Gaming Memories #68 – Guilty Gear
Il y a 28 ans, en mai 1998, l’éditeur Japonais Arc System Works marquait le jeu vidéo (et plus particulièrement celui de combat) au fer rouge en sortant le tout premier épisode de sa série phare, Guilty Gear, sur PlayStation. Gaming Memories revient dessus dans son 68e numéro.

À l’écart de la concurrence
Aux origines de notre jeu du mois, Guilty Gear, se trouve donc l’éditeur Arc System Works (à ne pas confondre avec Aksys Games, qui agit sur la publication de leurs softs mais est bien une autre société, malgré des noms assez similaires). ASW a été créé en mai 1988 et la plupart de leurs jeux, entre 1988 et 1991, étaient des adaptations de l’arcade vers la Master System de SEGA telles que Double Dragon II, Vigilante, Ghouls’n Ghosts ou encore Moonwalker. Ils se sont ensuite plus ouverts à la concurrence, notamment la NES de Nintendo et le PC-Engine de NEC. Croyez-le ou non, mais ces futures légendes du jeu de combat sont aussi les responsables de softs Bishôjo Senshi Sailor Moon sur GameBoy, Mega Drive et Super Nintendo !
C’est donc en mai 1998 qu’ASW commence à vraiment se faire un nom en fracassant tout avec le premier Guilty Gear. C’est principalement le jeu de Daisuke Ishiwatari, seulement âgé de 25 ans à cette époque : il en est le créateur, character-designer et compositeur (et il fait aussi la voix de Sol Badguy, en quelque sorte le personnage principal du jeu). Son inspiration première a été Street Fighter II mais son idée changea vite, car il était insatisfait de la tendance qu’avait la concurrence à se focaliser sur la création de « personnages cool ».
Le président d’ASW, Hideaki Kubooka, forma une équipe de 12 développeurs autour d’Ishiwatari et la nomma Team Neo Blood. Cependant, d’après le jeune créateur, seulement 4 des 12 personnes présentes étaient réellement actives dans le développement du jeu, les autres n’ayant visiblement que peu d’expérience dans le domaine, et c’est la raison pour laquelle le développement de Guilty Gear prit un an et demi.
Dès le départ, le jeu était prévu pour être difficile car, d’après son créateur, « les autres échouaient à tenter d’être plus accessibles ». C’était d’ailleurs un argument de vente pour un titre prévu pour console uniquement (beaucoup de jeux de combat sont passés par l’arcade en premier). Il sort le 14 mai 1998 au Japon, le 10 novembre de la même année aux États-Unis et deux ans plus tard, en mai 2000, en Europe.
The Missing Link
Guilty Gear prend place au 22e siècle. L’humanité a découvert une nouvelle énergie inépuisable et puissante : la Magie. Grâce à elle, de nombreuses choses sont faites pour améliorer la vie des humains ; mais en parallèle, les industries et la pollution sont toujours bel et bien là. Tous tentent de s’emparer de cette nouvelle énergie, ce qui mène bien entendu à des conflits et aussi à la naissance d’armes de destruction massives humanoïdes, nommées Gears, qui sont utilisées comme de simples outils de mort. Le sang coule à flot dans le monde, la population s’éteint progressivement dans une guerre impitoyable…
Parmi tous ces Gears utilisés comme de simples animaux réduits en esclavage s’élève l’une d’entre eux, Justice, qui parvient à rallier d’autres de ses semblables. Elle déclare la guerre à l’humanité déjà bien réduite, ce à quoi répond le Sacred Order of Holy Knights pour les combattre. Ces derniers réussissent finalement à vaincre Justice et à la sceller dans une prison dimensionnelle… les Gears, privés de leur leader, deviennent inactifs et le calme revient. Mais…
Cinq ans plus tard, les murs de la prison de Justice commencent à se fissurer. Une nouvelle entité, nommée Testament, veut libérer Justice et faire revenir le chaos. Il ne lui manque plus qu’une seule vie, plus qu’un seul sacrifice pour cumuler assez de sang avant de pouvoir libérer ce monstre. L’Ordre, dissous entre temps, se reforme et urge une compétition pour tenter de la vaincre et empêcher le pire, avec pour récompense, « tout ce que vous voudrez ». C’est là que commence le jeu : vous allez incarner l’un de ces combattants dans le but d’éviter le pire, mais… il est déjà trop tard. Testament sera le dernier sacrifice pour permettre le retour de Justice… et c’est à vous de régler le problème.
