Lunar Remastered Collection : résurrection réussie d’un classique du J-RPG
Lunar – un nom qui fera remonter de nombreux et beaux souvenirs chez les amateurs de RPG des années 1990. Créés par Game Arts à l’origine, les deux épisodes de cette courte série nous faisaient l’honneur d’une ressortie sous forme de remasters concoctés par GungHo Online en avril 2025 sur PS4, Xbox One, Switch et Steam ; il est donc temps de revenir sur ces légendes méconnues du grand public, de leurs origines jusqu’aux remasters.

Game Arts et GungHo, d’accord, mais qui sont-ils ?
Game Arts est un « petit » éditeur Japonais qui ne dira probablement rien aux plus jeunes lecteurs mais qui était un gage de qualité dans les année 1990 avec des titres tels que Silpheed, Alisia Dragoon ou encore et surtout Grandia, qui ne manquera certainement pas de raviver une lueur d’amour dans les yeux de ceux s’y étant essayé.
Bien que Game Arts soit un petit studio d’à peine une trentaine de personnes, leurs jeux marquent et plaisent, et ils parvient à se lier à de grands noms : dès Lunar, le grand Noriyuki Iwadare s’occupe de la bande-son de certains de leurs jeux, et c’est carrément Toshiyuki Kubooka du studio de production d’animation Gainax qui se chargera du character design des jeux. Son style étant très proche de celui de Yoshiyuki Sadamoto, les fans d’animation, et en particulier de la fantastique série Fushigi no umi no Nadia (Nadia, le secret de l’eau bleue), ne pouvaient qu’être attirés…
Collaborations avec Treasure (gage de qualité et d’originalité dans les années 1990), Hudson Soft (créateurs de Bomberman) et même Nintendo avec qui ils développent Super Smash Bros. Brawl, GA brille par sa présence discrète mais pourtant remarquable dans l’ombre. On est cependant en regret de constater que leur dernier jeu original, Dokuro, date de 2012. Game Arts, cependant, continue d’exister sous la tutelle de GungHo Online comme filiale secondaire.
GungHo, quant à lui, est un groupe Japonais fondé en 1998 ayant pour activité les enchères en ligne. C’est seulement en 2002 que cette société change pour se focaliser sur le jeu vidéo en ligne en devenant l’hébergeur des serveurs officiels du MMORPG Ragnarok Online au Japon, jusqu’à décider d’eux-mêmes en produire, en 2004, en partenariat avec… Game Arts. Leur histoire dans le jeu en ligne s’étend avec Emil Online, Ragnarok Online II et plus d’une dizaine d’autres. GungHo a même, pendant un temps, possédé Grasshoper Manufacture, le studio de Suda54 à qui l’on doit No More Heroes, Killer7, ou encore Lollipop Chainsaw qui a eu droit à un remaster fin 2024.
N’oublions pas, de présenter, pour terminer, ceux sans qui la compilation n’existerait pas : Ashib! Ashibi Company), une société originaire d’Okinawa spécialisée dans le divertissement. Pas seulement les jeux vidéo, mais aussi la musique et surtout Virtual Okinawa qui permet d’accéder à des évènements ayant lieu sur l’île comme si on y était ! Rien à voir avec Lunar, par contre…
Quand la Lune argentée brille de mille feux
Les intentions de Game Arts pour Lunar étaient claires dès le départ : créer un RPG avec une histoire immersive et marquante, « au contraire des autres qui ont un scénario mais aucune narration scénaristique ». Pour cela, ils comptent sur la participation de Kei Shigema, que l’on retrouve sur de nombreux Tales of (Innocence, Hearts, Destiny 2), Castlevania Order of Ecclesia ou encore le très narratif Asura’s Wrath.
