Kentarô Kobayashi, l’art de faire rire…
Humoriste très reconnu au Japon, Kentaro Kobayashi a posé ses valises à la Maison de la Culture du Japon à Paris, du 29 au 31 janvier. Son spectacle, La petite vie étrange de monsieur Potsunen, mêle à lui tous seul les différentes facettes de son auteur. Son parcours peut paraître aussi étrange que la petite vie de son personnage, et pourtant pour lui, la comédie se présente comme l’extension de sa formation aux Beaux-Arts. Nous avons eu la chance de le rencontrer pour revenir sur son parcours et en savoir plus sur l’humour à la japonaise.
L’humour au Japon, une histoire à deux ou en solitaire
Kentarô Kobayashi commence sa carrière en 1996 grâce au duo Ramen’s, avec Jin Katagiri. « J’ai fait les Beaux-Arts, puis des sketchs et des pièces de théâtre. Mais pour moi, ce n’était pas un changement de métier : les beaux-arts, l’art plastique, et l’interprétation scénique. Dans mes spectacles, j’utilise souvent mes propres illustrations, c’est une seconde façon de m’y exprimer. » Ce duo a très vite obtenu la reconnaissance du public, notamment avec des sketchs comme les Nihongô Gakkô, qui mettent en scène l’enseignement de la langue japonaise à l’étranger.
Les chemins qui mènent à la gloire sont nombreux dans ce domaine : « Il y a plusieurs sortes d’humour au Japon : il y a le manzai, ces duos autour d’un micro. C’est une sorte de domaine à part entière. Il y a aussi des comiques qui improvisent et parlent de choses plus personnelles, souvent à la télévision. C’est tout l’art de la réaction à chaud. Et enfin, il y a le Rakugo, un art humoristique traditionnel. L’artiste est assis sur un coussin, donc on pourrait dire que c’est du sitting-comedy ! (Rires) Sa plus grande particularité, c’est que le comédien doit y interpréter plusieurs rôles différents. Si on veut vivre à travers l’humour, je pense qu’il faut choisir parmi ces trois voies. »
Quand on l’interroge sur ce qui fait rire, de nos jours, Kentarô Kobayashi reste très évasif : « il y a une forte diversification et une grande dispersion des goûts. Par exemple, parmi mes fans, dans le public qui vient voir mes spectacles, il y a des gens qui disent qu’ils n’aiment pas mes performances télévisées et qu’ils préfèrent Kentarô Kobayashi sur scène, mais l’inverse est aussi vrai, certains aiment bien les comiques stars à la TV, tout en n’appréciant pas mes performances théâtrales, qu’ils jugent trop compliquées. »
Et au Japon, rit-on de tout ?
Alors qu’à la lumière des récents événements, il est plus que jamais question, en France de savoir si on peut rire de tout. Kentarô Kobayashi a pris le parti d’éviter certains sujets, mais la raison n’est pas éthique : « Quand je construis mes pièces et que je structure mes sujets, je fais très attention à ce que je traite. J’évite tout ce qui est lié à l’actualité, aux potins et bien évidemment à la famille impériale. L’actualité a tendance à se périmer très rapidement. J’aimerais que mes spectacles aient la même fraîcheur, dans 10 ans comme maintenant. Tout ce qui est satyrique et critique concerne souvent directement l’actualité, donc je n’en fais pas. Ce qui ne m’empêche pas de l’apprécier, bien au contraire ! Les comiques de Manzai sont très doués dans ce domaine. La plupart de ceux que je respecte sont très doués quand il s’agit de creuser dans l’actualité, comme les Bakushô Mondai, par exemple, qui passent beaucoup sur la NHK. »
Comme en France, beaucoup rêvent de percer à la télévision grâce à l’humour. Le parcours classique est assez simple dans la démarche, même s’il est évident que pour réussir, il faut retrousser ses manches : « Ceux qui veulent devenir des stars de la télévision en tant que comique commencent souvent dans des concours de petits cabarets (ou Owarai Live House). Dans mon cas, mon objectif était de jouer dans des théâtres, en contact avec le public, donc on peut dire que dès mon premier pas, mon rêve s’est réalisé puisque je me suis retrouvé dans une petite salle. Des fois, ça me faisait bizarre parce qu’autour de moi, mes amis voulaient percer à la télévision, et moi j’étais déjà très satisfait d’être dans ce monde. Sans vraiment le chercher, cependant, cela fait six ans que j’ai une émission télévisée régulière, une fois par an. »
Hana-Usagi, ou la parenthèse manga d’un humoriste des Beaux-Arts
Si cela n’a été qu’une brève aventure, Kentarô Kobayashi a dessiné, de 1999 à 2004, quelques planches pour le Young Magazine Uppers de l’éditeur Kodansha. Son manga s’appelait Hana-Usagi et n’était prévu par personne, et surtout pas par la maison d’édition japonaise : « Je ne me rappelle pas très bien, parce que ça fait presque dix ans… On m’a proposé d’avoir une page pour écrire des histoires courtes. Au départ, c’était juste un dessin accompagné d’un texte mais au bout d’un moment, ce format a commencé à me lasser et un jour, j’ai fait un manga sur une page et je l’ai transmis à la rédaction. Ils ont été surpris mais très content que je me sois mis à dessiner du manga, et ils ont continué à me publier. Il s’agissait de l’histoire de Hana Usagi, un lapin avec un nez très long et des yeux d’homme adulte qui ressemble un peu à Miffy, de Dick Bruna, et qui vit des histoires absurdes avec ses amis animaux. Finalement, le recueil de ces histoires représentent quatre volumes reliés !
