Richard Collasse, un français bien dans son Japon !

Installé depuis plus de 30 au Japon, Richard Collasse a écrit plusieurs romans dans lesquels il livre un Japon personnel, vibrant, loin des clichés touristiques. Très lu et apprécié par les japonais (son premier roman La Trace a d’abord été publié au Japon avant de sortir en France), il est moins connu en France. Journal du Japon vous propose donc de le découvrir à travers ses très beaux romans (dans l’ordre de leur publication).

Richard Collasse - Photo Kenshu Shintsubo

Richard Collasse – Photo Kenshu Shintsubo

La trace : l’amour du Japon

latraceCe premier roman est une véritable déclaration d’amour au Japon, pays d’adoption de l’auteur.

La narration est une alternance entre présent japonais (quotidien d’un patron qui vit à Kamakura avec une femme japonaise aimante et attentionnée), et l’année 1972, celle du premier voyage au Japon, de la découverte, de la naissance de l’amour pour ce pays.

Tout commence donc en  1972.  Le narrateur a fini le lycée et cherche comment occuper ses vacances d’été. Un ami de son père (qui est pilote de ligne) lui propose de le rejoindre en Amazonie pour qu’il y photographie les populations locales. Mais face aux inquiétudes immenses de sa mère, il abandonne ce projet. Son père lui propose alors d’aller visiter le Japon. Mais pour l’adolescent, le Japon n’est pour l’instant un mélange entre une publicité Obao qu’il a vue dans un Paris Match pendant son enfance au Maroc, des appareils photo performants (il s’offre son premier Topcon au Maroc en vendant ses peintures à l’encre de Chine et rêve de Nikon), des techniciens venus du Japon pour réparer des motos Suzuki souffrant dans les sables marocains, et enfin les bombes atomiques (après avoir vu des clichés de Mururoa grâce à un camarade employé dans la Marine). Peu de choses donc, mais l’adolescent décide de se lancer dans l’aventure, avant tout pour acheter un appareil Nikon, mais aussi pour en savoir plus sur ce pays du bout du monde.
Grâce à son père, il trouvera à son arrivée à Tokyo une charmante famille japonaise pour l’accueillir et lui faire faire ses premiers pas dans ce pays si différent mais si attachant. Les premières découvertes font sourire le lecteur (surtout s’il a vécu les mêmes expériences !) : serviette rikiki pour s’essuyer aux bains, couvercle du bol de soupe qui n’arrive pas à se décoller, rigidité du cuisinier qui ne peut pas remplacer les légumes par des frites sur le menu du restaurant. Il se sent comme « un éléphant dans un pays de porcelaine« . Mais le Japon est aussi pour lui le pays de la délicatesse des personnes qu’il rencontre, toujours prêtes à lui indiquer son chemin, lui éponger le front avec une serviette (il découvre le Japon en plein été), lui offrir toutes sortes de petits présents.
A Kobe, il loge dans la maison des parents de l’hôtesse de l’air qu’il a rencontrée dans l’avion, une magnifique demeure classée au patrimoine culturel du Japon, avec son parquet qui chante, sa maison de thé : le Japon dans toute sa beauté, sa finesse, son élégance, ses traditions.
Puis un jeune japonais rencontré dans le bus lui fera découvrir la mer intérieure et ses îles joyeuses : fête des lanternes, feu d’artifice sur la plage … jusqu’à la rencontre avec la belle Akane.

Ce passé magique est mêlé au présent de l’homme d’affaire qu’il est devenu : après un petit déjeuner typiquement japonais, prendre le train, lire le journal (anglais mais aussi japonais car il est parfaitement à l’aise dans la langue de son pays d’adoption). Au bureau, traiter les affaires, enchaîner réunions et lectures de mails … jusqu’à cette mystérieuse lettre d’une femme, qui fait rejaillir des souvenirs profondément enterrés dans sa mémoire.

Un roman doux, sensible, intelligent, un des plus beaux livres d’un occidental sur le Japon aimé, une déclaration d’amour tout en finesse. Si, comme il l’écrit, le Japon est une huître, Richard Collasse a réussi à l’entrouvrir et à y trouver une perle rare de respect et d’amour mutuel.

Un livre comme un nestuke, qu’on tient au creux de sa main, qui a été taillé avec précision et amour, et qui réchauffe le cœur du lecteur.

