Delcourt / Tonkam #2 : 2020-2024, des années bien chargées !

À l’occasion de la rentrée littéraire, nos interviews des éditeurs de manga sont de retour… Et pas avec n’importe qui ! Nous recevons en effet dans nos colonnes, Pascal Lafine, un passionné d’animation japonaise et de manga depuis plus de 40 ans et dont le CV a quelques belles lignes : co-fondateur d’Animeland, sélectionneur et dénicheur des dessins animés au Club Dorothée pendant de nombreuses années, co-fondateur des éditions Tonkam et aujourd’hui directeur éditorial de la maison d’édition Delcourt / Tonkam. Et ce n’est qu’une infime partie de toute ce qu’il a pu donner, toujours avec passion, au développement du manga et de l’animation japonaise en France.

Après avoir évoqué dans la première partie le parcours de Pascal Lafine – et celui des animes et des mangas en France – dans les années 70 à 90, passons aujourd’hui à la seconde partie de notre entretien, qui couvre les années 2020 à 2024 et les évolutions du marché français du manga. En plus des succès de l’éditeur pendant cette période et d’un premier bilan sur le webtoon, nous accueillerons aussi Julien Pierre, l’éditeur derrière la collection Moonlight, qui nous parlera de cette dernière.

Encore pas mal de choses à dire – et à lire !

Et retrouvez la première partie de l’interview ci-dessous avant de vous lancer dans la seconde :

2020-2022 : Le rebond du marché du manga

Journal du Japon : Après ton parcours passons à ton travail, ces dernières années, de directeur éditorial pour le manga de Delcourt/Tonkam et pour le webtoon de Kbooks. Comment as-tu géré la période 2020-2022 : le covid et le chaos qui est allé avec, puis l’explosion des ventes ?

Pascal Lafine : En 2020-2021, ce sont les deux années où j’ai le plus travaillé. D’abord parce que je préparais tout ce qui concernait le webtoon et puis en même temps je préparais la refonte de Delcourt/Tonkam. Il y avait beaucoup de titres sortis qui n’avaient pas de suite ou dont la publication était annuelle, car ils ne se vendaient pas. Donc j’ai préparé le retour ou l’arrivée de plusieurs titres.

Plus globalement, je dirais que je n’ai pas vu passer les années 2019-2020, ni 2021, 2022 ou 2023. En toute honnêteté, je n’ai repris un rythme normal qu’en 2024.

Cela fait une sacrée période en effet !

Il faut dire qu’il y a eu quelques surprises, aussi. Si je prends l’exemple de Vagabond : nous en avons plus vendu depuis les 5 dernières années que depuis sa création.

C’est étonnant en effet, les autres éditeurs parlent souvent de blockbusters qui ont explosé après le covid, Vagabond n’a pas forcément ce profil-là.

Encore aujourd’hui il reste dans le top 10 des mangas qu’on vend le plus… Mais c’est récent, et c’est pareil pour Nana. Nous en avions déjà vendu beaucoup, mais depuis 5 ans nous en vendons énormément.

Nana, il faut forcément que je te pose la question : pas d’info sur l’auteure, sur une possible fin, un jour ?

Je comprends ! Nous travaillons actuellement sur la sortie des deux coffrets limités, réunissant les 21 volumes et imprimés à partir des fichiers numériques japonais.

Et pour Nana et Vagabond par exemple, à quoi tu attribues ça ? À un retour vers les classiques ?

C’est difficile de savoir, il y a des périodes et des cycles pour certains mangas. C’est la même chose pour Jojo par exemple. C’est une licence sur laquelle j’ai beaucoup — beaucoup ! — souffert pendant longtemps parce que ça ne se vendait pas. Mais vers octobre 2021 ou 2022, je ne sais plus, nous avons atteint un million d’exemplaires vendus.

Ah oui, sacré décollage !

Mais le plus marquant, ce n’est pas ça. C’est que, un an plus tard, nous avons atteint 2 millions d’exemplaires vendus. Les ventes se sont accélérées sur cette période avec une force et une vitesse phénoménales.

Beaucoup d’éditeurs m’ont dit que c’est ce qui a cartonné à la sortie du covid qui souffre maintenant, depuis 2023 et en ce début 2024. Est-ce que c’est vrai pour les titres que tu évoques ?

