La sélection rentrée littéraire de Journal du Japon

Comme tous les ans, Journal du Japon vous invite à découvrir les ouvrages de la rentrée littéraire côté Japon : écrivains japonais ou français, diversité des sujets, à vous de choisir !

Petit éloge des brumes de Corinne Atlan

Petite_éloge_des_brumesAprès avoir émerveillé les lecteurs avec Un automne à Kyôto, Corinne Atlan, romancière, essayiste et traductrice de talent (de Murakami, de haïkus et bien d’autres œuvres japonaises) revient avec un petit livre sur les brumes, dans la très belle collection Folio à deux euros qui permet de découvrir des thèmes originaux (on avait beaucoup apprécié le Petit éloge du zen de Sébastien Raizer).

Dans cet ouvrage qui mêle journal intime et visite de son musée idéal dédié aux brumes (dans lequel tous les arts sont présents), Corinne Atlan déambule au milieu de ces nuées légères dans lesquelles elle enveloppe bientôt le lecteur.

L’avant-propos propose une définition du mot :

« Le mot « brume », qui vient du latin brevissima, a d’abord désigné le solstice d’hiver, la journée la plus courte de l’année, puis par extension la période hivernale tout entière. Pus tard, le mot a signifié « brouillard de mer », ensuite « brouillard léger » sur la terre. Aujourd’hui, seule la distance de visibilité sépare la brume du brouillard : au-delà de mille mètres, on parlera de brume, et en deçà de brouillard. Mais il s’agit du même phénomène atmosphérique dû à la condensation : brume et brouillard sont des amas de minuscules gouttelettes d’eau en suspension dans l’air, autrement dit des nuages qui se forment au ras du sol. 
De prime abord, on se dit que la brume est rêveuse, et que le brouillard nous englue. Elle, vive et facétieuse, cache et révèle tour à tour, se prête aux divagations en tout genre. Pour un peu, elle enchanterait le réel. Lui, inquiétant, immobile, pèse sur les paysages et les consciences de toute son épaisseur, sombre écran sur lequel projeter nos angoisses. Mais les choses ne sont pas si tranchées. »

C’est dans l’enfance qu’elle apprend les brouillards : le flou de sa vue sans lunettes (elle préfère ne les mettre que pour suivre les cours au collège), les lectures qui la font voyager au pays des contes, sa tête toujours « dans les nuages », comme le lui reprochent ses professeurs, sa Normandie et ses paysages brumeux (l’expérience de l’aube d’été avec la brume des bocages sera une impression très marquante de son adolescence).

Puis il y a les brumes dans l’art : du peintre Turner, celles sinistres de Nuit et brouillard. Et déjà en filigrane, le Japon d’Hokusai et le choc esthétique du cinéma japonais. Elle en apprend la langue puis part en train et en bateau pour arriver à Yokohama.

« Le flou, le brumeux, comme façon d’être, comme principe de civilisation : je n’aurais pu rêver pays correspondant mieux à mes attentes ».

Elle évoque ses année au Népal à enseigner le français. Ce pays qu’elle peint avec ses mots prend forme devant les yeux du lecteur :

« Je marche dans la forêt sacrée de Shivapuri à l’automne, et des bannières de drapeaux de prières décolorés, déchiquetés par le temps, accrochés dans les arbres, flottent parmi les lichens et les effilochures du brouillard. Au printemps, les effluves de jasmin et de pois de senteur se répandent dans le jardin, le blanc crémeux des gardénias s’épanouit à l’ombre des larges feuilles de goyavier. »

Tout au long de la lecture, les mots précis de cette traductrice de renom sont un enchantement !

L’automne à Kyôto est sa saison préférée (elle lui a d’ailleurs consacré un superbe livre). Marcher dans la montagne, être entouré d’humidité, se sentir comme le narrateur du sublime Oreiller d’herbe de Sôseki. Elle raconte ensuite Yakushima, l’île du sud du Japon qui baigne toute l’année dans l’humidité, les Onsen et leurs vapeurs, les écrivains et les peintres japonais des brumes.

