Agoradventure : recettes et histoires par un cuisinier voyageur

Antoine Floch a eu de multiples vies dans une vie. Derrière ce nom se cachent un joyeux baroudeur hyperactif et passionné qui vous entraîne dans ses aventures.

La cuisine et le Japon sont ses moteurs. Le compte Instagram Agoradventure où il partage ses voyages au Japon, à la rencontre de saveurs et d’artisans, vous donne envie de le suivre. Les Ateliers du Japon, son bébé qu’il a créé avec son mari Lionel, sont l’aboutissement d’années d’aller-retour au Japon, d’étude des saveurs, et des histoires qui les enrobent pour nous offrir le meilleurs des ingrédients locaux, avec un goût de Japon.

Antoine nous a accordé son temps avec beaucoup de gentillesse, et nous a raconté ses expériences, ses saveurs et ses voyages qu’il a regroupé dans un livre de recettes : Japon, recettes et histoires par un cuisinier voyageur. Plus qu’un livre de recettes, il nous donne des clés pour comprendre la culture japonaise au travers de sa cuisine… Car on est ce que l’on mange.

La cuisine comme porte d’entrée culturelle

Journal Du Japon: Merci de nous accorder de ton temps. Peux-tu te présenter pour nos lecteurs ?

Antoine Floch : je m’appelle Antoine Floch, je suis chef de cuisine de formation. Aujourd’hui on me connait un peu plus sous les noms de Agoradventure et Les Ateliers du Japon qui sont deux entités de mon entreprise. D’un côté ce sont des vidéos que je construis autour du Japon à vocation touristique, des choses que j’aime, que j’ai envie de partager sur le Japon. Et l’autre côté, avec mon mari, nous sommes producteurs d’épicerie fine japonaise et franco-japonaise en Bretagne. On réalise des produits faits maison, qui sont liés de très près à la cuisine japonaise et des fois c’est un peu plus franco-japonais, sur des petites tartinades par exemple pour l’apéritif ou ce genre de choses. Ça c’est le cœur visible de l’activité.

©Antoine Floch, Agoradventure

A côté de ça, on travaille avec des artisans japonais pour du travail en France. Là on a eu Maison et Objets, un artisan japonais qui est venu et dont on a créé le stand pour qu’il puisse s’installer ici. On fait des opérations comme ça.

Parfois, on travaille avec des producteurs de matières premières japonaises qui viennent en France. Dans ce cas là, je vais concocter, inventer des recettes à partir de leurs matières premières pour présenter à des chaînes françaises. Il y a aussi des missions de travail au Japon. Pleins de choses comme ça, qui font un lien entre France et Japon, et au final le gros de mon activité n’est pas spécialement visible du grand public.

Comment est née chez toi cette passion pour le Japon et pour la cuisine japonaise ?

Les deux sont un peu liés car mon premier intérêt pour le Japon ça a été par la cuisine, en étant enfant. En gros toute la partie pop culture quand j’étais enfant c’était un peu interdit à la maison. J’ai commencé à m’intéresser au Japon quand j’avais 10 ans et je n’avais jamais vu un manga ou une animation. C’est vraiment par la cuisine que c’est venu parce qu’on est une famille multiculturelle et qu’on a de la cuisine partout à la maison, de tous les pays du monde. Et je ne sais pas pourquoi le Japon m’est resté plus que d’autres pays, dans cet attrait pour la cuisine. En grandissant çà a perduré et j’ai appris un peu plus de choses avec la pop culture, puis après avec de l’artisanat.

La première fois que je suis allé au Japon, c’était pour aller rencontrer des céramistes. Depuis mon intérêt pour le Japon ne fait que grandir puisque j’ai un peu le rôle un peu facile, on va dire entre guillemets « un peu comme toi » de profiter du Japon pour des séjours même à but professionnel, mais sans y vivre…

Mais c’est l’idéal non ? Cela dépend des gens bien sûr. Mais récemment j’ai écouté un podcast de la Maison du Mochi qui interviewait le directeur artistique de la boutique Irasshai (NDLR : épisode 28 Eric Pillault). Il a acheté une machiya à Kyoto et il fait des allers-retours 4 fois par an…

Ca ce serait un peu mon goal…

Moi aussi !