Non, pas vraiment pour nos mangas. Ils continuent de bien fonctionner, de bien se vendre. Je dirais plutôt que dans l’édition, globalement, comme 2021 et 2022 ont été des années exceptionnelles et hallucinantes, nous revenons à un état normal. Nous sommes encore largement au-dessus de 2019, qui était déjà une bonne année. Quand tu gagnes beaucoup, tu peux oublier que ce n’est pas la normalité, que c’était exceptionnel. Donc plusieurs éditeurs ont un peu de mal à revenir à ce rythme plus classique.

Ce qui est plus problématique par contre c’est que, pendant cette période bénie, il y a eu beaucoup de nouveaux éditeurs qui sont arrivés sur le marché du manga et une augmentation du nombre de sorties. Certains ont beaucoup de mal à trouver leur place aujourd’hui. Les anciens éditeurs ont repris leur marque après cette vague, mais pour les nouveaux c’est plus difficile, surtout ceux qui ont pris des risques avec des livres pas chers ou des choses hallucinantes en fabrication, ou avec des cartes…

Quand tu te construis sur une telle vague, la décrue est difficile…

Surtout que les prix du papier et de l’impression ont augmenté de 40 % depuis la période d’après covid. Fatalement plusieurs éditeurs ont dû augmenter le prix de leurs mangas, mais, même avec cette hausse des prix, ils sont encore justes quant à leur marge.

La collection Moonlight

2020 c’est aussi le lancement de votre nouvelle collection, Moonlight…

En réalité, le point de départ de Moonlight remonte à plus loin que ça : c’est Our Summer Holiday, l’histoire d’un enfant qui fait du foot et qui rencontre un jour une petite famille d’enfants, abandonnés par leurs parents, mais qui continuent à vivre dans leur petite maison en essayant de cacher ça aux autres. On est dans ce type de titre, à part et atypique, sur la vie des adolescents et jeunes adultes. Des titres qui sont parfois teintés d’un certain blues.

Justement, et là je me tourne vers Julien Pierre, l’éditeur responsable de la collection… J’ai deux questions : comment sont sélectionnés les titres ? Est-ce que vous piochez plus dans certains magazines ou éditeurs japonais que d’autres ?

Julien Pierre : Tout d’abord, je recherche des titres qui suivent la ligne éditoriale de Moonlight : des titres mélancoliques, avec des histoires touchantes, qui chatouilleront la sensibilité des lecteurs. C’est bien entendu le « contrat » de départ de la collection Moonlight. Mais j’essaie de ne pas trop me répéter dans chaque publication afin d’éviter de tourner en rond et de lasser les lecteurs. Ce serait dommage de ne publier que des histoires d’amour par exemple, même si c’est un thème qui fonctionne particulièrement bien. Je sélectionne donc les séries en cherchant à ouvrir le catalogue, tout en restant cohérent. C’est ainsi qu’on peut trouver chez Moonlight une certaine diversité : nous passons de la romance au récit post-apocalyptique, d’une réflexion sur la valeur de la mémoire à un thriller, d’une réécriture d’Alice au pays des merveilles à un récit apaisant où nous en apprenons un peu plus sur la cuisine traditionnelle japonaise, etc. 

D’un point de vue pratique, je fonctionne de plusieurs manières : je scrute les catalogues des éditeurs japonais, fouille les librairies japonaises quand j’ai la chance de m’y déplacer, et écoute les recommandations de nos agents et partenaires japonais. Sur le papier, je ne privilégie pas particulièrement un éditeur plus qu’un autre. Le genre de titres que je publie dans Moonlight n’est pas toujours évident à trouver (même si la richesse de la production japonaise ouvre un éventail de possibilités tout de même important) il faut donc être alerte sur un maximum de catalogues. Mais force est de constater qu’une affinité se développe avec certains partenaires plus que d’autres. Ainsi il devient plus facile de développer mon catalogue grâce à ces partenaires « privilégiés » : plus j’achète de séries chez eux, et mieux ils comprennent l’identité de Moonlight et peuvent nous faire des propositions pertinentes. 

Cette collection a donc un certain historique et plusieurs années au compteur. C’est une collection que nous apprécions beaucoup dans l’équipe, faisant mouche presque à chaque fois chez nous. Mais quel bilan dressez-vous de votre côté, que ce soit sur le volet éditorial ou commercial ?

Julien Pierre : Nous fêterons déjà les cinq ans de Moonlight début 2025 !

