Rencontre avec Makoto Shinkai : « Pour moi, le ciel est un écran extraordinaire »

C’est dans un hôtel du centre de Paris que nous retrouvons Makoto SHINKAI pour discuter de son nouveau film, Les Enfants du temps qui aura la lourde de tâche de succéder au phénomène planétaire qu’était Your Name. Malgré le marathon pour la promotion du film qui a marqué ses traits, le réalisateur est bien loin de faire son âge. Des baskets blanches, un pantalon noir, des lunettes assorties et une chemise grise à col mao, sa tenue, aussi soignée que décontractée, est celle d’un jeune trentenaire et il faut l’entendre parler avec calme et précision pour se convaincre qu’avec ses (presque) 47 ans, il est plus proche de la cinquantaine que de la petite trentaine qu’on lui donne pourtant facilement. Au cours de notre entretien, il répond à nos questions sans être avare de ses mots, s’accompagnant de gestes des mains pour mieux se faire comprendre ou illustrer son propos, que ce soit lorsqu’il nous parle de son rapport à l’adolescence ou au ciel ou encore de la façon dont il dessine et réalise ses films.  

Makoto Shinkai, photo, interview, les enfants du temps

Makoto Shinkai, devant l’affiche du film ©Alexis Molina

Journal du Japon : J’aimerais commencer par vous remercier pour cette interview et de prendre le temps de répondre à nos questions.

Makoto SHINKAI : Surtout merci à vous d’être venu malgré la grève (il rit).

Les enfants du temps, affiche, Shinkai

L’affiche française du film

Les Enfants du temps est un film qui est cruellement d’actualité, et j’aimerais savoir ce qui vous a motivé à traiter ce sujet du dérèglement climatique. Des événements particuliers ou des notions scientifiques précises comme, par exemple, l’anthropocène ? 

Une des plus grandes inspirations pour ce film là a été le changement climatique que nous connaissons depuis quelque temps. C’est une préoccupation pour beaucoup de gens, et c’est parce qu’il y a de plus en plus de catastrophes naturelles. Nous, au Japon, on connaît notamment de plus en plus de catastrophes des eaux, donc j’ai trouvé que c’était un thème important à traiter, mais je ne voulais surtout pas le faire de manière directe. C’est un message qui existe avant tout au fond de l’œuvre.

Il y a beaucoup de plans marquants dans Les Enfants du temps et votre cinéma en général, avec notamment un travail sur la symétrie que, personnellement, je trouve très impressionnant, et j’aimerais savoir comment vous composez ces plans ?

Je raconte une histoire à travers le cinéma, mais toujours avec la musique. Le rythme est extrêmement important, et je parle là aussi du rythme des plans. Il y a différents plans dans le film, et c’est surtout l’accord entre chacun d’entre eux qui est très important. Parfois il y a de très gros plans, et juste avant je mets un autre au contraire très large. Les plans symétriques, c’est une des variations de ces plans que je trouve très efficaces et importantes pour exprimer les sentiments des personnages. J’utilise aussi les différents angles, les différentes optiques comme l’anamorphique, la longue-focale ou le zoom. Toutes ces techniques je les utilise, y compris les plans symétriques, pour exprimer les émotions des personnages. Et c’est surtout le changement de plan qui donne un rythme à tout ça.

Merci pour cette réponse très complète. C’est intéressant que vous parliez de rythme parce qu’il y a un autre artiste japonais qui utilise beaucoup le rythme dans son travail, c’est Haruki MURAKAMI. Et dans Les Enfants du temps, le surnom de Hina rappelle une de ses nouvelles, tout comme beaucoup d’éléments évoquent Kafka sur le rivage, et je me demandais si c’était une référence qui avait pu jouer pour votre film.

Haruki MURAKAMI c’est un romancier, donc quand on parle de rythme, c’est sûr que c’est un peu différent, mais j’étudie quand même beaucoup le rythme de ses romans. Je les ai tous lu, en japonais, mais ça m’arrive aussi de les lire en anglais, les versions traduites. Et parfois je suis impressionné par la qualité des traductions, parce qu’elles respectent souvent la longueur de chaque phrase ou la fréquence des mêmes termes qui reviennent. Et pour moi, évidemment, le rythme des images est très important, mais plus que ça, celui du son l’est aussi. Et quand je dis le son, c’est y compris la musique, et quand j’écris le scénario, moi-même je prononce toutes les répliques pour voir le rythme, et c’est comme ça que je décide à quel moment je change de plan. Et donc c’est au moment de l’écriture que j’insuffle la vie aux personnages et que je décide du rythme.

Makoto Shinkai, Les enfants du temps

M. Shinkai, concentré sur sa réponse. ©Amine Ait Aissa

Votre film met en scène jeune un personnage, Hodaka, qui part et fait une fugue, et qui est surtout un adolescent en conflit assez ouvert avec le monde qui l’entoure. Est-ce que vous pouvez revenir pour nous sur l’écriture de ce personnage et de ses liens avec les adultes comme, par exemple, Suga ?