…c’est effectivement d’avoir un point de chute. Afin que, quand je veux y aller, je puisse y aller. Mais je n’ai pas vocation à m’embêter au quotidien avec les parties les plus dures du Japon dont évidemment en général on ne parle jamais au grand public parce que ce n’est pas ce qui est intéressant touristiquement parlant. On s’en moque de savoir que l’administration est chiante ! (Rires)

Et quand tu en parles les gens n’aiment pas forcément l’entendre.

C’est vrai. Mais après j’ai envie de dire, faites des réunions où tout le monde doit se mettre d’accord avant qu’une décision ne soit prise et que la réunion prenne presque 3 mois, et après on en reparle quoi ! (Rires)

Du coup je t’ai interrompu dans ton élan, mais je voulais te demander de nous raconter ton parcours…

Je ne suis pas arrivé à travailler avec le Japon tout de suite au début de mon parcours professionnel. J’ai un petit parcours en sciences que j’ai vite arrêté. J’avais vraiment envie de rentrer dans la cuisine depuis que j’étais gamin, depuis que j’ai 10 ans j’avais envie d’être cuisinier. Quand j’ai eu l’occasion en montant à Paris d’aller bosser dans un restau, je me suis dit : voilà c’est ce que j’ai envie de faire. Je me suis inscrit après dans une école qui s’appelle Ferrandi, une super école de cuisine à Paris. Ca m’a permis de travailler pour des grands noms comme Guy Savoy.

J’ai fait un parcours dans les restaurants, et là je me suis rendu compte que ce que j’aimais fondamentalement c’était la cuisine, et non la restauration. La restauration c’est un des domaines de la cuisine et ce n’est pas celui qui me passionne le plus.

©Antoine Floch

Tout le monde le sait : c’est hyper contraignant, tu n’as pas de vie, tu es dézingué de la tête, tu fais face à des clients horribles… et donc j’avais un peu arrêté ça pour des projets liés à la restauration comme le conseil. Après je suis redescendu à Montpellier, et là j’ai rencontré Lionel mon mari. Comme on est un peu cons tous les deux, on a décidé d’ouvrir un restaurant ensemble (Rires).

On a eu un restaurant gastronomique ensemble à Montpellier. Quand on a acheté le restaurant on s’est dit : on voit au bout de 2-3 ans ce qu’on a envie de faire. Est-ce qu’on a envie ou pas de continuer ou de faire autre chose… Et au bout de 3 ans on a eu envie de bouger. Pour le coup même si le restau marchait très bien, on a vendu et nous sommes partis sur autre chose.

Là-dessus mon projet à ce moment-là était justement de me dire « je vais aller à fond dans le côté japonais » qui prenait de plus en plus de place dans mon travail, progressivement. Et là arrive le covid, ce qui met un petit peu à mal les projets qui étaient prévus au départ. Parce que du coup, sur 2020 j’avais 5 séjours prévus au Japon pour enclencher un travail touristique là-bas.

Evidemment ça ne s’est pas fait. Par contre, tous les deux on est très intéressés par l’artisanat et l’artisanat d’art, et on s’est dit : on va commencer par montrer aux Français des artisans d’art que l’on a rencontré et dont on a apprécié le travail. Certains d’entre eux étaient d’accord pour que l’on importe certaines de leurs pièces pour présenter ce travail-là. On a commencé à faire ça pendant la période du Covid et évidemment mon cœur de métier c’est la cuisine. Je me suis dit autant en profiter puisqu’on construit une nouvelle boîte et que je suis déjà sur les réseaux sociaux… et donc j’ai commencé à faire de l’épicerie fine japonaise.