 

Saya : qu’est-ce qu’un couple au Japon ?

Richard Collasse sayaJinwaki est licencié après 25 ans de bons et loyaux services dans des magasins de marques de luxe. Il est incapable de l’avouer à sa femme Kaori, qu’il ne voit presque pas, rentrant tard et faisant chambre séparée. Celle-ci se débat dans un quotidien au service de sa belle-mère (repas traditionnels, toilette, massage des pieds etc.), entre une fille étudiante à l’université (pour qui elle est invisible) et un fils lycéen (qui vit enfermé dans sa chambre). Heureusement qu’elle a son chihuahua Brad pour trouver un peu d’amour ! Un tableau somme toute assez classique dans ce Japon des conventions.

C’est alors qu’il est dans un café à réfléchir à sa vie qu’il rencontre Saya, lycéenne qui lit des livres en français et écoute de la musique classique. Pour lui qui a vécu quelques années en France, c’est un plaisir de converser. Ils décident de se revoir et entament une relation (Saya a déjà l’habitude d’avoir des « relations subventionnées » avec des hommes mûrs). Ce qui devait être une simple relation sexuelle devient une histoire d’amour puissante, Saya et Jinwaki partageant les mêmes passions. Très vite, ils ne peuvent plus se passer l’un de l’autre. Mais au Japon, rien n’est jamais simple, le poids des conventions, des règles, de la société, de la famille se fera vite sentir sur le couple … sans compter sur le destin qui aime détruire ce qui est trop beau.

Une histoire puissante, mêlant tableau de la vie professionnelle japonaise (comment un employé devient invisible aux yeux des autres dès que le licenciement est connu, pourquoi il a l’impression de n’être plus rien sans sa carte de visite d’entreprise) et histoire d’amour dont le déroulement et l’issue sont terriblement japonais.

 

 L’océan dans la rizière : quand le tsunami dévaste la vie d’un adolescent

Ocean dans la riziere Richard CollasseAprès la catastrophe du 11 mars 2011, Richard Collasse décide de prendre la plume pour raconter, décrire, mettre des mots sur les chiffres, mettre des vies sur les statistiques. Il choisit donc la forme du journal d’un adolescent de 17 ans habitant Kesennuma, ville de pêcheurs qui a été ravagée par le tsunami. Heure après heure puis jour après jour, il raconte ce qu’il vit, ce qu’il voit, ce qu’il endure.

Sosuke est lycéen, il est depuis quelques mois amoureux de la belle Aoi, mais ils ne se sont pas encore embrassés. Il est au lycée de jeunes filles d’Aoi (car il joue dans l’orchestre qui accompagne les majorettes dont Aoi est la capitaine) lorsque le tremblement de terre se déclare. Plus violent que les autres, il ne fait cependant pas de dégâts. Mais très vite, la sœur de l’adolescent, qui est responsable des annonces à la mairie, informe la population d’un risque de tsunami et invite chacun à rejoindre les points hauts. La vague arrive avec une rapidité, une violence et une force qui surprend tout le monde. Pourtant, l’arrière grand-mère de Sosuke lui avait souvent parlé de la vague qui avait emporté sa famille : « Aucune volonté ne résiste à la puissance de la nature. Aucune. Il faut t’en souvenir« .
Le lycée de jeunes filles qui est pourtant sur les hauteurs de la ville se trouve vite envahi par l’eau. Le jeune homme aura la vie sauve, mais ce ne sera pas le cas de tout le monde.
Lorsque la vague s’éloigne, la ville n’existe plus. Le lendemain, les survivants sont évacués vers des centres sur les hauteurs. Le garçon et ses deux amis se retrouvent finalement dans leur lycée avec plusieurs centaines de réfugiés hagards. Pas d’eau, pas d’électricité, des secours débordés et cette odeur insupportable qui pénètre tout.
Petit à petit la vie s’organise, tous les jours il faut lire les petites annonces punaisées sur les murs à la recherche de ses proches. Puis la morgue, puis la fosse commune, et les larmes que l’on voudrait retenir mais qui coulent malgré tout. Les bonnes nouvelles sont rares et il faut parfois le vol de gros avions en origami pour oublier pendant quelques heures l’horreur qui ne finit pas.

