Elles nous racontent leur Japon #8 : Camille Monceaux

Camille Monceaux

Camille Monceaux – Crédits ©Sophie Lavaur

Rencontrer Camille, c’est comme prendre un grand bol d’air frais, un moment d’évasion dans le temps, au Japon et sur les routes du monde. 

Camille est une jeune romancière, son premier livre Les Chroniques de l’érable et du cerisier est paru l’été dernier chez Gallimard Jeunesse, un rêve d’enfance.

Une écrivaine nomade, qui aime le thé, la cuisine japonaise et les grands espaces. Féministe et militante convaincue, elle me partage ses envies et ses secrets d’autrice. Et m’explique que l’écriture chez elle, c’est un peu une affaire de famille.

Sophie Lavaur : Bonjour Camille, qu’aurais-tu envie de nous dire sur toi ?

Camille Monceaux : Je vais partir sur mon état d’esprit actuel. Je me sens super heureuse, contente et chanceuse, malgré le contexte et la grisaille ambiante. J’ai la tête pleine de projets et j’ai la pêche.

L’année 2020 a été difficile. Avec mon mari, nous devions partir en Australie pour huit mois, et j’ai eu deux décès difficiles dans mon entourage. Ça a été une année compliquée. Malgré la sortie du roman en août dernier, j’ai eu du mal à trouver mes repères. Et là, en ce début d’année, j’ai l’impression qu’il y a plus d’espoir, ça fait du bien.

Hier, nous avons acheté un van, après avoir mûrement réfléchi. Nous en avions assez d’attendre, de repousser nos projets de voyages. Il nous fallait faire maintenant ce dont nous avions envie, dans la mesure du possible. 

Sinon, je suis écrivaine, je viens de publier le tome 1 de ma première saga Les chroniques de l’érable et du cerisier. Le yoga est ma deuxième passion.

Pourquoi le Japon ?

C’est la question que l’on me pose tout le temps, c’est très difficile pour moi d’y répondre.

C’est comme un coup de foudre, on ne peut pas vraiment l’expliquer. Ça m’est tombé dessus quand j’étais au lycée, une copine m’avait fait découvrir les mangas, les animes, j’ai adoré.

Plus tard en classe préparatoire, j’ai re découvert les Miyazaki, je dépensais tout mon argent de poche à la FNAC. A défaut, je me posais dans les rayons et je bouquinais. J’étais assez solitaire, cela m’apportait une bulle de sécurité, un endroit où je me sentais vraiment bien, tout en m’ouvrant de nouveaux horizons.

Quand je suis arrivée à Paris, en licence d’histoire et de lettres, j’ai découvert la littérature japonaise. Ma mère m’avait offert IQ84 de Haruki MURAKAMI. Après avoir tout lu de lui, j’ai un peu déchanté. Très vite, j’ai commencé à lire d’autres auteurs, avec un fort penchant pour les romans historiques. 

Pour la provinciale que j’étais (NDLR : Camille vient de la campagne bordelaise), j’ai eu la révélation du quartier japonais rue Sainte Anne, je n’avais jamais mangé de sushis, ce n’était pas dans la culture familiale.

En découvrant cette communauté, je me suis mise à la cuisine japonaise, à la cérémonie du thé, j’ai commencé à prendre des cours de japonais, cela m’a beaucoup plu. J’aime beaucoup les langues, j’avais envie de parler japonais, de pouvoir lire de la poésie, ce genre de choses.

Mes parents sont des globe-trotteurs, j’ai pas mal voyagé enfant, mais jamais au Japon. Pour y aller, j’ai attendu la fin de mes études, afin d’avoir assez d’économies et de liberté. J’avais été en apprentissage dans une maison d’édition, ils me proposaient un CDD d’un an, j’étais un peu déchirée entre la voie de la sécurité et le saut dans le vide. Finalement, j’ai pris un visa vacances-travail pour partir au Japon. 

J’avais prévu d’aller à Tokyo, tout était organisé, le billet, le logement, et pendant l’été, je me suis mise avec Maxime, mon futur mari, qui était en master avec moi. Étant franco-japonais, il a pu avoir rapidement un passeport, nous sommes partis ensemble à l’automne, et avons loué un chouette appartement à Tokyo avec vue sur le mont Fuji. Il parle japonais, qu’il a appris avec sa mère, de manière informelle, plutôt orale, ce qui s’est révélé pratique pour notre vie sur place.

Nous sommes restés dix mois là-bas. Pendant six mois, j’ai suivi des cours intensifs de japonais, lui travaillait au Bureau des Copyrights de Tokyo. Nous passions les weekends et jours fériés en vadrouille. Après, j’ai un peu bossé comme nounou, donné des cours, puis mes parents sont venus nous voir. C’était une année de rêve.

