Interview Mana Books : l’éditeur qui connecte livre et jeu vidéo

C’est l’un des petits « nouveaux » dans le domaine en pleine croissance de l’édition vidéoludique, ces livres consacrés aux jeux vidéo. Après Third Editions il y a quelques semaines, Journal du Japon est allé à la rencontre de ce label voisin des éditions Ki-oon et Lumen qui fête déjà plus d’un an d’existence pour découvrir son responsable et éditeur Philippe Valloti mais aussi la politique éditorial de Mana Books, sa façon de travailler et de concevoir leurs impressionnants recueils ou leurs tous nouveaux mangas !

 

Journal du Japon : Bonjour et merci de prendre le temps de répondre à nos questions.

Philippe Valloti : Merci à vous !

Philippe VallotiTout d’abord est-ce que vous pouvez nous expliquer votre parcours et comment vous-en-êtes arrivé à être éditeur de ce label ?

Après un M2 de Politiques éditoriales (Paris 13), j’ai intégré l’équipe d’Huginn & Muninn (beaux livres sur la pop culture, dont le jeu vidéo) en tant que stagiaire pendant 6 mois, puis comme éditeur free-lance pendant près d’un an et demi, en charge des romans Marvel et responsable du label Fantask, une collection spécialisée dans les essais sur la culture geek. Pendant cette période, j’ai pu travailler 9 mois avec l’équipe des Deux Royaumes (Ubisoft) en tant qu’éditeur sur un beau livre. En parallèle, j’ai été conseiller d’un projet de recherche en innovation sur le livre numérique avec des étudiants de la WebSchool Factory pendant un semestre. J’ai ensuite brièvement rejoint l’équipe des éditions 404, pour œuvrer notamment sur la licence Minecraft. Ayant eu un parcours très orienté pop culture, jeux vidéo et univers connectés, j’ai été contacté par Ahmed Agne, le responsable éditorial, afin de passer un entretien pour le poste d’éditeur de Mana Books, que j’occupe depuis plus d’un an.

Ensuite vous n’êtes pas seul dans l’équipe : qui constitue l’équipe de Mana Books ?

Tout d’abord, il y a Ahmed Agne : le fondateur et directeur éditorial de Mana Books. Matthieu Jorge est notre responsable marketing et commercial. Il y a ensuite Marine Barreyre, fabricante, ainsi que Marine Volny, community manager.

Ensuite, venons-en à la genèse de Mana Books : comment le label est né, avec quelle philosophie et quelle ligne éditoriale ?

Mana Books est une idée d’Ahmed Agne, qu’il a développée au fil des années. Ce label est né d’un constat : les éditeurs français de livres sur les univers vidéoludiques étaient scindés en deux : d’un côté, les éditeurs généralistes de la pop culture ; de l’autre, des éditeurs extrêmement pointus qui s’adressaient davantage à des fans hardcore. Faisant partie de la première génération de joueurs en France, Ahmed Agne avait à cœur de donner au jeu vidéo la place qu’il méritait en librairie, en travaillant de concert avec les studios de jeux pour produire du contenu officiel, grand public, et surtout qui ne serait pas limité à un type précis d’ouvrage. Nous voulions célébrer le jeu vidéo sous toutes ses formes.

Mana books logo

Mana books logo

Les éditeurs de livres sur le jeu vidéo sont peu nombreux en France même si ce secteur se développe ces dernières années. En est-il de même ailleurs, comme aux USA ou au Japon par exemple ?

Il y a en fait davantage d’éditeurs spécialisés uniquement dans le jeu vidéo en France qu’aux États-Unis et au Japon, proportionnellement. C’est une spécificité française. En revanche, en termes de volume, le Japon et les USA proposent bien davantage de livres sur le jeu vidéo, notamment des artbooks. Cela s’explique par le fait que la majorité des studios de jeux vidéo sont américains ou japonais. Le Japon a notamment une véritable culture de l’artbook de jeux vidéo, depuis déjà des décennies. Les gros studios ont d’ailleurs leur département publishing. Ces différences sont majoritairement d’ordre culturel.

