Beck : retour sur un manga culte avec les éditions Delcourt/Tonkam

Pour célébrer la réédition en France de Beck dans une édition « Perfect », Journal du Japon est allé à la rencontre de Julien Pierre, l’éditeur ayant supervisé cette réédition. L’occasion idéale, après notre critique d’hier, pour revenir sur les nouveautés qu’apporte cette édition, ainsi que sur ce qui a fait de l’œuvre de Harold SAKUISHI le manga culte qu’il est devenu en un peu plus de vingt ans. 

Beck, volume 1, couverture

© Harold Sakuishi / Kodansha Ltd.

Bonjour, merci d’avoir pris le temps de répondre à nos questions et félicitation pour cette nouvelle édition. 

Pour commencer, j’aimerais revenir sur l’histoire commune de Delcourt/Tonkam et Beck. C’est un manga que vous avez commencé à éditer en 2004, et qui fait son retour dans votre catalogue dix ans après la fin de sa publication. Est-ce que vous pouvez nous parler de cette histoire commune, et de ce qu’il représente pour Delcourt/Tonkam ?

Julien Pierre : Beck était un titre majeur du catalogue shônen de Kodansha et une opportunité éditoriale passionnante pour Delcourt. Ce qui était intéressant avec ce titre, c’est qu’il pouvait être vu comme un pendant « masculin » de Nana. On retrouvait un duo formé d’un novice et d’un professionnel qui amenait le lecteur à découvrir l’univers de la musique rock, ses codes, son histoire avec en toile de fond des histoires romantiques. Beck, c’est vraiment une immersion dans les caves et salles obscures qui sentent la bière, le tabac et la sueur. Toute la mécanique qui amène à la création d’un groupe y est décrite avec précision et bien sûr une touche de romanesque et de suspense. Son esprit rebelle collait parfaitement à l’esprit de la collection manga de Delcourt.

Je serais curieux de savoir comment le manga a été reçu à l’époque de sa sortie. S’il s’était bien vendu par exemple, et quels genres de retours avaient pu faire le public et les critiques ?

S’il n’a pas réalisé les ventes exceptionnelles de Nana, Beck reste à ce jour l’une des meilleures ventes shônen de Delcourt avant la fusion avec Tonkam. Il s’agissait d’un titre attendu à l’époque et son démarrage était plutôt bon.

Maintenant, pour en venir à cette Perfect Edition, est-ce que vous pouvez revenir pour nous sur les enjeux et les défis que soulève ce genre de réédition, et sur la différence qu’il y a entre éditer un manga pour la première fois et le rééditer ?

Beck, chien, manga

Tout bon manga à sa mascotte, Beck lui tire son nom de la sienne, le chien de Ryûsuke
© Harold Sakuishi / Kodansha Ltd.

Tout d’abord, de façon simple, quand nous rééditons un manga, c’est que nous pensons vraiment qu’il s’agit d’une œuvre véritablement importante et marquante dans l’histoire du manga en France – ou plus particulièrement une œuvre emblématique de notre propre catalogue -, et qui n’a pas perdu de son intérêt au fil des années. Une question importante pour nous est de savoir véritablement à qui nous souhaitons nous adresser : aux anciens lecteurs, qui ont lu et aimé l’œuvre à sa sortie et qui souhaitent la relire pour retrouver cette émotion originelle, ou à une nouvelle génération de lecteurs de mangas ? Ces derniers sont de plus en plus connaisseurs de l’histoire du manga en France, et sont très friands de pouvoir se procurer des « classiques » pour élargir leur culture, et bien sûr aussi profiter d’une œuvre de qualité. Pour nous, l’intérêt de faire des rééditions, c’est aussi d’enrichir nos éditions quand nous en avons l’opportunité : ajout de pages couleur, de chapitres ou d’illustrations bonus, pourquoi pas repenser la charte graphique, ce genre de choses. Mais chaque projet est différent, il faut jouer avec le matériel, avec ce que nous autorisent les ayants droit ou non, ce genre de facteurs inhérents à chaque titre.

Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur les raisons qui vous ont poussé à rééditer Beck, et sur ce que cette nouvelle version apporte par rapport à l’ancienne ? 

Pour nous, rééditer Beck, c’est vraiment pouvoir remettre en avant une série emblématique du catalogue Delcourt/Tonkam, lui redonner un nouveau souffle. La série a tout de même une vingtaine d’années, lui redonner une actualité est important pour lui conférer toute la lumière qu’elle mérite. Cette édition est agrémentée de pages bonus dans chaque tome, toutes issues du Guidebook publié au Japon mais inédit en France. Interviews de l’auteur, retour sur les personnages, sur les guitares ou les albums emblématiques que nous retrouvons au fil des tomes jalonneront la série. Une belle manière d’entrer en Backstage !

J’aimerais maintenant que vous nous parliez de l’œuvre en elle-même. À votre avis, qu’est-ce qui fait que Beck trouve encore son public plus de vingt ans après sa première publication au Japon ?

