Le prix des jeux vidéo augmente : 90 euros, une arnaque ?

L’annonce du prix de Mario Kart World à 89,99 euros sur la future Switch 2 a surpris les joueurs. Derrière cette polémique se cache une tendance plus large : la hausse des tarifs dans l’industrie du jeu vidéo. Entre avancées technologiques, inflation des coûts de production et évolution des modèles économiques, le secteur est en train de se réinventer. Mais cela sera-t-il au détriment du portefeuille des joueurs ?

Une pilule difficile à avaler

Le choc a été brutal pour de nombreux joueurs. Mario Kart World, l’un des premiers titres attendus sur la future Nintendo Switch 2, sera vendu à 89,99 euros. À titre de comparaison, les blockbusters sur Nintendo Switch première génération dépassent rarement les 69,99 euros. Une inflation des prix qui a immédiatement enflammé les réseaux sociaux et forums spécialisés, certains n’hésitant pas à parler d’insulte aux consommateurs.

Mais cette hausse de prix ne sort pas de nulle part. Elle reflète une transformation profonde du marché vidéoludique : nouvelles technologies, augmentation des coûts de production, changement des modes de consommation et concurrence exacerbée entre constructeurs en sont la cause. Nintendo a d’ailleurs justifié ce prix en évoquant l’ambition technique accrue de ses futurs jeux et l’augmentation générale des coûts de développement.

Dans ce contexte, Nintendo n’est pas un cas isolé : Sony et Microsoft avaient déjà franchi le cap des 79,99 euros pour certains de leurs jeux AAA dès 2020, avec la sortie de la PlayStation 5 et de la Xbox Series X/S. Nintendo suit donc une tendance du marché, mais pousse l’étiquette tarifaire encore plus loin. Est-ce justifié pour autant ?

Pourquoi les prix augmentent-ils ?

Depuis la pandémie de Covid-19, les coûts de fabrication des consoles et des jeux vidéo ont explosé. La crise des semi-conducteurs (des composants électroniques essentiels aux consoles) a entraîné une pénurie mondiale, impactant non seulement la fabrication des consoles comme la PlayStation 5 ou la Xbox Series X/S, mais aussi celle des cartouches physiques pour Nintendo.

Selon un rapport de TrendForce, les prix des semi-conducteurs ont grimpé de 20 % entre 2020 et 2022. De plus, la logistique mondiale s’est complexifiée, les coûts d’acheminement des marchandises ont été multipliés par quatre entre 2020 et 2021.

Produire une console ou un jeu physique est donc devenu bien plus cher. Nintendo, qui fabrique encore de nombreux jeux sur cartouches physiques (et non sur disque optique comme Sony ou Microsoft), est particulièrement touché par cette augmentation.

Le coût de développement des jeux vidéo

La production d’un jeu vidéo AAA coûte aujourd’hui en moyenne entre 100 et 200 millions de dollars, voire plus pour les titres les plus ambitieux. À titre d’exemple, The Last of Us Part II (Sony) a nécessité plus de 200 millions de dollars de budget développement-marketing combiné, mobilisant plus de 200 développeurs sur plusieurs années.

Chez Nintendo, des titres comme The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom, sorti en 2023, ont été conçus avec des équipes d’environ 300 à 400 personnes, contre une centaine seulement pour Breath of the Wild en 2017.
À chaque génération, le niveau d’attente monte : graphismes ultra-détaillés, mécaniques de jeu sophistiquées, modes multijoueurs connectés, expériences immersives nécessitant des investissements technologiques et humains colossaux.

Sony, Microsoft et Nintendo doivent donc répercuter ces coûts sur les prix de vente des jeux pour maintenir leur rentabilité. C’est particulièrement vrai pour Nintendo, qui a longtemps résisté à l’inflation des prix sur Switch 1, là où Sony et Microsoft avaient déjà amorcé la hausse.

La rareté des jeux physiques

Un autre facteur important, c’est le passage progressif au tout numérique, qui réduit la production de jeux en format physique… Aujourd’hui, près de 80 % des ventes de jeux vidéo dans le monde se font en téléchargement dématérialisé. Les copies physiques, devenues minoritaires, sont désormais perçues comme des produits premium, presque de collection. Et leur prix ne fait qu’augmenter avec les années.