Nous sommes rentrés à Paris pour reprendre le fil de notre vie. Pendant deux ans, nous avons eu de bons boulots dans l’édition, un bel appartement, mais il manquait quelque chose. Nous avons tenté de partir au Canada, mais je n’ai pas eu le visa. La Nouvelle Zélande semblait plus facile et comme nous sommes des fans ultimes du Seigneur des Anneaux, nous avons pris nos billets. Cela a été une parenthèse de huit mois sur les routes, dans la nature. Nous sommes rentrés au printemps 2018, pour nous marier dans la foulée.

Et l’écriture dans tout cela ?

Depuis toujours, j’ai le souvenir d’avoir envie d’être écrivaine, raconter des histoires me faisait rêver. J’adorais lire, j’étais une enfant assez solitaire, la première de la classe.

Plus jeune, je n’écrivais pas trop, mais j’avais une facilité. J’avais la manie d’acheter de beaux carnets, mais comme je ne voulais pas de ratures, j’ai vite renoncé. Sans rature, on ne peut pas avancer. J’étais comme bloquée. J’ai vraiment commencé à écrire quand j’ai eu mon premier ordinateur à dix-neuf ans.

J’ai fait des études de lettres et de langues. Je ne pensais pas à cette époque devenir écrivaine, je voulais plutôt être journaliste, interprète ou prof de latin-grec. Le master dans l’édition s’est fait naturellement après ma licence. Comme j’adorais les livres, l’édition avait l’air plus sympa. 

J’ai eu des expériences intéressantes, en apprentissage et puis plus tard, après mon retour du Japon, comme éditrice chez Nathan. J’ai rencontré des gens bien, cela m’a permis de prendre confiance en moi, j’ai pu renouer avec l’écriture. J’avais un projet très prenant mais très encadré, donc j’ai pu dégager du temps pour écrire. Cela a été un moment pivot grâce auquel je me suis rendu compte que je n’avais pas envie de continuer à travailler dans le monde corporate, que j’avais envie de repartir sur la route.

Peux-tu nous raconter la genèse du livre ?

Vers l’âge de dix-neuf ans, quand j’étais à fond dans les mangas, j’ai eu envie d’écrire un roman qui se passerait au Japon. J’avais en tête une histoire de samouraïs et d’amour impossible. Déjà la notion de travestissement, de personnage qui doit se dissimuler, masquer ses traits, qui ne peut pas dévoiler au grand jour qui il est, était quelque chose de très présente.

J’ai commencé à écrire, j’ai terminé ce premier roman au Japon, mais je me suis vite aperçue que cela n’allait pas, ça partait dans tous les sens. C’est un roman qui me suivra toute ma vie, je l’ai réécrit plusieurs fois, et je ne le ferai sans doute jamais publier.

J’ai eu une panne d’écriture pendant deux ans, pas d’inspiration, pas le temps, pas la tête à ça. Puis en 2017, j’ai eu l’appel de l’aventure, très lié à une énorme nostalgie du Japon. 

J’avais toujours cette idée d’un personnage obligé de se cacher derrière un masque. J’avais eu enfant, cette fascination pour le masque de fer, je me demandais comment on pouvait forcer quelqu’un à vivre comme ça pendant des années, avec un mystère autour de son identité. 

Camille Monceaux

Camille Monceaux – Crédits ©Sophie Lavaur

Il y a un peu de tout cela qui s’est combiné dans mes Chroniques. C’était une manière de re cultiver ce lien avec le Japon, de me replonger dans cet univers, j’ai repris à cette occasion mes cours de japonais. J’ai commencé à acheter des livres d’histoire, j’ai beaucoup potassé. J’ai une formation d’historienne, les recherches, c’est une des étapes que je préfère. Mais j’ai aussi appris à prendre de la distance par rapport à la véracité historique. Je cherche surtout à raconter une histoire qui me fait plaisir, c’est un roman, pas un essai. Cela n’a pas été simple.

Maxime m’a beaucoup aidée, il relit le premier mes romans. Il m’a souvent re cadrée « ne mets pas tant de détails, de termes japonais ». Il est éditeur lui aussi, et il connaît bien le Japon ! Il a aussi beaucoup lu d’histoires de samouraïs et pour les combats, les descriptions de passes, il m’aide beaucoup. Parfois j’invente et on se rend compte que ce n’est pas crédible.

Et tu as trouvé facilement un éditeur ?

J’avais fait un story-board, je savais où j’allais. Maxime et ma petite sœur l’avaient relu, je l’avais retravaillé, pour ensuite le faire lire par toute la famille. 

A l’été 2018, je l’ai envoyé à des maisons d’édition jeunesse. Ce qui est chouette avec ce créneau jeunesse, c’est qu’on peut envoyer le fichier par email. Cela représente un sacré coût d’imprimer un bouquin pour le soumettre aux éditeurs.

