Ghost in the Shell : quand Hollywood s’en mêle

Avec son adaptation live du mythique Ghost in the Shell de Masamune SHIROW, Hollywood pose clairement ses marques dans l’univers du manga, balayant d’un revers de mains ses précédents échecs d’adaptation du genre.

Ce n’est pas la première fois que le géant américain plonge dans les trésors d’une culture étrangère et en revisite les contes, légendes et sous-cultures. En effet, la machine hollywoodienne ne tourne jamais à vide et flaire continuellement les tendances et les opportunités financières et expansives autour du globe, à l’affût d’histoires au potentiel fort et de pics de popularité d’un genre.

Le succès de l’adaptation US live de The edge of tomorrow et de Godzilla, puis la percée cette dernière décennie des mangas et animes en Occident, ont incité les producteurs californiens à sortir le porte-monnaie et à acquérir les droits des franchises mangas les plus populaires, Ghost in the Shell et Death note en tête. Cette entrée fracassante du géant occidental dans l’univers singulier et codé de la sous-culture japonaise a créé une vague d’émoi au sein de la communauté des fans, encore meurtrie par les ratés passés ou juste perplexe face à l’utilité de la démarche… D’où l’inquiétude autour du résultat du traitement hollywoodien en film live.

Que dire, dès lors, de la diffusion de la première bande-annonce de Ghost in the Shell, qui a attisé le feu de la passion ? Car quand Hollywood revisite les contes et légendes des autres pays, c’est souvent dans un esprit d’accaparement total sans état d’âme ni remord pour la culture d’origine et la spécificité de l’oeuvre. Alors, que va-t-il advenir de Ghost in the shell made in Hollywood? Comment cette version US va-t-elle s’en sortir… peut-elle même s’en sortir ?

Extrait de la bande-annonce qui, effet de forme, joue la carte des vidéos vines.

 

Et soudain, Kusanagi Motoko fut de chair et d’os

La diffusion de la première bande-annonce de l’adaptation hollywoodienne de Ghost in the shell a mis fin à plusieurs mois d’attente chez les fans du manga et les passionnés de films de genre. Elle est tombée comme un couperet balayant les supputations et fantasmes de cette communauté, de nature passionnée et désormais divisée entre colère, inquiétude et enthousiasme. Plus de retour en arrière possible, le film est dans la boîte, le crime ou le coup de génie a été commis et le décompte avant la sortie du film est désormais enclenché : en mars 2017, le film sortira en salle.

scarlett_johansson_ghost_in_the_shell_2017-hdScarlett Johansson en Major Kusanagi Motoko : une photo qui divise les fans depuis avril 2016.

 

Ces réactions assez vives s’expliquent d’abord et en partie par le côté quasiment mythique de Ghost in the Shell. En effet, si le Godzilla japonais était populaire notamment pour son côté “carton pâte”, Ghost in the Shell est un véritable chef d’oeuvre de l’animation japonaise, une oeuvre totalement maîtrisée, aboutie et cohérente autant visuellement que dans l’histoire. Un passage obligatoire et marquant.

Ainsi, voir la saga incarnée en film live, c’est la crainte qu’elle perde de sa superbe. Voir son icône, Kusanagi Motoko, en chair et en os, c’est aussi faire disparaître une partie du mystère et du fantasme que conférait le dessin animé au personnage. Et quand il s’agit, en plus, d’une adaptation hollywoodienne, la levée de boucliers chez les fans, amateurs et experts, devient compréhensible : mais que va faire Hollywood ?  A-t-il appris des erreurs du passé?

La grosse industrie californienne de divertissement ne fait pas dans la dentelle assumant l’efficacité de rendement avant le respect de l’essence même d’une histoire ou de la spécificité d’une culture. Sur ce point, on peut accorder à cette machine de production massive d’accomplir son objectif premier efficacement. De là, il est normal que la bande-annonce de Ghost in the shell version US divise laissant chez certains un goût de lissage et de perte d’identité de l’oeuvre et chez d’autres, l’espoir d’une agréable surprise engendrée par ce choc des cultures. Parce que choc, il y a.

 

Le manga, un univers spécifique loin des codes hollywoodiens

L’univers du manga fut longtemps préservé de l’avidité de l’ogre hollywoodien, principalement pour cause de barrière de la langue et de divergences dans les méthodes de travail. Loin de s’en inquiéter les deux partis continuaient chacun leur chemin propre puisque l’un comme l’autre étaient assez lucratifs et puissants pour se suffire à soi-même. Cependant par pêché d’orgueil ou de folie, allez savoir, Hollywood tenta quand même  : Dragon Ball, The last air bender Hollywood se planta et Hollywood abandonna. Pendant un certain temps.

