Sword Art Online : la transversalité pour maître-mot

 Véritable saga de romans, Sword Art Online a fait l’objet de multiples adaptations, en dessin animé ainsi qu’en manga. Ces derniers mois, les éditions Ototo ont lancé en grandes pompes la version manga de la série, suivies de près par leur jeune sœur, Ofelbe, avec le premier arc du roman de Reki KAWAHARA intitulé Aincrad. Là où, habituellement, le lecteur n’a affaire qu’à un manga et son animé, l’ajout de ce nouveau maillon à la chaîne de la création change radicalement la donne en fournissant un moyen supplémentaire d’approfondir la compréhension de l’univers déjà bien complexe de Sword Art Online. L’occasion rêvée de faire le point sur la licence…

 

Sword Art Online, un jeu pas comme les autres

SAO se situe dans un futur proche où l’évolution technologique a donné naissance au Nerve Gear, permettant l’immersion complète du joueur dans l’univers virtuel. De la même façon que les joueurs de notre époque sont aux aguets de la sortie du prochain grand jeu de l’année, les utilisateurs de Nerve Gear guettent eux aussi le premier jeu qui leur permettra d’utiliser de façon optimal ce nouvel accessoire de jeu. Son nom, vous l’aurez deviné : Sword Art Online !

Au delà d’être le premier MMORPG (ou Massively Multiplayer Online Role Playing Games) en immersion complète, SAO possède deux autres particularités bien plus terrifiantes : il n’est pas possible de se déconnecter du jeu tant que le boss final n’a pas été battu, et contrairement à ce qui se fait habituellement, la mort y est… Définitive. Si les points de vie d’un joueur tombent à zéro, le Nerve Gear grillera le cerveau du joueur. Les propos d’Akihiko Kayaba, le concepteur du jeu et du Nerve Gear, sont simples et clairs : « Vous êtes bien dans un jeu vidéo, mais vous n’êtes plus la pour jouer. » Comme on peut l’imaginer, les réactions sont diverses et variées, et les sceptiques ne tardent pas à tomber comme des mouches. D’une certaine façon, c’est largement compréhensible dans le sens où il n’est pas possible de vérifier la véracité de ses propos. Qui nous dit qu’en mourant, on ne se réveille pas, tout simplement ? Ce comportement ne concerne cependant qu’une minorité de joueurs, et tandis que certains préfèrent attendre que les choses se tassent, à l’abri des murs de la ville de départ, d’autres prennent le parti de jouer selon les règles. Défaisant boss après boss, ils parviennent en deux ans au 74e étage, sur les 100 qu’est censé contenir le jeu. C’est à partir de ce point que débute Aincrad, la première épopée de Kirito, un joueur solitaire, et d’Asuna, sous-chef de la puissante guilde Knights of the Blood. Que cache donc cette expérience macabre ? Quelles sont les motivations de Kayaba ?

 

Trois supports pour un récit

Que ce soit en manga, en anime ou en roman, l’intrigue reste strictement la même pour chaque arc, selon la logique implacable qui pousse chaque maison d’édition japonaise à miser sur la transversalité pour toucher un maximum de monde. En France, c’est d’abord – et surtout – l’anime qui a fait connaître la série, notamment grâce à la promotion très active de Wakanim pour la première saison. Il s’agissait d’une de leurs premières grosses séries, et devait donc sonner comme un présage pour la jeune plate-forme de distribution d’animes. Au final, Wakanim aura diffusé les deux saisons, agrémentées de projections dans divers cinémas parisiens, comme à son habitude. Elles couvrent au total cinq arcs : Aincrad, Fairy Dance, Phantom Bullet, Calibur et enfin la side story Mother’s Rosario.

D’un point de vue thématique, Sword Art Online s’intéresse de près à l’apparition de la réalité virtuelle et des implications que pourraient avoir une telle invention. Les premiers arcs, Aincrad et Fairy Dance, s’intéressent principalement aux aspects négatifs, mais s’il ne fallait en citer qu’un, l’arc Mother’s Rosario, qui clôt notamment la seconde saison de la version animée, montre des applications aux connotations bien plus positives et altruistes. Ces pistes de réflexions restent cependant marginales, et sous-jacentes. Il s’agit avant tout d’une littérature qui se veut accessible et divertissante, il n’est donc pas question de pousser la réflexion sur l’anticipation trop en avant.

