Entretien avec Florian Höhr du festival Nippon Connection
Dans le cadre d’un travail de recherche sur les festivals spécialisés de cinéma japonais1, nous nous sommes entretenues avec Florian Höhr, programmateur au festival de cinéma japonais contemporain Nippon Connection à Francfort. Ce dernier revient sur la genèse du festival, son fonctionnement, ses particularités et ses ambitions. Un échange indispensable pour tous celles et ceux qui s’intéressent aux coulisses des festivals de films japonais !

Journal du Japon : Bonjour et merci de nous accorder cet entretien. Pour débuter, pouvez-vous nous expliquer comment le festival Nippon Connection a-t-il commencé ?
Florian Höhr : Nippon Connection a été organisé pour la première fois en 2000 en tant qu’événement unique. Mais en raison de son succès, les créateur.rice.s du festival ont décidé de continuer. L’association a été fondée en 2001, pendant une pause, à une époque où Marion Klomfass (cofondatrice et actuelle directrice du festival) terminait ses études. Depuis 2002, le festival a lieu chaque année.
Pourriez-vous nous dire plus sur les origines étudiantes du festival ? Il me semble que vous y avez également participé en tant qu’étudiant en 2013 ?
Les fondateur.ices du festival étaient tou.te.s étudiant.es. À l’époque, Marion travaillait déjà dans un autre festival de cinéma, l’ExGround Film Festival à Wiesbaden. Là-bas, elle a créé et programmé une section dédiée au cinéma asiatique, ce qui l’a inspirée à organiser un festival sur le cinéma japonais
Le festival se déroulait sur le campus de l’Université de Francfort jusqu’en 2012, et de nombreux.ses étudiant.es en études cinématographiques ou en études japonaises rejoignaient l’équipe. Certain.es d’entre elles.eux n’étaient pas forcément intéressé.es par le cinéma en lui-même, mais plutôt par la culture japonaise. En ce sens, Nippon Connection n’est pas uniquement un festival de cinéma, c’est aussi un festival de culture japonaise. À l’inverse, ces étudiant.es ont commencé à s’intéresser au cinéma, et cell.eux qui étudiaient le cinéma ont commencé à se passionner pour le Japon.
En ce qui me concerne, j’ai toujours été attiré par les deux. J’ai commencé à m’intéresser à la pop culture japonaise dès l’école primaire et j’ai découvert les films japonais en prises de vues réelles avec Hana-bi (1997) de Takeshi Kitano. Quand j’ai entendu parler de Nippon Connection, je suis d’abord devenu un simple visiteur du festival. En 2012, j’ai commencé mes études de cinéma et, lors de l’édition 2013, j’ai intégré l’équipe en tant que bénévole. Mon premier rôle consistait à contrôler les billets à l’entrée du cinéma. Puis, quelques mois plus tard, je suis devenu un membre officiel de l’équipe. À cette époque, j’aidais au sein de l’équipe culturelle, en organisant des événements tels que des conférences et des ateliers. J’ai pu rejoindre l’équipe de programmation des films après un an. Il n’était pas possible d’y accéder immédiatement en tant que novice. Mon parcours en études de cinéma m’a probablement aidé, car grâce à l’un de mes professeurs, j’avais une vaste connaissance du cinéma japonais.

Certain.es de vos professeur.es ont-ils également participé au festival ?
Le professeur dont je parlais était très occupé par sa thèse de doctorat, mais j’ai réussi une fois à le convaincre de présenter quelques projections rétrospectives. Aujourd’hui, des enseignant.es en études japonaises participent à Nippon Connection. Nous avons un partenariat avec l’Institut d’études japonaises de l’Université de Francfort. Par ailleurs, si vous êtes étudiant.e en études japonaises à Francfort, vous pouvez obtenir des crédits académiques en assistant au festival.