Guilty Gears of Death
Guilty Gear se joue avec quatre touches : une pour les attaques au poing, une pour les pieds, et les deux autres pour l’arme, différente pour chaque combattant. Comme dans tout bon jeu de combat qui se respecte, on peut se baisser, se mettre en garde, attaquer en sautant aussi. Tous peuvent effectuer un dash arrière et ont également des attaques spéciales, des projections et peuvent même continuer à se taper dessus dans les airs. Bien entendu, jeu de combat oblige, on doit aussi composer avec un temps limité pour gagner. Chaque adversaire doit être battu en deux manches. À moins que…
Si cette production se différencie des autres, c’est par son système de « Destroy », qui revient tout simplement à une mort instantanée, et ce même quinze secondes après le début d’un combat. Subir un Instant Kill revient à perdre les deux rounds d’un combat immédiatement et sans discussion… et tout cela avec des manipulations d’apparence simplissimes (carré + triangle puis quart de cercle et n’importe quelle touche d’action).
L’attaque est punitive, mais son timing est également assez serré et peut être annulée en effectuant le même genre de manipulation. Le combat reprend alors son cours, mais il faut avoir les réflexes suffisants pour pouvoir s’en servir correctement et y survivre ! Le joueur devra affronter dix autres combattants pour espérer voir le bout du jeu.
Heaven or Hell ? Let’s ROCK !
Le scénario, plutôt fourni pour un jeu de ce genre, n’est nullement expliqué : c’est au fil des combats gagnés, avec les différents personnages, que vous le découvrirez. Disons-le tout de suite, Guilty Gear est quelque peu minimaliste. Ou plutôt, il va droit à l’essentiel : pas de Time Attack ou Survival « superflus », il n’y a pour choix que les modes solo, versus et entraînement. C’est relativement maigre face à la concurrence qui tentait de multiplier les modes différents, entre « Kumite » de Dead or Alive (les combat s’enchaînent, que l’on gagne ou perde) ou « Dramatic Battle » de Street Fighter Alpha 3 (2vs1 dans des combats scénarisés). Alors, on aura tendance à vouloir se lancer dans la bataille directement… innocemment. Et c’est une cruelle erreur…
Savoir bien se battre est une chose, mais savoir gagner en est une autre. D’une part, parce que la balance entre les personnages n’est pas toujours très bien équilibrée – certains disposent d’attaques qui peuvent enlever plus d’un tiers de la barre de vie de l’adversaire en un seul coup, et les enchaîner ne semblent pas être un gros problème. Le système d’Instant Kill est certes un atout tactique qui peut renverser la situation à n’importe quel moment mais peut aussi s’avérer être un cauchemar qui plane au dessus des deux adversaires en permanence…
Cependant, une fois que l’on aura réussi à s’y faire, le vrai festival commence et là, le jeu d’Arc System Works montre très vite tout son potentiel. C’est rapide, fluide, réactif, bref un vrai concentré d’adrénaline… et aussi d’un peu de stress. Il n’y a aucun répit, aucune frame d’invulnérabilité ou d’animations où l’on peut être tranquille une seconde, comme dans d’autres jeux où les coups passeront « à travers » le temps de se relever après avoir subi un enchaînement complet. Sur terre, en l’air lors de sauts de géants, le titre d’ASW préfigure déjà des jeux comme Dragon Ball FighterZ dans lesquels l’action s’arrête rarement. Cela soulève cependant un léger problème…
L’action s’en voit effectivement un peu difficile à suivre tant les mouvements des personnages sont rapides, tant il se passe de choses en quelques secondes à peine par moments. Résultat, le jeu est moins lisible que les autres du genre et s’avère même compliqué à suivre. Pire encore, on se surprend souvent à être en train de tabasser un adversaire qui arrivera miraculeusement à placer un coup entre deux de subis et ainsi prendre l’avantage, retournant la situation sans problème. On l’a dit, la marche est haute (d’ailleurs, on remarquera que le jeu pousse le vice, aidé par les magazines de l’époque qui parlaient d’un « mode facile » en entrant une combinaison de touches… ce qui activait en fait un « mode hard ». Quelle belle blague)…