Game Arts était plus spécialisé sur des jeux de shoot (Silpheed donc) ou de plate-forme (Alisia Dragoon) à cette époque et Lunar était leur première expérience dans le domaine du jeu de rôle. Pour l’occasion, une équipe interne nommée « Studio Alex » (Alex étant le prénom du premier héros, ça ne s’invente pas…) a été formée au sein de l’éditeur. Le jeu, nommé Lunar : The Silver Star, sort en juin 1992 sur MegaCD, l’extension CD-Rom de la Mega Drive de SEGA. On regrettera cependant que par manque de temps, un tiers de ce qui y était prévu ait dû être abandonné… cependant, le jeu tient bien sa promesse : la narration fait part belle de l’expérience, notamment grâce à un monde assez vivant.
The Silver Star, c’est une chose. Mais il est aussi accompagné de sa suite, Lunar 2 : Eternal Blue, dans cette compilation. Celui-ci a vu le jour en décembre 1994, toujours sur MegaCD. C’est une suite plus ou moins directe qui en met plein la vue dès le départ : une cinématique d’introduction en animation de plus de 10 minutes accueille le joueur, certes avec les graphismes d’une console 16 bits, mais c’est une belle claque à coté des écrans fixes de la plupart des autres jeux (c’est le pouvoir des jeux sur CD-Roms, après tout). Il a coûté 2,5 millions de dollars à produire (soit environ 2,24 millions d’euros en 2025, ce qui est absolument énorme pour un jeu de cette époque) et contient deux fois plus de textes et de moments doublés que son prédécesseur, preuve de l’envie d’enfoncer la narration encore plus loin. Le jeu s’avère aussi plus sombre et tourne d’une histoire de dieu oppressant inspiré de Sun Wukong.
Les deux Lunar n’en sont pas à leur première « résurrection » avec ces remasters, bien au contraire. Pour commencer, ils ont tous les deux été portés dans une version améliorée (pas seulement techniquement mais aussi en termes de gamesystem) sur Sega Saturn (Japon uniquement) et PlayStation (Japon et Etats-Unis) entre 1996 et 1998 sous les noms Lunar : Silver Star Story Complete (porté entre autres sur PSP et GameBoyAdvance) et Lunar 2 : Eternal Blue Complete, qui n’eut pas la chance d’être aussi bien distribué au fil du temps. La série compte cependant aussi quelques spin-offs et préquelles (Walking School en 1996, Dragon Song en 2005).
Du traditionnel, mais pas complètement
Les Lunar sont ce que l’on pourrait de nos jours qualifier de « J-RPG à l’ancienne », des plus classiques qui soient, avec leurs lots de combats au tour par tour, de PNJs, de boutiques, de farming d’expérience et tout ce qui va avec. Cependant, au contraire de ses rivaux, la série de Game Arts se différencie par un système de combat légèrement différent ; en effet, chaque participant à un combat, allié ou ennemi, peut se déplacer sur une distance donnée pour atteindre sa cible, ce qui signifie qu’il est possible de rater un tour car celle-ci se trouve trop loin. Les sorts et capacités spéciales ne sont cependant pas soumis à cette règle mais dépendent de PM (Points de Magie), c’est donc au joueur de faire attention à ce qu’il décide de faire. Bien sûr, il est possible d’utiliser des objets (et certaines armes peuvent être utilisées en tant que tel car elles disposent d’un pouvoir supplémentaire), et il est toujours possible de se mettre en défense (en s’éloignant si souhaité) pour subir moins de dégâts.
Il est également possible de choisir sa formation au préalable pour placer les combattants selon notre volonté : mettre un attaquant au corps à corps en première ligne et un magicien au fond sera donc un choix classique mais intuitif, cependant il faut apprendre les capacités afin de bien exploiter leur potentiel car les placements en profondeur comptent aussi bien sur l’axe horizontal que vertical. Les formations sont capitales lors de certains combats, notamment pour éviter les attaques de zone !
