Jardin d’été, de Shinji Sômai : Le meilleur film de 2025 a déjà trente ans.

Trente et un ans même, puisque Jardin d’été, est sorti, à l’origine, en 1994. Onzième long-métrage du regretté Shinji Sômai, il est, grâce aux efforts du distributeur Survivance, à découvrir pour la première fois en France à partir de ce mercredi, dans une sublime version restaurée.

©YOMIURI TELECASTING CORPORATION & SURVIVANCE

Des enfants et un vieil homme, trente ans après

Après Déménagement en 2023, et Typhoon Club en 2024, les équipes de Survivance continuent leur travail de réhabilitation de celui qui est peut-être l’un des réalisateurs japonais les plus importants de sa génération et qui fût emporté par un cancer en 2001, à seulement cinquante-trois ans. Des treize-films qu’il a réalisés, Jardin d’été est l’antépénultième, et le troisième à trouver le chemin de nos écrans. Il y a, il faut le dire, quelque chose de particulièrement touchant à le découvrir dans une version restaurée alors même qu’une grande partie de son histoire, précisément, tourne autour de la réparation et de la restauration d’une maison. Mais avant d’y venir, plaçons le décor, et les personnages.

À Kobe, Yamashita, Kiyama et Kawabe sont amis. Et, après que le premier se soit absenté de l’école quelques jours pour enterrer sa grand-mère, ils s’interrogent sur la mort. Pour en apprendre plus sur le sujet, ils décident d’espionner un vieil homme vivant seul dans l’espoir de le voir rendre son dernier souffle. Une mission qui les occupera tout au long des vacances d’été. Le vieillard, reclu dans une maison aux airs de ruine, plantée au milieu d’un jardin qui n’a plus été entretenu depuis des lustres, a tout d’un ermite, et toute la première partie du film est consacrée à sa filature par les trois enfants, détectives en herbe aussi maladroits que déterminés.

Cinéaste et enfants en mouvement

Dans ce premier tiers, déjà, on retrouve la manière de filmer de Sômai, avec de longs plans séquences tellement naturels qu’on les oublierait presque. Sa caméra flotte autour de ses personnages, accompagne leurs mouvements et dévoile autant les dynamiques au sein du groupe que la façon dont les trois enfants habitent le monde. Une façon définitivement espiègle. De la scène d’ouverture du film, un match de foot sous la pluie, au retour de l’un d’entre eux à l’école après son absence, les trois garçons semblent pris en un jeu permanent. Ils se bousculent sous la pluie malgré l’injustice de leur professeur, s’interpellent à grand renfort de mégaphones, et, même quand ils se mettent en tête de « voir un mort », c’est avant tout motivés par un désir d’aventure. À plusieurs reprises, et à chaque fois dans des plans à la composition parfaite, Sômai les mets en scène suspendus au-dessus du monde, que ce soit dans un métro aérien baigné par la lumière dorée du crépuscule – un plan qui a lui tout seul justifie que le film soit vu – ou en équilibre sur la margelle d’un pont au-dessus d’une route. C’est comme si en eux bouillonnaient deux forces, une envie de jeux et d’aventure, et, face à elle quelque chose de plus grave.

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Au croisement de ces deux forces, leur filature du vieil homme est alors une affaire de contraste. Il y a leurs pas légers, la façon dont ils escaladent les murs, courent de tous les côtés, furètent, impatients, dans les rayons d’un supermarché. Et puis il y a, à l’inverse, la démarche lente et hésitante du vieillard, vieille souche avachie devant sa télé et qui ne sort que rarement, trainant la patte le temps de quelques courses. Deux rythmes que, pourtant, Sômai accorde à l’écran, toujours plus créatif dans sa façon de réunir dans un même cadre les trois garnements et le vieil homme.