Nintendo continue de miser sur les cartouches physiques, notamment pour séduire les collectionneurs et les fans d’objets tangibles. Mais ce positionnement, associé à une raréfaction des volumes produits, justifie en partie une hausse des prix.

En comparaison, Sony et Microsoft proposent souvent des remises plus importantes sur leurs jeux dématérialisés quelques mois après leur sortie, quand Nintendo maintient traditionnellement des prix fixes élevés même plusieurs années après la sortie d’un jeu (Mario Kart 8 Deluxe ou Breath of the Wild).

Certaines éditions physiques, comme Digimon Survive, ne sont disponibles qu’à l’étranger, ce qui en fait des pièces rares et recherchées. © Pierre-Ange Gardella.

Les conséquences pour les joueurs

Pour les joueurs, cette augmentation des prix est un véritable coup dur. Acheter un jeu neuf à 90 euros devient un luxe que tout le monde ne peut pas se permettre. Pour une famille qui achète plusieurs jeux dans l’année, la facture peut rapidement exploser. Cinq jeux représentent ainsi un budget de 450 euros, soit quasiment le prix d’une console neuve.

Le site jeuxvideo.com n’a pas manqué de réagir vivement : « même si Nintendo ne généralise pas cette hausse à l’ensemble de son catalogue, le seuil psychologique est franchi. À 90 euros, même les plus fidèles auront du mal à suivre.« 

La part du chiffre d’affaires des jeux vidéo en support physique diminue de façon continue d’année en année : elle passe de 31 % en 2017 à 18 % en 2022 © Ministère de la Culture



Du côté des joueurs, les critiques fusent sur les réseaux sociaux, certains évoquant un « jeu réservé aux élites » ou un « luxe vidéoludique » déconnecté du pouvoir d’achat moyen.

Cette inflation des prix risque de fragiliser la fidélité des joueurs à long terme. Dans une interview accordée à Numerama, un représentant de Nintendo précise : « le prix des jeux sera décidé au cas par cas. Nous voulons garantir une valeur exceptionnelle pour chaque titre.« 

En d’autres termes, tous les jeux Switch 2 ne seront pas vendus à 90 euros, mais les blockbusters premium oui. Un pari risqué, car face à cette hausse, certains joueurs pourraient retarder leurs achats, attendre les promotions, voire se tourner vers la concurrence.

Sony, par exemple, propose souvent des réductions rapides via le PS Store. Spider-Man 2, lancé à 79,99 euros, était déjà disponible à 49,99 euros seulement trois mois après sa sortie. Microsoft, lui, mise sur le modèle Game Pass, offrant un accès à des centaines de jeux pour 14,99 euros par mois : une approche radicalement différente qui séduit de plus en plus de joueurs soucieux de leur budget.

Le cas Micromania : un indicateur inquiétant

Avec ses étals bien remplis et son ambiance colorée, Micromania-Zing rappelle l’âge d’or du jeu vidéo en physique. Mais face à l’essor du numérique et aux prix qui s’envolent, l’enseigne fait figure de vestige d’une époque bientôt révolue. © Business & Marchés.

La hausse des prix des jeux vidéo ne frappe pas seulement les consommateurs : elle menace aussi l’équilibre économique des enseignes spécialisées. En France, Micromania-Zing incarne cette crise profonde. Gamestop, son propriétaire américain, a annoncé son intention de revendre l’enseigne après plusieurs années de pertes financières continues.

Plusieurs facteurs expliquent cette décision. Tout d’abord, la baisse régulière des ventes de jeux physiques pèse lourdement sur les comptes. Selon leur rapport financier annuel, Gamestop souligne une dégradation constante du marché des copies physiques, tendance renforcée par l’essor du dématérialisé, notamment sur PlayStation et Xbox, qui proposent désormais leurs consoles en versions dématérialisées.

Micromania de son côté peine à aligner ses prix face aux géants du numérique, qui peuvent proposer des promotions agressives sans supporter les coûts logistiques des magasins physiques. Selon Les Échos, Micromania a vu ses ventes chuter de 17 % entre 2021 et 2023.

