Au Japon, la gastronomie française brille dans l’assiette

Alors que le célèbre guide rouge a dévoilé son cru 2020 fin janvier, les trois étoiles décrochées pour la première fois par un chef japonais ont incontestablement fait l’événement. La gastronomie japonaise a réussi à faire sa place sur la scène française. De l’autre coté de la planète, nos chefs tricolores ne sont pas en reste. Ils sont bien présents et font rayonner la gastronomie française sous le soleil nippon. L’aventure est ardue mais ils sont quelques uns à s’imposer.

Récompensé d’une étoile au Guide Michelin Japon, nous avons rencontré un chef français qui parvient à faire briller l’étoile de la cuisine française à Tokyo, le chef Olivier Oddos, un bordelais d’origine.

Chef Olivier Oddos restaurant Tokyo

Chef Olivier Oddos du restaurant Chez Olivier à Tokyo

A Paris, le restaurant Kei dans lequel le chef Kei Kobayashi officie ne désemplie pas. Il faut dire que chef Kobayashi est le premier japonais à décrocher 3 étoiles dans le Guide Michelin 2020. C’est un fait que les chefs japonais, souvent formés dans les plus fameuses cuisines françaises, brillent par leur talent sur la scène gastronomique hexagonale.

Mais il faut savoir que de l’autre coté du globe, les chefs français parviennent à s’imposer au Japon et notamment dans la tentaculaire capitale tokyoïte qui concentre le plus grand nombre de restaurants étoilés au monde. Les plus grands noms de la cuisine française ont conquis les Japonais friands de gastronomie tricolore. Thierry Marx, Pierre Gagnaire, Paul Bocuse, Joël Robuchon, leur nom suffit à faire scintiller la gastronomie française. Néanmoins, pour ceux qui voudraient goûter une cuisine hexagonale portée par un chef indépendant et ce, à prix raisonnable, c’est possible. Cela se passe à Tokyo dans le quartier d’Ichigaya, à 10 minutes de Shinjuku.

Il est l’un des deux seuls restaurateurs français indépendants et étoilés à Tokyo avec son compatriote Christophe Paucod, chef du restaurant le Lugdunum Bistrot Lyonnais à Iidabashi. Le chef Olivier Oddos a célébré les 10 ans de son établissement Chez Olivier en 2019. Un restaurant qui propose une cuisine française raffinée et inspirée mais sans chichi. Rencontre.

 

Journal du Japon : Bonjour et merci pour votre temps… Pour commencer, pouvez-vous expliquer votre parcours en quelques mots et nous dire ce qui vous a amené au Japon ?

Olivier Oddos : Avant d’arriver au Japon, j’étais sous-chef à la Tour d’Argent à Paris. Une opportunité s’est présentée à moi avec le Cordon Bleu, école de cuisine française de renommée internationale. On me proposait de rejoindre les équipes du Cordon Bleu à Paris. C’était quelque chose de nouveau pour moi mais je suis tout de même allé voir à quoi cela pouvait ressembler. Je suis donc arrivé à Tokyo en août 2000. Après 3 jours d’observation, j’ai donné mon premier cours.

Plat restaurant Chez Olivier Tokyo

Plat restaurant Chez Olivier Tokyo

Il y a 20 ans à Tokyo, la cuisine française ressemblait à quoi ?

Elle était déjà bien présente avec quelques restaurants français. Il y avait des pionniers comme André Pichon. Le premier restaurant français que j’ai testé à Tokyo est le Petit Bedon à Daikanyama. Aux commandes de cet établissement il y avait le chef Philippe Batton, un des premiers chefs français installés à Tokyo.

Il y a toujours eu des grandes maisons mais ce sont des petits restos qui étaient connus des initiés parce que non référencés. Une fois que Tabelog et les autres sites comme Michelin également sont apparus, il y a un référencement qui a permis à ces restaurants méconnus d’être sur le devant de la scène.

Du Cordon Bleu à l’aventure du restaurant Chez Olivier, vous y arrivez comment ?

