de Masashi MORI, qui occupa le poste de Maire durant une vingtaine d’années, de 2002 à 2021. Il a visité plusieurs pays en vue de puiser dans les meilleures idées à travers le globe, pour les appliquer dans sa ville.

Parmi elles, la création d’une salle dédiée aux plus âgés, où ils peuvent se retrouver pour échanger, partager un thé ou un repas et pratiquer des loisirs en commun, dans l’optique de combattre la solitude qui guette les seniors ; l’installation de chariots pour faciliter les déplacements des plus âgés, en plusieurs endroits de la ville ; des tramways à prix réduit pour les plus de 65 ans, qui peuvent grimper à bord sans effort du fait de l’absence de marche ; la possibilité de visiter les attractions locales gratuitement en étant accompagnés par leurs petits-enfants, ce qui amène à renforcer les liens familiaux. La ville s’est même dotée d’un centre de soin et de bien-être avec un bassin rempli d’eau thermale, comme un onsen, visité chaque jour par plus de 250 seniors.

Toutes ces idées, reçues avec plus ou moins de succès, montrent que des solutions existent et qu’elles peuvent être appliquées aussi bien dans les villes que dans les campagnes, où de nombreux seniors se retrouvent isolés. Les jeunes quittent les zones rurales pour travailler dans les plus grandes métropoles et dans des villages de plus en plus vides, entre les maisons abandonnées et les fermetures de commerce de proximité, les personnes âgées doivent s’organiser.   

Comment les zones rurales s’organisent avec une population essentiellement senior ?

Le quotidien des seniors est évidemment plus compliqué dans les campagnes que dans les villes, du fait d’un manque d’infrastructures et de services. Malgré les tentatives du gouvernement pour repeupler les campagnes japonaises, à coup d’invectives financières, rien n’y fait et les villages fantômes sont de plus en plus nombreux. Les plus âgés, qui refusent de quitter leur terre natale ou d’abandonner leur quotidien rural au profit de villes plus adaptées à leurs besoins nouveaux en termes de santé ou de déplacements, redoublent d’efforts pour conserver leur autonomie dans les villages les plus reculés.

Femme dans un bus : Photo de Launde Morel (Unsplash)

Là où les commerces ferment, certains habitants se regroupent pour rouvrir une épicerie proposant le nécessaire et ainsi permettre aux citoyens locaux de faire quelques emplettes sans aller trop loin. Quand ce n’est pas possible, on met en place des navettes – éventuellement gratuites – qui récupèrent les personnes âgées dans leur village pour les conduire au magasin le plus proche, souvent à quelques kilomètres de là. Et si les déplacements sont impossibles, alors ce sont les commerces qui viennent à la rencontre des seniors. Des épiceries mobiles installées dans des camions en partie réfrigérés font le tour des patelins pour vendre des fruits, des légumes, de la viande, du poisson et quelques biens de premières nécessités aux habitants qui s’empressent, panier à la main, de se regrouper autour de ces magasins ambulants, les jours de passage.

Des comités de volontaires se proposent de faire des visites chez les plus anciens, à intervalle régulier, pour s’assurer qu’ils ne manquent de rien et pour les conduire chez un médecin ou à l’hôpital, quand certains médecins encore en activité, prennent sur leur temps libre pour faire la tournée des patients les plus isolés. Dans certaines zones rurales, on transforme les anciennes écoles, abandonnées depuis bien longtemps, en centre d’accueil pour offrir un lieu de rassemblement aux seniors. Il faut savoir que chaque année, au Japon, 400 écoles primaires ou secondaires ferment leurs portes pour devenir des maisons de retraite ou des centres de soin pour les plus âgés.

Partout où la problématique des personnes âgées se pose, les solutions envisagées visent à permettre aux plus anciens d’interagir avec d’autres personnes et à les faire s’activer. Et il arrive que des nouvelles idées surgissent, avec ces mêmes objectifs, dans un cadre plus restreint.

Les initiatives individuelles les plus inspirantes

Si les gouvernements successifs et les communautés locales s’évertuent à trouver des solutions d’envergures, durables et parfois innovantes, on trouve de belles idées, à même de redonner le sourire, dans les initiatives personnelles d’individu ou de groupe d’individus.

Récemment, c’est le chef japonais Shiro OGUNI qui a fait parler de lui. Soucieux d’apporter un soutien aux malades d’Alzheimer et de prouver qu’ils n’avaient pas être mise au ban de la société, il a ouvert, dans le nord de Tokyo, un établissement dénommé « Le café des commandes erronées« . Le café, qui ne devait être qu’éphémère, est en activité depuis 6 ans et une fois par mois, il emploie des personnes souffrantes de démence. Il n’est pas rare que les commandes qui parviennent aux tables ne soient pas correctes – il y aurait 37 % d’erreurs ! – mais personne ne s’en formalise et c’est ce qui fait la beauté du lieu. Ce concept, primé à l’international dans des festivals récompensant la créativité, permet de mettre en lumière un fléau qui ne va faire que s’accroître au fil des ans. Dans un pays qui considère encore trop souvent les troubles mentaux et autres défaillances psychologiques comme des faiblesses, l’idée ne peut que susciter de la sympathie.

Chef en plein travail: Photo de Dovile Ramoskaite (Unsplash)

À Ono, dans la préfecture de Fukushima, des tests sont conduits depuis septembre 2023 pour évaluer les bienfaits de compétitions d’E-sports sur les facultés cognitives des plus âgées. 70 participants, hommes et femmes, de 65 ans et plus ont été invités à s’affronter sur des jeux vidéo, présentés comme un moyen de réduire les risques d’apparition de démence tout en favorisant l’amusement et le tissage de nouveaux liens sociaux. À terme, cela pourrait conduire la préfecture à installer des consoles dans les lieux de rassemblements de seniors, en libre accès. C’est également une méthode bénéfique pour rapprocher les générations, autour d’un média populaire chez les enfants et les petits-enfants des principaux concernés.

Enfin, on peut citer la création d’une application mobile spéciale senior de la part de la marque Rakuten. Si l’idée reste de fidéliser des potentiels clients, cette app’ permet aux utilisateurs de gagner des points conférant des réductions et avantages variés, aux personnes âgées qui s’activeront le plus. Elle traque l’activité physique, incite à se mouvoir et promeut les rassemblements et les activités sportives dédiés aux plus âgés qui sont organisées dans leurs environs.

Partout au Japon, dès qu’on s’éloigne des plus grandes villes, l’impression d’évoluer dans une société de personnes âgées est flagrante. S’il semble trop tard pour inverser la tendance, on constate que le pays tente d’agir pour ses seniors, dans les domaines de la santé, de la mobilité et du bien-être. Entre les mesures étatiques, les décisions propres à chaque préfecture et les initiatives plus ciblées, les idées ne manquent pas et le Japon pourrait devenir le modèle à suivre pour toutes les nations qui risquent d’être confrontées au même problème, dans un futur plus ou moins proche.

Sources :

Mickael Lesage

J’ai découvert le Japon par le biais d’un tome de Dragon Ball il y a fort longtemps et depuis, ce pays n’a jamais quitté mon cœur…ni mon estomac ! Aussi changeant qu’un Tanuki, je m’intéresse au passé, au présent et au futur du Japon et j’essaie, à travers mes articles, de distiller un peu de cette culture admirable.

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