Dans ce contexte, la hausse récente des prix sur Switch 2 et d’autres supports pourrait précipiter encore davantage la transition vers un modèle tout numérique, au détriment des magasins emblématiques du secteur.
Mais derrière cette course à la performance technique et aux délais serrés, ce sont bien souvent les développeurs qui en paient le prix fort.

Des développeurs sous pression : la face cachée du jeu vidéo

Dans l’industrie vidéoludique, derrière chaque hausse de prix, il y a aussi une réalité humaine souvent invisible : celle du crunch.

Le crunch désigne ces périodes d’intense surmenage que subissent de nombreux développeurs, parfois plusieurs mois avant la sortie d’un jeu. Selon une enquête de la GDC (Game Developers Conference) de 2023, 52 % des développeurs interrogés ont déclaré avoir fait des heures supplémentaires non rémunérées dans les douze derniers mois.
Jason Schreier, journaliste spécialisé et auteur du livre Blood, Sweat, and Pixels, rappelle que : “le crunch n’est pas une exception, c’est la norme dans la production AAA. Et ce sont souvent ceux qui gagnent le moins qui en paient le prix. »

Le cas de Cyberpunk 2077 est emblématique : malgré des semaines de travail de 60 à 80 heures, le jeu est sorti dans un état inachevé en 2020, provoquant une onde de choc médiatique et des excuses publiques du studio CD Projekt RED.

Des salaires loin de suivre l’explosion des coûts

Contrairement aux idées reçues, les salaires des développeurs ne suivent pas toujours la hausse des coûts de production.

D’après les chiffres du site Glassdoor, en 2024, un game designer junior gagne environ 30 000 à 35 000 euros bruts par an en France. Un senior peut espérer atteindre 50 000 euros, mais seulement après plusieurs années d’expérience.

Dans les studios prestigieux comme Ubisoft ou Quantic Dream, les rémunérations sont légèrement plus élevées, mais restent très inférieures aux salaires de leurs homologues américains ou japonais. Or, avec l’augmentation des exigences techniques (mondes ouverts gigantesques, graphismes photoréalistes, IA avancées), les équipes grossissent. Cela se traduit par davantage de personnel à rémunérer, des délais plus stricts à respecter, et une pression accrue sur les employés.

Un développeur anonyme ayant travaillé sur un gros projet chez Nintendo a déclaré à Gamekult : « L’ambiance est bonne, mais la charge de travail est énorme. Nous savons que l’image de qualité de Nintendo repose aussi sur nos sacrifices.« 

Quand le travail bâclé abîme les jeux et les équipes


Le lien entre crunch et qualité dégradée est désormais largement documenté. Redfall, sorti en 2023 sur Xbox, en est un exemple frappant : développé dans la précipitation, le jeu a été massacré par la critique pour ses bugs, son manque de finition et son gameplay bancal.

La presse française, à l’image de jeuxvideo.com, analyse cette situation : « à force de presser les équipes, les éditeurs risquent de se tirer une balle dans le pied : un jeu bâclé nuit plus durablement à l’image d’une marque qu’un retard bien géré.« 

Une pression supplémentaire qui ne fait qu’augmenter le recours croissant des joueurs à l’occasion, devenue pour beaucoup la seule manière viable de continuer à jouer sans se ruiner.

L’occasion, une réponse des joueurs à la hausse des prix

Face à l’explosion des prix des jeux neufs, le marché de l’occasion connaît un essor sans précédent. Ce phénomène, autrefois perçu comme marginal, est aujourd’hui devenu une véritable bouée de sauvetage pour de nombreux joueurs.
Selon une étude réalisée par Statista en 2023, 34 % des joueurs français déclarent acheter principalement leurs jeux en occasion. Une tendance qui s’observe à l’échelle mondiale : en 2024, le marché de l’occasion vidéoludique est estimé à plus de 10 milliards de dollars, en forte progression depuis la pandémie de 2020.