Une autre maison d’édition était intéressée, je les connaissais, quand j’étais en apprentissage en 2014, nous partagions les mêmes bureaux et j’avais noué quelques amitiés. Du coup, j’ai écrit à Gallimard Jeunesse pour les relancer, sans vraiment y croire, parce que quand j’étais petite, c’est eux qui publiaient tous les livres dont j’étais fan. Et là, ils m’ont tout de suite dit, ne signez rien, le roman est en cours de lecture. Cela m’a permis de négocier une avance, je peux ainsi me consacrer à l’écriture comme je le fais depuis deux ans.

A la base, j’avais une histoire en deux tomes, un diptyque, je voulais un effet miroir. Mais le manuscrit était trop gros. Donc ils m’ont proposé de couper. C’est finalement mieux, cela me donne plus de temps et de matière pour développer les personnages, ce que je n’aurais pas pu faire avant. Comme j’ai du mal à être concise, je compte sur mon éditrice pour m’aider à couper.

Comment vis-tu ce début de succès ?

Très bien, avec quand même un peu de stress. 

Le livre a bien été accueilli par le public dès sa sortie. Nous en sommes à la troisième impression. Je suis les retours des #bookstagrameuses, des communautés de jeunes femmes qui font des critiques sur Instagram. Elles sont très romance, dystopie, je ne me classe pas dedans. Au début ça a été difficile, et après, le temps que le livre se lance, j’y ai eu de bons retours.

Je suis très sensible et susceptible, j’accorde encore trop d’importance à ce que l’on pense de moi, un résidu du syndrome de la petite fille modèle. Les premières critiques m’ont fait tout remettre en question, c’était très mélodramatique. 

Depuis, j’ai appris à prendre de la distance. Avec le temps qui passe, j’ai des commentaires divers et variés, les gens aiment le livre pour différentes raisons. Je me dis qu’il ne faut pas chercher à faire plaisir et à écouter les critiques, il faut d’abord que j’écrive quelque chose dont moi je sois fière. Dans ces critiques à la fois positives et négatives, j’ai pu me construire en tant qu’autrice et gagner en maturité.

Qu’as-tu appris d’autre de cette aventure littéraire ?

A me détacher un peu des retours justement, c’est Maxime et mon attachée de presse qui s’en occupent, c’est très bien. Il peut y avoir un côté addictif, l’égo s’enflamme, il me faut apprendre à prendre de la distance avec ça.

J’ai aussi appris à avoir plus confiance en moi, à accepter les coupes, que certains personnages qui devaient mourir soient ressuscités par exemple. Apprendre à lâcher du mou et à avoir un regard extérieur sur sa propre écriture.

Un secret à partager sur le livre ? 

Dans l’impasse, il y a un citronnier grâce auquel Ichirô rentre dans le jardin de Hiinahime. Le roman a été relu peut-être une quinzaine de fois, et c’est quasiment au BAT que Maxime s’est rendu compte que le citronnier était magique, il avait deux troncs, un dans le jardin et un dans l’impasse ! Que soit pour aller dans le jardin ou pour en repartir, Ichirô grimpait toujours au tronc du citronnier. Heureusement, on a vu ça et on a corrigé. Le bouquin serait sorti comme ça, je crois que je ne l’aurais pas vu. Cela nous a fait bien rire.

Les dessins du début du livre sont de ma petite sœur, et sur la couverture, le tenkoku dans le o des Chroniques, c’est mon nom, je l’ai fabriqué lors d’un atelier.

Et un meilleur souvenir ?

J’ai fait une seule séance de dédicaces, au Renard Doré à Paris, c’est la seule qui a pu être maintenue. J’étais hyper stressée, j’avais mal au ventre, mais c’était fantastique, l’équipe est tellement adorable. C’est la première fois que je rencontrais des lecteurs, de tous les horizons, de tous les âges, des gens qui avaient lu et pas encore lu le roman.

A Noël pendant les fêtes, j’ai reçu beaucoup de messages de lecteurs, ce n’était pas le cas pendant les premiers mois, et depuis des gens m’écrivent, disent que le roman les a fait voyager malgré cette période compliquée. Cela m’a fait vraiment plaisir. Avoir des retours comme ça c’est fantastique, cela me donne la motivation pour continuer. J’y trouve du sens.

Je suis très consciemment engagée par rapport à l’écologie, et au féminisme, il y a plein de questions que je me pose. Et je me disais, mon pauvre roman, qui se passe au Japon du XVIIe siècle à quoi ça sert ? Quel est son sens ? Donc ces retours m’ont permis de prendre conscience que cela fait du bien d’avoir des histoires qui nous sortent complètement du quotidien.