Ces productions se démarquent aussi par leur narration plus poussée et un rythme plus vivant que la concurrence : de nombreux dialogues, dans des villes que l’on aura déjà visitées 20 heures plus tôt, changeront en fonction des évènements et de la progression dans l’aventure (et cela peut valoir le coup d’y revenir aussi pour certains objets qui ne sont pas disponibles dans toutes les boutiques) ; parfois amusants (voire légèrement salaces), ils succèdent aux drames et les personnages joignent et quittent l’équipe de façon plus ou moins déchirante en fonction des évènements. On sent qui sera un personnage principal ou non, et ainsi l’attachement qu’on leur porte est plus fort que dans d’autres séries ou un allié restera à nos cotés jusqu’au bout.
De la douceur et de la terreur… !
Des personnages qui parlent enfin, des scènes cinématiques dignes d’une série animée, un système de combat plus vivant, les Lunar ont fait leur effet dans le domaine du RPG, mais pas uniquement de cette façon. Ce sont des jeux touchants, qui ont du cœur, une douceur et une profondeur scénaristique en dépit de leur simplicité apparente. Une importance toute particulière est mise sur la musique, la rendant marquante et mémorable, et la candeur, la profondeur de l’amour inavoué entre le héros Alex et l’héroïne du premier opus lui donnent une saveur inégalée pour son époque.
Le coté tactique, lui aussi, donnera une profondeur supplémentaire importante à des titres d’apparence simples mais baignés d’une difficulté assez stupéfiante. Les combats aléatoires ne sont pas un gros problème (et on adorera voir que les monstres, visibles sur le terrain, fuiront carrément si l’on est trop forts pour eux !), mais il ne faut surtout pas oublier que ce sont des RPG du début des années 1990 : aux cotés de cela, on a les Dragon Quest et Phantasy Star dans lesquels l’entraînement est capital pour surmonter une difficulté épuisante. En ce qui concerne les remasters, ils sont tirés des versions 32 bits, dont la difficulté a été légèrement diminuée par rapport à celles d’origine. Cependant…
Les Lunar ne font pas exception à la difficulté punitive pour autant : il n’est malheureusement pas rare de se faire laminer au premier affrontement contre un nouveau boss, jusqu’à comprendre la technique à utiliser. On constatera assez vite que bourriner à coups de capacités spéciales et magies fonctionne (à condition d’utiliser les bonnes), mais c’est là que la profondeur dans les champs de bataille prend toute son importance. Pour peu que l’on ait négligé son entraînement, on finira par se soigner quasiment entre chaque combat et il n’y a qu’en faisant absolument toutes les batailles sur son chemin que l’on tiendra le coup (et encore). Passer une heure à s’entraîner ? C’est limite obligatoire au bout d’un temps. Cependant, on est un peu aidés de toutes parts, grâce à la possibilité de sauvegarder à tout instant (hormis combats et discussions, bien sûr). Les objets et sorts de téléportation, pour se rendre plus vite à une ville déjà visitée ou sortir d’une zone donjon sont aussi de la partie…
Autour de la compilation
La compilation démarre tout simplement avec une mélodie douce et envoûtante, en toute simplicité, puis laisse le choix du jeu et de la version dans laquelle on souhaite s’y adonner entre graphismes d’époque et remaster. On peut aussi choisir entre textes japonais et traductions dans diverses langues telles que le français. De même, en cours de jeu, on pourra basculer entre voix anglaises ou japonaises à tout moment. Lunar Remastered Collection propose également quelques ajustements de la gestion des objets (le menu interne du jeu tout entier aurait mérité d’être amélioré aussi, mais bon…). Ainsi, il est totalement possible de jouer, si on le souhaite, aux jeux d’origine traduits mais avec voix japonaises et menus corrigés, profiter de toutes les améliorations ou tout faire comme à l’époque, y compris en Japonais. Le choix appartient au joueur…
Pour une certaine raison, les remasters sont eux-mêmes tirés de ceux sur consoles 32 bits. Cela inclut aussi les bandes-son, différentes entre les MegaCD et Saturn/PlayStation. Ce n’est pas vraiment un problème puisque le plaisir de parcourir les deux jeux s’en voit amélioré, mais c’est peut-être aussi un choix étrange : pourquoi ne pas proposer les deux titres d’origine aussi pour profiter de l’intégralité des œuvres dans ce cas, vu le prix de la compilation (dans les 50 euros) ?
