Tempura Kappô Yamamoto : la tradition kyotoïte par un chef atypique

Le chef Koji YAMAMOTO vient de cette tradition de chefs qui perpétuent les gestes et les techniques ancestrales des Gokakai de Kyoto, génération après génération. Nous avons eu la chance de passer une journée dans son restaurant où il nous a accueilli chaleureusement, et servi un délicieux repas omakase tout en nous montrant chaque étape avec passion, dans la pure tradition de sa ville. Sa spécialité : les tempura officiellement, mais il maîtrise tous les secrets du washoku. Nous avons essayé de les percer un à un.

Un long training dans le cercle fermé des Gokagai

Journal Du Japon : tout d’abord, merci de nous accorder de votre temps aujourd’hui. Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer votre parcours ?

Koji Yamamoto : depuis tout petit j’aime la cuisine. Je regardais faire mes parents, les émissions à la télévision aussi. Ce n’était pas clair dans mon esprit, je voyais ça comme un rêve, mais je voulais devenir chef. C’est à partir du lycée, quand il a fallu décider si oui ou non je devais poursuivre des études universitaires, que je me suis vraiment poser la question : est-ce que je poursuis mon apprentissage culinaire ou je vais à la fac ? Quand mon professeur m’a demandé quel parcours j’allais suivre, j’ai affirmé ma volonté d’aller dans une école de cuisine. Mon professeur m’a suggéré de commencer à travailler. Mais mon cœur était encore jeune, je voulais m’amuser un peu plus longtemps avant d’entrer dans la vie active. J’ai donc attendu un peu. J’ai intégré une école de cuisine. Après ma formation, j’ai contacté un restaurant traditionnel japonais. Ils m’ont formé pendant 5 ans à la cuisine de Kyoto. J’ai intégré une association qui rassemble les chefs de Kyo ryori (cuisine traditionnelle de Kyoto). Au bout de 5 ans, j’ai eu un choix à faire. Pour élever ma technique, est-ce que je pars à Tokyo ? Ou je pousse mes compétences sur Gion ? Je suis allé faire un tour à Tokyo, observer ce qui s‘y faisait. J’ai constaté que ce qui marchait à Tokyo à cette période, c’était la cuisine de Kyoto. Je parle de cela il y a 10 ans. Je me suis dit si c’est comme ça, autant retourner à Kyoto !

J’ai rencontré un Taisho (NDLR : chef de cuisine traditionnelle) à Miyagawa-cho (Kyoto), un des hauts lieux des traditions kyotoïtes avec Gion-kôbu, Pontochô, Kamishichiken et Gion-higashi. Ces 5 quartiers sont appelés « Gokagai » (Le 5 fleurs). Ce sont les quartiers où tu peux apprécier les performances sur tatami des geiko (NDLR : geisha à Kyoto). J’avais déjà 5 ans d’expérience, et j’avais confiance en moi. Mais après un jour passé dans son restaurant j’ai été complètement transporté. Ce chef avait une aura singulière, des choses à m’apprendre. Je suis resté à son service 12 ans.

On arrive à mes 37 ans, il y a 4 ans de cela. J’ouvre mon premier « trop grand » restaurant à Nijo, sans réfléchir (rires).

©️TinaKrys Vidéo YouTube liée à cet entretien avec le chef par Cristina Thaïs

Pouvez-vous nous expliquer comment entrer dans le cercle très fermé des chefs de Kyoto ? Nous avons entendu dire qu’il y a un training de 10 ans à suivre, et que c’est le senpai qui décide que vous êtes prêt à ouvrir votre propre restaurant. Est-ce vrai ?

Ce n’est pas faux. Si tu veux te lancer en solo tu peux, mais il est fortement recommandé de te lancer une fois que tu as l’aval de ton senpai. Dans mon cas, j’ai travaillé 12 ans à Miyagawa-cho ce qui me donne un avantage sur d’autres chefs qui n’ont pas mon parcours. J’ai beaucoup de connexions qui me soutiennent. Certains se lancent après 1 ou 2 ans de training auprès d’un chef. Bien-sûr, ils ont les codes de conduite et ils peuvent travailler. Mais avoir le soutien de tes connexions te permet d’avoir un business plus solide. Par contre, tu as des chefs qui ont un charisme naturel et la capacité d’attirer la clientèle sans ce type de soutien. Je pense que les deux manières sont louables.

