Hommage à Leiji Matsumoto – Par-delà la boucle du temps : Matsumoto de ma jeunesse

“Une œuvre aussi vaste que la galaxie…” Cette déclaration au dos du livre Hommage à Leiji Matsumoto – Par-delà la boucle du temps résume tout à fait ce que l’on ressent au premier regard face à l’immensité de l’héritage laissé par Leiji MATSUMOTO. Décédé l’an dernier, le mangaka mythique, célèbre père d’Albator qu’il ne faut cependant pas limiter à cela, est au centre d’un livre hommage aux éditions Ynnis. Écrit par Julien Pirou, l’ouvrage est à mettre en toutes les mains des fans qui veulent en savoir plus sur l’homme derrière la boucle du temps.

hommage à leiji matsumoto
©Ynnis Editions

De Akira à Leiji : la naissance du “samouraï de l’infini”

Akira MATSUMOTO naît en 1938 dans le sud du Japon. Son père est aviateur et le jeune Akira souhaite suivre ses traces mais, coup du sort, sa myopie le contraint à abandonner son rêve. Heureusement, il y a le dessin. Akira, comme beaucoup d’enfants de l’après-guerre, est impressionné par le travail d’un jeune prodige du manga émergent de l’époque : c’est Osamu TEZUKA. Signe annonciateur, Akira va notamment être marqué par les œuvres de science-fiction de celui qui se fera appelé plus tard le Dieu du Manga : Professeur Mars est l’une d’entre elles.

Matsumoto Leiji les aventures d'une abeille mitsuhachi no bôken
Couverture du premier manga publié signé Akira MATSUMOTO

C’est très jeune que Akira débute dans le monde du manga. Après avoir créé le club d’études du manga à son lycée, sa première œuvre ne va pas tarder à être publiée dans un magazine. En 1953, alors qu’il n’est encore âgé que de 15 ans, Akira voit Les Aventures d’une Abeille être imprimé dans le magazine Manga Shônen en tant qu’œuvre gagnante du concours à destination des aspirants mangaka. L’avenir d’Akira est alors tout tracé : à la fin du lycée, il quitte la ville de Kokura et monte pour Tôkyô, là où tout se passe pour les mangaka.

Ce n’est pourtant pas dans la science-fiction que commence la carrière d’Akira MATSUMOTO mais dans les pages de magazines shôjo, qui étaient en plein boom au milieu des années 50 et, moins prestigieux que les magazines shônen, formaient comme une rampe de lancement pour les nouveaux auteurs. C’est ainsi que pendant une dizaine d’années, Akira Matsumoto affinera sa plume dans des histoires romantiques parfois fortement inspirées d’un film marquant de l’adolescence du mangaka qu’il ne manque pas de citer : Marianne de ma jeunesse de Julien Duvivier.

C’est durant cette période que Akira commence petit à petit à prendre un nom de plume : Leiji 零士 pseudonyme combinant le caractère du guerrier (士) et celui de zéro (零), auquel le mangaka donne le sens de “Samouraï de l’infini”. Ce changement de nom profile un tournant dans la carrière de Leiji Matsumoto qui commence, durant la seconde moitié des années 60, à publier ses premières œuvres de science-fiction. C’est n’est pourtant pas dans la science-fiction mais avec sa série sur la vie miséreuse d’un jeune homme, Otoko Oidon publié dans le weekly shônen magazine, que le mangaka reçoit le prix culturel Kôdansha et devient un mangaka star.

Uchû Senkan Yamato
Affiche du remaster 4K du film de 1977 de Uchû Senkan Yamato

C’est avec cette renommée, et ses nombreuses années de dessin dans la science-fiction, que Leiji Matsumoto entre pour la première fois dans le monde du terebi manga, le manga à la télé, que l’on appelle plus couramment aujourd’hui anime. En 1974, le mangaka est crédité comme réalisateur de la série télévisée d’animation Uchû Senkan Yamato, littéralement Yamato le cuirassé de l’espace. C’est à l’origine un projet du producteur Yoshinobu NISHIZAKI qui invite Leiji Matsumoto pour dessiner le vaisseau japonais star de la Seconde Guerre mondiale : le Yamato. Non content de dessiner les visuels de l’anime, Leiji Matsumoto s’impliquera dans le projet jusqu’à en devenir le réalisateur, tout en dessinant une version en manga (malheureusement inachevée). Un flop télévisuel mais qui, trois ans plus tard en 1977, est remonté en film pour une exploitation en salle et fait événement : pour la première fois au Japon, des foules d’adolescents se déplacent et font la queue durant des heures pour voir un dessin animé. Impensable !

La suite nous est mieux connue. La notoriété nouvellement acquise par Uchû Senkan Yamato, et donc par extension par Leiji Matsumoto, favorise les projets de ce dernier en lien avec la science-fiction. À la fin des années 70 naissent donc la plupart des chefs d’œuvre intersidéraux pour lesquels le maître est aujourd’hui connu : l’épopée ferroviaire intergalactique Galaxy Express 999, la mystérieuse pirate Queen Emeraldas, et surtout, Albator le corsaire de l’espace. S’en suit un nombre impressionnant de mangas, de films, de séries, de réécritures, de suites, de boucles, de destinés ancestrales et d’épopées sans fin dont nous n’avons pas la place de faire le tour ici…Mais qui sont toutes présentées dans Hommage à Leiji Matsumoto.

