A la rencontre des enfants de la mer et d’Ayumu WATANABE

A l’occasion du Festival d’Annecy qui s’est déroulé du 10 au 15 juin dernier, nous avons pu voir le dernier film d’Ayumu WATANABE : Les enfants de la mer. C’était également l’occasion d’interviewer son réalisateur afin d’en apprendre un peu plus sur les coulisses de son film dont la production a tout de même duré 6 ans… Alors faut-il se précipiter au cinéma le 10 juillet prochain ? Journal du Japon vous dit tout ce qu’il faut savoir sur le film pour vous faire une idée ! 

©Eurozoom - Les enfants de la mer

©Eurozoom – Les enfants de la mer

Les enfants de la mer : une épopée chimérique flamboyante

Ruka, jeune lycéenne, vit avec sa mère. Elle se consacre à sa passion, le handball. Hélas, elle se fait injustement exclure de son équipe le premier jour des vacances. Furieuse, elle décide de rendre visite à son père à l’aquarium où il travaille. Elle y rencontre Umi, qui semble avoir le don de communiquer avec les animaux marins. Ruka est fascinée. Un soir, des événements surnaturels se produisent.

A la base, Les enfants de la mer est un manga en cinq volumes réalisé par Daisuke IGARASHI dont chaque tome fait près de 200 pages. L’adapter en un seul long métrage d’une heure trente représentait déjà en soi grand défi. C’est pour cela que lorsque la directrice du studio 4°C, Eiko TANAKA a eu l’idée d’adapter ce film, elle a tout de suite pensé à Ayumu WATANABE. En effet le choix n’est pas anodin, le réalisateur étant un grand fan du travail de Daisuke IGARASHI, assurant ainsi le respect de l’essence d’une œuvre si compliquée à adapter…. Mais que le réalisateur a pu venir le défendre à Annecy, comme il nous l’a lui même confié en interview sur place : « C’est un plaisir pour moi d’être là c’est un manga qui a beaucoup de fans et qui est très attendu par les fans du manga et de pouvoir le présenter à la fois aux fans du manga et à un grand public car diffusion dans les salles de cinéma, c’est quelque chose qui me réjouit énormément. Les fans de l’auteur du manga sont très nombreux et ce qu’on craint le plus est leur verdict, mais de savoir que ces gens peuvent aimer le résultat, nous on voulait parvenir à ça. Et de plus en plus de voix en ce sens nous parviennent et rien ne peut nous réjouir, nous faire plus plaisir que ça. »

Les enfants de la mer manga

©Sarbacane

Pour autant, au début il était le premier à rester dubitatif  : « Quand Madame Tanaka du studio 4°C m’en a parlé pour la première fois, je me suis dit « mais non c’est pas possible de faire une chose pareille. Si on avait voulu mettre dans le film tout le contenu de l’œuvre il aurait fallu au moins trois films de la durée de celui-là. Bien sûr ça a été refusé ».

Il a fallu alors passer par une étape de déconstruction de l’œuvre originale, « quelle nouvelle structure peut-on donner à ce film pour pouvoir intégrer toute l’histoire du manga ? ». Pour élaborer son manga, IGARASHI s’est appuyé sur de nombreux témoignages de personnes qui ont côtoyé la mer, en a résulté une œuvre remplie d’éléments spirituels et mystiques qui se sont avérés peu pertinents à intégrer en animation. Il fallait alors trouver une nouvelle ligne directrice. C’est là que le réalisateur a choisi de faire de Ruka le personnage central et la colonne vertébrale du film. C’était d’autant plus adapté, qu’il s’agit d’un thème relativement courant dans l’animation japonaise : « l’été d’une petite fille, les grandes vacances commencent, que va t’il se passer ? ». Une situation que l’on a tous plus ou moins vécu au moins une fois dans sa vie, ce qui permet de faciliter l’identification et de pouvoir rentrer rapidement dans le film.

En effet, durant la première partie du film, le spectateur évolue en terrain connu. On nous présente Ruka, privée de handball, évoluant dans une famille dysfonctionnelle avec un père absent et une mère au bord de l’alcoolisme : on comprend rapidement ses désirs d’évasion. Ceux-ci seront comblés grâce au monde marin, qui reste le point central de l’œuvre originale comme de l’adaptation. En effet, Ruka a toujours admiré les créatures marines, et c’est donc lors d’une de ses escapades à l’aquarium qu’elle fait la connaissance d’Umi, puis plus tard de son frère Sora, deux « enfants de la mer », élevés par des Dugongs. De là on voit se dérouler un slice of life classique mais attendrissant entre les trois enfants, dépeignant les premières amitiés et peut être même les premiers amours, à la libre interprétation du spectateur.