Sur ces 10 dernières années, la popularité en Occident des  mangas et anime, et notamment leur percée sur le marché nord-américain, a de nouveau attisé la convoitise d’Hollywood. Ajouté à cela le succès de deux adaptations US de Godzilla et The edge of tomorrow et Los Angeles se mit à refaire du pied à Tokyo. Tokyo s’est alors adapté au système de travail des producteurs américains et les contrats d’achats de droits sur des franchises manga & anime augmentèrent. D’ailleurs, cette année, des adaptations de gros noms du shônen et seinen sont officiellement entrés en production du côté Ouest de la planète : Ghost in the shell donc, mais aussi Death note au cinéma et Sword art online pour la télévision.

De là, la grosse interrogation chez les fans et les spécialistes : « comment serait-il possible qu’Hollywood ne détruise pas tout l’héritage culturel japonais des mangas et  ne lisse pas tous les codes de ce genre ? »

GITS

Loin de l’influence occidentale, le manga s’est historiquement inspiré et est totalement ancré dans la culture japonaise, culture elle-même éloignée de la nôtre. N’importe quel lecteur non-japonais d’un manga connaîtra plusieurs fois la surprise face à certains dialogues ou certaines motivations et réactions de personnages. Sans parler des non-dits et silences, très présents et expressifs dans la culture nippone mais totalement aberrants dans nos cultures verbeuses.  Repérer ces codes, apprendre à les connaître et à les déchiffrer, les comprendre et les intégrer comme une autre manière d’être et de faire, voilà la richesse de la lecture de ce genre.

À côté de cela, d’autres particularités sont inimaginables voire impossibles à retranscrire dans un film à Hollywood comme la farce, le grotesque ainsi que l’exagération. Alors, effectivement, les super-héros hollywoodiens ont beaucoup d’humour et connaissent quelques situations cocasses, mais rien de comparable avec l’escalade humoristique de certaines scènes impliquant des héros japonais tout aussi courageux, loyaux, ténébreux ou virils. Les compagnons des héros japonais, équivalents des fameux “sidekicks” chez les Américains, possèdent des looks extravagants et des caractères grivois à l’opposé de l’imagerie américaine. Ils forment un bestiaire surprenant dont les racines sont souvent à chercher du côté du folklore asiatique et qui nous apparaissent comme tout à fait ridicules à nous, non-initiés.

L’exagération dans la violence est là aussi bien supérieure à tout oeuvre hollywoodienne. Combien de personnages subissant une transformation physique bien pire et bien plus douloureuse que celle de Hulk ? Combien de scènes de combats aux coups répétés, assénés avec une force surhumaine et grandissante qui feraient passer Superman et le général Zod pour des petits joueurs ?

Florilège de héros et de scène typiquement japonais (One punch man, Bleach, One piece, Akira, D.Gray-man)

Florilège de héros et de scènes typiquement japonais (One punch man, Bleach, One piece, Akira, D.Gray-man)

Le lissage culturel semble ainsi inévitable, même pour ce puissant illusionniste qu’est Hollywood. Simplement, lisser jusqu’à perdre ces éléments identitaires forts du manga, c’est bel et bien perdre une bonne partie de l’apport culturel japonais dans l’oeuvre. Mais n’est-ce pas aussi l’étape logique dans le cadre d’une appropriation : relire et enrichir avec son propre mode de pensée et de fonctionnement ? 

C’est pourquoi le choix de lancer Ghost in the shell comme fer de lance sur grand écran de cette nouvelle veine d’exploitation du genre manga est pertinent puisqu’il est peut-être l’un des moins risqué au niveau de l’histoire et des personnages… ou du moins celui pour lequel l’appropriation peut le mieux fonctionner. En effet, pas d’étrange peluche rafistolée aux manières paillardes ou de héros au bras à la  dimension démesurée et aux doigts griffus, pas de maquillage criard et pas d’arme protéiforme ou à connotation sexuelle; et  encore moins de héros colériques, de sidekicks travestis de manière outrancière, etc. Ici, tout est plutôt sobre et mélancolique. Et rien de plus facile que d’imaginer une excuse et un subterfuge vestimentaire pour cacher la nudité régulière de l’héroïne.

Bande-annonce de l’anime de 1995 : la nudité dès la première séquence

 

Ghost in the shell à Hollywood : le test grandeur nature

 Ce qui nous frustre, c’est l’habitude d’Hollywood à produire des remakes de films étrangers selon ses propres codes culturels et ce, quelle que soit la culture d’origine et quelque soit leur importance dans ladite culture. Les Américains ont toujours fonctionné ainsi et cela donne de très bon résultats, si ce n’est en qualité du moins en quantité, et donc au plus grand bonheur des producteurs américains. Ironie plaisante ou encore plus énervante : ces remakes, souvent à grands spectacles et à la maîtrise et visuelle et technique optimale, nous divertissent au plus haut point car nous savons, nous spectateurs, que c’est là la grande force d’Hollywood. Cette version US de Ghost in the shell sera donc différente de l’original, point. Peut-être mieux, peut-être moins bien.