Le festival a été lancé à une époque où le cinéma japonais connaissait un grand succès, notamment après l’année 1997. La pop culture japonaise était également très populaire, notamment la J-Pop. Selon vous, dans quel contexte est né et a évolué le festival ? Qu’en est-il aujourd’hui ?
À la fin des années 90 et au début des années 2000, il y avait un engouement pour la pop-culture japonaise. J’avais neuf ans lors de la première édition de Nippon Connection et c’est ce que j’ai pu observer en tant qu’enfant. À la télévision allemande, certains créneaux destinés aux enfants diffusaient presque exclusivement de l’animation japonaise, en particulier Dragon Ball et Pokémon. Mais je ne suis pas sûr que tout le monde ait pris conscience qu’il s’agissait de pop culture japonaise.
Même si je ne faisais pas encore partie de Nippon Connection à l’époque, j’ai entendu dire que ce phénomène de pop culture japonaise a vraiment contribué à susciter l’intérêt du public pour le festival. Les créateur.rices du festival n’étaient pas convaincu.es que les spectateur.ices se déplaceraient pour voir un film indépendant japonais, réalisé par un.e cinéaste inconnu.e, avec des sous-titres en anglais. C’est pourquoi iels ont estimé qu’il était important d’organiser un programme parallèle avec des conférences et des ateliers pour explorer d’autres aspects de la culture japonaise.
Par rapport à mon enfance, je pense que la pop-culture japonaise fait désormais partie du courant dominant. En plus de travailler comme programmateur pour Nippon Connection, je suis également éducateur dans le domaine du cinéma. Et en travaillant avec des enfants d’âge scolaire, j’ai réalisé qu’iels regardaient presque tou.te.s des animes aujourd’hui, et que beaucoup lisent aussi des mangas. Iels dessinent souvent dans un style inspiré des animes. Et iels ne sont plus considérés comme des geeks pour autant.
Un autre point important est qu’aujourd’hui, voyager au Japon est devenu plus facile et plus courant. Dans les années 2000, le Japon était une destination exotique, très exclusive. Quand j’étais enfant, je rêvais d’y aller, mais je pensais que je ne pourrais jamais me le permettre. J’avais un ami dont le père, travaillant pour une grande entreprise, faisait de nombreux voyages d’affaires au Japon. En l’écoutant raconter ses expériences, j’avais l’impression que le Japon était un pays difficile d’accès, où l’on pouvait facilement se perdre dans les gares. Aujourd’hui, tout est écrit en rōmaji. De plus, ces dernières années, de nombreuses personnes envisagent un voyage au Japon parce que le yen est moins cher. Après le Covid, il y a eu encore plus de touristes qu’avant.
À Nippon Connection, une partie du public cherche simplement à en apprendre davantage sur le Japon en tant que destination touristique. Chaque année, nous organisons une conférence avec le JNTO (Japan National Tourism Organization) qui donne des conseils sur les voyages au Japon. Cette conférence est tellement populaire que chaque année, de nombreuses personnes ne peuvent pas entrer faute de place.
Enfin, un dernier point concerne la cuisine japonaise, qui a gagné en popularité. À Francfort, il y a de plus en plus de restaurants japonais. Certaines personnes viennent à Nippon Connection uniquement pour manger, car nous avons de nombreux stands de nourriture proposant des plats que l’on ne trouve pas partout, comme les crêpes japonaises.

Qu’en est-il du succès des films japonais en Allemagne ?
Je dois d’abord dire que le cinéma japonais reste une niche en Allemagne. Au début des années 2000, les films de genre japonais étaient assez populaires, en partie grâce au succès de Takeshi Kitano. Mais plus récemment, ce sont plutôt les films d’art et d’essai qui ont attiré l’attention, notamment après le succès de Ryūsuke Hamaguchi. Par exemple, Drive My Car (2021) a connu un grand succès en Allemagne, dans les cinémas d’art et d’essai locaux. Je crois que le film était complet tous les soirs pendant plusieurs semaines, même avant de remporter l’Oscar. Hirokazu Koreeda est également populaire, mais pas autant qu’il devrait l’être. Je suis allé voir L’Innocence (2023) avec un ami, et à part nous, il n’y avait que trois personnes dans la salle. C’était vraiment triste.