Cultiver son jardin, ses amitiés et sa joie

Sans grande surprise, c’est donc à l’intersection de ces deux façons d’être au monde diamétralement opposé que Jardin d’été déploie son deuxième tiers. Dans le jardin du titre, au cours de la saison éponyme, le vieil homme et les enfants s’apprivoisent, et se lancent dans la rénovation de la maison du premier. Si on retrouve dans ce second pan du film tous les topos de l’été japonais, on en retient, surtout, l’impression de joie et de légèreté qui déborde de chaque plan ou presque. C’est d’ailleurs la grande force de Sômai. Il n’ignore pas la tristesse. Il la met en scène même, et la capte dans des regards et dans la façon dont ses personnages peuplent ou non ses cadres. Dans une scène particulièrement touchante, il offre l’abri d’un parapluie à l’un de ses jeunes protagonistes, qui dévoile sa blessure ainsi, dans le cadre, et pourtant en hors-champ, ou presque. Non, Sômai n’ignore pas la tristesse, il la dévoile, puis la conjure par une nouvelle image ou une nouvelle idée, assez solaire pour éclipser la noirceur. Et c’est à cette logique que répond tout le film, son troisième tiers inclus. Dans ce dernier, l’Histoire s’invite, et si elle n’alourdit pas Jardin d’été, si elle ne le transforme pas en un drame total, elle ajoute un degré de lecture supplémentaire à un film déjà riche, qu’elle achève de transformer en chef-d’œuvre. Elle est une tristesse qui l’habite sans le parasiter ni le condamner.

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Au moins aussi espiègle que ses protagonistes, Sômai s’amuse des attentes de son spectateur. Il se permet une séquence horrifique aussi réussite qu’inconséquente dans la narration, invite des personnages secondaires et s’en débarrasse sans remords ou filme certaines scènes avec un vieux caméscope … Jardin d’été est un film virtuose dans sa forme, mais qui n’oublie pas pour autant d’être ludique. En cela, il épouse parfaitement le plaisir que prennent les enfants à travailler à donner une nouvelle jeunesse au jardin, à la maison et à son habitant. Et c’est ce qui le rend si fort. S’il capte à merveille le sérieux que mettent les jeunes gens à transformer chaque moment de leur été et chaque étape de la réparation de la maison en une grande aventure, c’est précisément parce que, comme eux, Sômai ne transige pas avec le jeu.

Le film d’un virtuose

Sa caméra, dans Jardin d’été, semble glisser. L’omniprésence des plans-séquences donne l’impression que chaque scène flotte quelques centimètres au-dessus de la réalité. Une impression à laquelle la lumière du film, souvent chaude, n’est pas étrangère. Et si elle donne la sensation d’avoir à faire à un condensé d’été, ça n’est pas sa seule fonction. Évidemment, en se liant d’amitié avec le vieillard, les enfants lui insufflent une nouvelle vie. Ce faisant cependant, ils transforment sa maison en théâtre. Théâtre de leurs jeux d’enfants, d’une part, mais théâtre, aussi, dans lequel renaissent les souvenirs du vieil homme. Et, comme ses personnages équilibristes et tendus par des forces contraires, le film fleurit précisément dans la façon dont ces deux récits se rencontrent. On s’en convainc aisément en regardant l’une de ses plus belles scènes, dans laquelle les enfants écoutent le vieillard raconter sa vie, leurs visages se reflétant, déformés, altérés, dans les fenêtres de la maison qu’ils ont contribuées à réparer.

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Dans ses moments les plus forts, Jardins d’été fait donc résonner les jeux des enfants avec la vie de leur nouvel ami. La chanson qu’ils fredonnent, éloge de la marche, trouve un écho dans l’un de ses souvenirs. Les silhouettes de leurs corps flottant dans l’eau rappellent une histoire qu’il raconte et leurs aventures deviennent un vaisseau pour sa mémoire. C’est par le jeu que les enfants dévoilent ce qui était caché. C’est par le jeu qu’ils libèrent le vieil homme, à tous les sens du terme, et, enfin, c’est par le jeu qu’ils rendent possible le dernier tiers du film, et sa terrassante beauté. C’est par le jeu, aussi, qu’ils grandissent et répondent aux questions qu’ils se posaient.

Au terme de ses quelques 113 minutes, Jardin d’été laisse le spectateur sonné, autant par la beauté plastique de ses dernières images, que par les émotions qu’elles charrient et par la force d’évocation de son montage sonore. Véritable célébration de l’été, de l’enfance, de la joie, et de l’aventure, le onzième film de Sômai se termine comme il a commencé : suspendu dans la lumière, la pluie derrière, la vie devant.

On comprend aisément, en voyant Jardin d’été, pourquoi tous les grands réalisateurs japonais contemporains, de Kore-eda à Hamaguchi en passant par Kurosawa aiment tant le cinéma de Sômai. Riche, beau, humain, drôle, il semble réunir toutes les qualités. Déménagement en 2023, Typhoon Club en 2024 et Jardin d’été en 2025 ? Vivement 2026 et le prochain ! 

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