Celle-ci se base donc sur les versions 32 bits originellement traduites par Working Design hors du Japon pour la PlayStation ; une traduction discutable en fonction des joueurs de l’époque qui comporte des jeux de mots et références à la pop-culture américaine qui n’ont rien à faire là, là où celle sur GBA effectuée par Ubisoft était plus sérieuse et proche du script original. Elle représente cependant bien le coté léger global du jeu, qui ne manque jamais de rappeler que les héros sont jeunes. Les scènes sérieuses ne sont jamais massacrées, et c’est tout ce que l’on demande. Par contre, on aurait pu se passer des quelques coquilles qui parsèment la version française une fois de temps en temps !
Soyons honnêtes, si les Lunar sont définitivement de très, très bons RPG pour leur époque et sont toujours aussi fantastiques à jouer de nos jours, on pleurera d’agacement envers la gestion de l’inventaire absolument affreuse : équiper une nouvelle arme ou armure demandera de sélectionner l’objet, passer en revue sur qui elle peut être utilisée, déséquiper l’objet à remplacer – si l’inventaire du personnage est plein, mettre un objet de coté puis lui donner, si bien sûr celui-ci lui convient car on n’a aucun moyen de le savoir si la pièce est trouvée lors d’un donjon, et ça, pour les cinq personnages : de quoi faire péter un câble. Mais le remaster s’occupe de corriger le tir en améliorant ce défaut.
On appréciera aussi grandement la possibilité d’accélérer la vitesse des combats : en effet, les jeux d’origine sont, comme beaucoup d’autres J-RPG de cette époque, d’une lenteur vite ennuyeuse. Là, les remasters permettent d’accélérer trois fois, et vu comme certains donjons peuvent parfois harceler le joueur de batailles qui peuvent devenir assez pesantes à la longue (surtout en cas de besoin d’entraînement avant un boss trop fort), on prendra bien volontiers les options de combat automatique pour ne pas trop se fatiguer – c’est dit depuis le départ, les Lunar mettent l’accent sur la narration et l’immersion et ce dernier point n’en est qu’un exemple de plus.
Bien sûr, de nos jours, Lunar pourrait rimer avec ringard pour de nombreux joueurs, ciblant les fans de la série, les amateurs de J-RPG et autres farfelus curieux. À coté d’un Final Fantasy ou Persona, le choix sera vite fait pour le grand public. Pourtant, un charme indéniable se dégage de ces deux jeux même encore de nos jours ; par leur histoire et gameplay à la fois simples, prenants et touchants, par leurs bandes-son diablement accrocheuses et leur coté direct et sans fioritures ni durée de vie gonflée artificiellement, ils affirment à nouveau leur statut de RPG légendaires. La compilation qui les regroupe n’est pas parfaite, un peu chère et surtout dépourvue de tout bonus qui auraient pourtant été bienvenus, mais elle dépoussière ces classiques avec brio. Et nous, à JDJ, on valide plutôt deux fois qu’une : la (re)découverte des Lunar vaut le détour sans hésitation !
Pour terminer, nous vous conseillons ce making-of de la création de la série, qui montre également comment Working Designs s’est un peu amusé à ajouter une tonalité américaines qui n’a rien à faire là (anglais uniquement) :
Article bien documenté (les vidéos nous offrent un bel aperçu), bien écris (on sent la passion de l’auteur) . Cet article rend hommage à une catégorie de jeux qui à l’époque vous scotchait devant l’écran. Merci de nous faire découvrir les bonnes choses de ces années.
Merci 🙂
Ah ça, les RPG des années 90, ça déclandhait des passions oui… ^^