Tôhaku HASEGAWA peint le Bois de pins :

« Le fond brumeux, traversé par une pâle lumière hivernale, entraîne le spectateur dans les profondeurs de la forêt, peut-être en direction du sommet enneigé visible sur la droite, ou dans les méandres d’invisibles sentiers entre les arbres. Cette brume sans contours n’est pas dessinée : elle est uniquement suggérée par les différentes dilutions d’encre qui a tracé les pins. Pourtant elle envahit tout le tableau, pèse sur le frêle édifice des branches, les fait ployer – ou est-ce le vent ? En s’approchant, on peut presque sentir l’humidité du paysage. »

Il est aussi question de cerisiers qui se font brumes roses pour Hanami, des fantômes qui vivent avec les vivants, de l’architecture des nuages, de la sculpture de brouillard. Entre rêve et réalité, dans le monde flottant …

Une déclaration d’amour au pays des brumes, à ses arts, à sa langue. Un éloge du mouvement entre plusieurs pays, plusieurs mondes, car la brume enveloppe même les frontières que l’on tente de mettre entre conscient et inconscient, entre rêve et réalité, entre vivants et morts, entre humains et nature.

Un grand plaisir de lecture qui pousse le lecteur à découvrir ou redécouvrir livres, films, peintures, sculptures et architectures de brumes !

Plus d’informations sur le site de l’éditeur.

La Valse sans fin de Mayumi Inaba

La valse sans fin de Mayumi Inaba : couvertureOn connaissait Mayumi INABA pour sa délicatesse et sa sensibilité aux saisons, à la nature, aux animaux (La péninsule aux 24 saisons et 20 ans avec mon chat ont connu un très grand succès auprès des lecteurs japonais mais également des lecteurs français). Mais c’est un livre très différent que le lecteur peut découvrir en cette rentrée : une histoire d’amour fou entre une écrivaine et un musicien dans les années 70 au Japon, entre drogue, violence, quête d’une musique absolue … et finalement mort d’une overdose du saxophoniste de free jazz Kaoru ABE (que le lecteur apprend dès le début du livre … pas de spoil !).

La narratrice est Izumi Suzuki, née en 1949 comme Kaoru, devenue écrivaine après une enfance marquée par sa santé fragile (une malformation cardiaque lui cause des évanouissements), ballottée entre déménagements et misère (son père étant un journaliste qui, à cause de son engagement politique, perd son travail). Après avoir été mannequin, avoir posé nue au cinéma et été entraîneuse le soir, elle décide de se consacrer à la littérature. C’est en 1973, dans un parc au petit matin qu’elle rencontre Kaoru. Elle a la nausée, il a une bouteille de vodka vide à la main. Elle est tout de suite fascinée par cet homme, elle qui a enchaîné les relations sans jamais trouver l’âme sœur.

« Plutôt que les jeunes gens au teint frais qui respirent la santé, ma préférence va aux garçons à l’air malheureux, au visage blême, aux yeux et au corps acérés, les nerfs à fleur de peau. Si en plus il a l’air d’un forban, c’est encore mieux. Peut-être ai-je été séduite par la façon dont il écartait les jambes, l’air de se moquer de tout, dans une posture relâchée, presque licencieuse. Son teint maladif, sa peau verdâtre m’ont fait deviner qu’il était malheureux. »

Kaoru devient vite obsédé par elle, il la suit partout, il l’aime et veut l’épouser. Ils se marient. Il lui parle de sa quête du son absolu. Il est totalement absorbé par cette quête et passe des heures à lui raconter. Après une période heureuse sans drogue, la jalousie de son mari se transforme en violence. Entre crises d’épilepsie (il se drogue depuis l’âge de 13 ans et a de graves troubles), destruction des objets dans la maison, violence physique envers elle, le quotidien est difficile. Parfois elle erre dans la ville, fuyant celui qui la terrorise, parfois c’est lui qui s’absente pour éviter de lui faire mal. Deux écorchés vifs qui brûlent la vie pour mieux la sentir vibrer.

