Inflation et ramen : un record de faillites préoccupant pour le secteur
Plat populaire par excellence au Japon, le ramen connaît un essor mondial impressionnant depuis quelques années. Pourtant, en 2024, les faillites de restaurants de ce plat ont connu une augmentation de 30 % dans leur pays d’origine, à cause d’une forte inflation. Les prix augmentent et les Japonais pourraient avoir du mal à passer la barre symbolique des 1 000 yens par bol en passe de devenir la norme. Faut-il s’en inquiéter pour l’avenir du secteur ?

Un record de faillites de ramen-ya en 2024
En 2024, 72 ramen-ya ont mis la clé sous la porte, soit une augmentation de 30 % par rapport à 2023 où 52 établissements s’étaient déclarés en faillite. Un chiffre inquiétant – et un triste record pour le secteur – qui s’explique en partie par une flambée du prix des matières premières et de l’énergie dans le pays.
Le Japon n’a pas été épargné par l’inflation et la viande, la farine, les nouilles, les légumes, les algues, les œufs, tout comme le gaz et l’électricité ont vu leur tarif grimper en flèche : plus 17,3 % par rapport à l’année précédente pour les produits frais, plus 10,1 % en un an pour les énergies, pour une inflation générale de 3,6 % dans le pays. À cela s’ajoute le manque de main d’œuvre, qui oblige les professionnels du secteur à payer plus pour espérer recruter, et des coûts structurels consécutifs au passage au nouveau billet de 1 000 yens, qui a forcé certains commerçants à changer leurs machines à tickets pour pouvoir accepter la nouvelle devise. Pour les restaurants concernés, cela signifie des coûts fixes en hausse, qu’il faut bien répercuter lors de l’addition. Il est donc logique de voir le prix des bols de ramen augmenter, sous peine de ne plus entrer dans ses frais.
Dans le secteur de la restauration populaire, les établissements proposant des soba ou des udon subissent le même sort, mais résistent mieux, du fait d’un besoin réduit en ingrédients de base pour ces préparations. De leur côté, les restaurants plus traditionnels font le dos rond et parviennent à affronter la crise, en générant des bénéfices sur la vente de boissons, d’accompagnements ou de desserts, qu’on ne trouve pas dans un ramen-ya.
Si le nombre de faillites ne représente pour le moment qu’un petit pourcentage du total des établissements proposant des nouilles installés sur le territoire – 72 fermetures sur les 23 000 à 30 000 restaurants enregistrés selon les sources – la tendance semble se poursuivre pour une raison précise : les restaurateurs pensent que certains consommateurs japonais ne sont pas prêts à accepter un prix dépassant les 1 000 yens par bol.

1 000 yens : un prix psychologique pour les Japonais ?
Importé de Chine après la Restauration de Meiji (1868), via les nouilles Lamian dont il tire son nom, le ramen n’a pas tardé à se forger une place de choix dans des échoppes ambulantes. Il a connu un essor important dans l’après-guerre, puis un boom conséquent grâce à l’invention révolutionnaire des nouilles instantanées par Momofuku Ando en 1958. Depuis, c’est un des plats les plus populaires de l’archipel, car il est rapide à manger, réconfortant et on lui prête des vertus salvatrices après une consommation immodérée de saké ! Avant tout, le ramen est censé être accessible à tous.

Et c’est là que le bât blesse. En passant le cap des 1 000 yens par bol (soit environ 6,20 €), les restaurateurs craignent de voir fuir la clientèle, comme en atteste une étude menée par Teikoku Databank, un institut privé de recherches financières. Certains professionnels rappellent qu’il y a 10 ans à peine, un bol coûtait environ 500 yens (soit 3,10 €) et que si l’augmentation était inévitable, la barrière symbolique des 1 000 yens pourrait pousser les clients à aller voir ailleurs. Une inquiétude partagée dans le secteur, qu’il faut toutefois pondérer.
Au Japon, le prix moyen d’un bol de ramen est de 750 yens (soit 4,65 €), dans sa version basique. Un tarif toujours abordable, qui permet aux amateurs de se faire plaisir sans dépenser un billet de 1 000 yens. C’est également une option viable, même à 1 000 yens, quand on la compare au coût moyen d’un repas dans un restaurant de type kaitenzushi (1 190 yens) ou à celui d’un dîner dans un établissement de restauration familial (1 360 yens). De plus, quand on demande aux consommateurs s’ils sont prêts à payer plus pour déguster un succulent bol de nouilles, la majorité répond… oui !
Si les craintes des restaurants sont légitimes, un sondage mené dans les rues de Tokyo (sur 105 interrogés) par la chaîne d’informations TBS News Dig en 2024 semblait plutôt rassurant : seuls 20 % des répondants affirmaient refuser de payer plus que 1 000 yens pour un ramen, et il s’agissait souvent des personnes âgées ayant connues des tarifs bien différents. Les 20-40 ans semblent plutôt enclin à dépenser plus, si le repas est bon, quand des salarymen trentenaires estiment que pour un bol de nouilles sans garniture, 1 500 yens était le prix maximum à ne pas dépasser. Quant aux aficionados de ce plat, ils seraient, pour certains, prêts à payer jusqu’à 2 000 yens par bol.
L’espoir est donc permis et s’il devait y avoir une perte, peut-être temporaire, de la clientèle nippone en cas d’une augmentation du prix, elle pourrait être compensée par un tout autre type de clients : les touristes.
Ramen et touristes, une nouvelle idylle salvatrice
En France, le prix moyen de cette spécialité nippone oscille autour des 15 euros. Un tarif jugé acceptable par le citoyen français et une moyenne assez similaire à ce qui se pratique ailleurs, en Europe. Si on fait la conversion, cela fait tout de même près de 2 500 yens ! De fait, les étrangers qui se pressent désormais au Japon seront largement plus enclins à dépenser 1 000, 1 500, voire 2 000 yens pour un bol, qui leur semblera bon marché, avec, en plus, un taux de conversion largement à leur avantage.
Évidemment, certains établissements n’hésitent pas à gonfler les tarifs, en particulier dans les zones les plus touristiques. C’est ainsi qu’on a pu voir apparaître un ramen (simple) à 3 800 yens dans la station de ski de Niseko plébiscitée par les Américains et les Australiens, qui a fait son petit scandale. Hélas, cette tendance à faire payer plus les étrangers semble en passe de se démocratiser. Nikkei Asia révélait que de plus en plus de restaurants, notamment à Tokyo, appliquaient une double tarification, avec des prix pour les Japonais et des Inbounds prices, à savoir des tarifs spéciaux pour les visiteurs étrangers. Les ramen ne sont pas les seuls établissements concernés, mais ils pourraient être impactés à court terme si les professionnels réalisent que les prix affichés ne choquent nullement le touriste.
La démarche a toutefois du sens : le pouvoir d’achat des citoyens japonais est en berne depuis quelques années et la politique du pays a toujours été, dans une certaine mesure, de privilégier la population locale. Les ramen – et la restauration d’une manière plus générale – doivent donc rester accessibles au plus grand nombre.