En France, cette dynamique est notamment portée par des plateformes en ligne comme Vinted. Le site de revente entre particuliers a vu le nombre d’annonces de jeux vidéo augmenter de 47 % en un an, d’après son rapport annuel de 2024. Les jeux Nintendo Switch y figurent parmi les plus prisés, avec en tête de liste des licences majeures telles que Zelda, Mario Kart ou encore Pokémon.

Sur Vinted, les jeux Nintendo Switch se revendent à prix cassés. Entre 20 et 35 euros pour des titres populaires, la plateforme s’impose comme une alternative économique face aux enseignes classiques.
© Pierre-Ange Gardella

À côté de ces géants numériques, les acteurs traditionnels de l’occasion continuent aussi de tirer leur épingle du jeu. Des enseignes spécialisées comme Cash Express ou Easy Cash enregistrent de solides performances.

Comme l’explique Julien Vasseur, directeur marketing de Cash Express, au micro de 20 Minutes : « Les jeux vidéo représentent près de 20 % de notre chiffre d’affaires en occasion, un secteur boosté par la flambée des prix du neuf. » (Source : 20minutes.fr)

Pour les consommateurs, les avantages sont clairs : acheter un jeu d’occasion permet de réaliser des économies moyennes de 30 à 40 % par rapport au prix neuf, selon une étude publiée par Gamekult en 2024. Mieux encore, il est possible d’acquérir des titres très récents seulement quelques semaines après leur sortie, pour 20 à 30 euros de moins que leur tarif initial.

Cependant, la Nintendo Switch se distingue tout particulièrement sur ce terrain. Contrairement aux jeux Sony ou Microsoft, souvent sujets à une décote rapide, les productions Nintendo conservent une forte valeur de revente.

Dans une vidéo récente, le Youtuber Press Start soulignait : « Nintendo compte mettre en place une taxe de 10 euros plus cher sur les éditions physiques de leurs jeux. »


Ainsi, pour nombre de joueurs, l’occasion devient bien plus qu’une alternative économique : c’est aussi une manière intelligente de maintenir leur passion dans un contexte où chaque euro compte davantage.

Les limites du jeu d’occasion

Si l’achat d’occasion séduit de plus en plus de joueurs, cette solution n’est pas sans inconvénients.

La première limite concerne les garanties. Contrairement à un jeu neuf, un jeu d’occasion peut être vendu sans garantie légale, ce qui expose les acheteurs à certaines déconvenues. Il n’est pas rare de tomber sur un jeu incomplet, notamment sans code de téléchargement bonus, ou encore avec des rayures qui altèrent la lecture du disque ou de la cartouche.

Un autre problème grandissant est la prolifération des contrefaçons. Sur des plateformes comme Vinted ou eBay, les fausses cartouches de jeux Switch pullulent. Selon un rapport de Nintendo, plus de 15 000 copies pirates ont été saisies en 2023, illustrant un phénomène en forte augmentation.

Un marché qui inquiète les éditeurs

Au-delà de ces risques pour les consommateurs, le marché de l’occasion inquiète aussi les éditeurs. Pour eux, chaque jeu revendu est autant de manque à gagner, car il ne génère aucun revenu supplémentaire.

Face à cette réalité économique, certains studios et éditeurs ont tenté de promouvoir massivement le dématérialisé, afin de réduire l’impact de l’occasion sur leurs ventes. En théorie, un jeu acheté en ligne est intransférable et empêche toute revente, garantissant ainsi un revenu pour chaque copie distribuée. Mais dans la pratique, cette stratégie rencontre des résistances, notamment de la part d’un public encore très attaché à la possession physique de ses jeux, surtout sur des consoles comme la Nintendo Switch.

Entre flambée des prix, précarisation des créateurs et essor du marché d’occasion, le jeu vidéo physique entre dans une zone de turbulences.

GTA VI sortira en mai 2026, et pourrait bien dépasser les 90 euros. Un prix qui fait écho au Mario Kart World, annoncé à 90 euros sur Switch 2. De Nintendo à Rockstar, la hausse des tarifs s’impose sur toutes les plateformes. PlayStation, Xbox, PC ou Switch : peu importe la console, jouer risque de coûter (beaucoup) plus cher.

Sources : 20 minutes, Gamekult, jeuxvideo.com, Numerama,

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