C’était assez excitant à l’époque de lancer cette collection, tout était à faire ! Définir un début de catalogue, communiquer autour de ce « concept » qui propose de ne plus classer les titres en genres, mais plutôt en émotions, convaincre les lecteurs et les acteurs de la chaîne du livre… Mais je dirais que je suis encore plus excité aujourd’hui, car j’ai vraiment l’impression d’avoir trouvé une voie pertinente et intéressante pour publier des mangas et des light novels. Je pense que j’ai bien réussi à proposer cette diversité de livres dont je parle plus haut et les partenaires japonais comprennent désormais bien l’esprit de Moonlight, chose qui n’était pas évidente au début de l’aventure. Éditorialement, je suis donc vraiment très heureux du catalogue, je suis fier de chaque série qui le compose !

J’ai beaucoup de retours très positifs (comme le vôtre par exemple, merci !), ce qui m’encourage et me motive chaque jour. Une communauté de lecteurs qui a confiance en Moonlight et qui suit chaque publication de la collection s’est construite au fur et à mesure, cela fait chaud au cœur ! D’un point de vue commercial, je suis plutôt satisfait des ventes de la collection, il y a beaucoup de belles réussites, mais bien sûr aussi quelques ratés, cela fait partie du jeu ! Il y a toujours une petite frustration quand une série dont nous sommes persuadés de la valeur et de la qualité ne trouve pas son public !

Le genre de livres que je publie dans Moonlight n’est pas tellement un genre où nous pouvons retrouver de gros best-sellers qui plafonnent en haut du top des ventes, il faut donc aussi dealer avec ça, même si Moonlight peut davantage aujourd’hui qu’il y a 5 ans se positionner sur des titres à plus fort potentiel. C’est cet équilibre que j’aimerais développer à l’avenir : trouver de belles locomotives qui tireraient la collection vers le haut en termes de ventes, et continuer à dénicher des petites pépites, peut-être plus confidentielles, mais au potentiel émotionnel élevé ! 

À noter tout de même un petit bémol : Les light novels n’ont pas encore trouvé leur public, il reste encore beaucoup de travail pour réussir à les porter jusqu’à leurs lecteurs, c’est un axe de développement à travailler !

Merci pour ces éclaircissements Julien ! On en profite pour encourager nos lecteurs qui ne connaissent pas la collection à faire un tour dans l’article ci-dessous pour en savoir plus…

Ou à découvrir notre dernier coup de cœur, une romance musicale du nom de Studio Cabana :

Pascal, au vu de ce que dit Julien (et toi juste avant), je me dis que c’est une collection qui aurait plu à Dominique Véret…

Pascal Lafine : Exactement ! Et en fait, il y avait peu de titres comme ça, chaque éditeur en avait parfois, mais un ou deux, maximum. Les éditions Ki-oon avait A silent Voice par exemple. Alors nous nous sommes dit pourquoi ne pas faire une collection avec ces mangas qui charrient de la mélancolie, une certaine nostalgie de l’enfance et de l’adolescence aussi.

Après il faut savoir que le manga bouge énormément. Avec le temps, il y a des tendances qui évoluent, comme avec l’isekai que nous avons eu à toutes les sauces. En ce moment par exemple se développent des mangas et des animes autour du bien-être : il n’y a pas vraiment d’histoire, mais on va te parler du temps qui passe, du quotidien, etc. En anime, tu vas avoir une caméra qui va simplement se balader dans un quartier… ou en manga, une jeune fille va arriver dans un nouvel appartement et elle va petit à petit l’aménager, rencontrer ses voisins, quelque chose de plutôt chouette et positif. En juin de l’année prochaine, nous allons publier Rooms de Senbon Umishima qui est dans cette mouvance.

C’est vrai qu’en tout cas Moonlight est né de ce type d’idée, de suivre un courant du manga.

Le webtoon : des débuts chaotiques ?

Pascal, basculons sur un autre lancement lors de ces dernières années dont tu t’es particulièrement occupé… Kbooks a maintenant quelques années au compteur : 2 en ce qui concerne les sorties, mais beaucoup plus si l’on parle du projet. Entre la fermeture de Verytoon, la plateforme numérique de webtoon, et les deux années de sorties de Kbooks, quel bilan dresses-tu sur ce marché du webtoon, encore très jeune ?

Alors il y a plein de choses à dire là-dessus. J’ai été assez militant sur ce secteur en expliquant qu’il fallait faire attention, mais je n’ai pas dû être entendu.

J’expliquais que le webtoon vit exactement la même chose que le manga il y a 30 ans. Il y a 30-40 ans, le comics était roi pour les ados. Quand les premiers mangas sont arrivés en France, ils ont été vendus au format comics.