Comment expliqueriez-vous le style de votre restaurant à un client qui ne connaît pas ? 

Je dis tout simplement que je fais des tempura. Si je dis tempura kappô (NDLR : Kappô désigne un restaurant traditionnel japonais où le chef sert des plats luxueux au comptoir), mon interlocuteur ne comprend pas de quoi il s’agit. Quand je dois me présenter et qu’on me demande ce que je fais, je réponds simplement « je fais des tempura ».

Vous faites pourtant beaucoup d’autres choses ! Des sashimi par exemple…

Mais si je commence à dire je fais ça aussi, et ça aussi, je peux même vous faire des plats d’izakaya…  ça fait trop d’information pour le client. Par exemple si tu viens au Japon et qu’on te demande « qu’est-ce que tu veux manger ? des sushis ? des tempura ? un yakiniku ? »  si tu ne te définis pas dans une catégorie, tu finis par avoir une image faible, j’ai choisis de me définir par les tempura. Si je dis que je fais du washoku (NDLR: cuisine traditionnelle japonaise), tu en as un nombre incalculable dans le coin !

Quand j’ai ouvert mon premier restaurant à Nijo (NDLR: quartier de Kyoto) j’ai fait cette erreur. Et je n’ai pas été capable de me distinguer des autres restaurants de cuisine traditionnelle kyotoïte. Donc en arrivant à Gion, je me suis défini comme restaurant de tempura. Sous le label « Kappô » tu sous-entends un style de cuisine bien défini (NDLR : ce terme désigne les restaurants qui servent des plats japonais relativement haut de gamme. Principalement utilisé pour désigner des plats tels que le kaiseki-ryori, le chakaiseki et le shôjin-ryori).

Alors que le tempura nous vient de Hollande. Comme cette cuisine est arrivée au Japon plus tard, tu ne peux pas inclure la friture dans la cuisine Kappô. C’est pour cela que j’ai choisi cette catégorie pour me distinguer. Je spécifie donc Tempura Kappô.

Une personnalité hors du commun

©️Le Chef avec sa poudre de sel au curry faite maison, photo Cristina Thaïs pour Journal Du Japon

Quelles sont vos spécialités les plus demandées par les clients ?

Parmi mes tempura, j’ai une spécialité par exemple d’oursin sur un mochi frit à la bonite et bottarga. Tout le monde l’attend dans l’omakase. C’est une pièce qui provoque la surprise, et la plus instagrammable aussi. Il veulent tous le photographier !

Et votre sel à la poudre de curry ?

Il y en a parfois dans les restaurants de tempura. En fait quand je travaillais pour mon senpai, on servait soit du sel tout seul, soit du sel au matcha. Et quand je goûtais le sel au matcha, en fait je me rendais compte qu’il avait juste un goût de sel… le matcha n’avait aucun impact. Ça n’était pas bien différent du sel classique. J’ai aussi goûté pendant mon training le sel au yuzu et le sel à la prune salée… et ils ont tous un goût de sel ! La saveur était très légère. Et moi j’aime beaucoup la poudre de curry. C’est pourquoi j’ai voulu créer ma recette. Et quand tu y goûtes, c’est du curry ! Pas du sel ! Donc je le marie avec les tempura en fonction des ingrédients (NDLR: le chef Yamamoto vend sa propre poudre de sel au curry dans son restaurant).

Pourquoi cuisinez-vous dans un nabe en bronze ?

Le bronze est un bon conducteur de chaleur. Mais je l’utilisais dans mon ancien restaurant. Maintenant c’est de l’aluminium. Le meilleur conducteur de chaleur c’est le bronze. Le pire c’est le fer. L’aluminium, c’est un entre-deux.

Du coup pourquoi avoir changé ?

C’est beaucoup plus simple à utiliser ! Tu contrôles plus facilement la température des tempura.

Quel type de clientèle avez-vous à Gion ?

Des clients âgés et des chefs d’entreprise. Les salary-men c’est rare. Plutôt des couples et de fins gourmets. Mais la majeure partie a plus de cinquante ans.

Les jeunes ne viennent pas ?