Matsumoto Leiji
Illustration dessinée par Leiji MATSUMOTO en 2018 à l’occasion de la pièce de la comédie musicale de Galaxy Express 999. En plus des personnages de ses séries, MATSUMOTO s’est dessiné lui-même aux côtés d’Albator.

Julien Pirou face à la boucle du temps

Comment résumer une carrière si riche et si longue ? Face à un mangaka actif pendant près de 70 ans, et dont l’œuvre maintes et maintes fois adaptée ne se limite pas à ses travaux personnels, il faut bien faire des concessions. Julien Pirou est l’auteur d’Hommage à Leiji Matsumoto. Les fans du mangaka le connaissent sûrement déjà pour ses commentaires riches en fin ou début des manga de l’auteur aux éditions Kana. Comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage Par-delà la boucle du temps, Julien Pirou se concentre en majorité sur le versant intersidéral de Leiji Matsumoto. Pour les non-initiés, la boucle du temps, toki no wa 時の輪 en japonais, est un concept clef de l’univers créé par le mangaka. L’univers et le temps constituent une boucle à l’intérieur de laquelle les personnages ne cessent de se croiser et de vivre des destins similaires. Seules quelques figures, comme la mystérieuse Maeter de Galaxy Express 999, peuvent voyager entre ces boucles dont le temps s’écoule inexorablement.

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Extrait du livre explorant le versant shôjo du mangaka ©Ynnis Editions

De cette manière, l’exploration de la boucle du temps constitue une grande partie du livre : la partie 5 (Pirates de l’Espace et Trains Galactiques) et la partie 6 (Aux confins du Leijiverse) occupent près de la moitié des pages. On peut ajouter à ces chapitres la partie 3 (Le spectre de la guerre) et la partie 4 (Les odyssées du Yamato) qui explorent également des œuvres apparentées plus ou moins à cette boucle infinie de l’univers. Il ne s’agit pas non plus d’oublier les autres versants de l’œuvre du maître ! La partie 1 (Naissance du Leijiverse) ainsi que la partie 2 (Fondations) explorent la jeunesse et carrière naissante de Akira Matsumoto, ses connaissances et ses collègues du milieu du manga, et ses nombreuses expérimentations, mais d’une manière moins exhaustive que le pan galactique de l’auteur.

Chacune des parties est divisée entre retour biographique sur la vie de Leiji Matsumoto, encart analytique de son œuvre et ses thématiques, et présentation des nombreuses œuvres, surtout celles appartenant à la boucle du temps. À cela s’ajoutent quelques interviews d’artistes, traducteurs et fans influencés de près ou de loin par le travail du mangaka. Ces différents entretiens font percevoir l’impact qu’a eu Leiji Matsumoto à l’international. Au-delà des livres et des anime (et au-delà de la boucle du temps), le mangaka a envoûté des générations entières de personnes aux quatre coins du monde qui répondent à leur manière aux travaux du maître : les références du mangaka Eldo YOSHIMIZU et du romancier/aviateur Romain Hugault, la bande dessinée hommage de Jérôme Alquié, les traductions de Edo, les activités des fans,… Autre “bonus”, l’ouvrage se termine par une série d’illustrations hommages aux différents personnages de l’auteur réalisées par des professionnels du monde de la bande dessinée, du jeux-vidéo ou bien de l’illustration de roman. Des suppléments à un livre déjà riches qui ajoutent une dimension nouvelle à l’œuvre de Leiji Matsumoto.

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Exemple d’OVA obscures du « leijiverse » présentées dans le livre ©Ynnis Editions

Plus pratique, la liste commentée des mangas de l’auteur publiés en français est un ajout considérable pour les fans les plus maniaques du maître. Les fiches d’information disséminées dans le livre lors de la présentation des certaines œuvres adaptées sont elles aussi le bienvenu et permettent d’entrevoir les talents se cachant parfois derrière le nom du mangaka : Rintarô, réalisateur de la première série d’Albator et des films Galaxy Express 999, le Studio Nue, équipe de créatif qui suit et rend possible, depuis Uchû Senkan Yamato, la plupart des adaptations des mangas du maître sur grand et petit écran, ou bien Kazuo KOMATSUBARA, animateur auquel on doit le charisme si particulier du personnage d’Albator à l’écran.

Hommage à Leiji Matsumoto – Par-delà la boucle du temps est sans conteste ce qu’il s’est fait de plus complet sur l’auteur en France, et réussit en plus à aller au-delà de ce dernier en montrant l’impact des nombreux mangas et dessins animés des univers du mangaka.

Un hommage à la hauteur de l’homme qui, un an après son décès, est visiblement au centre de l’attention en France : du 22 au 25 février a lieu une rétrospective hommage de l’auteur au Musée Guimet . C’est l’occasion parfaite de voir sur grand écran certaines des œuvres présentées dans le livre, mais aussi d’écouter des spécialistes en discuter, dont Julien Pirou qui participera à la table ronde le dimanche 25.

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