Reste une question cruciale pour l’avenir des restaurants de ce plat et des professionnels du secteur : les plus petits établissements pourront-ils survivre à une hausse des coûts, qui pourrait se prolonger, sans augmenter leur prix de manière trop marquée ? Ou se dirige-t-on vers une uniformisation de l’offre, avec de la place uniquement pour les grandes chaînes ?
Plus de chaînes, moins de traditionnel ?
Un restaurant de ramen est énergivore et certaines soupes – en particulier le tonkotsu – requièrent des heures de cuisson, ce qui se traduit par une consommation de gaz et d’électricité accrue. Pour les établissements qui servent de nombreux clients quotidiennement, les factures liées à ces dépenses énergétiques, couplées à celles relatives à l’achat des ingrédients, peuvent faire exploser les coûts. Si les grandes chaînes, comme Ichiran, Ippudo ou Tenkaippin s’en accommoderont plus facilement (d’autant plus que les touristes s’y rendent plus volontiers, du fait d’un processus de commande clair et de menus parfois multilingues), les petites structures sont à la merci d’une nouvelle augmentation des prix, qui pourrait leur être fatale.

Concrètement, cela pourrait conduire à une disparition progressive des restaurants indépendants, pourtant les plus authentiques quand ils font la part belle à des recettes régionales ou que le chef laisse place à sa créativité pour imaginer des saveurs nouvelles. Il s’agirait d’une perte culturelle énorme, car les échoppes dans les rues et les petits bouis-bouis font partie intégrante du paysage japonais, aussi bien dans les zones les plus urbanisées que dans les campagnes. Certes, certains ramen de chaînes peuvent être succulents, et des enseignes fameuses proposent des déclinaisons locales de leur préparation, mais on pourrait se retrouver avec une uniformisation de ce plat, qui se prête pourtant à tant d’innovation. Pire, certains restaurants pourraient chercher à attirer principalement les touristes, quitte à s’adapter à leur palais et à renoncer aux saveurs prononcées et à la profondeur de goût que recherchent les adeptes de ce repas.
Nous n’en sommes pas là, mais il est intéressant de noter que le ramen est un indicateur de la santé économique du Japon. À lui seul, ce plat témoigne de la tradition culinaire du pays et des influences chinoises, des habitudes de manger seul et/ou rapidement, d’une quête de l’accessibilité de la nourriture au plus grand nombre. Si son prix augmente, que les Japonais doivent dépenser plus pour tremper leurs baguettes dans un bon bouillon, qu’il perd en accessibilité, c’est que le pays souffre. Les signes de croissance sont encourageants depuis le début de l’année 2025, mais le pays du Soleil-Levant va devoir trouver une manière de contenir l’inflation. Si cela peut sauver les ramen, on est de tout cœur avec eux !
Les records de faillites de restaurants de ramen cachent une crise économique plus globale, que le gouvernement tente de surmonter en aidant les ménages via des augmentations de salaires, des subventions économiques et des allégements fiscaux. Face à cette crise, les tarifs de ce plat pourraient continuer à augmenter et les Japonais en paieront le prix fort. Reste à savoir si la tradition l’emportera sur la dépense, pour que les petits établissements survivent en attendant des jours meilleurs.
Sources :
- Bankruptcy Report, Teikoku Databank
- TBS News Dig : Vidéo 1 ; Vidéo 2)
- Japan economic outlook, February 2025, Deloitte Global Economics Research Center par Michael Wolf
- Japan restaurants explore charging foreign tourists more, Asia Nikkei, 18 juin 2024