Enfin, si l’anime fait partie d’un tout, chacune des déclinaisons de la série ne mise pas sur les mêmes atouts et ne subit évidemment pas les mêmes contraintes, mais il est logique de voir une œuvre se décliner sous plusieurs formes afin de booster son lectorat. Par contre, il est beaucoup plus rare d’avoir en France accès à son ensemble. Ototo et Ofelbe ont donc, à leur tour, misé sur cette multiplicité en lançant successivement, depuis novembre, les mangas des deux premiers arcs, Aincrad puis Fairy Dance et, ce 12 mars, le roman, ou plus précisément la light novel : un format de publication ciblant principalement un lectorat d’adolescents et de jeunes adultes, constitué de nombreux tomes plutôt courts, agrémentés d’illustrations de qualité. Trois versions et trois expériences… assez différentes.

SAO en manga : les cours de rattrapage

La transcription du premier arc a été confié à NAKAMURA Tamako, dessinatrice jusque là inconnue en France au style assez générique. Loin d’être désagréable à l’œil, ce dernier souffre cependant de plusieurs tares fatales : l’ombre de la version animée en France et de son chara-design, et surtout la comparaison avec les illustrations du roman. ABEC, l’illustrateur du light novel est suffisamment talentueux pour rendre fade le coup de crayon légèrement grossier de NAKAMURA.

Un second problème découle du format et de la longueur choisie : en deux tomes, difficile de présenter en détail et d’exploiter correctement l’intrigue sans utiliser un vocabulaire légèrement décalé. Les MMORPGs prennent appui sur tout un vocabulaire que les profanes ne peuvent pas connaître. Résultat, les initiés font la grimace pendant que les autres saisissent de loin le concept tout en se disant que la traduction laisse un peu à désirer. Ce choix est probablement le fruit d’une longue réflexion, et n’est pas discutable dans sa démarche, puisqu’il est primordial pour un ouvrage de toucher un maximum de lecteurs. Mais dans les faits, le constat est indiscutable : il y a un malaise évident autour des choix d’un vocabulaire populaire qu’on ne peut pas décemment exploiter dans une publication sérieuse.

On monte d’un cran en terme de qualité graphique et de fan-service, grâce à HADUKI Tsubasa, le mangaka en charge de ce second arc, cette fois-ci en trois tomes. Ce volume supplémentaire permet au récit de se relâcher un peu et de couvrir les événements avec beaucoup plus de précision, ce qui s’avère être une bénédiction.

Alors que la majorité des survivants se sont réveillés, il reste encore un certain nombre de joueurs encore inconscients, dont Asuna. Décidé à réanimer sa dulcinée, Kirito suit la piste d’une énigmatique capture d’écran qui le pousse à replonger dans un VRMMORPG (ou MMORPG en réalité virtuelle). Après le marathon macabre qu’était Sword Art Online, on change donc de jeu pour se retrouver dans Alfheim Online. Bien que basé sur le même moteur de jeu, ALO se démarque par deux points : le retour en force de la magie, et la possibilité pour chaque joueur de… voler !

Ce second volet s’affranchit des problèmes de vocabulaire de son prédécesseur pour faire la part belle à l’action, tout en effleurant rapidement le fond de l’affaire. Au fil de sa plume, KAWAHARA Reki a voulu appréhender les différentes applications que pourrait avoir l’invention d’une réalité virtuelle de ce type, ses dangers mais aussi son utilité potentielle. Si elle n’y est donc que rapidement abordée, cette thématique reste essentielle pour pouvoir apprécier l’œuvre de KAWAHARA dans son ensemble.

Au final, le manga Aincrad couvre très efficacement les éléments importants du scénario, allant toujours à l’essentiel. Elle peut offrir un très bon premier contact avec l’univers de SAO, et les lecteurs souhaitant approfondir leur connaissance de l’univers pourront sans problème et sans souffrir de la redondance s’attaquer au roman. C’est également le cas pour Fairy Dance, dont le dernier tome sort le 9 avril, en attendant de voir venir la traduction du second arc du roman.

 

La light novel : l’alpha et l’oméga

La France aura plus ou moins fait les choses à l’envers, publiant en dernier ce qui a été le point de départ d’une saga épique. Tel qu’il a été conditionné, cet opus compile les volumes 1 et 2 de la licence, le premier se concentrant sur la trame principale tandis que le second est un recueil d’histoires annexes centrées sur Kirito et ses rencontres. Tantôt tragiques, toujours rythmées et pleines d’action, elles couvrent un panel de situations très larges et très intéressantes de ce que serait la vie d’une communauté de joueurs enfermées dans un univers fantastique. Cependant, le leitmotiv reste le même : ce jeu n’est pas fait pour jouer. Il n’est pas rare de voir remonter les sentiments les plus vils des Hommes, et si le tableau se présente comme étant souvent manichéen, quelques exceptions viennent relativiser cette impression.