Pour l’édition 2024 de Nippon Connection, nous avons projeté Contes du hasard et autres fantaisies (2021, Ryūsuke Hamaguchi) car il met en vedette l’actrice Kotone Furukawa, la lauréate de notre Nippon Rising Star Award. Bien que le film ait déjà été diffusé dans les salles auparavant, la séance s’est retrouvée complète très rapidement. Nous l’avions programmé dans la plus petite salle, pensant que peu de gens viendraient… et nous n’avons pas pu ajouter une autre séance car toutes les salles étaient déjà réservées.
Un autre cas est celui de Perfect Days (2023, Wim Wenders), qui avait été projeté six mois plus tôt et qui a connu une longue exploitation dans les cinémas allemands. Nous avons décidé de le programmer pour l’édition 2024 de Nippon Connection dans le cadre de notre thématique « Crossing Borders ». Cette fois, nous l’avons projeté dans une grande salle, et elle était complète. Je pense que c’est parce qu’une partie des spectateur.ices de Nippon Connection ne suit pas le cinéma japonais toute l’année, mais note simplement la date du festival pour venir voir des films japonais pendant une semaine. Peut-être n’avaient-iels pas encore eu l’occasion de voir Perfect Days, ou du moins en version originale.
En tenant compte de tout cela, comment Nippon Connection se positionne-t-il dans l’écosystème des festivals de cinéma ?
Il m’est plus facile de comparer Nippon Connection aux autres festivals de la région, en particulier à Francfort. Il y a énormément de festivals de films ici, probablement au moins une vingtaine. Cela s’explique en partie par la présence de l’Institut allemand du film à Francfort. Je pense qu’à lui seul, il organise une dizaine de festivals, chacun spécialisé sur une région, une période ou un public spécifique, comme le LUCAS Film Festival, qui s’adresse aux jeunes spectateur.ices.
En termes d’audience, Nippon Connection est le plus grand festival de Francfort et même du Land. Il existe un autre festival qui attire plus de spectateur.ices, le Lichter Film Festival, mais celui-ci organise des projections, des conférences et des discussions tout au long de l’année. Il soutient aussi les jeunes cinéastes de la région.
Ce qui rend Nippon Connection unique, c’est que nous ne nous contentons pas de montrer des films : nous célébrons la culture japonaise. Bien sûr, pour moi, les films sont la chose la plus importante et ils attirent le plus grand nombre de visiteur.ses. Mais si vous venez au festival, au premier coup d’œil, vous ne réaliserez peut-être même pas que le cinéma est au cœur de l’événement, car nous n’avons pas de projections en plein air. Toutes les séances ont lieu en salle. Ce que vous verrez en premier, ce sont les expositions, les stands de nourriture, le marché où l’on vend de nombreux objets artisanaux japonais, des décorations, des vêtements… un peu comme une foire.
Nippon Connection invite ses visiteur.ses à rester toute la journée. Les projections commencent vers 11h30, et entre deux séances, vous pouvez profiter de la nourriture, des conférences, des concerts, du shopping, des performances, et ce, jusqu’à la fin de la journée.
Cela dit, d’après ce que j’ai pu voir, d’autres festivals de films japonais organisent aussi des événements annexes sur la culture japonaise. Le festival du film coréen de Francfort fait de même, mais dans une moindre mesure.

J’ai remarqué que vous avez différentes équipes, comme une équipe de programmation, une équipe culturelle et une équipe dédiée au merchandising. Comment travaillez vous ensemble ?
