L’autoédition : une nouvelle opportunité pour les mangakas Français ?

La difficulté à se faire éditer, le rejet de l’édition classique ou bien l’envie de maîtriser son œuvre de A à Z ont poussé certains auteurs à se détourner des éditeurs classiques. L’apparition d’outils numériques depuis une dizaine d’années a accentué cette tendance en facilitant l’accès à ce nouveau moyen de publication. Alors qu’aujourd’hui, le manga français prend difficilement et lentement sa place au sein des maisons d’édition, l’autoédition constitue une alternative intéressante. Plusieurs questions se posent alors : comment l’autoédition s’est-elle développée ? Quels en sont les outils ? Qu’implique-t-elle pour les auteurs ? Voici quelques éléments de réponse.

Qu’est-ce que l’autoédition ?

A ne pas confondre avec l’édition à compte d’auteur, l’autoédition se définit comme « l’édition d’un ouvrage par son auteur sans autre intermédiaire qu’un imprimeur » (Larousse). L’auteur assume ainsi le rôle de l’éditeur. Dans le cas de l’édition à compte d’auteur, il fait appel à un prestataire de service qui prend en charge la publication de l’ouvrage et sa diffusion auprès des librairies.

L’autoédition se distingue également de l’autopublication qui consiste à rendre publique son œuvre sans pour autant en attendre une contrepartie financière.

L’évolution de l’autoédition

Au 19e siècle certains écrivains, découragés par des refus successifs de la part des éditeurs, avaient recours à l’édition à compte d’auteur pour publier leur œuvre. Initialement assurée par les maisons d’édition traditionnelles, des sociétés prestataires ont pris le relais dès la moitié du 20e siècle lorsque les éditeurs ont délaissé cette activité. Hélas, certaines n’y ont vu qu’une opportunité financière et de nombreuses escroqueries ont été dénoncées. Une certaine défiance persiste à ce jour [1].

Bien qu’elle ait toujours existé, l’autoédition connaît actuellement une nouvelle dynamique, notamment depuis le développement de plateformes numériques de publication et la période de confinement de 2020. Il existe assez peu de données sur les ouvrages autoédités mais, en 2021, 1 livre sur 4 était édité à compte d’auteur ou en autoédition, contre 1 livre sur 10 en 2010 (Observatoire du dépôt légal). Dans le domaine de la bande dessinée, les premiers auteurs autoédités sont apparus dès les années 80, avec Claire Bretecher puis Riad Sattouf, tandis que les premières publications dans le domaine du manga remontent aux années 90 avec les fanzines, magazines réalisés par des fans pour des fans et généralement vendus lors des festivals (Mangazone, Animeland). De même, les doujinshi, productions en général issues d’auteurs amateurs, ont participé au développement de l’autoédition.

Fanzines des années 90

Depuis, l’apparition des sites d’autoédition ont favorisé de plus en plus le développement de l’autoédition en facilitant les démarches de publication pour l’auteur.

Les outils de l’autoédition

Les plateformes les plus connues pour les bandes dessinées, les mangas ou les romans graphiques sont BoD (BookonDemand), The Book Edition, Lulu, Coollibri, Kindle Direct Publishing (Amazon). Elles guident l’auteur en matière de choix du format, type de publication (livre imprimé, e-book), détermination du prix de vente, impression à la demande, référencement pour la distribution en libraire, etc. Des services éditoriaux et de promotion sont en général proposés en option : mise en page, couverture, matériel de communication, etc [2] [3].

Une alternative plus classique est de faire appel à des imprimeurs. Les avantages sont multiples : bénéficier d’un accompagnement personnalisé, avoir la possibilité de faire des tests, n’imprimer que de petites quantités, voire accéder à l’impression à la demande.

Les mangakas semblent peu utiliser les sites d’autoédition qui ne leur offrent pas forcément beaucoup de visibilité au milieu des romans et autres livres. La tendance actuelle repose sur un modèle mixte de publication gratuite sur des plateformes de lecture en ligne comme Mangadraft ou Amilova, couplée à la vente du manga imprimé, disponible sur la boutique en ligne de l’auteur (quand elle existe) et distribué lors d’évènements (festivals, séances de dédicace).

Les sites Mangadraft et Amilova permettent aux auteurs de publier leur manga gratuitement.

Le rôle de l’auteur-éditeur

Endosser le rôle de l’éditeur implique d’assurer plusieurs métiers. Durant l’étape de conception du manga, l’auteur doit assurer le lettrage, la maquette, la relecture et les corrections, la mise en page, en portant une attention particulière au format (marges, bords perdus) et au choix du papier en vue de l’impression. La création de la couverture, quant à elle, fait appel à des compétences de graphiste.

En parallèle, l’auteur prend en charge la promotion et la diffusion de son œuvre. Il doit alors élaborer sa stratégie marketing et de communication, qui repose essentiellement sur l’accroissement de sa communauté de lecteurs via les réseaux sociaux, un site internet, la publication de ses mangas sur des plateformes de lecture en ligne et sa participation à des évènements.