C’est alors qu’arrive Eita, un oncle de 24 ans dont Sosuke n’a jamais entendu parlé. Le père d’Eita est fils de Kiku, mais il a quitté cette région pour aller vivre à Tokyo. Eita est un jeune désœuvré qui vit chez ses parents et ne trouve aucun goût à la vie. Mais au contact de Sosuke, il va retrouver un but à sa vie : aider ce jeune garçon à se reconstruire. Ce sera aussi l’occasion pour Eita d’éclaircir les zones d’ombre de son passé familial.

Même si le récit d’Eita peut paraître un peu forcé (comment un jeune otaku devient un adulte responsable et sensible), ce livre a une force de description incomparable. Le lecteur sent la vague, sa force, sa viscosité et tout ce qu’elle emporte sur son passage. Elle charrie la peur, la douleur, puis laisse place au silence, aux familles brisées, à l’attente et à la vie qui tente de reprendre.

Des petits riens deviennent des plaisirs intenses : prendre un bain grâce aux bains de campagne installés, manger des raviolis grâce à des restaurateurs venus de l’ouest du pays, et aller voir une crique paisible et préservée dont la beauté réchauffe les coeurs. Des lueurs d’espoir dans la nasse des malheurs.

 

Seppuku : « La rédemption est impossible »

seppuku Richard CollasseDans son dernier roman sorti en mai 2015 en France, Richard Collasse emmène le lecteur à travers le temps et le monde, de guerre en guerre, de douleur en douleur.
Le livre commence par une scène de seppuku dans un parc de Tokyo le 1er janvier 1965. Emile Monroig, qui travaille à l’ambassade de France, met fin à ses jours. La scène est décrite avec une précision chirurgicale, mais également avec une poésie dans la beauté de chaque geste.

RC, le narrateur, qui a travaillé avec lui, reçoit le même jour deux colis d’Emile : une boîte de disques d’une pianiste dont le nom lui est inconnu, ainsi qu’un coffret de 36 carnets accompagnés d’une lettre. C’est avec RC que le lecteur découvre, chapitre après chapitre, le contenu de ces carnets qui forment le journal d’Emile, le récit de sa vie marquée par la perte, la douleur, la difficulté de vivre, jusqu’à la « haine de soi ».

Emile s’appelle à l’origine Wolfgang, il est né d’une mère française pianiste partie étudier puis vivre à Berlin, et d’un père allemand médecin  et follement amoureux d’elle. Pris dans la tourmente de la guerre, son père travaille à Auschwitz. Le petit garçon ne comprendra que bien plus tard quelles étaient les activités de son père là-bas et en gardera une trace indélébile. Son père est ami depuis l’université avec un médecin japonais qui a mené, lui aussi, des « expérimentations » en Chine. Cet ami japonais, qui lui apprend la méditation et pour lequel il a une vraie fascination, aura un destin tragique. La vie d’Emile après la guerre et ses drames personnels va se passer en France, où il démarre une carrière de journaliste, puis en Corée où il couvrira comme reporter de guerre cette guerre monstrueuse, d’une sauvagerie extrême. Seule la beauté de la jeune Sun-Hi, serveuse au bar Chicago Blues, lui donnera le goût de vivre malgré son passé familial qu’il traîne comme une blessure que le temps n’efface pas. Mais le sort s’acharnant, sa vie s’arrêtera prématurément car « la rédemption est impossible ».

Difficile de résumer cette histoire magnifiquement dramatique, cet enchaînement de malheurs, cette barbarie qui rôde dans chacune des pages (des horreurs nazies aux massacres en Corée, des suicides aux délations). La mort est partout, elle encercle Emile mais l’épargne quand il voudrait en finir. Les balles fuseront partout autour de lui mais jamais ne le tueront. Il verra la cruauté, l’horreur, l’inhumanité de l’être humain, et parfois des éclairs de lumière, de douceur, d’amour … trop brefs pour le maintenir en vie.

Un roman noir d’une puissance folle ! Un talent rare pour raconter les guerres, les vies broyées, piétinées, les destins brisés à jamais.

 

Des romans très différents, mais tous avec cette âme japonaise dans la plume de l’auteur … Il ne vous reste plus qu’à faire votre choix, ou à tous les découvrir !

Crédit photo Une : Kenshu Shintsubo

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