C’est ça qui aujourd’hui grandit le plus. Même si on a toujours une partie liée à l’artisanat, même si ce n’est pas du tout celle sur laquelle on va communiquer aujourd’hui. Mais, par exemple, il y a dans la boutique du musée Guimet des pièces d’artisanat japonais qui viennent de chez nous, parce que eux n’ont pas réussi à les avoir. Par exemple Maison Tatsumura à Kyoto leur a refusé le fait de vendre directement leurs pièces donc ils sont passés par nous pour avoir des pièces à vendre.

La cuisine japonaise facile

©Antoine Floch, photo extraite du livre

C’est très intéressant ! Du coup, de cette passion est née ton livre. Est-ce que tu peux nous expliquer comment a germé l’idée du livre ? Et le processus pour aboutir à sa sortie ?

Ce qu’il faut voir c’est que dans les métiers de la restauration tu n’as aucune protection des recettes, ça n’existe pas. Les seules choses qui peuvent marquer un peu ton travail c’est de passer par un livre. Ca faisait longtemps que je me disais : j’aimerais bien pouvoir parler soit de mes propres recettes, soit de recettes japonaises que j’aime au travers d’un bouquin. Ca faisait un moment que ça germait, mais le moment où on a enclenché, ça s’est fait vraiment speed ! (rires)

J’ai prévenu Lionel 10 jours avant qu’on démarre le Ulule, la campagne de financement participative. Je lui ai dit ok maintenant je veux faire un livre. J’ai regardé les dates pour que ça marche à peu près, pour qu’on ait une chance que le Ulule fonctionne. En gros on a 10 jours pour monter un projet sur pieds et que ça puisse potentiellement marcher. Sauf qu’en général quand tu regardes les campagnes Ulule, c’est à peu près 6 mois de travail avant par des équipes de communication qui vont monter un projet, qui vont designer ça avec des graphistes etc… nous on est un peu cons, mais on se complète bien dans les métiers.

Comme lui travaille beaucoup sur justement informatique et aussi graphisme et communication dans ses différents jobs au cours de sa vie, ça a pas mal aidé pour sortir le Ulule 10 jours après. C’était un peu fou, et au début ça a un peu galéré, car c’était la période des fêtes, et donc pas du tout une période propice aux levées de fonds participatives. Au final, début janvier Ulule nous a mis en une et dans sa newsletter. Une fois que ça a été fait, en une journée c’était gagné !

Là-dessus on a eu la chance de lever à peu près 47000 € , mais il faut savoir que sortir un bouquin, ça coute hyper cher. D’autant plus que là on voulait vraiment faire tout de A à Z, y compris toutes les photos. Il n’y en a qu’une à l’intérieure qui n’est pas de nous. Ca voulait dire qu’il fallait déjà faire un à deux séjours au Japon pour aller reshooter les trucs que je voulais puisque je ne voulais pas avoir de photos studio à l’intérieur. Le minimum possible.

©Antoine Floch, extrait de son livre

Je voulais que ce soit des recettes certes que je connais, que je sache faire… les recettes qui sont dedans sont des recettes que je fais. Mais je voulais essayer de shooter au Japon pour que les gens aient une bonne impression de ce qu’ils sont sensés avoir dans l’assiette et aussi une bonne impression de ce sur quoi ils vont tomber quand ils vont aller en voyager au Japon.

Je ne voulais pas que ça ait l’air d’un espèce de livre sacré dans un studio très blanc avec des photos recettes parfaites. Si le plat était bon mais que l’aspect est dégueu moi ça me va de mettre une photo de ça, tu vois. Du coup ça a donné deux voyages au Japon et après toute la construction du livre en elle-même, donc en tout ça nous a couté 45000€ de sortir le livre. On s’est dit heureusement qu’on avait levé cette somme là parce qu’en fait ça fait opération 0 (rires). Après on en a imprimé plus des bouquins donc l’argent que l’on va gagner ce sera au-delà du financement participatif.