Je suis ému qu’on me pose cette question, parce que c’était plutôt une plaisanterie, pour moi, d’avoir commencé à dessiner comme ça, mais je me dis que j’aurais fait ça plus sérieusement, si j’avais su qu’on me poserait des questions dessus ! (Rires) Il faut dire que l’ambiance autour de cette série était très décontractée ! »
Monsieur Potsunen, un solitaire qui s’éclate
Si en japonais, le terme Potsunen a trait à la pointe de tristesse qu’on peut parfois ressentir lorsqu’on se retrouve tout seul, le spectacle de Kentarô Kobayashi prend cette notion à contre-pied et nous offre un regard sur l’univers d’un bonhomme qui s’amuse beaucoup dans son coin. Tout en candeur et en simplicité, La petite vie étrange de monsieur Potsunen fait preuve de beaucoup de poésie, d’un humour enfantin, le tout agrémenté de quelques tours de passe-passe. « Monsieur Potsunen, c’est à 99% moi. Je me suis dit qu’en trouvant un personnage, cela me donnerait plus de liberté et de liberté pour mes pièces. C’est un peu comme un costume de Mickey, comme si je me mettais dans la peau d’un personnage : je m’y retrouve presque moi-même, et sur la surface, je suis habillé par ce personnage. »
Et pour ce qui est des mésaventures de son personnages ? « Je ne me base quasiment pas sur mes expériences personnelles, c’est presque totalement inventé. Par exemple, pour le sketch avec le colis d’Amazon, je me suis basé sur les notices d’Ikéa et de Lego, parce qu’il n’y a aucun mot dedans. Il faut juste regarder les dessins et j’ai trouvé amusante la difficulté de devoir comprendre en s’appuyant uniquement sur des dessins. Je l’ai aussi utilisé parce que ça fait parti des éléments qu’on peut utiliser d’un pays à l’autre, sans que la langue ne devienne une barrière. »
Et effectivement, si au début du spectacle, on pourrait avoir peur d’être perdu si on ne parle pas la langue japonaise, les premières minutes nous rassurent très vite : le spectacle est à la portée de tous, frôlant souvent le muet. « A l’origine, monsieur Potsunen parlait de temps à autre. Mais à un moment donné, j’ai réalisé que j’avais cumulé pas mal de scènes muettes, et je me suis dit que je pourrais m’en servir pour monter un spectacle pour éventuellement le présenter à un public étranger. C’est pour ça que quand j’ai joué au Monaco, il y a trois ans, je n’ai pas eu l’impression de relever un défi puisque j’avais déjà des pièces dans lesquelles je ne me reposais pas sur les textes. »
40 ans, une étape dans la vie d’un artiste ?
Dans l’interview réalisée pour sa première venue en France par la MCJP, en 2012, Kentarô Kobayashi, alors âgé de 39 ans, disait que « jusqu’à ses quarante ans, un artiste n’est qu’un apprenti, il doit continuer à se former. » Maintenant que ce cap est passé, qu’en est-il vraiment ? « Je pense que je commence enfin à mener ma vraie carrière. J’entre dans une période où tous les efforts que j’ai fait jusqu’à aujourd’hui peuvent me donner la possibilité de ne pas renoncer à réaliser les choses qui me passent par la tête. Quand on a une idée, il peut arriver qu’on se dise « bon, je n’ai pas la technique, alors je laisse tomber », mais grâce à tous les efforts que j’ai fait jusqu’à présent, je pense pouvoir les réaliser. … Enfin bon, ça reste très idéalisé, tout ça ! (Rires) Dans la réalité, j’ai toujours cette frustration de vouloir devenir meilleur. Elle me suivra peut-être toute ma vie mais elle soutiendra de toute façon dans mon envie de créer. »
Pour en savoir plus sur la programmation de la Maison de la culture au Japon, et découvrir de nombreux artistes japonais de passage à Paris, ainsi que des projections et des expositions inédites : http://www.mcjp.fr/
Remerciements Kentarô Kobayashi pour sa bonne humeur et sa patience, ainsi qu’à la maison de la culture du Japon et à Aya Soejima pour la mise en place de cette interview.