Il s’est passé 9 ans. L’apprentissage, l’enseignement, ce sont un véritable changement de vie et de rythme. Un rythme de vie qu’on apprécie finalement après 14 ans passés dans une cuisine avec les contraintes de ce métier. Au Cordon Bleu, il y a eu entre temps le défi de l’ouverture de l’école à Kobé dont j’étais en charge. Après avoir déménagé à Kobé, géré l’ouverture, je suis revenu à Tokyo où j’ai été nommé chef exécutif du Cordon Bleu. C’est une parenthèse qui a duré 9 ans mais qui a été très intéressante et très enrichissante. On se remet en question, on est constamment en recherche de nouvelles recettes, nouveaux produits, on échange avec des personnes d’horizons différents, on voyage et découvre de nouvelles cultures et nouvelles cuisines.

Mais à la veille de mes 40 ans, je me suis demandé si je devais continuer l’enseignement au Cordon Bleu ou saisir l’opportunité d’ouvrir mon restaurant et revenir ainsi à mon véritable métier de cuisinier. Le choix fut vite fait. C’était le bon moment. En 3 mois j’ai donc envoyé tout valser et j’ai décidé de me lancer à mon compte à Tokyo non sans avoir hésité entre la France et le Japon. Cependant, après 9 ans d’expatriation, retourner en France pour ouvrir un restaurant me semblait peu évident.

Pour quelles raisons ?

Il aurait fallu que je rentre et que je travaille durant quelques années pour d’autres maisons avant de pouvoir me lancer. Et se réintégrer, notamment d’un point de vue financier, me paraissait vraiment difficile. J’étais devenu un inconnu pour mes banquiers après toutes ces années d’absence. Obtenir des fonds avec une casquette d’expatrié sans d’importants fonds propres était un pari inenvisageable.

A Tokyo, grâce au Cordon Bleu, j’ai acquis une renommée et j’ai su me faire connaitre des médias japonais. C’était donc plus simple d’aller frapper à la porte des banques pour obtenir les finances nécessaires et un local pour mon restaurant. J’ai également pris des cours de japonais pendant 2 ans. Je ne suis pas bilingue mais j’arrive à me débrouiller au quotidien sans pour autant parvenir à nouer de solides relations avec les médias locaux et communiquer sur mon établissement.

Comment imaginiez-vous votre restaurant Chez Olivier ?

A l’époque, j’ai le souvenir que j’allais très souvent dans des restaurants japonais mais très peu dans les restaurants français. Parce que ces restaurants étaient trop chers, trop guindés, trop stricts à mon goût. On y mangeait bien mais c’était trop solennel. L’autre alternative était alors les bistros français. Je voulais donc un restaurant français décontracté de type bistro chic. Mais à ce moment-là les Japonais n’ont pas bien compris le principe… Restaurant chic, bistro classique, ce n’était pas facile à comprendre pour eux. La clientèle étrangère avait bien compris mais pas les Japonais. On a commencé avec 2/3 personnes en cuisine, pareil en salle, et on tout doucement évolué de la cuisine bistro à une cuisine plus élaborée.

PLat chef Olivier Oddos Tokyo Japon

Plat chef Olivier Oddos Tokyo Japon

Quelle est la cuisine que vous proposez aujourd’hui ?

Une cuisine française, de saison, faite de produits frais. Nous changeons la carte 4 fois par an mais nous gardons certaines recettes que les Japonais apprécient tout particulièrement. Sur les produits de saison, il faut bien faire la distinction entre les produits japonais et français. Par exemple, la saison des fraises se déroule en hiver et tout particulièrement au mois de janvier au Japon. Je vais donc utiliser, selon les saisons française et japonaise, les produits à la fraîcheur optimum.

Est-ce qu’il y a une influence japonaise dans votre cuisine ?

Après 20 ans au Japon, il y en a forcément car on est influencé par l’environnement dans lequel on vit, peu importe dans quelle partie du monde on se trouve. Il y a donc des touches japonaises dans ma cuisine. Néanmoins, je ne cherche pas à faire une cuisine typiquement japonaise. J’amène avec moi les marqueurs de la cuisine française. Mes techniques et mes bases sont celles de la cuisine classique française. Il y a des touches des produits japonais que j’ai testé, goûté, essayé et aimé. Cependant je ne veux pas faire une cuisine fusion. Je veux que les clients poussent la porte d’un restaurant qui leur servira une cuisine française.

Dessert restaurant Chez Olivier Tokyo

Pour moins de 4000 yens, il est possible de déjeuner au restaurant Chez Olivier

Il y a également l’acquisition d’une étoile Michelin dans ce parcours ?