Viennent alors l’étape de vente et les problématiques de logistique et de stockage. L’impression à la demande permet aujourd’hui de résoudre la nécessité de stocker puisque le manga n’est publié que lorsque la commande est effectuée. Il reste alors à gérer les envois du manga et parfois de goodies ou d’autres productions de l’auteur. En effet, comme il est difficile de vivre uniquement de ses mangas, les mangakas réalisent en parallèle des « commissions ». Ils deviennent alors « prestataires » et réalisent des commandes à la demande.

En plus de tous ces métiers, l’auteur est également gestionnaire de sa petite entreprise : il doit gérer l’administratif, faire sa comptabilité, exécuter l’ensemble des formalités liées à la publication d’un livre.

La mangaka Aerinn livre un témoignage intéressant sur son site : https://aerinn.fr/faire-de-lauto-edition [4]. De même, Sabrina Kaufmann donne de nombreux conseils sur son site et sur Youtube [5].

Autoédition : comment se rémunérer ?

L’autoédition permet d’espérer de mieux se rémunérer puisque les intermédiaires disparaissent. Cependant, le livre sort des circuits traditionnels et n’est donc pas produit et commercialisé en masse. A moins de déployer d’importants efforts, il est peu probable de toucher les librairies en dehors de celles qui sont proches géographiquement. De plus, la distribution en librairie nécessite de gérer les stocks, racheter les invendus, etc. En général, les libraires prennent 30 à 35% du prix de vente. Les sites d’autoédition, quant à eux, se rémunèrent par des commissions sur les ventes ou bien pratiquent des prix d’accès qui vont être plus ou moins élevés. Actuellement, il semble que cette option ne soit pas rémunératrice du fait d’un manque de visibilité.

Les ventes directes en salon du manga et des goodies permettent à l’auteur de disposer de l’ensemble du prix de vente. Néanmoins, il faut en déduire le coût de l’impression, du transport et éventuellement le coût du stand.

Le financement participatif constitue un autre moyen de se rémunérer ou de ne pas avancer les frais d’impression grâce au soutien financier des lecteurs. Par exemple, la plateforme Tipeee, créée par le fondateur de MyMajorCompany, permet de financer les auteurs via des « Tips » pour un soutien régulier ou par des campagnes de crowfunding pour des projets spécifiques. Patreon est également une plateforme qui propose ce type de services. D’autres plateformes de crowfunding, plus généralistes, existent : Ulule, KissBankBank, Kickstarter, etc. pour lancer des projets. Elles se rémunèrent en prenant une commission sur l’argent récolté (5 à 8%).

A titre d’exemple, Aerinn a récolté via Ulule 13 000 € pour le premier tome de Chronotics Express (442 contributions), 28 000 € pour le deuxième tome (1 083 contributions) et 52 000 € pour le troisième tome (1 462 contributions).

Exemple de contreparties proposées par Aerinn lors de la campagne de financement participatif pour le 3e tome de la série.

Les facteurs-clés de succès du financement participatif reposent avant tout sur la communauté de lecteurs que l’auteur a constituée. Sans cette communauté, il sera difficile de mobiliser des fonds. Par ailleurs, la présence de contreparties est essentielle. En plus du livre proposé, des goodies originaux et exclusifs attireront les fans bien qu’il faille avoir la capacité de concevoir, produire et assurer la logistique de ces contreparties.

Un des avantages des campagnes de crowfunding repose sur les précommandes des livres. L’auteur connaît ainsi le volume à imprimer, ce qui permet de diminuer le risque de stock d’invendus.

L’autoédition : une liberté pleine de contraintes

L’autoédition ne s’adresse pas à tous : le mangaka devient également un entrepreneur multi-tâche et doit assurer de nombreux métiers, tout étant particulièrement seul puisqu’il n’est pas accompagné par un éditeur. Cependant, elle permet une grande liberté puisque l’auteur n’a pas de ligne éditoriale à suivre et une maîtrise globale de son œuvre. Avec une bonne dose de passion et de courage, des mangaka commencent à émerger. La réussite de l’auteur repose essentiellement sur leur capacité à promouvoir leurs œuvres et à constituer une communauté autour de leurs projets.

Sources :

[1] Stéphanie PARMENTIER. Du compte d’auteur à l’auto-édition numérique. Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2022

[2] Joanne PENN. Réussir dans l’autoédition – Comment autoéditer et vendre votre livre. Editions Samarkand, 2020

[3] https://publiersonlivre.fr/auto-edition-de-livre-ligne/

[4] https://aerinn.fr/faire-de-lauto-edition

[5] https://sabrinakaufmann.com/ (inscription gratuite pour avoir accès au Publishing guidebook), https://www.youtube.com/sabrinakaufmann

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