Mais ça a été une aventure assez folle avec du coup deux séjours sur février-mars et en septembre. Encore une fois on se complète bien, car Lionel a aussi travaillé dans le monde de l’édition. Il sait ce que c’est de travailler avec des imprimeurs. Donc c’est lui qui a fait la maquette du livre. Moi j’ai fait les textes et les photos. Après on a fait relire tout ça, et voilà.

Je sors un peu du cadre là, mais vous n’avez pas eu des problèmes à l’impression avec la crise du papier à un moment donné ? Je ne sais pas si c’est encore en cours mais il y a eu  pas mal de soucis.

La résultante de ça ce n’était pas qu’il n’y avait plus de papier sur le marché, mais le papier était plus cher. Et qu’il fallait le commander en avance. Nous on a définitivement acté avec l’imprimeur toutes les infos sur le livre en juillet pour qu’il puisse commander le papier et pour que tout se déroule bien pour la tête que l’on voulait au final. Par contre après on avait le temps pour rendre la maquette. C’est juste qu’il fallait acter et payer le papier en avance.

Effectivement il faut le faire avec plusieurs mois d’avance. Tu ne peux pas aujourd’hui arriver et dire je veux des centaines d’exemplaires, il me le faut dans une semaine. Ce ne sera pas possible.

©Antoine Floch

Dans le livre, si je rentre dans les détails, tu ne te contentes pas de donner tes recettes, tu les classifies par types de cuisines en apportant des clés de compréhension, un peu d’histoire, des tips… il y a des tips sympas ! Est-ce que tu peux nous expliquer ta démarche ?

Ma démarche était qu’en tant que gros collectionneur de livres de cuisine, je sais quels sont ceux qui ne sortent jamais de la bibliothèque. Et je ne voulais pas un livre comme ça.

D’un côté ça voulait dire avoir des recettes qui sont intéressantes, mais d’un pays où globalement les gens ne connaissent pas grand-chose donc c’est compliqué pour qu’ils se les approprient. Et en plus mon point de départ c’est que je ne peux pas, moi en tant que cuisinier, imaginer des recettes de pays sans comprendre un minimum la culture dont est issue cette recette. C’est pour moi un non-sens car le but d’une recette n’est pas respecter à 1000% les ingrédients et le grammage (en tout cas pour la partie salée, la partie sucrée c’est autre chose). Le but c’est de comprendre l’idée d’une recette, de se l’approprier et de faire ça avec les ingrédients que l’on a proches de chez soi.

Pour faire ça, pour moi ça signifie aussi faire un peu une démarche d’expliquer aux gens ce que pouvaient être certains points de la cuisine japonaise. Et même si c’est un bouquin qui aborde pas mal de choses, c’est très loin d’aborder tout ce qu’on peut trouver sur l’archipel japonais.

©Antoine Floch

Mais j’ai essayé de me dire « ok, comment je peux un peu macher le travail. Je vais sélectionner des chapitres, qui sont pour moi des chapitres assez représentatifs de certains types de cuisine que l’on peut retrouver facilement dans un voyage. Je pars là-dessus et j’en donne une définition, j’essaie d’avoir une approche historique pour expliquer d’où ça vient. » Aussi, et ça c’est par entêtement personnel, c’est pour expliquer aux gens que non le Japon n’est pas une terre isolée du monde depuis 3000 ans où il n’y a eu aucun échange avec aucun pays, et que les Japonais ont tout inventé. Ça n’a aucun sens ! Et à la fin ça en devient presque irrespectueux vis-à-vis des pays. C’est un peu débile, au bout d’un moment, de mettre les gens comme ça dans une bulle déshumanisante.

J’ai essayé d’apporter un peu d’histoire, de parler des échanges avec les différents pays, de montrer comment tout ça se structure, de montrer qu’il y a des choses beaucoup plus modernes que ce que les gens imaginent, et essayer de l’encrer dans une forme de réalité…qui du coup peut être, j’espère, un espèce de petit support à l’organisation de voyages au Japon. Comme ça ce n’est pas qu’un livre de cuisine, mais ça donne aussi quelques idées en tête, quelques clés pour voyager après, et surtout ça donne beaucoup d’adresses car toutes les photos sont légendées avec les adresses des lieux où je les ai prises.