Parfois ça arrive, mais c’est rare. Souvent les jeunes ce sont des touristes. Avec la réservation sur internet, c’est devenu plus accessible. Les informations et les prix sont affichés, tu vois à quoi ressemblent les plats.

Et le mot de la fin, quelle est votre spécialité ?

Ma spécialité, c’est de ne pas avoir de spécialité !… ah, ce n’est pas ce qu’il faut dire ? (rires)

Plus sérieusement, servir des plats délicieux aux clients, c’est normal j’ai envie de dire… la préparation c’est normal. La chose primordiale pour moi c’est que dès que les clients passent ma porte leurs épaules se relâchent du stress, qu’ils se détendent, de leur faire un bon repas et qu’ils s’installent au comptoir. C’est ça ma spécialité. Ma spécialité ce n’est pas la cuisine, c’est que les clients ne soient pas nerveux, qu’ils s’amusent tout en mangeant.

Moi aussi j’en ai fait l’expérience ! Au Michelin, par exemple, dans un bon restaurant réputé. J’ai voulu étudier l’endroit… j’étais trop nerveux ! Je ne me souviens même plus de ce que j’ai mangé ! Parce que les serveurs sont si strictes, il y a des codes. Même en les maîtrisant j’étais perdu, englouti dans cette atmosphère. Au final, tu sors de là sans même te souvenir des saveurs. J’en ai fait l’expérience à maintes reprises ! Mon propre senpai m’a enseigné la même leçon : ne laisse pas tes clients se sentir inconfortables. Il me l’a appris depuis bien longtemps. Et c’est pourquoi j’agis de cette façon.

Je ne parle pas de cuisine avec mes clients. Bien-sûr si les clients me posent des questions je vais leur expliquer. Je focus sur le client, il doit passer du bon temps. Certains veulent discuter, d’autres simplement manger. Dans mon restaurant, je m’engage à créer un espace convivial et relaxant en 3 secondes. Dès qu’ils passent la tête par la porte, je les vois d’ici (NDLR: il indique l’arrière de son comptoir). Je leur souhaite la bienvenue avec cette tête (NDLR: il nous fait une grimace avenante et nous montre toutes ses dents) ah entrez, je vous en prie !!  même pour une première visite. De cette manière le client, qui rentre un peu sur la pointe des pieds en se demandant de quel type de restaurant il s’agit, voit un chef chaleureux. Il se dit j’étais stressé mais en fait, je ne suis plus tendu ! Du coup quand il viendra ensuite s’assoir sur cette chaise, il aura un visage détendu. Et de là je lui tends l’Oshibori (NDLR : la serviette humide donnée à la table avant de commencer à manger), je lui demande ce qu’il veut boire en souriant. Je me mets au service du client, je veux qu’il prenne son temps. Je ne veux pas leur donner de mauvaises impressions. Mon objectif est de créer une atmosphère qui me permette de servir facilement ce pour quoi j’ai travaillé si dur et qui permette aux clients de l’apprécier, c’est ça ma spécialité.

Merci au chef Yamamoto d’avoir consacré sa journée à nous montrer ses techniques.

Si lors de votre prochain voyage au Japon vous passez par Kyoto, nous vous recommandons cette adresse nichée au cœur de la tradition, berceau des Geiko et Maiko de la ville. Le chef Yamamoto vous accueillera chaleureuse dans cette petite adresse invisible aux yeux des non-initiés. Il vous offrira une expérience unique et surtout délicieuse dans votre découverte de la ville.

Le prix du menu omakase du midi est de 5000 Yens par personne, le menu du soir est de 11000 Yens. Si vous voulez en savoir plus et réserver, vous trouverez toutes les informations:

Sur la page du restaurant

L’adresse du restaurant: 〒605-0062 Kyoto, Higashiyama Ward, Rinkacho, 472 Higashi Shinbashi Building 4F.

Découvrez les réseaux du chef Yamamoto sur Instagram et TikTok.

 

Cristina Thaïs

Je suis passionnée de culture japonaise. J'aime étudier, comprendre les différences et les complexités de ce magnifique pays, non sans mille contradictions. Je voyage une fois par an au Japon pour le parcourir de long en large. J'ai un point faible pour les expositions, la mode, les cosmétiques japonais, le J-rap et la bonne cuisine locale. J'adore échanger sur ces sujets, alors n'hésitez à me laisser un commentaire! @tinakrys

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