Galette au miel : Murakami explore les fissures de notre inconscient
Les éditions Belfond republient une nouvelle de Haruki Murakami, illustrée par la dessinatrice allemande Kat Menschik. L’écrivain y décrit l’impossibilité d’échapper à son destin.

Takatsuki, Junpei et Sayoko forment un trio inséparable à l’université de lettres. Mais Takatsuki et Junpei sont tous les deux amoureux de Sayoko. Pourtant c’est Takatsuki, plus entreprenant, qui obtiendra les faveurs de la belle Sayoko. Devenus adultes, Takatsuki, journaliste dans un grand quotidien, et Sayoko, traductrice littéraire, se marient et achètent un petit appartement à Tokyo. Ils ont rapidement une fille, Sara.
Junpei, lui, écrit des nouvelles et subsiste grâce à de petits boulots. Il ne gagne pas très bien sa vie, mais ses écrits ont toujours un bon accueil critique et il est sélectionné plusieurs fois pour le prestigieux prix Akutagawa, le Goncourt japonais, sans pourtant jamais l’obtenir. Il trouve de petites amies pas trop exigeantes, qu’il quitte quand il est lassé d’elles.
Pourtant, deux ans après la naissance de Sara, Takatsuki et Sayoko divorcent. Takatsuki incite Junpei à se marier avec Sayoko, mais ce-dernier ne parvient pas à se lancer.
Tremblement de terre
Tout va basculer le jour où Sara commence à faire des cauchemars à cause du tremblement de terre de Kobe, survenu le 17 janvier 1995 (plus de 6000 morts et plus de 43 000 blessés). Toutes les nuits, Sara se réveille. « Je crois que c’est parce qu’elle a trop regardé les informations. Les images du tremblement de terre de Kobe sont sans doute trop impressionnantes pour une petite fille de quatre ans », explique Sayoko à Junpei.

Sayoko est épuisée et fait appel à Junpei, qui est le seul à réussir à apaiser les angoisses de Sara. Leur relation se transforme alors.
Au-delà du calme apparent, Murakami explore dans cette nouvelle écrite en 2011 et republiée en 2024 avec des dessins de Kat Menschik, les désirs enfouis des personnages et les fissures qui finissent toujours par remonter à la surface. A la différence de ses autres nouvelles, qui basculent souvent dans l’étrange et le fantastique, Galette au miel reste bien ancré dans la réalité. Junpei, le personnage principal mène une vie tranquille, tout entier absorbé par son travail d’écriture et n’est pas en proie à des questionnements existentiels comme souvent les personnages de Murakami. Tout au plus a-t-il des insomnies de temps à autres. On retrouve tout de même dans cette nouvelle le style de Murakami car à un moment donné, tout bascule. Des perturbations qui étaient en germe depuis longtemps apparaissent. Un événement, en apparence anodin, fait tout dérailler.

Un double de l’auteur
Junpei est à Barcelone pour un reportage lorsque se produit le tremblement de terre de Kobe. Il est justement originaire de Kobe mais est fâché avec ses parents (ceux-ci n’ont jamais accepté qu’il fasse des études de lettres puis se lance dans la carrière d’écrivain). Murakami décrit les fissures qui s’ouvrent en lui à l’annonce de la catastrophe.
Junpei reprit l’avion, rentra à Tokyo, retourna à sa vie habituelle. Il n’alluma plus la télévision, ne lut pas les journaux. Quand on parlait du tremblement de terre, il se taisait. C’était l’écho d’un passé qu’il avait enterré il y a trop longtemps. Il n’avait pas remis les pieds dans cette ville depuis sa sortie de l’université. Pourtant, les scènes de dévastation entrevues sur l’écran de la télévision espagnole avaient ravivé une blessure profondément enfouie en lui. Cette catastrophe d’une ampleur inégalée, qui avait fait de nombreuses victimes, semblait avoir transformé tous les aspects de sa vie, sans bruit, mais de fond en comble. Junpei ressentait une profonde solitude, inconnue jusqu’alors. « Je n’ai pas de racines, se disait-il. Je ne suis relié à rien ».
Junpei est une sorte de double de Murakami, bien que leurs histoires soient différentes. Murakami lui aussi a été ébranlé par le tremblement de terre de Kobe. Une fois sa renommée bien établie, il a en effet vécu dans le sud de l’Europe (Italie et Grèce) puis aux Etats-Unis, où il a notamment été professeur dans les universités de Princeton, Harvard et Tufts. Il est finalement rentré au Japon en 1995, suite au séisme de Kobe et à l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo. L’auteur a en effet passé une partie de son adolescence à Ashiya, tout près de Kobe. Le séisme de 1995 a d’ailleurs gravement endommagé la maison de ses parents, au point qu’ils ont dû déménager et ont finalement choisi de s’installer à Kyoto.
A noter également que Galette au miel faisait originellement partie du recueil Après le tremblement de terre, dont elle était la nouvelle phare. Les six nouvelles de ce recueil sont toutes inspirées par le tremblement de terre de Kobe et évoquent les séismes intimes dans la vie de différents personnages.
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