Je vais tout te piquer.

(Rires) Oh oui, et puis j’en ai pleins d’autres des adresses !

J’ai vu ça ! J’ai une question pour toi qui est un peu « bâteau ». Mais j’aime bien avoir le point de vue des gens sur le sujet. Quand on parle d’umami on se retrouve toujours face à un débat : existe-t-il un goût japonais ou non ? Quel est ton avis sur la question ?

Ta question n’est pas bête du tout, parce qu’elle est hyper complexe. Surtout parce qu’il y a eu un petit abattage médiatique de l’umami c’est presque un truc ésotérique. Alors qu’en fait pas du tout. C’est finalement bêtement scientifique, mais dès qu’il y a quelque chose qui touche au Japon il y a une espèce de magie qui intervient. C’est un peu particulier, mais le travail sur l’umami historiquement c’est quelque chose qui existe ailleurs dans le monde, simplement on ne l’appelle pas umami. Disons que la découverte chimique de ce qui se passe est assez récente et s’est faite au Japon. C’est pour ça qu’il y a un mot japonais qui est celui qui s’est exporté le plus.

Mais en réalité, même dans un pays comme la France il y a un travail sur cette espèce de compréhension de ce que donne la sapidité, qui est le mot français en fait. Et ce depuis déjà plus de 200 ans. On est quand même sur quelque chose qui est beaucoup plus universel que ce que l’on imagine. Et également dans le temps. C’est-à-dire que 200 ans c’était hier ! Mais on va retrouver ce travail là aussi sur tout le pourtour méditerranéen à l’époque de la Grèce antique avec tout un travail autour des Garum qui sont des sauces de poisson fermenté de l’époque, et qui résultent de ce même travail en fait.

©Antoine Floch

Donc finalement, il y a quelque chose que les gens comprennent depuis visiblement de nombreux siècles, enfin qu’ils ressentent. Après la compréhension pure s’est faite modernement au Japon et qui aussi a beaucoup de sens puisqu’au final tout un pan de la cuisine japonaise tourne autour de marqueurs qui favorisent l’umami. Ca ressort plus facilement.

Donc à la fois oui et non. Fatalement quand on va manger un peu partout au Japon je pense qu’on perçoit même dans des recettes qui sont assez basiques et qui sont empreintes des pays étrangers, qu’il y a quelque chose de très japonisant, travaillé en tout cas par les personnes dans la cuisine au Japon qui donne un espèce de goût un peu japonais. Donc je peux comprendre cette phrase-là. Après si on prend la réalité historique, et bien non ça n’a pas de sens. L’umami c’est partout et c’est autant dans une viande grillée à la plancha que dans un bouillon dashi. Tout dépend de ce que l’on  envie de goûter à ce moment-là.

Quels sont selon toi les points communs entre la cuisine française et la cuisine japonaise ?

C’est drôle mais je vais réagir sur la vidéo que tu as faite avec Zoey, sur la question du côté sain de la cuisine japonaise (NDLR: vidéo sur laquelle nous discutons avec la YouTubeuse Zoeyvidéos du mythe de la cuisine japonaise saine ici). Et au final je pense que la cuisine japonaise est une cuisine qui est assez riche, assez salée, même assez sucrée. On va dire que les Japonais ne sont pas globalement becs sucrés mais en réalité tu as tellement de sucre caché dans tellement de sauces, dans tellement de plats. T’as du sucre partout quoi !

M’en parle pas, ma belle-mère en fou partout ! Quand je suis rentrée du Japon je ne pouvais plus manger de sucre.

