Seniors au Japon : vers une équation insoluble ?

Le Japon est un pays vieillissant et un tiers de sa population est âgée de plus de 65 ans en 2023. Face à des seniors toujours plus nombreux, l’archipel doit se réorganiser, adapter ses services et ses infrastructures et éventuellement repenser son système de retraite. C’est le fonctionnement entier de la société japonaise qui est en jeu et nous sommes en droit de se demander s’il n’est pas déjà trop tard. Dans cette première partie, revenons sur les raisons de la présence d’un si grand nombre de seniors, en faits et en chiffres, et sur les conséquences de cette évolution démographique pour le pays.

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Japonais au passage piéton  : Photo de JJ Ying (Unsplash)

Des plus de 65 ans toujours plus nombreux au Japon

Sur les 124,7 millions d’habitants que compte le Japon en 2023, la part de seniors (plus de 65 ans) s’élève à près de 30 %, soit environ 36,2 millions de personnes. Un chiffre extrêmement élevé, qui fait du Japon le pays avec la population la plus vieille au monde. 10 % des citoyens nippons ont plus de 80 ans et le nombre de centenaires n’a fait que croître au cours des 50 dernières années.

Cette longévité à la japonaise est le résultat de décennies d’efforts centrés sur le bien-être des plus anciens, et d’une alimentation équilibrée qui réduit les risques de maladies cardio-vasculaires et permet au Japon d’avoir un taux d’obésité parmi les plus bas au monde (4 %, contre environ 20 % en France). On vit donc plus longtemps, avec une espérance de vie moyenne de 87 ans pour les femmes et de 81 ans pour les hommes (contre respectivement 85 ans et 79 ans en France), et en meilleure santé. Le système de santé est connu pour son efficacité et il offre d’excellents résultats dans les traitements médicaux physiques. Ce même système de santé qui prend en charge de 70 % à 100 % des dépenses et qui couvre, depuis 2000, toutes les personnes âgées de plus de 65 ans.

À première vue, cet ensemble de chiffres peut sembler particulièrement positif, pour une nation qui voit ses citoyens mourir le plus tardivement possible. Mais en interprétant ces résultats à travers les prismes de la Sociologie et de l’Économie, l’accroissement continu du nombre de seniors dans l’archipel nippon est une véritable bombe à retardement, qui pourrait faire exploser le système économique du pays. Hormis deux baby-boom en 1945-1949 et 1971-1974, le Japon est embourbé dans une crise démographique sans fin et la baisse des naissances se poursuit inexorablement.

L’équation est donc simple : si le nombre d’actifs n’est plus suffisant pour payer les pensions des plus âgés, qui va le faire à l’avenir ? Un véritable casse-tête, dans lequel le système de retraites actuel joue un rôle clef.

Un système de retraite inadapté à la réalité économique du 21e siècle

Le système de retraite japonais est scindé en deux parties : la pension payée par l’Etat (kokumin nenkin) qui est financée par les actifs et qui est fixe. Les cotisations commencent à l’âge de 20 ans et son versement débute pour tous les Japonais à l’âge de 65 ans ; une pension de retraite complémentaire (kôsei nenkin), dont le montant est calculé sur la base du salaire perçu tout au long de la carrière, dans le public comme dans le privé.

C’est un système, créé en 1942, puis modifié à plusieurs reprises jusqu’à sa version de 1961, censé assurer une retraite correcte à toute personne ayant été employé régulier d’une société appliquant ce dispositif, comme de nombreux Japonais actifs jusque dans les années 80. Il était alors fréquent d’entrer dans une société et d’y mener une carrière complète, de se dévouer à ce travail, en échange de la promesse d’une retraite qui permettrait de vivre pleinement après avoir cessé toute activité.