Quelle est la part de Japon dans ton quotidien ?

Le thé, que j’essaie de boire avec parcimonie, car le thé vert empêche de fixer le fer. Devant mon ordinateur, j’aime bien à avoir ma théière à proximité, et regarder autour de moi, le ciel, les paysages.

J’écris un peu le matin, avant ma pratique de yoga. Cette dernière est ma soupape, elle me permet de moins stresser. Ensuite l’après-midi, si je suis dans la phase de recherche ou de création, je peux oublier de manger, me perdre dans l’écriture. En ce moment, je suis dans une phase de relecture, de correction, j’ai plus de mal, c’est la partie que j’aime le moins. J’ai fait beaucoup de recherches, je continue à en faire. Des fois, c’est avant d’écrire et d’autres fois c’est après, au fur et à mesure.

Il y a aussi la nourriture, ma sœur m’a offert à Noël un bouquin de cuisine japonaise végane, il est formidable. Les recettes sont faciles, je cuisine énormément japonais.

Je lis beaucoup, en ce moment, c’est L’éloge de l’ombre de Junichirô Tanizaki. J’avais arrêté de lire des mangas, et j’ai un peu craqué lors de ma dédicace à Paris, j’ai acheté la série sur Isabella Bird. 

Quel est ton livre ou auteur préféré sur le Japon ?

Beaucoup d’autrices japonaises en fait, je ne sais pas s’il y en a une que j’aime plus que les autres. 

Il y a Ito OGAWA, j’adore sa manière d’écrire, j’achète ses romans dès leur sortie. Aussi les livres de Yōko Ogawa, en ce moment je lis Instantanés d’Ambre. Avec elle, soit c’est un énorme coup de cœur, soit je n’aime du tout car c’est trop farfelu pour moi. Mais ses romans ne me laissent jamais indifférente, j’y repense souvent.

J’ai beaucoup aimé La péninsule aux 24 saisons de Mayumi Inaba, qui est encore peu traduite.

J’essaie de lire en japonais, c’est difficile sans ordinateur. J’ai découvert une version de Ame et Yuki, les Enfants loups en japonais avec les furiganas, je lis quelques pages chaque semaine, c’est mon petit entrainement.

J’ai repris les cours de japonais, ce n’est pas une langue à apprendre tout seul. Je me suis remise à la calligraphie. Plus que tout, j’ai très envie de retourner au Japon.

Et les prochains projets ?

Je termine le tome 2 des Chroniques, j’en suis fière. Il va sortir cet été.

Nous allons nous réinstaller à Lacanau, dans la maison de mes parents, pour faire l’aménagement du van que nous venons d’acheter. Je vais continuer à pratiquer le yoga, et à écrire.

J’ai plein d’idées pour d’autres histoires, avec toujours l’envie d’écrire sur le Japon. Quand j’y pense, ma créativité s’enflamme, tout coule.

J’aimerais écrire sur le Japon moderne, mais il me faudrait y retourner. Ou raconter mes souvenirs de quand nous avons vécu là-bas, sous format BD qui sait ?

J’aimerais également écrire sur la vie de Tomoe Gozen, une des grandes figures de femmes samouraïs du XIIe siècle. Ce qui m’intéresse, c’est de raconter de mon point de vue de jeune femme féministe. Car l’histoire est écrite pas les hommes, elle n’est pas neutre. On en parle très peu, mais il y a eu sûrement beaucoup plus de femmes samouraïs qu’on ne le pense. J’aimerais essayer de leur rendre justice, car cela me frustre de les voir sous-représentées ou toujours figurées de manière stéréotypée. Je ne lis pas assez bien le japonais pour faire des recherches poussées, mais il y a toute mon imagination, ma fantaisie qui prend le relais, c’est chouette aussi.

Et ton grand rêve ?

Partir vivre au Japon, ou faire six mois en France six mois là-bas, habiter dans une vieille villa traditionnelle, boire du thé dans le engawa, regarder les saisons passer et écrire.

Plus concrètement, après le van, j’aimerais que l’on se construise une tiny house à la campagne, en Dordogne par exemple. Je rêve d’avoir un grand potager, j’adore la nature. Enfin, il faut faire des choix, je n’aurai pas le temps de tout faire. 

Pour l’instant, je suis vraiment contente de tout ce que nous entreprenons.

Merci Camille pour ton accueil très chaleureux, bon vent à toi, que tes rêves se réalisent.

Le livre de Camille Les chroniques de l’érable et du cerisier, est à découvrir aux Éditions Gallimard Jeunesse et dans votre librairie préférée.

Les Chroniques de l'Erable et du Cerisier de Camille Monceaux

Les Chroniques de l’Erable et du Cerisier de Camille Monceaux – Crédits ©Sophie Lavaur

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