Akira par exemple, sa première version en couleurs : c’est à ça que tu penses ?

Oui, par exemple. On les retrouvait dans des libraires qui faisaient pas mal de comics comme Album, mais pas à la Fnac, à l’exception de Dômu. On les trouvait presque exclusivement dans des boutiques spécialisées qui faisaient, jusque-là, surtout de la BD américaine.

Cela a retardé, d’une certaine façon, l’essor du manga parce qu’il a fallu du temps pour que le manga se détache du comics. Au départ, les gens étaient persuadés que si tu aimais du comics tu aimais forcément du manga. Alors que si tu aimes les comics, tu aimes surtout ça et c’est si tu es ouvert que tu vas lire des mangas à côté.

Pour le webtoon c’est pareil : le webtoon c’est une nouvelle génération de jeunes qui vont aimer la K-pop, la K-food, etc., mais pas forcément des fans de manga. Les fans de mangas qui sont ouverts vont lire des webtoons, mais ce format s’adresse principalement à un nouveau lectorat à venir. Le manga a mis 30 ans pour devenir ce qu’il est aujourd’hui et des éditeurs pensent qu’ils peuvent faire aussi bien en seulement 3 ans. Tout le monde s’obstine à vouloir vendre du webtoon à des lecteurs de mangas.

On retrouve ce genre d’amalgame ailleurs de toute façon : quand tu regardes un match de foot sur Canal +, à la mi-temps tu vas avoir un résumé des matchs de boxe. Comme c’est du sport, on pense que si tu aimes le foot tu vas forcément aimer la boxe. C’est un amalgame qui peut paraître étrange et pourtant on fait un peu la même chose avec le webtoon et le manga.

Mais ça ne fait que retarder le succès et ça peut même le tuer puisque c’est ce qui est arrivé avec le manhwa, dans les années 2000, qui n’a jamais réussi à décoller.

En plus, le webtoon est un format qui est générationnel : les jeunes s’y identifient aussi en opposition avec ce que lisent et aiment leurs parents, ça devient leur format à eux. La génération manga s’est identifiée à ce dernier par rapport à la génération d’avant qui était plutôt BD comics, qui elle-même se démarquait de la génération d’avant, tournée vers les sixties et les Fumettis, etc.

Il y a tout un cycle comme ça où il y a forcément des oppositions entre les générations, et ça va même plus loin que ça : dans la génération précédente, le Japon et les mangas se sont opposés et émancipés des États-Unis. Dans l’après-guerre il y avait au Japon pas mal de magazines de prépublication avec des comics ; aujourd’hui cela n’existe plus. Maintenant, c’est la Corée qui essaie de faire de même avec le Japon. Historiquement, ça se tient tout à fait.

Donc c’est pour ça qu’il faut faire attention et laisser au webtoon et à son lectorat la place pour se démarquer, et prendre son envol.

Avec le temps, chez les adolescents, et au moins en France, la K-pop a justement pris son envol et a réussi à damer un peu le pion à la J-music, et on peut retrouver ça aussi dans le cas des dramas, même si on parle ici de deux marchés de niche.

Effectivement, mais ce public est généralement lecteurs de webtoons et beaucoup sont d’anciens lecteurs de mangas qui ont débuté par-là, mais qui sont passés à autre chose. Ce qui est logique : tu consommes quelque chose parce c’est tout ce que tu as sous la main, mais dès que l’on te propose autre chose qui te plaît plus, qui te parle plus et en plus qui t’appartient… la bascule se fait assez vite.

Donc il y a une certaine logique dans ce cycle.

Et c’est là-dessus que se sont construits Verytoon et Kbooks

Complètement. Lorsque nous avons lancé Verytoon, cette logique nous paraissait avoir du sens. C’était quelque chose de neuf, une relecture de la BD qui avait pour moi beaucoup de potentiel, pour renouveler la bande dessinée en France grâce au webtoon, qui permettait aussi de créer des magazines en ligne. En effet, tu mets 10 mois à faire une BD franco-belge donc si au fur et à mesure tu peux proposer chaque mois des planches en exclusivité ça me paraissait avoir du sens.

Après ce qui a commencé à mettre le bazar, c’est que tous les gens qui avaient raté le wagon du manga se sont dit : « On ne ratera pas le wagon du webtoon » et ils se sont jetés dedans sans réelle stratégie ni vision. Ils sont en train de tuer ce phénomène, car on se retrouve à faire en deux ans pour le webtoon ce que le manga a mis 30 ans à faire : c’est-à-dire que nous arrivons déjà à ce moment de saturation où tu ne sais plus quoi acheter parce que tu as trop de choix.