Toutefois, cela pénalise les individus n’ayant pas eu un emploi fixe, les indépendants ou les travailleurs précaires, qui cotiseront moins et percevront donc un revenu complémentaire inférieur. C’est le cas de toute la prochaine génération de retraités nippons, issus de la Génération Perdue, qui ont la cinquantaine aujourd’hui et qui ont connu pour beaucoup une vie professionnelle bien moins stable que leurs aïeux, après l’éclatement de la bulle économique au début des années 90. Leur retraite risque d’être insuffisante pour vivre…comme elle l’est déjà pour une grande partie des seniors japonais. 

Pauvreté et retour à l’emploi envisagé

La pauvreté des seniors n’est pas un problème nouveau au Japon, mais le phénomène ne fait que s’accentuer. On estime, en 2023, qu’une personne de plus de 65 ans sur trois vit sous le seuil de pauvreté (moins de 10 350 euros/an) dans le pays. Et qu’un quart des plus de 75 ans serait dans une situation de précarité. En cause, une pension de retraite payée par l’Etat largement insuffisante pour couvrir les besoins de base de ceux qui la touchent. Le coût des biens essentiels à la vie courante s’élèverait à environ 1 605 008 yens par an (soit 9 935 euros pour une année), et la retraite perçue est d’environ 804 000 yens, soit à peine plus de 7 200 euros annuels.

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Femme agée sur un marché au poisson : Photo de Beth Macdonald (Unsplash)

Les personnes âgées sont de plus en plus pauvres, et les femmes seules restent les plus précaires, puisqu’elles ont gagné moins durant leur éventuelle carrière. À ce sujet, un point fait d’ailleurs polémique, car ce système de retraite est basé sur une organisation traditionnelle de la société. Les femmes au foyer peuvent bénéficier des pensions de réversion de leur conjoint en cas de décès, sans avoir à cotiser au cours de leur vie. Une situation qui est vécue comme une injustice pour celles qui choisissent de travailler, mais qui fait sens actuellement, puisqu’il pourrait s’agir d’un levier efficace pour enrayer le déclin de la natalité en poussant celles qui le peuvent à enfanter en se sachant partiellement couvertes.

Ensuite on croise ainsi de plus en plus de seniors dans le monde du travail, où ils représentent plus de 10 % des actifs. 40 % des plus de 65 ans seraient prêts à reprendre un emploi, même précaire, pour rendre les fins de mois moins difficiles. Le fait de travailler jusqu’à 70 ans ou plus n’est pas un tabou, et le gouvernement facilite la mise en place de contrat à temps partiels pour les plus anciens et prévoit des quotas pour l’emploi des plus de 55 ans. Certains voient même dans ce travail prolongé une façon de garder la santé, comme le révèle une étude de 2005, menée par le cabinet du Premier Ministre, qui montrait que 37 % des hommes et 41 % des femmes au Japon seraient prêts à poursuivre leur activité au-delà de 65 ans, tant que leur corps le leur permettait. Cependant, tout juste un tiers des entreprises seraient enclines à employer des plus de 55 ans, en dehors des emplois les moins qualifiés et donc les moins bien rémunérés.  

Si en théorie, la solution d’un retour à l’emploi des seniors semble envisageable, la réalité du terrain est tout autre. Remettre les personnes âgées sur le marché du travail nécessite de nombreux aménagements, notamment structurels puisque ces travailleurs n’ont plus forcément la même mobilité, ce qui pourrait conduire à des risques accrus de blessures ou d’accidents. Cette conséquence du vieillissement de la population nippone s’intègre dans un ensemble d’éléments plus généraux, qui constitue un défi colossal pour la société.