Bon, il sera compliqué d’atteindre le niveau de qualité, de cohérence, d’équilibre entre scénario et mise en scène de l’anime de 1995 par Mamoru OSHII. D’ailleurs peut-être qu’Hollywood, également grand producteur d’animation, en est bien conscient et c’est pourquoi il décide de lancer des adaptations d’anime & manga en film live et non en film d’animation. Pourquoi ? Parce que sa force réside dans les effets spéciaux, parce que les films live de science fiction sont les plus vendeurs… Ainsi, peut-être faut-il voir derrière cette vague de remakes en live une stratégie volontaire de détachement par rapport à l’oeuvre originale, grâce au format.

En effet, impossible de dire qu’en matière de SF live, Hollywood avance aveuglément, piétinant tout oeuvre sur son passage. Les studios ont produit les plus grands films de science-fiction : captivants, atmosphériques, splendides, crédibles, et certains ont d’ailleurs été  inspirés par Ghost in the shell, The matrix en tête. On y trouve également certains des meilleurs collaborateurs artistiques au monde : réalisateurs, scénaristes, producteurs, techniciens etc…des visionnaires sachant jongler avec les règles du milieu.

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Rupert Sanders à l’avant première de Snow White and the Huntsman

Enfin, la grande chance de Ghost in the Shell est qu’il bénéficie d’appuis de fans de l’anime au sein même d’Hollywood dont son producteur, Steven Spielberg via Dreamworks.  Le choix de Rupert Sanders comme réalisateur démontre aussi un choix stratégique intéressant. Ce jeune réalisateur ambitieux et encore inexpérimenté a fait du personnage de Blanche-neige une héroïne d’action dans un univers de conte d’une beauté léchée dans Snow white and the huntsman.  Réaliser Ghost in the shell lui donne l’opportunité de faire le prochain grand film de science fiction (autant que de sombrer seul en cas d’échec cuisant). Avoir choisi de faire de Blanche-Neige une héroïne kick-ass prouve en tout cas une capacité d’appropriation surprenante et originale d’un conte. 

Ne reste donc plus qu’à savoir si le thème principal du manga sera compris et respecté car si l’on déroule la liste des films évoquant une vie cybernétique comme AI, The matrix, Blade runner ou Terminator, on constate que la familiarité s’est arrêtée au niveau visuel et à la présence de cyborgs et robots. Le thème principal de Ghost in the Shell n’est pas la quête d’une humanité perdue ou jamais encore acquise mais celui de l’acceptation consciente de perdre son individualité, son Moi pour se fondre dans une entité commune et ne faire qu’un avec plusieurs ou tous. Ceci est un thème quasiment  inhérent à la culture japonaise et notamment présent dans la littérature (Psycho passHarmony). Seul Avatar a abordé ce même thème avec succès mais en passant par un héros handicapé qui trouvait dans l’expérience une opportunité d’échapper par le succès ou la mort, à son handicap. Peu probable que Kusanagi Motoko se sente amputée de quelque chose ou que sa motivation à agir soit du à un problème individuel, c’est son environnement et la rencontre avec l’antagoniste qui l’amène à évoluer;  elle se complète, s’upgrade dans un sens donc, et atteint son « épanouissement » en se découvrant une et unique là où le héros d’Avatar l’atteint en découvrant le groupe, la communauté.  

La grande interrogation est finalement de savoir si la forme ne va pas entièrement prendre le dessus sur le fond. Si Hollywood va laisser ce thème peu américain ou retenir et développer le triptyque classique de son héros : interrogation sur le sens de son existence, prise de conscience et développement de son individualité et acte de rébellion…

 

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Twitter IG Production : « Thanks to the GITS cast&crew for having M.Oshii, K.Kawai, K.Kamiyama on set & for their respect towards their work. »

En conclusion… 

Ghost in the shell made in Hollywood sera forcément très différent de l’oeuvre originale. C’est en soi inévitable quand deux cultures se rencontrent, l’équilibre est dur à trouver et les objectifs visés bien souvent différents. Maintenant, les échecs passés et les réussites récentes dans l’adaptation d’œuvres ont appris à Hollywood à mettre en place les meilleures équipes. Ainsi, Akira, produit par Léonardo di Caprio, se voit attribuer le scénariste de Son of anarchy et Daredevil et Space adventures Cobra est un projet pour l’instant mené par Alexandre Aja. De quoi rassurer, a priori.

Maintenant, la question de savoir si ce passage à la moulinette hollywoodienne est vraiment nécessaire amène une réponse subjective. Affirmer que cette version US permettra à plus de personnes de potentiellement découvrir l’oeuvre originale tout comme crier qu’elle est du vol culturel sont des excuses faciles pour soulager les consciences de toute once d’inquiétude et de réflexion.

Dans tous les cas, cela ne semble pas perturber les professionnels et le public japonais, heureux même de voir l’industrie américaine s’emparer de sa sous-culture emblématique. D’ailleurs, la question sous-jacente derrière ce “problème Hollywood” est peut-être de se demander s’il faut laisser nécessairement une oeuvre culturelle magnifique et forte à sa culture d’origine ?

En gros : est-ce que la version live était une possibilité à laisser uniquement aux producteurs japonais ?

 

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