©Eurozoom - Les enfants de la mer

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A la différence, que le réalisateur voulait injecter une dose de fantastique, comme il l’explique lui-même : « Ruka est une petite fille normale de 13-14 ans comme on trouve partout au Japon, mais à qui il va arriver des choses exceptionnelles. Quelque chose qui sorte du réel, que le spectateur puisse rentrer chez lui émerveillés et avec des souvenirs plein la tête ». Au-delà de la relation entre les trois enfants, le film porte une attention particulière aux relations entre les animaux et avec Umi et Sora. Comme nous en parlions dans notre article bilan du festival. Les films japonais en compétition cette année, semblaient tous teintés de cet aspect fable écologique. Les enfants de la mer n’y échappe pas en nous exposant la beauté des fonds marins tout en y mêlant des questionnements liés à l’existentialité, notre rapport aux autres et au monde à travers le prisme de l’océan.

Le côté onirique de ces passages aquatiques est d’autant plus fort qu’il est porté par une  animation magnifique assurée par le studio 4°C (Mutafukaz, Amer Béton,…). L’originalité de ce film, c’est qu’il ne choisit pas entre les techniques d’animation 2D ou 3D ; Ayumu WATANABE a l’intelligence de prendre le meilleur des deux pour arriver au résultat escompté. Le trait de l’auteur, Daisuke IGARASHI est déjà si particulier qu’il ne pourrait être fidèlement retranscrit par l’une ou l’autre de ces techniques d’animation. « On n’a pas voulu donner la priorité ni à l’un ni à l’autre, il fallait utiliser les deux pour atteindre le rendu de l’œuvre de IGARASHI. C’est vraiment des procédés mis au service d’une finalité.  En combinant les deux spécifiés on arrive à une très grande qualité au niveau du travail des animateurs que ce soit dans l’un ou dans l’autre. On a vraiment eu une entre aide entre les deux ». Par exemple, « Pour ce qui est de l’eau, on a eu du dessin à la main, beaucoup de dessin à la main pour le rendu aquatique avec des ajouts de détail en 3D sur telle ou telle scène. Et au contraire les baleines, y’a eu d’abord un rendu 3D et après un dessin à la main feuille par feuille sur des modèles 3D ».

On apprécie d’autant plus ces scènes de ballet aquatique qu’elles sont accompagnées par la musique de Joe HISAISHI. Ce compositeur particulièrement connu pour avoir réalisé les bandes originales d’une grande partie des films du studio Ghibli (Princesse Mononoke, Le voyage de Chihiro,…). La musique de ce mythique compositeur convient parfaitement à l’ambiance des « Enfants de la mer » qui par ses allures d’ode à la nature rappelle les films de MIYAZAKI. Le réalisateur des Enfants de la mer confie d’ailleurs qu’il est un grand fan du compositeur, depuis très longtemps, et qu’il s’était toujours dit que le jour où il réaliserait son propre film, il faudrait absolument que ce soit lui le compositeur !

HISAISHI n’avait d’ailleurs jamais lu l’œuvre originale mais après se l’être procuré il s’est tout de suite dit que la musique qui conviendrait le mieux à l’atmosphère du film, serait ce qu’il faisait à ses débuts et que l’on appelle « minimale » , et permettrait de soutenir le côté onirique du film. « Ça tombait bien qu’il me dise ça car ce que j’aimais le plus chez lui c’était ses travaux au début en tant qu’animé puis ce qu’il a fait avec [Takeshi] KITANO, ce qui relève du style minimale, et quand il m’a dit ça je me suis dit « évidemment, je suis d’accord ! » nous raconte WATANABE qui ajoute ensuite que, comme le projet a motivé HISAISHI, qui a déjà une solide carrière derrière lui, ce « retour aux sources » a été très stimulant artistiquement parlant pour lui ! « Il a composé à peu près 3-4 thèmes mais qui sont d’une maîtrise exceptionnelle et qui donne une couleur, une profondeur au film, on dirait que c’est simple (minimale) mais en fait y’a un vrai travail derrière ! ». Le spectateur a lui aussi effectivement cette impression, quand il se laisse porter par le film et ses musiques, que les thèmes composé par HISAISHI participent à faire gagner le film en couleur bleu, point central du film donc, qui imprègne déjà les images à l’écran.