(Rires) Je pense que la cuisine japonaise est assez riche, elle l’est de plus en plus. C’est un point commun avec la cuisine française quand même. Mine de rien, le caractère qu’ont nos deux cultures de ne parler que de bouffe pendant qu’on est en train de bouffer, c’est quelque chose qui se rapproche beaucoup quand même (rires) ! Alors que t’as d’autres cultures ça ne va pas être instinctif, mais là on ne fait que parler bouffe tout le temps.

Après c’est ce que j’aime beaucoup, mais ça c’est quelque chose qu’on voit moins dans la cuisine française parce que la vraie cuisine française comme on l’entend, c’est-à-dire de la cuisine bourgeoise de plats en sauce, de plats travaillés, de terrines, de toutes les pâtes (feuilletés, brisées, etc…) au final tout ça on n’en mange plus beaucoup. On la trouve rarement. Il y a très peu de restaurants de cuisine bourgeoise qui va faire du lièvre à la royale dans un bistrot. Mais si je parle de cette cuisine-là, je vais retrouver des rapprochements avec la cuisine japonaise dans l’intensité de la minutie dans le travail.

Pour que les plats entiers soient bien réalisés, ça demandait par exemple d’avoir dans les cuisines le métier de saucier, qui est un métier qui n’existe plus aujourd’hui. La personne était là pour rendre merveilleux un travail de groupe, et ça allait lui prendre des jours pour aboutir à des sauces convenables pour un établissement. Ca c’est quelque chose qu’on va retrouver. L’abnégation vis-à-vis de son métier, elle existe autant dans la cuisine française que dans la cuisine japonaise. Et ça, c’est intéressant.

Après la cuisine française s’est beaucoup modernisée, beaucoup allégée. Ca n’est plus exactement la même chose mais l’intérêt est plus sincère que dans d’autres pays dans lesquels j’ai pu voyager.

Quand la France épouse le Japon

Je reviens sur les Ateliers du Japon. Vous êtes localisés en Bretagne. Pourquoi avoir choisi la Bretagne ?

Déjà moi je suis à moitié breton à moitié libanais. Mes deux parents sont à moitié bretons à moitié libanais. Mais je n’ai jamais mis les pieds au Liban. Donc c’est un peu particulier.

©Antoine Floch

Mais à la maison, est-ce qu’ils t’ont inculqué des choses ou pas du tout ?

Mon père est né au Sénégal dans sa famille libanaise et ma mère a grandit au Brésil. D’un autre côté on n’a jamais parlé que français à la maison. Mais je ne peux pas dire décemment que mes parents sont les plus représentatifs du français moyen parce que vraiment pas pour le coup ! (Rires)

Il y a des choses qui se transmettent, et beaucoup de ce qui se transmet c’est au travers de la cuisine.

La raison pour laquelle on s’est installés en Bretagne… je reviens au moment où l’on a vendu le restaurant, après il y a eu le Covid. On s’est dit : bon on va faire autre chose. On a regardé des régions qui nous intéressaient. Les deux qui m’intéressais c’est la Bretagne et la Bourgogne. Le fait est qu’en Bretagne il y a beaucoup de matières premières qui sont liées à l’agriculture japonaise. Donc c’est très pratique de faire ça ici, et surtout ici le coût moyen de la vie et le coût d’achat d’une maison est beaucoup moins cher qu’ailleurs en France.

Les Ateliers du Japon ont démarré à Montpellier. Et après du coup la question était de trouver une maison où soit il y a une dépendance, soit il y a de la place dans la maison pour faire une activité professionnelle. On avait besoin de place, et on a fini par trouver une maison en Bretagne géniale qui est très grande et dont on a un étage qu’on a transformé en laboratoire professionnel de cuisine, en espace de stock, bureau, atelier d’artisanat… donc un côté familial, un côté produits japonais, un côté occasion d’avoir trouvé la bonne maison au bon moment, au bon prix…

Vous associez sur les Ateliers du Japon le terroir japonais et le terroir français. Comment est-ce que tu élabores tes recettes ?