Selon-vous pourquoi ce secteur se développe : est-ce car le jeu vidéo en France a assez d’historique ou est-ce dû à d’autres facteurs ?

Je pense que le facteur principal de ce développement est le gain de légitimité culturelle du jeu vidéo. Le même phénomène se produit à l’introduction d’un nouveau média : de la même manière que le cinéma et la télévision ont été perçus à une époque comme, au mieux, des sources de divertissement populaire et, au pire, des instruments d’endoctrinement, le jeu vidéo n’a commencé à être pris au sérieux et considéré comme une forme d’art légitime en France qu’au cours de ces dernières années. L’évolution de la perception du jeu vidéo dépend à la fois des pratiques des Français (désormais, plus de 52 % des Français se déclarent « gamers »), de la légitimité que les instances culturelles lui accordent (multiplication des expositions sur l’histoire et l’art du jeu vidéo) et de l’évolution du média en lui-même (équipes grandissantes, pôles scénaristiques et artistiques fortement développés).

Qu’est-ce qui vous différencie de vos concurrents selon-vous ? Les licences proposées ?

Comme je le disais plus tôt, je pense que nos différences viennent à la fois du fait que nous ne nous limitons pas à un format en particulier et que nous travaillons avec les studios pour produire du contenu majoritairement officiel. Nous avons également une approche plus grand public, ouvert à la fois aux fans comme aux néophytes.

Quel est votre public cible ? Des fans de licence en priorité ?

Pas nécessairement. Certains de nos livres sont effectivement dédiés à des fans de la série (ex. : Artbook officiel Fallout 4) ; d’autres sont des points d’entrée (ex. : Overwatch Origins) et enfin, certains sont dédiés à un public très généraliste (ex. : Du sang, des larmes et des pixels, en librairie le 7 juin).

Mana Books, un catalogue qui s'est rapidement étoffé

Mana Books, un catalogue qui s’est rapidement étoffé

Vous avez déjà fait quelques salons, quels sont les retours des gens sur un éditeur « qui fait des livres qui parlent de jeu vidéo » ?

Cela dépend du salon, en toute honnêteté. À Japan Expo, un éditeur spécialiste du jeu vidéo est reçu positivement, et sans trop d’interrogations : ça s’inscrit dans la veine du salon. À Livre Paris, en revanche, il y avait davantage de questions sur l’intérêt de ces livres, sur leur contenu… Nous sommes heureux de pouvoir vous dire que la totalité des gens à qui nous avons pu parler sur les salons ont fini par comprendre l’intérêt (ou mieux : la nécessité) de notre catalogue.

Comment travaillez-vous avec le Japon, est-ce uniquement un travail d’adaptation, y a-t-il de la création tout de même ? (Dans la construction d’un artbook, la validation des visuels peut-être une étape compliquée par exemple)

Nous travaillons souvent par le biais d’un intermédiaire, qui fait remonter nos demandes aux studios et nos justifications. Pour l’instant, nous avons principalement eu un travail d’adaptation, mais cela peut déjà devenir complexe. Si l’on prend le cas de Bloodborne, par exemple, il a fallu que nous créions la majorité des noms officiels des ennemis en français, puisqu’ils sont absents du jeu. Ces noms ont dû ensuite être validés par le studio du jeu, et quelques allers-retours ont été nécessaires. Nous souhaitons aussi développer de la création de notre côté, et œuvrons déjà avec quelques studios à ce sujet.

Bloodborne

Qu’est-ce qui est finalement le plus difficile dans la création de ces artbooks ?

Je pense que la partie la plus complexe est celle de la recherche. Les studios ne nous fournissent pas nécessairement de bibles de traduction, et cela implique de vérifier par nous-mêmes les traductions dans le jeu, de retrouver des citations spécifiques ou des termes parfois très obscurs… Nous voulons que les livres répondent aux exigences des fans et cela implique de maîtriser le langage textuel et graphique de nos licences.