Le Guide Michelin au Japon est sorti en 2007 et nous avons ouverts en 2009. L’étoile est arrivée en décembre 2013 pour le Guide 2014. Nous la conservons depuis. Il faut dire que c’est la cerise sur le gâteau. Je n’ai pas ouvert mon restaurant en pensant au Michelin d’autant plus que notre créneau était bistro chic au départ. On a évolué et travaillé dans l’espoir, tout de même, d’avoir cette distinction un jour. Quand elle est arrivée, nous étions donc contents.

Comment est perçu Michelin au Japon ?

Au début, les Japonais l’ont pris à la légère. Notamment les chefs, même si ceux qui étaient dedans étaient contents de l’être. Ce n’est pas quelque chose qui passionnait les clients. Mais maintenant, le fait que ce soit un guide de renommée internationale, connu et reconnu, a fini par attirer l’attention des Japonais. C’est une référence incontournable. Les chefs japonais eux-mêmes se sont pris au jeu. Au Japon, c’est à la fois le Guide Michelin et le bouche à oreille qui permettent à un restaurant de se faire connaître.

plat signature du chef Olivier Oddos à Tokyo

Plat signature du chef Oddos : macaron au foie gras et truffe noire, chantilly au sirop de marc de raisin

Chez Olivier vient de fêter ses 10 ans d’existence ; quelles sont les challenges à venir ?

Il faut perdurer. On n’a pas particulièrement cherché à atteindre ces 10 ans mais on cherche naturellement à continuer de progresser. C’est le moteur de notre métier : sans passion et sans motivation, il n’y pas lieu de continuer.

Face aux barrières culturelles et de la langue, est-ce facile de travailler avec les Japonais ?

Il y a des moments ou c’est facile et d’autres moins. Nous n’avons pas la même façon de s’exprimer, la même façon de penser. Après 20 ans, ce n’est toujours pas évident. La vision n’est pas la même. Ce n’est donc pas simple, d’autant plus que je suis le patron.

Depuis quelques années, le Japon fait face à une véritable crise de recrutement dans la restauration, comme ailleurs dans le monde. C’est un métier difficile avec des horaires contraignants. Par ailleurs, de grands groupes hôteliers ont ouvert à Tokyo depuis 2004. Ils embarquent avec eux énormément de main d’œuvre, ce qui rend le recrutement difficile pour des indépendants comme moi. Il y a encore quelques années, quand je passais une annonce pour recruter du personnel, j’avais le choix des candidats. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Ce sont les candidats qui choisissent avec quel établissement ils veulent travailler. Et pour cela, ils n’hésitent pas à vous dire que vous aurez une réponse qu’après qu’ils aient fait des essais dans d’autres restaurants. Ils n’hésitent pas à partir si c’est trop dur pour eux. Heureusement, j’ai des fidèles qui donnent beaucoup et avec qui on continue de progresser en cuisine.

Et avec les fournisseurs, comment cela se passe ?

Certains sont très heureux de travailler avec un chef français et s’en vantent même. D’autres ne travaillent qu’avec des chefs Japonais et ne veulent pas que vous utilisiez leur produit pour faire de la cuisine française, les poissonniers notamment. Mais cela reste une minorité. Beaucoup jouent le jeu et nous sommes très bien reçus à Toyosu.

Auparavant, c’était plus difficile. Il y avait une vraie méfiance. Avec la barrière de la langue et les différences culturelles, ça peut compliquer les choses. Nous sommes sur une île ne l’oublions pas. La confiance au Japon prend du temps. J’ai d’ailleurs eu beaucoup de refus au départ lors de ma recherche d’un local pour mon restaurant. J’ai fait face à de la méfiance encore une fois. Là où je me trouve, dans le quartier d’Ichigaya, la localisation n’est pas optimum car loin des gares. Un point essentiel pour capter la clientèle japonaise. Cependant le propriétaire était à l’époque ravi de voir arriver un établissement français alors nous sommes heureux de voir que l’aventure continue 10 ans plus tard.

Une chose est sûre, je ne changerai rien au parcours qui est le mien aujourd’hui.

 

Un grand merci au chef Olivier Oddos du restaurant Chez Olivier à Tokyo pour cet éclairage intéressant de l’aventure entrepreneuriale au Japon. Pour les suivre sur Facebook, c’est ici.

 

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