Alors, nous sur Les Ateliers du Japon, il faut savoir que mes parents n’habitent pas très loin et ont un peu de terrain. Du coup il se trouve qu’on est aussi en partie producteurs de nos matières premières. On va dire à peu près 50% de nos matières premières ça vient de chez nous directement. Déjà ça va conditionner certains produits que je peux préparer au cours de l’année et qui sont des produits aussi en petites quantité. Ce qui représente la majorité des produits que je cuisine en fait. Après j’essaie de concilier le fait de travailler avec le Japon et de ne pas faire une hérésie écologique en même temps. Donc c’est un peu particulier.

La Bretagne est un super point de chute pour ça, parce qu’on a beaucoup de matières premières ici qui peuvent être liées à la cuisine japonaise. Et on a même une entreprise de katsuobushi en Bretagne (NDLR : bonite séchée). En gros on a 90% de nos matières premières qui viennent de Bretagne. Et dont la moitié qui viennent de chez nous. Il y a 10% qui viennent du Japon, quand je vais voir des producteurs, souvent je vais ramener des matières premières  que je pourrai ensuite insérer dans des recettes.

Après le choix des recettes c’est un petit peu comme j’en ai envie. C’est-à-dire qu’il y a très peu de produits qui sont là tout le temps au cours de l’année. A part la marmelade de Yuzu pour préparer le yuzucha, parce que c’est une marque de fabrique maintenant chez nous et on travaille avec des professionnels qui s’en servent pour pâtisseries et boissons. Donc ça je fais en sorte de l’avoir toute l’année et de produire toute l’année. Par contre le reste des produits c’est « quand il n’y en a plus, il n’y en a plus ». Si je n’ai pas envie de le refaire, je ne le refais pas, je fais autre chose.

©Antoine Floch, extrait du livre

L’année dernière j’ai fait une centaine de produits différents, l’année d’avant j’ai fait 140 produits différents. Je fais un peu comme j’ai envie, comme les voyages m’emmènent. Je vais goûter un truc au Japon je me dis « ça ce serait hyper cool , j’adorerais faire cette sauce ! »  et bien je vais préparer une sauce comme ça. Ou le classique d’avoir yuzu ponzu pour tous les nabe. Au final, moi je me dis mais « c’est cool tu as un yuzu ponzu mais en fait des sauces ponzu tu peux en faire autant que tu veux ! ». Donc du coup j’en ai fait avec d’autres choses. J’en ai fait avec du sakura, avec de la pomme. Après il y a aussi la créativité dedans.

J’aime énormément le travail de confisage traditionnel. Autant français que japonais. Ce qui fait que je vais beaucoup aimer préparer les pâtes de haricots quel qu’elles soient. Et ça a comme lien un manque de gens en France qui le font artisanalement. Surtout pour la shiroan (NDLR : pâte de haricots blancs sucrée) si tu veux trouver un artisan en France qui le fait, globalement… il n’y en a pas. Tu as quelques personnes qui font la cérémonie du thé et qui en prépare en petites quantités pour eux et leurs élèves. Mais sinon derrière tu n’as personne, donc de temps en temps je vais faire des choses comme ça, parce que ça n’existe pas en France.

Mais pour la shiroan, est-ce que tu vas avoir des demandes au-delà des particuliers pour des restaurants ou des salons de thé ?

Oui effectivement. Autant les professionnels que les particuliers, si quelqu’un a une demande d’un produit qu’il aimerait avoir, ça arrive. Ca a été le cas pour un salon de thé à La Rochelle où la patronne m’a demandé si je ne pouvais pas lui inventer un yuzu curd. Elle voulait un curd anglo-saxon mais avec du yuzu parce qu’elle voulait faire une tartelette avec ça. En France ça n’existait pas. J’ai travaillé 2-3 recettes, la 3e c’était la bonne formule. Je lui en prépare régulièrement et de temps en temps j’en fais un peu plus, qu’il y en est aussi sur le site des Ateliers du Japon. Il y a des recettes qui naissent comme ça de demandes particulières.