Ce sont parfois des objets assez luxueux, comment en déterminer le prix de vente ?

Il y a beaucoup de paramètres qui rentrent en compte, à la fois en termes de fabrication des ouvrages (qualité du papier, reliure…), du tirage, du volume de texte, du coût de la licence ou de l’achat de l’ouvrage chez un éditeur étranger…

Overwatch origins

Overwatch origins

Quel est votre best-seller à l’heure actuelle, et à combien d’exemplaires s’est-il écoulé ?

Il s’agit pour le moment d’Overwatch Origins T01, bien que je ne puisse pas vous communiquer les chiffres de vente.

Pourquoi votre développement récent dans le manga vu que vous êtes un label frère de Ki-oon, qui en faisait jusqu’ici ?

Nous ne sommes pas vraiment un label « frère » de Ki-oon, qui appartient simplement à la même entité, AC Media. Nous n’avons pas les mêmes politiques éditoriales, ni les mêmes équipes, à l’exception d’Ahmed Agne qui dirige les deux maisons. Le deuxième titre de Mana Books était Silent Hill T01, une bande dessinée : nous souhaitions dès le départ inclure de la BD (comics ou manga) à notre catalogue. Les titres arrivent progressivement, car la maison est encore relativement récente, mais le principe fondateur de Mana Books est que nous n’avons aucune limite en termes de format et de type d’ouvrage. En outre, le fait d’avoir créé Mana Books permet aux mangas inspirés de licences vidéoludiques d’être mis en avant de manière plus efficace et plus légitime, portés par un éditeur spécialiste du jeu vidéo (ex. : notre excellent démarrage sur Final Fantasy Lost Stranger T01).

Est-ce que vous avez encore des projets de développements hors de l’artbook JV et du manga ?

Nous avons déjà fait du guide de jeu (Guide officiel Overwatch) ou de la papeterie (Livre-poster Overwatch) et publions prochainement un essai (Du sang, des larmes et des pixels). Mana Books tente toujours de renouveler son catalogue, d’y apporter de nouvelles propositions. Tout ce que je peux dire pour le moment, c’est… Continuez à nous suivre cette année pour de belles surprises !

Pour finir, qu’est-ce que l’on peut vous souhaiter ?

Que la pop culture devienne simplement… de la culture ! Que le jeu vidéo continue à être reconnu comme il se doit, et que notre approche permette au moins à quelques personnes de découvrir la profondeur et le travail qui se cachent derrière ces pépites vidéoludiques.

Espérons et soyons patients alors ! Merci !

Retrouvez Mana Books le 7 juin prochain en librairie avec Du Sang, des larmes et des Pixels mais aussi leur nouvelle licence Manga, Tales of Berseria, dont les premières pages vous attendent ici.

  TALES OF BERSERIA_01 DU SANG DES LARMES ET DES PIXELS 

Vous pouvez suivre Mana Books sur son site internet et suivre son actualité sur ses réseaux sociaux Facebook, Twitter ou Instagram.

Remerciements à Philippe Valloti pour son temps et à Marine Volny pour la mise en place de l’interview.

Paul OZOUF

Rédacteur en chef de Journal du Japon depuis fin 2012 et fondateur de Paoru.fr, je m'intéresse au Japon depuis toujours et en plus de deux décennies je suis très loin d'en avoir fait le tour, bien au contraire. Avec la passion pour ce pays, sa culture mais aussi pour l'exercice journalistique en bandoulière, je continue mon chemin... Qui est aussi une aventure humaine avec la plus chouette des équipes !

1 réponse

  1. 19 mai 2020

    […] deux ans après leur premier passage en interview chez nous, alors qu’ils fêtaient leur un an sur le marché de la littérature spécialisée dans le […]

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous aimerez aussi...

Verified by MonsterInsights