L’auteur admet volontiers, dans la post-face, s’affilier aux personnages qui admirent les joueurs comme Kirito, comme Lisbeth ou Silica, et avoue sa volonté de leur dédier les quatre histoires qui composent la seconde moitié de l’ouvrage. Pour un peu que l’on arrive à s’immerger dans le récit, les histoires sont poignantes, et certains comportement sont l’extension de ce que certains joueurs appliquent bassement de nos jours, sous prétexte que ce n’est qu’un jeu. Ironie du sort, SAO en est un, mais les conséquences de certains actes anodins peuvent s’avérer dramatiques…

Dans l’ensemble, la traduction de l’ouvrage des éditions Ofelbe est on ne peut plus convenable et évite certains écueils, comme ceux qu’a percuté de plein fouet le manga adapté du même arc. Le fait d’avoir affaire à un roman donne le temps d’exposer largement l’univers de SAO, ses spécificités techniques ainsi que toutes les règles implicites nécessaire à sa compréhension. Une narration claire et fluide permet aux néophytes d’aborder une société complexe radicalement différente de la notre sans encombre, sans pour autant heurter l’ego des habitués du genre. Comme c’est souvent le cas dans ce genre de livres, l’action et les interactions sociales occupent une place conséquente, ce qui donne un rythme assez intense à la lecture. L’ouvrage est également parsemé d’illustrations d’ABEC d’une grande finesse. Les illustrations qui pimentent le récit sont en noir et blanc, et souffrent quelques peu du grain du papier (comme c’est accessoirement le cas au Japon), mais quelques images couleurs sont présentes en début et en fin de volume sur du papier plus adapté. Du dessin jusqu’à la colorisation, rien n’est négligé pour le plus grand plaisir de nos yeux.

ofelbe-logoCette première publication des éditions Ofelbe est donc placée sous le signe de la réussite, tant pour sa traduction que ses choix d’impression pour le moins audacieux. Certains éditeurs avaient timidement tenté de publier des light novels auparavant, sans vraiment prendre ce format au sérieux, et s’y sont cassés les dents d’une part sur les exigences d’un lectorat extrêmement difficile et réduit, mais aussi sur l’absence de mise en avant qui leur aura systématiquement été fatale. Espérons qu’Ofelbe saura trouver le juste équilibre qui permettra à ce genre de littérature de trouver sa place en France, quitte à faire des émules ? Il existe une telle variété dans ces récits, ne serait-il pas dommage de passer éternellement à côté ?

 

Au final, comment s’y retrouver ?

Au final, la meilleure porte d’entrée de la licence reste la version animée, disponible chez Wakanim, pour peu qu’on ait un peu de temps devant soi pour regarder la cinquantaine d’épisodes qui compose la série. Elle offre un panorama assez complet et le travail d’animation du studio A-1 Pictures est excellent. Le manga constitue une bonne initiation, bref, efficace et très accessible. Et ceux qui en voudront plus pourront très simplement dévorer le roman qu’ils apprécieront à coup sûr.

Ce dernier peut d’ailleurs également charmer ceux qui aiment lire sans pour autant aimer les mangas. C’est là la magie de la transversalité : en s’attaquant à plusieurs supports, il est possible de toucher un maximum de personnes. Mais l’œuvre s’en trouve-t-elle dénaturée ? Sword Art Online prouve avec intelligence que ce n’est pas forcément le cas : l’univers qui y est présenté vaut le coup d’être découvert, et si certains supports présentent quelques tares, elles ne sont pas pour autant fatales à la licence dans son ensemble, dont le clou s’avère être aussi son origine, la light novel.

16 réponses

  1. Jarasim dit :

    Article intéressant et sympa à lire, c’est vraiment bien de donner envie aux gens de découvrir l’univers ! Dans mon cas, je suis très intéressé par le fonctionnement du Nerve Gear et une possible adaptation dans le monde réel de celui-ci (ce sera très différent du fonctionnement de celui de l’anime, mais au final l’expérience de jeu devrait être quand-même vraiment bien). C’est pourquoi j’ai créé un petit site pour en parler un peu et partager mes idées (et les vôtres sur le forum) : http://nervegear.fr

  1. 23 juin 2015

    […] ensuite 2009 et Sword Art Online, Light Novel de Reki KAWAHARA qui sera rapidement adapté en manga et porté à l’écran, […]

  2. 19 septembre 2015

    […] la publication en France de la light novel, d’une ribambelle de mangas, dont nous avons déjà parlé auparavant, et de plusieurs jeux vidéo, Sword Art Online n’a pas fini de faire parler. Ajoutons à cela […]

  3. 24 octobre 2016

    […] porté à l’écran, mais si quelques rares élus sont développés assez longuement, comme Sword Art Online ou Log Horizon, il est relativement rare de voir ces séries couvrir toutes les problématiques de […]

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