©Eurozoom - Les enfants de la mer

©Eurozoom – Les enfants de la mer

Ainsi le film commence par mettre l’accent sur le scénario pour embarquer le spectateur, le faire adhérer à l’univers, et à ses personnages. Puis il les séduit un peu plus avec les scènes de contemplations abyssales qui l’entraîne vers le fond des océans… Pour finalement laisser place à une troisième partie quasiment métaphysique où le film revêt alors toute sa dimension mystique. Mais il semblerait que l’œuvre originale soit encore plus abstraite. Comme l’expliquait WATANABE quand il parlait de donner une place plus importante à Ruka : « Vu qu’on lui a donné un poids plus important dans le film, on a creusé pour essayer d’expliquer le message sous-jacent de l’œuvre et rajouter certaines choses selon notre interprétation. »

Le personnage principal de Ruka permet de suivre son parcours initiatique, rendant le message du film plus palpable. On devine cette appel à la prise de conscience écologique. La vie est un flux en perpétuel mouvement sur lequel influent l’action et le choix des Hommes, il leur appartient d’en prendre conscience car il n’est jamais trop tard pour changer les comportements. Le réalisateur a donc fait le choix de donner davantage de clefs de lecture, laissant le choix au spectateur de considérer cela comme une libre interprétation ou bien comme la juste interprétation du message de l’œuvre initiale. « Chacun peut lire le film comme il veut ». Il semblerait que ce soit peut être ce tout dernier segment qui pâtisse le plus de la compression forcée du manga original. Les plus cartésiens pourront être perdu devant l’acte final dont on ne comprend pas vraiment les tenants et aboutissants sur le moment ; tandis que d’autres arriveront à lâcher prise pour se laisser emporter par ce torrent de couleurs, sublimé par les thèmes les plus entraînants que Joe HISAISHI avait gardé pour la fin.

Il faut toutefois rappeler que les impératifs financiers liés à un tel film conduisent à des dilemmes entre ce que le réalisateur veut faire et ce qu’il peut techniquement parvenir à réaliser. D’autant plus que la production du film s’est étendue sur 6 ans au total « il a fallu garder une certaine tension tout au long, une certaine curiosité en tant que créateur, ne pas relâcher la bride ». Compte tenu de ces impératifs, on ne peut qu’admirer le travail de cohérence qui est tout de même maintenu tout le long du métrage, et laisser le réalisateur conclure sur ce film – qu’il faut aller voir, vous l’aurez compris – et sa place dans sa carrière :

« Le plaisir que je prenais à faire mon métier, que ce soit des séries ou des films a toujours primé. Et donc je vois aujourd’hui le fait d’être appelé (à Annecy, NDLR) en tant que réalisateur pour un de mes films, c’est un peu la continuité et le résultat de la carrière que j’ai menée jusqu’à aujourd’hui. Et c’est aussi une excellente occasion à mes yeux pour un peu, à ce moment de ma carrière re-questionner ce qu’est l’animation, ce que c’est que le travail d’animation. Parce que c’est un lieu plein de création surtout à ce moment de l’année, il y a des gens du monde entier et donc oui c’est une excellente occasion de réfléchir de nouveau à ce métier artisanal. Et d’être là aujourd’hui c’est un grand plaisir et une grande excitation pour moi.

 Les enfants de la mer était à mes yeux une œuvre d’une importance toute particulière, j’aimais déjà beaucoup l’œuvre originale, qui est une œuvre avec beaucoup de sens à laquelle j’ai voulu apporter beaucoup de temps pour arriver au résultat et à lui donner le sens que je voulais lui donner. Il a fallu beaucoup de temps et d’investissement de ma part. J’avais déjà réalisé des longs métrages mais ça faisait longtemps que je voulais réaliser un film à moi qui me ressemble beaucoup, et en ce sens y être arrivé et voir le résultat final c’est quelque chose qui me rend très heureux. Je voulais faire quelque chose qui a du sens. J’espère que j’ai réussi, c’était mon objectif. »

©Eurozoom - Les enfants de la mer

©Eurozoom – Les enfants de la mer

Enfin n’oubliez pas de bien rester jusqu’à la fin, une scène post-générique viendra apporter quelques compléments d’explication à l’histoire !

Merci à Eurozoom d’avoir permis cette rencontre possible et de toujours autant se démener depuis plus de 10 ans pour amener la japanimation dans les salles françaises. Et bien sûr merci à Jamel, pour son travail d’interprète lors de l’interview !

4 réponses

  1. 1 février 2020

    […] lire aussi, notre dossier sur cette œuvre […]

  2. 5 mars 2020

    […] film estival qui était aussi de la partie au festival d’Annecy, Les Enfants de la mer d’Ayumu WATANABE arrive second avec 67 132 entrées. Adapter en un film d’1h30min le manga […]

  3. 2 avril 2020

    […] Wonderland et A silent voice . La plateforme universciné, quant à elle, propose à la location  Les enfants de la mer, Miss Hokusai ou […]

  4. 9 août 2020

    […] clefs du récit sont animés en 2D par le Studio 4°C (Amer Beton, Berserk : l’âge d’Or, ou plus récemment : Les Enfants de la Mer). Sans être magnifiques, ces scènes restent de bonne facture avec un effort non négligeable sur […]

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