(En s’excusant, pendant que l’interprète traduit sa réponse, il se lève pour régler le thermostat de la chambre) Quand Hodaka est parti de chez lui, il n’a rien emporté avec lui, il n’avait rien. Et c’est à son arrivée à Tôkyô qu’il commence à construire sa vie et c’est là-bas qu’il a eu envie de sauver Hina. Il a finalement rencontré Suga qui devient presque son père. Ça n’est pas sa propre famille, mais il recrée malgré tout une sorte de famille avec lui et Hina.

J’ai toujours trouvé très touchante et juste la façon dont vous représentiez l’adolescence dans vos films, comme un moment à la fois douloureux et magique. Et cette ambivalence, on la retrouve bien dans Les Enfants du temps, avec beaucoup de drame et, en même temps, ces très belles séquences où les adolescents ont le pouvoir, finalement un peu magique, de rendre les gens heureux et de faire réapparaître le soleil. J’aimerais que vous reveniez sur tout ça, sur votre rapport à l’adolescence, la façon de la mettre en scène et ce qu’elle a d’intéressant à vous yeux.

Aujourd’hui j’ai 46 ans donc je ne suis plus jeune, et quand je me rappelle de mon adolescence, je sens que mes émotions ont changé. C’est-à-dire que, quand j’étais jeune, quand je vivais un événement très heureux, j’étais très content pendant des jours et des semaines. Et quand j’étais triste, je l’étais aussi pendant longtemps. Aujourd’hui, les émotions ne durent plus. Et quand j’observe ma fille de neuf ans, je vois que les jeunes enfants ont des émotions très accentuées, beaucoup plus que celles des adultes. Par exemple, le moindre événement peut représenter quelque chose de gigantesque chez un enfant. Et donc les enfants et les adolescents sont vraiment entiers, et c’est ça que j’essaye de ne pas oublier quand j’écris des histoires sur les adolescents.

Je ne crois pas me tromper en disant que le ciel a toujours une place très importante dans vos films, et j’aimerais savoir pourquoi c’est un objet qui vous intéresse autant et ce qui vous fascine dedans ?

Le ciel dans Your name, élément important chez Shinkai. ©Eurozoom

Le ciel dans Your name, élément important chez Shinkai. ©Eurozoom

Depuis que je suis petit, j’adore observer le ciel. Quand j’étais enfant, il n’y avait pas encore de smartphone, et donc les heures que les gens passent aujourd’hui à regarder leur téléphone, moi je les passais comme ça, en regardant le ciel. Pour moi, c’est un écran extraordinaire – déjà on peut le regarder gratuitement et c’est un univers grandiose. Je me sentais vraiment très heureux quand j’observais le coucher du soleil, puis après le ciel où les étoiles commençaient à apparaître. C’était la même émotion que quand j’écoutais un morceau de musique magnifique ou que quand je lisais un livre. Et donc j’ai trouvé une vraie beauté dans le ciel, mais il y a très longtemps. Donc forcément, je la mettais dans mes films, et le public a commencé à dire que c’était ma marque de fabrique et qu’ils adoraient mon ciel. Et comme j’ai compris qu’ils adoraient ça, j’en ai bien profité, et je peux dire que c’est une sorte de connivence heureuse et que c’est parce que le public les aimait tant que j’ai dessiné de plus en plus de ciels.

On a parlé du ciel, mais il y a un autre élément omniprésent dans ce film, la pluie. En général, il y a tout un travail très important d’animation sur les éléments que ça soit la pluie ou la neige par exemple. Personnellement, je trouve ça assez impressionnant la maîtrise que vous avez et j’aimerais savoir comment vous l’avez atteinte, et pourquoi c’est si important pour vous ? 

Quand on parle des techniques, nous avons tous, pas seulement notre studio, mais tous les studios, les techniques pour montrer la pluie, la neige ou tous les éléments naturels. Donc il n’y avait pas du tout de difficulté en ces termes. Pour les scènes de pluie, nous avons utilisé à la fois la méthode manuelle, d’animation traditionnelle, et les images de synthèse. Évidemment, dans Les Enfants du temps, comme il y a énormément de séquences de pluie, ce qui était difficile était le travail gigantesque, car les séquences de pluie sont beaucoup plus complexes à faire que celles ensoleillées car il faut dessiner les reflets de l’eau sur le sol ou les gouttes et ça demande beaucoup d’efforts et de temps à l’équipe. Donc il fallait absolument que je convaincs mon équipe d’accepter de passer beaucoup de temps pour la pluie. Je ne voulais pas qu’ils pensent qu’ils travaillent pour moi. Je voulais que chacun pense qu’il fasse son propre film, et donc j’ai beaucoup parlé avec eux pour qu’ils acceptent et prennent du plaisir à le faire.

Journal du Japon tient à remercier M. Shinkai pour son temps et ses passionnantes réponses. Bien sûr, nous souhaitons aussi remercier Aurélie Lebrun et Emmanuelle Verniquet, les attachées de presse de Game of Com ainsi que l’interprète, Shoko TAKAHASHI qui ont rendu cette interview possible.

La critique du film sera publiée demain.  

2 réponses

  1. kptaine dit :

    Merci pour cette interview très intéressante. Le film est magnifique et effectivement très ancré dans les sujets climatiques actuels.

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