Si on prend l’exemple du manga, il suffit de remonter en 2014, qui était une année assez significative : on croulait sous les parutions, rien ne sortait vraiment du lot et tu ne savais pas quoi acheter…

2014, c’est justement là qu’on a touché le fond du trou à propos des ventes après plusieurs années de baisse, au premier semestre, avant de commencer à rebondir au second puis plus nettement en 2015.

Voilà. Eh bien le webtoon en est un peu là actuellement… Parce que tout le monde s’est mis à vendre tout et n’importe quoi sans réfléchir… et même en Corée de toute façon, ils sont aussi responsables, car ils ont vendu à des prix exorbitants, ce qui poussait les éditeurs à publier très vite derrière pour avoir un retour sur leurs investissements.

Dans cette logique-là, plusieurs plateformes se sont créées alors que deux plateformes comme Delitoon et Verytoon auraient suffi pour un marché comme la France.

Est-ce que la fermeture d’une plateforme comme Piccoma moins de deux ans après son arrivée, ainsi que le désenchantement que doivent connaître certains éditeurs qui se sont lancés dans le webtoon, permettent de commencer à avoir ne serait-ce qu’un début d’éclaircie sur ce marché ?

Non, pas encore. Je pense que nous ne verrons pas d’éclaircie avant la fin de l’année prochaine.

Le temps que les catalogues se vident un peu, en fait ?

Oui, il y a trop de titres qui ont été achetés par beaucoup d’éditeurs. Ils sont obligés de sortir les titres donc la surexposition va continuer, mais les titres eux ne vont pas forcément se vendre. Donc il faut attendre la fin de 2025 : les séries vont commencer à se finir et les éditeurs ne vont pas racheter de titres ou en tout cas pas autant parce qu’ils perdent de l’argent.

Certains vont même, sans doute, complètement arrêter, car ils ont tenté le webtoon sans chercher plus loin donc, si ça ne fonctionne plus ou pas aussi bien que prévu, ils n’auront pas la volonté de continuer.

Il faudra sans doute attendre 2026 afin que l’on entre dans une nouvelle ère où le webtoon pourra progressivement devenir une BD à part entière, comme ce fut le cas pour le comics ou le manga.

Mais pour ça, il faudra aussi que le genre se renouvelle. Le manga n’aurait pas pu tenir que sur Dragon Ball par exemple. Le manga perdure parce qu’il y a ensuite eu Naruto, One Piece, Fairy Tail et d’autres qui ont suivi. Il faudra que le webtoon parvienne aussi à trouver ce chemin-là.

2023-2024 : quel atterrissage chez Delcourt / Tonkam ?

Pour revenir sur le manga et avancer dans notre interview, finissons avec l’année 2023 et ce premier semestre 2024. Sur cette période, le marché a ralenti : comment s’en sort Delcourt-Tonkam ?

Jusqu’en 2023, ça allait très très bien. À partir de 2024, nous avons subi les baisses de ventes comme tout le monde. Pour autant, ça continue d’aller, c’est juste que nous essayons de nous stabiliser pour reprendre un rythme normal.

Nous dressions aussi ce constat sur les tops ventes au Japon : il y a eu Demon Slayer, Jujutsu-Kaisen, Tokyo Revengers, mais après…

Pour le moment, il n’y a pas encore de renouvellement. À part Kagurabashi, il n’y a pas de gros phénomènes.

Nous sommes dans un creux de cycle, comme nous en avons déjà connu plusieurs au Japon.

Exactement, mais ce n’est pas inquiétant, car les Japonais sont des génies sur ce point et savent se renouveler ou trouver un énième souffle.

Néanmoins, sur 2023 et ce début 2024, quels ont été vos bonnes surprises et vos succès ?

Nous avons déjà évoqué Vagabond sur 2023, dont nous avons vendu vraiment beaucoup d’exemplaires. Il y a eu Darling in the Franxx aussi, qui a été un mégacarton qui s’est vraiment très bien vendu. Les Junji Itō forcément puisqu’il y a eu la vague sur cet auteur que l’on évoquait plus tôt dans l’interview. (NDLR, dans la première partie de notre interview, ici)

La saga Jojo continue elle aussi de bien se porter. Nous venons de démarrer Jojolion et c’est celui qui a fait le plus fort démarrage parmi toutes les saisons de Jojo chez nous. Comme nous sommes sur notre année Jojo nous sortons plein de livres en édition limitée : les romans, les magazines. Je précise bien « série limitée » pour éviter que les gens ne se réveillent trop tard et pleurent parce qu’il n’y en a plus de disponibles.