Une particularité de Nippon Connection est que le festival est principalement organisé par des bénévoles. Contrairement aux festivals qui ont une petite équipe centrale de cinq ou six personnes travaillant à plein temps tout au long de l’année, ici, nous n’avons qu’un seul employé à temps plein, qui est le responsable de notre bureau du festival. Il y a aussi d’autres personnes, comme moi, qui travaillent à temps partiel ou pour une courte période en tant que freelances.
Avec les bénévoles, nous sommes organisé.es en différentes équipes, chacune se concentrant sur un aspect spécifique du festival. L’équipe merchandising, par exemple, commence à travailler quelques mois avant l’événement, en réfléchissant aux types de produits que nous pourrions proposer (comme le t-shirt annuel du festival). L’équipe décoration s’occupe d’aménager les lieux juste avant le début du festival. L’équipe culturelle, elle, commence à travailler très tôt : chaque membre est responsable de deux ou trois événements qu’il organise de A à Z, de la prise de contact avec les artistes à la gestion de l’événement final.
Le festival a-t-il des partenaires extérieurs ?
Oui. Pour les lieux des projections et des concerts, nous avons des partenariats avec des cinémas et des théâtres. Nous avons aussi un designer qui travaille avec nous depuis 2015. En outre, nous faisons appel à une entreprise pour la location de matériel technique nécessaire aux événements, et une autre pour l’équipement cinématographique. Cette dernière est une entreprise unipersonnelle qui collabore avec presque tous les festivals de la région. Elle nous fournit les projecteurs, les écrans, les systèmes sonores, etc. Nous avons aussi des partenaires au Japon, comme le JVTA (Japan Visual Media Translation Academy), qui sponsorise l’un de nos prix, le Nippon Visions Jury Award.
Pourquoi le festival dure-t-il six jours ?
À l’origine, il ne durait que cinq jours. Je pense que s’il n’est pas plus long, c’est parce qu’il est majoritairement organisé par des bénévoles. Beaucoup d’entre elle.eux sont soit étudiant.es, soit ont un emploi à plein temps et ne peuvent prendre que quelques jours de congé. En réalité, le festival dure six jours pour le public, mais pour nous, il s’étend sur environ deux semaines. Le vendredi précédent, nous commençons à installer les lieux, ce qui prend environ quatre jours. Après le festival, il nous faut encore trois jours pour tout ranger, emballer et renvoyer le matériel au bureau. À la fin de cette période, nous sommes tou.te.s épuisé.es à cause du manque de sommeil.
Le festival programme environ 100 films par an. Dans d’autres interviews, vous avez mentionné que votre objectif est d’offrir un aperçu fidèle de la production cinématographique japonaise, qui compte entre 500 et 600 films par an. Comment sélectionnez vous les films ?
Nous avons différentes méthodes de sélection. Tout d’abord, nous contactons les distributeurs japonais qui diffusent des films à l’international. Cela inclut de grandes sociétés comme Tōhō, Tōei, Nikkatsu, mais aussi des distributeurs plus petits. Pour cela, nous nous rendons chaque année au marché de l’industrie du Festival International du Film de Tokyo (TIFFCOM).
Ensuite, nous restons attentifs aux sorties et aux films projetés dans d’autres festivals. Nous essayons de tout visionner, même lorsque la description d’un film ne semble pas très intéressante. Nous sommes huit dans l’équipe de programmation, et nous nous répartissons les films à regarder.
D’octobre à février, nous avons également un formulaire de candidature sur notre site web, permettant aux cinéastes de soumettre leurs films. Nous recevons environ 100 films par an, dont une vingtaine qui ne concernent pas le Japon, 50 % de courts-métrages et 50 % de longs-métrages. Certains des longs-métrages sélectionnés cette année provenaient de ce formulaire, comme Lonesome Vacation (2023, Atsuro Shimoyashiro), qui a remporté le Nippon Visions Jury Award, Push Pause (2023, Ryōma Kosasa) et Belonging (2024, Kahori Higashi).