Difficile et un peu traître, c’est le cas de le dire, mais compensé par un coté visuel presque irréprochable, malgré tout, avec une animation de qualité, détaillée et sans ralentissements. Et cela vaut aussi pour les décors, accompagnant plutôt bien ce monde en ruines un peu étrange mais agréable à regarder avec des couleurs plus douces. Le style graphique des personnages est un peu « sale » mais très efficace aussi, même si l’on serait en droit de sentir un manque de cohérence dans le cast des combattants : un punk à cheveux blancs qui se bat contre une gamine pirate ou un blondinet typé américain des années 1990 et son bandana dans les cheveux aux prises avec un boss digne d’un Castlevania…
Guilty Gear ne s’illustre pas que par ses mécaniques diaboliquement accrocheuses et son animation rapide mais aussi par sa bande-son. Elle aussi produite par Daisuke Ishiwatari, elle baigne dans un hard-rock dynamique et vif qui amplifie encore un peu plus l’intensité des combats. Elle est de très bonne qualité dans le jeu et contraste cependant avec les bruitages et les voix, crachotant un peu comme si leur échantillonnage était de basse qualité. Assez étrange, mais pas assez non plus pour empêcher d’apprécier le jeu.
Un succès immédiat
Guilty Gear est l’un de ces jeux qui a marqué tout un genre à lui seul. À son époque, il reçut des notes relativement positives pour une moyenne de 8/10. Certains le qualifièrent de « jeu de combat 2D le plus fun à une époque où les jeux de baston 2D ne sont pas fun », sans doute à cause d’une marée de sorties (on compte environ 25 titres de ce genre en 1996, 20 en 1997 et 19 rivaux à GG en 1998). Ce dernier a cependant dû lutter contre le fantastique Street Fighter Alpha 3 sorti quelques mois plus tard… !
Les avis positifs de la presse se multiplient, certains ne se privent pas pour déclarer que Guilty Gear est une alternative solide aux jeux de Capcom et largement plus attractif que 90% que la concurrence. Le jeu attire même l’attention du président Bill Clinton qui le prend pour exemple lors d’une campagne contre les jeux vidéo trop violents pour les enfants (mais c’est pour cette raison que les notes telles que PEGI existent, monsieur…).
De façon totalement incompréhensible malgré ce succès public et cette avalanche d’éloges à travers la planète, Guilty Gear a carrément mis deux ans à sortir en Europe (2000), alors que sa suite Guilty Gear X apparaissait au Japon en arcade et sur Dreamcast, avant d’être porté sur PlayStation 2 puis dans une itération GameBoy Advance (assez médiocre d’ailleurs).
Deux ans plus tard à nouveau sortait Guilty Gear X2 (2002). Douze ans séparent ensuite cet épisode du suivant (« Guilty Gear Xrd » pour signaler que c’est le troisième épisode sous-titré « X »). Enfin, Guilty Gear Strive, dernier en date, voit le jour en 2021. Quelques spin-off sont apparus entre temps, dont surtout une suite spirituelle : BlazBlue. Cette série, à la base, était censée prendre la place de GG à une époque où Ishiwatari pensait en avoir fait le tour. Il n’a agi qu’en tant que compositeur sur BlazBlue qui comporte quatre épisodes principaux et de nombreuses versions améliorées et spin-off entre 2008 et 2021.
Guilty Gear n’est pas un jeu à mettre entre toutes les mains, principalement à cause de sa difficulté punitive ; cependant, c’est une série qui a su se différencier de la concurrence sur quasiment tous les points et ce avec brio – preuve en est avec son retour malgré sa supposée fin. Il ne serait donc pas surprenant que cette licence, digne de figurer à côté d’un bon Street Fighter, revienne dans les années à venir ! Mais pour le moment, on appréciera que ce tout premier épisode ne soit plus exclusif à la PlayStation et fasse désormais partie du catalogue Steam et Nintendo Switch.