C’est le principe d’une série dite « limitée ».

C’est le type de livre qui nous impose ce modèle économique, car ils sont chers à fabriquer donc si tu tires trop d’exemplaires tu perds rapidement tout ce que les ventes t’ont permis de gagner… et si tu n’en tires pas assez tu ne peux pas gagner assez d’argent pour faire d’autres ouvrages. C’est un équilibre compliqué à trouver qui nous impose ces séries limitées… D’autant qu’il ne faut pas aussi oublier l’un des fléaux des éditeurs qu’est le stockage des livres : tu paies le stockage des livres eux-mêmes, tu paies même des impôts sur ton stock.

Ça va de pair avec les soucis que pose le système actuellement : le pilon et l’impression « au plus juste »…

Malheureusement oui, pilonner les livres finit par coûter moins cher que de les stocker. Et attention à l’impression au plus juste : quand il s’agit des petites quantités, les frais par livre sont plus importants et tu ne peux pas en faire plusieurs de suite.

Prenons l’exemple de séries qui ne marchent pas bien au début, mais qui se retrouvent, pour x raisons, à cartonner plus tard. Ça arrive lorsqu’une adaptation anime est diffusée, quand une émission parle de l’un de tes livres. Ce n’est pas si fréquent, mais ça arrive.

Au premier tome, tu lances ton titre donc tu en fabriques pas mal. Puis, comme ça ne se vend pas beaucoup, tu diminues le tirage au deuxième tome, qui souvent se vend encore moins, donc tu diminues à nouveau la quantité pour le tome 3. Et puis au tome 5, ça se met à cartonner… Mais tu n’as pas plus de tomes 2 ou 3 en circulation. Ça reste donc un équilibre compliqué à trouver ou à corriger.

Enfin, en 2024, est-ce qu’il y a eu d’autres bonnes surprises ou des succès ?

Cette année, il y a Blue box qui marche très bien. Pas autant que nous le voudrions vu la popularité du titre, mais ça fonctionne tout de même très bien.

Mais tu sembles aimer assez ce titre pour avoir envie qu’il fonctionne encore mieux, c’est ça ? Qu’est-ce qui fait que tu lui reconnais ce potentiel ?

C’est un magnifique équilibre entre vie sentimentale, vie sportive et slice of life. Cela rentre dans une belle continuité de romcom qui compte des titres comme Vidéo Girl, Kimagure Orange road, I’ll

Et pour finir, notre interview sera publiée en pleine rentrée littéraire. Peux-tu nous dire ce que tu attends de cette fin 2024, voir du début de 2025 chez Delcourt/Tonkam ?

Que les gens aient envie de découvrir ou redécouvrir les histoires courtes de Rumiko Takahashi avec la sortie du coffret contenant La Tragédie de P, Le Chien de mon patron, Un Bouquet de fleurs rouges, Les Oiseaux du destin et Le Dîner de la sorcière.

C’est noté. Merci pour tes réponses et ton temps.

Ainsi se termine cette longue interview de Pascal Lafine et de Julien Pierre, avec lesquels nous aurions pu aborder encore de multiples sujets. Mais ce n’est que partie remise, pour d’autres interviews avec d’autres éditeurs.

Vous pouvez d’ailleurs retrouver notre interview éditeur en suivant ce lien : #interviewéditeur . Pour ce qui est de l’actualité des éditions Delcourt/Tonkam, vous pouvez vous rendre sur leur site web ou encore les suivre sur les réseaux sociaux : Facebook, X, Instagram, Tik Tok

Enfin ne manquez pas, si vous êtes amateurs de webtoon, une petite sélection qui viendra clore cette thématique, publiée à 17 h dès demain dans nos colonnes !

Interview réalisée en juin 2024 puis finalisée fin aout 2024.
Des grands remerciements à Pascal Lafine, Julien Pierre et Solène Ubino !

Paul OZOUF

Rédacteur en chef de Journal du Japon depuis fin 2012 et fondateur de Paoru.fr, je m'intéresse au Japon depuis toujours et en plus de deux décennies je suis très loin d'en avoir fait le tour, bien au contraire. Avec la passion pour ce pays, sa culture mais aussi pour l'exercice journalistique en bandoulière, je continue mon chemin... Qui est aussi une aventure humaine avec la plus chouette des équipes !

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