Avez-vous plutôt des premières allemandes, internationales ou mondiales ?
Presque tous les films sont au minimum des premières allemandes. C’est d’ailleurs une condition pour être en compétition. Bien sûr, certains films sont tellement bons que nous devons absolument les projeter, même s’ils ont déjà été montrés ailleurs. Ce fut le cas, par exemple, de All the Long Nights (2024, Shō Miyake), qui a été projeté en première mondiale à La Berlinale. Cependant, les films projetés à la Berlinale ne peuvent jamais intégrer notre section compétition. Malgré cela, ils restent intéressants pour notre public, qui vient de Francfort, de sa région et d’autres pays européens, et qui n’a pas forcément eu l’occasion d’aller à La Berlinale. Nous essayons aussi d’avoir beaucoup de premières internationales. Les premières mondiales sont plus rares. Cette année, nous en avons eu trois, ce qui est plutôt beaucoup. Mais à mon avis, ce n’est pas ce qui compte le plus. Notre seul objectif est d’avoir une bonne sélection.
Programmez-vous des films commerciaux japonais ?
Ce n’est pas notre priorité, même si ces films font partie intégrante du cinéma japonais. Beaucoup d’entre eux sont des adaptations de romans ou de mangas (ou des deux), et mettent souvent en scène des aidoru. Je pense qu’ils ne sont pas toujours des succès au box-office en raison de leur qualité, mais plutôt grâce à leur popularité d’origine ou leur budget marketing. À Nippon Connection, nous projetons quelques adaptations de mangas, car nous voulons aussi montrer un aspect plus mainstream du cinéma japonais. Nous essayons toujours d’inclure des films qui ne sont peut-être pas parfaits, mais qui sont agréables à regarder. Ce sont souvent les plus populaires auprès du public. Ce fut le cas cette année avec Fly Me to the Saitama (2019, Hideki Takeuchi). L’année dernière, Yudō: The Way of the Bath (2022, Masayuki Suzuki) a remporté le Nippon Cinema Award. C’est un film de divertissement, pas du tout mauvais, mais qui ne porte pas un regard profond sur la société.
Si vous allez au cinéma au Japon, ces films commerciaux sont la majorité des projections, du moins dans les cinémas grand public. Cependant, nous ne voulons pas être une simple copie du box-office japonais : notre objectif est de montrer tous les aspects du cinéma japonais. D’ailleurs, on dit que la programmation de Nippon Connection est devenue un peu plus orientée vers le cinéma d’auteur ces dernières années. La sélection des films est de plus en plus stricte en matière de qualité.
Comment fonctionne votre système de prix ? Quel est l’intérêt d’avoir des prix du public ?
Nous avons trois prix du public, correspondant aux trois sections compétitives du festival :
– Nippon Cinema Award : plutôt pour les films à gros budget,
– Nippon Visions Award : plutôt pour les films indépendants,
– Nippon Docs Award : pour les documentaires.
Cela permet à tous les films d’avoir une chance de remporter un prix. Les films d’animation, eux, ont leur propre section.
Je pense que ces prix sont très importants pour les cinéastes. À mon avis, iels ne font pas des films uniquement pour elles.eux-mêmes, mais aussi pour un public. Il est intéressant de voir quel film reçoit la meilleure réaction d’un public international. Les récompenses peuvent constituer une motivation majeure pour continuer à faire du cinéma, non seulement pour le public japonais, mais aussi pour un public international. Les films mainstream n’ont généralement pas pour objectif de toucher un public international, car le marché japonais leur suffit. Mais cela me fait plaisir quand les réalisateur.ices réalisent que, même si le marché national leur suffit, iels ont aussi une chance de marquer les esprits à l’international.