Beck, c’est l’histoire de la concrétisation d’un rêve d’adolescent : un gamin introverti qui devient une véritable rock star. Le concept est simple mais rudement efficace. Si les œuvres littéraires peuvent vieillir, les rêves, eux, sont intemporels, tout comme certaines valeurs universelles qui jalonnent Beck. Ce sont donc les titres qui sont forgés dans ce matériau impalpable qui, selon moi, peuvent traverser les décennies sans perdre de leur pertinence, de leur intérêt et de leur magie qui fonctionnera toujours sur les lecteurs.

C’est un manga qui a un pouvoir d’attraction assez incroyable, qui est profondément humain, touchant et entrainant. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur ce qui fait, pour vous, l’intérêt et la force du style de Harold SAKUISHI ? 

Beck, rock, concert, Ryûsuke

L’un des « moments de grâce » du manga
© Harold Sakuishi / Kodansha Ltd.

Harold SAKUISHI a cette force de parvenir à tisser son récit de plusieurs fils d’or. Il combine, entre autres, récit initiatique, humour à la fois subtil et absurde et romance légère. Il sait, en à peine quelques pages, parfois même quelques cases, faire ressentir la force des émotions de ses personnages. Par exemple lorsque Koyuki reçoit sa première guitare et voit Ryûsuke jouer quelques notes dessus, c’est pour moi l’un des passages les plus touchants et les plus évocateurs de la série. En quelques cases, tout bascule, on sent toute la mécanique intellectuelle et émotionnelle qui se met en place. Nous ne sommes pas loin de la grâce !

SAKUISHI est aussi capable de créer des personnages profondément touchants, même dans leur maladresse ou dans leur absurdité ! Par Exemple Saito, le professeur de guitare de Koyuki, est complètement déluré, vraiment creepy, parfois flippant, et pourtant il est incroyable et apporte à lui tout seul une couleur particulière à cette œuvre. Il en va de même pour la majorité des personnages de Beck. L’auteur ne laisse rien au hasard, chaque personnage a une personnalité très forte et très travaillée, c’est ce qui fait qu’on s’attache tant à cette œuvre.

Finalement, parlons un peu musique. Quand Beck est sorti au début des années 2000 le paysage musical était complètement différent. Oasis ne s’était pas encore séparé, les Red Hot sortaient Californication, The Strokes commençaient à se faire connaître et Hybrid Theory propulsait Linkin Park au sommet de la gloire. En 2020, le rock est beaucoup moins représenté et a été « remplacé » par le rap. Est-ce que ça change quelque chose pour un manga comme Beck qui parle précisément de ce style de musique ? 

La force d’un bon shônen repose sur sa capacité à être efficace quel que soit le sujet. Eyeshield 21 a cartonné alors que personne ne s’intéresse au football américain, Hikaru no Go a trouvé son public sans que personne n’ait jamais joué au Go. Beck n’a pas besoin d’une actualité musicale pour toucher le cœur de ses lecteurs. Les références sont un plus indéniable et permettront à celles et ceux qui souhaitent approfondir leur expérience rock de s’immerger encore plus dans cette culture. Beck, c’est un parcours initiatique sur la découverte de soi, d’une certaine forme de liberté dont le vecteur principal est le rock. C’était vrai en 2000, ça l’est toujours vingt ans après, sans nécessiter d’opposer le Rock et le Rap, les passerelles étant très nombreuses entre ces 2 genres (comme ça l’est d’ailleurs montré à plusieurs reprises dans Beck).

Pour rester sur le sujet, est-ce que ce n’est pas inquiétant, pour un éditeur, de travailler sur un manga qui a pour objet quelque chose que les lecteurs ne pourront pas entendre ?  Comment fait-on face, en tant qu’éditeur, à ce genre de défis ? 

Cette question est justement abordée dans les pages bonus que nous rajoutons à cette réédition. Sans spoiler le contenu de cette interview de l’auteur, ce dernier parle de l’importance de l’interprétation personnelle du lecteur. Le lecteur est ainsi poussé à se projeter dans le cœur de l’œuvre pour en savourer pleinement toutes les subtilités. Une lecture active, sans concession, est certes demandée à quiconque tient cette série entre ses mains, mais l’expérience n’en est que plus savoureuse !

Pour conclure, comment vous présenteriez Beck à un nouveau lecteur ? Comme vous lui décririez son histoire et ce qui fait son intérêt ?

Je lui dirais : Hey toi, crois pas qu’on en a fini avec les confinements. Bientôt, ta seule possibilité d’aller voir un bon concert, ça sera de lire Beck… Alors fonce en librairie avant qu’on ne puisse plus acheter de livres à cause de la crise du papier !  Et peut-être même qu’à la fin, tu auras envie de t’acheter une guitare électrique pour occuper tout ce temps libre qui s’offre à toi…

Ry

Ryûsuke, le charismatique leader de Beck, et l’un des innombrables personnages attachants du manga
© Harold Sakuishi / Kodansha Ltd.

Journal du Japon tient à remercier les éditions Delcourt/Tonkam, tout particulièrement Solène Ubino qui a rendu cette interview possible et bien sûr Julien Pierre, qui s’est rendu disponible pour répondre à nos questions.

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