Lucika Lucika, retour déjanté en enfance !

Avec l’énorme succès de Chi, une vie de chat (Glénat), nos éditeurs français se lancent peu à peu dans la folle course du manga dit « kodomo » (de 7-11ans). Ki-oon n’est pas en reste, avec Roji !, Kamisama, et tout récemment Lucika Lucika, présenté fièrement lors de la dernière Japan Expo.
Mais à la différence des autres titres disponibles sur le marché, Lucika Lucika bénéficie d’une plus value de taille : son auteur, qui n’est autre que Yoshitoshi ABe (Serial Experiments Lain).

Ce grand nom réussira t-il cependant à faire la différence ? Journal du Japon s’est penché sur la question.

La partie commence !

Cette petite fille qui vous observe à travers son énorme loupe, c’est Lucika. Les yeux écarquillés, l’air ahuri, l’enfant regarde le monde à travers l’œil déformant de l’enfance. Mais ne vous y trompez pas, sous ses airs de ne pas y toucher se cache une étonnante gamine pleine de ressources !

Lucika --© yoshitoshi ABe / SQUARE ENIX CO., LTD.--Lucika, c’est tout d’abord l’espièglerie. Dès les premières pages du manga, on sent une enfant éclatante de vie, curieuse de tout ce qui l’entoure et à l’imagination débordante. C’est un peu ce gamin qui vous demandera toujours « pourquoi ? », mais qui ne se satisfera pas d’une réponse simpliste. Pour Lucika, même une banale discussion vire rapidement au sac de nœuds, à l’instar de l’explication de l’identité du père noël (qui, rappelons-le, ne fait pas partie de la culture japonaise), ou de l’illusion d’optique. Masaru et Yukiko, respectivement frère et sœur de Lucika, ne manqueront pas de temps à autre de se prendre les pieds dans l’enfer enfantin, n’arrivant même plus à suivre les délires psychotiques de cette grande rêveuse.

La malédiction des « + », les nouilles qui absorbent le bouillon et grossissent à vue d’œil, autant de visions terrifiantes et dramatiques propres à l’ivresse infantile mais qui, d’une certaine façon, font échos à une partie de nous enfouie très profondément sous l’adulte trivialité. Pourquoi se contenter de ce que l’on voit, lorsque l’impossible est à la portée de l’esprit ?

Alors Lucika, c’est également la sagesse. Ces réflexions propres aux enfants qui font réfléchir plus que de raison, ces phrases anodines qui, fortes de notre expérience d’adulte accompli, deviennent étrangement pesantes. Des divagations philosophiques dont nos chères têtes blondes sont les spécialistes : Lucika épluche des oignons, finit accroupie sous un arbre, l’air songeur, et lâche dans un souffle cette phrase magnifique : « sauver quelqu’un, est-ce que ça oblige à sacrifier quelqu’un d’autre ? ». Qui pourrait répondre à cette question ? Un enfant peut-être.

Lucika --© yoshitoshi ABe / SQUARE ENIX CO., LTD.--

Une autre facette se révèle : Lucika, c’est enfin et surtout, une fragile sensibilité. Celle d’un être nouveau, abordant un monde bien trop vaste pour lui, cherchant désespérément un sens à celui-ci. Car malgré des mimiques toutes plus hilarantes les unes que les autres, Lucika reste un bébé qui pleure lorsqu’un oiseau lui défèque sur la tête et fait part de son besoin de voir sa maman qui travaille beaucoup trop. Derrière les passions, les réflexions et les visions de Lucika se cache une solitude que le quotidien peine parfois à masquer.

 

La vérité en couleur

Et c’est ce dernier point qui donne à l’univers de Lucika Lucika tout son relief : ABe ne se contente pas de relater la vie d’une fillette exaltée, mais offre au lecteur toute la richesse d’un personnage haut en couleurs, avec ses états d’âme, ses doutes et ses peines. Les personnages secondaires que sont Masaru et Yukiko n’en sont pas moins attachants et représentent indéniablement la touche finale de ce tableau pittoresque. On en vient même à avoir de la sympathie pour cette mère travailleuse qui n’est jamais présente et à peine évoquée, comme une ombre planante sur le petit cœur fragile de Lucika.

Outre ses qualités de conteurs, le mangaka confirme avant tout avec Lucika Lucika ses talents de dessinateur. En effet, l’oeuvre perdrait énormément en saveur sans ses couleurs et le graphisme si particulier d’ABe. Plus connu en tant que character designer chez nous, il est pourtant admiré dans son pays pour son implication dans le dojinshi et les magazines d’illustrations tel que Robot. Lucika Lucika, commencé en 2009 et toujours en cours, se situe dans cette volonté de revenir au dessin pur. Ainsi, on retrouve dans le manga ce trait rond et parfois esquissé qui a fait la renommée de Serial Experiments Lain et Haibane Renmei (Ailes Grises en France), rehaussé d’un travail de colorisation numérique bluffant, à la limite de l’aquarelle. Saluons au passage le superbe travail de Ki-oon, qui nous offre une édition de très bonne qualité et aux couleurs magnifiquement retranscrites.

–© yoshitoshi ABe / SQUARE ENIX CO., LTD.–

Quel est donc le verdict de cette aventure picturale ? Nous disons oui, et mille fois oui ! Contrairement à certaines parutions récentes surfant sur la vague de l’infantilisation du manga, où l’enfant apparaît comme ignare et totalement dénué de personnalité, Lucika Lucika porte haut le drapeau de l’enfance et de son esprit. Le temps de la lecture, Lucika, c’est chacun d’entre nous. Un peu comme le vieil album photo que conserve précieusement votre mère, gageons que vous garderez avec la même préciosité ce brillant manga.

Visuels : © yoshitoshi ABe / SQUARE ENIX CO., LTD.

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