J’ai entendu de nombreux.ses cinéastes japonais.es dire qu’iels étaient surpris.e par les réactions du public de Nippon Connection lors des projections. Au Japon, le public est généralement plus silencieux. Les spectateur.ices européen.nes expriment leurs émotions plus ouvertement. Les réalisateur.ices peuvent ainsi juger quelles astuces fonctionnent et quelles parties sont comprises différemment en fonction des références culturelles du public.

Chaque année, vous programmez de nombreux films indépendants. Pouvez-vous nous parler du rôle du festival dans la découverte de nouveaux cinéastes ?
Nippon Connection a programmé les premiers films de réalisateurs qui sont devenus assez célèbres. Les films de Shō Miyake ont été montrés très tôt, et en 2015, il a remporté un Nippon Visions Jury Award avec son documentaire Cockpit – à une époque où les documentaires et les fictions étaient regroupés dans la même section et où le prix s’appelait simplement Nippon Visions Award, car il n’existait pas encore de prix du public. Depuis And Your Birds Can Sing (2018), que j’ai découvert au TIFF, ses films ont été sélectionnés à La Berlinale. Il travaille également avec Netflix.
Un autre exemple est Ryūsuke Hamaguchi, qui est venu à Nippon Connection il y a plusieurs années. Il y était d’abord pour la première internationale d’un film intitulé Intimacies en 2011. Puis, en 2014, il est revenu présenter Touching the Skin of Eeriness. Il a commencé à se faire connaître avec Happy Hour (2015), et je pense que son véritable tournant a évidemment été Drive My Car (2021).
Un autre exemple encore est Daishi Matsunaga. C’est un réalisateur de films d’auteur qui est maintenant très apprécié par la critique. Nippon Connection a été le premier festival auquel il a participé. Il a réalisé un film intitulé Egoist (2022), une histoire d’amour queer, mais bien plus que cela. C’est aussi un film très profond sur le deuil, la perte et la relation aux parents. Il a eu sa première mondiale au TIFF et a ensuite été présenté dans de nombreux festivals.
Enfin, Nobuhiro Yamashita, réalisateur de Let’s Go Karaoke (2024), entretient une relation de longue date avec le festival. Il a présenté son tout premier film, Hazy Life (1999), lors de notre toute première édition en 2000. Plus récemment, son film d’animation Anzu, chat fantôme (2024) a été projeté à Cannes et à Annecy.
Avez-vous un marché de l’industrie ?
Non, car nous ne sommes pas un festival de l’industrie. Nous sommes un festival destiné au public. Cependant, bien sûr, de nombreux.ses professionnel.les de l’industrie viennent à Nippon Connection, ce qui permet aux réalisateur.ices d’être approchés par d’autres programmateur.rices de festivals, par exemple. De nombreux programmateur.ices me contactent aussi pour obtenir les coordonnées des ayants droit.
Nous sommes un festival grand public aussi dans le sens où nous ne sommes pas un festival à tapis rouge, avec une séparation stricte entre le public et les cinéastes. Dans certains festivals, les réalisateur.ices montent sur scène et repartent par une porte dérobée, ce qui empêche toute interaction informelle avec le public. À Nippon Connection, les réalisateur.ices restent accessibles, de sorte que les spectateur.ices peuvent aller les voir et échanger avec eux.
Est-ce ce qui explique le nom du festival ?
Pour moi, en effet, le festival repose sur les connexions. Les connexions avec les réalisateurs, avec le public qui vient au festival, avec l’équipe. Mais à l’origine, le nom Nippon Connection vient du titre allemand d’un roman de Michael Crichton, qui parle d’un syndicat du crime japonais aux États-Unis.
Un grand merci à Florian Höhr pour son temps et ses précieuses réponses. Nippon Connection tiendra sa 25e édition du 27 mai au 1er juin 2025 à Francfort ! Découvrez ICI son riche programme (site en anglais, allemand et japonais).
- Entretien réalisé par Lucie Rydzek en anglais le 23 juillet 2024, en visio-conférence entre Nancy et Francfort. ↩︎