La musique de Kaoru :

« Tout en sirotant un verre de whisky, j’ai écouté jouer Kaoru. Le public se limitait à quatre personnes. Ainsi, c’était toujours dans ce genre de salle, devant trois ou quatre spectateurs, que Kaoru se produisait. Les notes transperçaient le plafond noir avant de s’immobiliser, puis déchirant de nouveau le silence, elles retombaient. Les sons qui refusaient toute mélodie, un par un, se cognaient contre les murs et le plafond, au milieu de soubresauts, et à peine avaient-ils heurté mon épiderme que de nouveau ils enflaient solitairement, avant de se désagréger. La musique de Kaoru était absolument sèche et sans ralentissement aucun. Malgré cela, elle avait de la densité. Une mousse de métal … Je ne sais pas pourquoi, je ne pouvais m’empêcher d’imaginer un thalle de lichen se développant au fond de mon oreille. Mycélium aux filaments entrelacés comme un écheveau qui brillait avec un éclat froid.
Kaoru mettait toute son énergie à produire chaque note, puis à les détruire une à une. Les yeux fermés, je me suis recroquevillée. C’était une musique qu’on ne pouvait écouter qu’en rentrant la tête dans les épaules. Les notes décousues enflaient comme un cri, avant de se sédimenter dans le vide. Seul l’écho subsistait. À travers l’écho, des débris de notes, tremblant faiblement, emplissaient l’air comme des fantômes. Ces fantômes étaient la musique de Kaoru. »

Un couple de légende comme il en exista dans d’autres pays dans les années 70. La drogue pour endormir le mal être, la musique pour atteindre l’absolu, l’amour jusqu’à la destruction …

Un livre comme un tourbillon hypnotique, qui secoue le lecteur, l’emmène très haut puis très bas, comme une musique qui cogne puis caresse. L’écriture de Mayumi INABA, si magique pour décrire la nature, la vie végétale, animale dans ses précédents ouvrages, est ici vibrante, brûlante. Les mots cognent comme les battements des cœurs de ces amants foudroyés.

Un coup de poing, un coup de cœur, à découvrir d’urgence !

Plus d’informations sur le site de l’éditeur.

Gôshu le violoncelliste, un conte de Kenji Miyazawa

Goshu le violoncellisteKenji MIYAZAWA (1896-1933) est un célèbre conteur japonais. Ses contes mettent en scène des animaux qui parlent, le cosmos, les progrès techniques, mais également les relations parfois humaines ou entre l’homme et la nature. Peut-être avez-vous entendu parler de Train de nuit dans la voie lactée, un autre de ses contes, très connu également ?

Les éditions Ynnis proposent une très belle édition de Gôshu le violoncelliste, conte joliment illustré par Mitsukai In’ki (des dessins à l’encre d’une délicatesse touchante), complété par un texte expliquant comment il a été adapté à l’écran par Isao TAKAHATA (les différences entre le conte et le film, les points communs, la vision du réalisateur etc.) et par un entretien avec le jeune violoncelliste Edgar Moreau (né en 1994, prix du jeune soliste Rostropovitch à quinze ans et lauréat de deux Victoires de la musique), qui livre son ressenti du conte ainsi que sa vision de la musique et du musicien (travail, sensibilité musicale, échange, humilité, confiance). Une édition passionnante qui permet aux petits et aux grands de découvrir ou redécouvrir ce grand classique de la littérature japonaise !

Gôshu le violoncelliste raconte les difficultés de Gôshu, jeune violoncelliste dans un orchestre (qui accompagne les projections de films dans le cinéma de la ville). Il se fait réprimander par le chef d’orchestre et travaille souvent tard la nuit pour s’améliorer.

Gôshu le violoncelliste, film d'Isao TakahataIl habite une vieille baraque adossée à un moulin à eau en ruine. Les animaux des environs viennent le voir et l’écouter. La première fois, c’est un chat qui veut une musique douce pour s’endormir, la seconde un coucou qui veut apprendre la gamme, puis un Tanuki joueur de tambour qui a besoin d’être accompagné par le violoncelliste, une autre nuit une maman souris et son souriceau malade que Gôshu doit guérir avec sa musique …

Grâce à tous ces exercices avec les animaux, le concert sera une réussite et tout le monde sera ravi des progrès qu’il aura accomplis en quelques jours !

Un beau conte initiatique qui peut s’apprécier à tout âge, les petits aimant le défilé des animaux, les plus grands l’optimisme qui s’en dégage et l’invitation au voyage musical. Ces éléments seront d’ailleurs repris et amplifiés dans le film de TAKAHATA : la beauté de la nature dans des paysages aquarelles, la symbiose musique/nature, la sortie de l’enfance et le passage à l’âge adulte de Gôshu, son intégration dans l’orchestre, la communauté, la ville.

Livre et film se complètent et se répondent … Vivez les deux expériences !

Bonne rentrée et bonnes lectures !

 

 

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