Si on prend la shiroan, là je vais retravailler la recette puisque je suis en train de travailler avec une maître de nerikiri (NDLR : technique de pâtisserie traditionnelle japonaise wagashi). Il s’avère que c’est une Japonaise qui est installée à Brest, à côté de chez nous dont la maman habite à Kyoto, et elle est maître cérémonie du thé depuis 60 ans. Elle a ramené sa mère chez nous, c’était hyper sympa de faire tester tout ça. On a discuté un peu d’un type de pâte qu’elle aimerait pour ses élèves mais qui lui prend trop de temps à préparer. Moi, quand je prépare shiroan ça me prend une semaine de travail. Donc ce n’est pas quelque chose qui peut être fait comme ça. Ses élèves n’ont pas envie de le préparer ce que je peux comprendre, mais en ont besoin pour s’exercer.

Cela a été le cas aussi pour la sauce tonkatsu, pour accompagner toutes les fritures. En Europe et même au Japon pour 90% des adresses, c’est une sauce industrielle. Il y en a peu qui s’embêtent à faire une sauce artisanale. Du coup là j’en ai fait une et j’en referai à l’occasion.

Pour la dernière question, je te laisse le mot de la fin. Si tu veux ajouter quelque chose, que l’on n’aurait pas aborder.

©Antoine Floch

J’ai quelque chose qui me vient en tête qui complète un peu l’idée du livre, c’est le fait que pleins de recettes japonaises sont très faciles d’accès et que ce n’est pas qu’une cuisine complexe. C’est-à-dire que les gens au quotidien ne sont pas chez eux en train de faire 5 ans d’apprentissage pour faire des sushi. La cuisine du quotidien est nourrie de recettes qui sont très simples et que l’on peut facilement préparer avec des produits que l’on trouve partout en France et inclure dans sa vie au quotidien. Dès qu’on rend une cuisine exceptionnelle en général, on a la flemme de la faire parce qu’on se dit qu’on a pas les ingrédients. Mais avec la cuisine japonaise une fois que tu as 2-3 sauces de bases, 2-3 ingrédients de base tu peux faire tellement de recettes avec ça ! voilà, la cuisine japonaise c’est pleins de recettes simples.

@Antoine Floch

Merci à Antoine Floch de nous avoir accordé son temps avec autant de passion et de gentillesse.

Pour suivre Antoine dans ses aventures rendez-vous sur son compte Instagram: Agoradventure

Pour vous procurer le livre Japon, recettes et histoires par un cuisinier voyageur et en apprendre plus sur la cuisine japonaise, découvrez le site Les Ateliers du Japon et son épicerie fine. Les Ateliers du Japon proposent des produits faits maison, cuisinés à partir d’ingrédients de qualité de France et du Japon, et préparés selon les procédés traditionnels de la gastronomie japonaise.

Cristina Thaïs

Je suis passionnée de culture japonaise. J'aime étudier, comprendre les différences et les complexités de ce magnifique pays, non sans mille contradictions. Je voyage une fois par an au Japon pour le parcourir de long en large. J'ai un point faible pour les expositions, la mode, les cosmétiques japonais, le J-rap et la bonne cuisine locale. J'adore échanger sur ces sujets, alors n'hésitez à me laisser un commentaire! @tinakrys

3 réponses

  1. Sarah /Osara dit :

    Article passionnant et très complet. J’ai encore appris des choses sur Antoine!! Bravo Cristina pour cet article. Sarah ‍

  2. tetoy dit :

    C’est agréable de lire ce genre d’article qui parle de la personne comme si on l’avait en face.
    Je me souviens effectivement qu’au départ ils étaient (Antoine et Lionel) sur Montpellier au moment où je cherchais à me rapprocher à nouveau de cette ville. Leur parcours est beau et à encore beaucoup à voir dans l’avenir !
    Merci pour cet article 🙂

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