Les conséquences multiples du vieillissement de la population japonaise

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Vieil homme assis : Photo de Redd F (Unsplash)

Permettre aux plus âgés de travailler pourrait aider à lutter contre l’exclusion des seniors de la société, et à combattre plus efficacement la solitude qui touche de plus en plus cette frange de la population, avec près de 7 millions de plus de 65 ans qui vivraient seuls. Bien qu’on estime que plus de 180 000 individus de 18 à 29 ans auraient un proche âgé à leur charge, le schéma traditionnel et les valeurs d’entraide familiale sont toutefois misent à mal par la nécessité qu’ont les plus jeunes à quitter leur zone natale pour les grandes villes, plus attractives en matière d’emploi et de rémunération. De fait, le pays doit à se réorganiser, en tenant compte de l’impact de cette nouvelle structure sociétale et de ses conséquences sur les autres piliers de son fonctionnement que sont l’Économie et la Santé.

Les dépenses publiques en faveur des plus âgés sont passées de 6 % du revenu national brut, au début des années 70, à 18 % au milieu des années 90. Pour 2025, les estimations font état de dépenses équivalentes à 28 %, pour la santé, les retraites et les aménagements à destination des plus de 65 ans. C’est une des raisons qui place le Japon parmi les pays avec la dette publique la plus élevée, avec un chiffre record de 1 270 000 milliards de yens (soit 8 140 milliards d’euros) en 2023. Face à cela, l’ONU estime qu’il faudrait augmenter l’âge de la retraite, idéalement à 77 ans pour parvenir à équilibrer la balance, ou ouvrir le pays à l’immigration et à la main d’œuvre étrangère et accueillir plus de 17 millions de travailleurs d’ici à 2050.

À côté de ça, le pays doit proposer des structures adaptées à tous ses seniors pour leurs déplacements quotidiens et l’accès suffisant aux commerces, compliqués en zones rurales, pour leur épanouissement et leur bien-être, tout en leur assurant un suivi médical complet et sérieux. Si, pour les problèmes physiques fréquemment rencontrés avec l’âge, les résultats positifs semblent au rendez-vous, ce n’est pas le cas pour les troubles neurologiques de type démence qui touchent 4,6 millions d’individus dans le pays. Un chiffre destiné à s’accroître à mesure que la population vieillit, et qui demande un suivi particulier qui n’est pour l’instant pas le point fort du Japon. En effet, le pays opte encore pour une approche assez archaïque des maladies mentales qui semble en décalage avec les besoins réels de la situation.

L’enjeu est de taille, pour le pays qui a perdu en 2023 sa troisième place sur l’échiquier de l’économie mondiale, après des années de présence dans un top 3 désormais composé des États-Unis, de la Chine, et de l’Allemagne. Si les facteurs sont variés, les problèmes démographiques que rencontre le pays ont fortement contribué à cette chute historique. À l’heure où plusieurs pays d’Europe sont également touchés par un déclin démographique – notamment la Grèce, l’Italie et le Portugal -, il sera intéressant de voir la direction empruntée par le Japon dans les prochaines années pour tenter de remédier au problème, en vue de s’en inspirer ou, en cas d’échec, de suivre un chemin différent.

Les coûts engendrés par l’augmentation de la population seniors obligent le Japon à réagir vite. Si le pays semble avoir anticipé l’impact du vieillissement de sa population dans certains domaines, notamment le suivi médical des plus âgés et l’accompagnement en fin de vie, il reste beaucoup à faire pour garantir, à cette part de population toujours plus élevée, une fin de vie digne. La place des seniors dans cette société changeante reste un enjeu crucial pour le pays et nous vous vous proposons de nous retrouver demain, dans une seconde partie, pour découvrir des initiatives étatiques, mais aussi régionales et individuelles, qui pourraient aider le Japon à effectuer cette transition inéluctable.   

Sources :

Mickael Lesage

J’ai découvert le Japon par le biais d’un tome de Dragon Ball il y a fort longtemps et depuis, ce pays n’a jamais quitté mon cœur…ni mon estomac ! Aussi changeant qu’un Tanuki, je m’intéresse au passé, au présent et au futur du Japon et j’essaie, à travers mes articles, de distiller un peu de cette culture admirable.

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