Interview : à la rencontre du président du festival Un petit air du Japon
Organisé par l’association Écrans des Mondes, le festival de documentaires Un petit air du Japon se tiendra au cinéma Les Sept Parnassiens, à Paris, du 12 au 17 juin. À l’occasion de cette troisième édition, le président de l’association, Michell Noll, s’est prêté au jeu de l’interview et a répondu à nos questions aux sujets de l’édition à venir et de ce qu’il fallait en attendre.

Journal du Japon : Pour commencer, pourriez-vous présenter votre association à nos lecteurs et lectrices qui ne la connaitrait pas ?
Michell Noll : Écrans des Mondes est une association à but non lucratif engagée dans le dialogue interculturel. Elle a dix ans cette année et continue à entreprendre des initiatives qui visent à rapprocher les peuples par une meilleure connaissance de leurs traditions, de leurs cultures, de leurs histoires, et ce, à travers le cinéma documentaire. Notre philosophie : nous croyons fermement que mieux connaître l’Autre, c’est nous enrichir, et que partager ce que nous aimons, c’est embellir le monde.
JDJ : Et quid du festival, comment le présenteriez-vous à des lecteurs et lectrices qui n’en auraient jamais entendu parler ?
MN : Le festival est un événement qui réunit une petite poignée de documentaires japonais qui apportent, chacun à leur manière, un regard intéressant, remarquable, inhabituel, surprenant, dérangeant ou novice sur la société japonaise. À travers les films de sa sélection, il constitue une mosaïque, un collage original, témoin sans prétention particulière du Japon contemporain. C’est donc une œuvre de représentation aléatoire, à l’instant T, de la civilisation millénaire japonaise.
La rencontre du festival et des films permet aux spectateurs de remodeler leur image du pays, et de s’éloigner des fantasmes et des fausses images répandues.
Enfin, le festival permet aux festivaliers de passer un très bon week-end de détente et de découverte en compagnie d’autres citoyens curieux du Japon.
JDJ : Écrans des Mondes, si je ne me trompe pas, travaille exclusivement (ou presque mais nous y reviendrons) à la diffusion de documentaires en France. Avec Un petit air du Japon, il s’agit de films concernant le pays du Soleil-Levant, évidemment, mais vous défendez aussi des documentaires d’autres pays, l’Iran, la Chine ou la Grèce par exemple. Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir le documentaire en particulier comme cheval de bataille ?
MN : Pour nous, le documentaire est une œuvre artistique qui allie cinéma (image et son), journalisme et dramaturgie pour en faire un outil de partage de connaissances du réel. Il est complémentaire à d’autres formes de partage (livres, expositions, conférences, etc.) mais à mon sens, plus impactant que les autres.
JDJ : Pour en revenir à cette édition, vous avez sélectionné dix films, mais je suis curieux de savoir si vous en avez reçu beaucoup plus lors de votre appel à films, et si ça a été difficile de faire un choix, ou si, au contraire, ces dix-là vous ont paru être une évidence ?

MN : Notre initiative est relativement récente et encore trop peu connue, tant en France qu’au Japon. En comparaison avec les autres festivals que nous organisons, nous recevons assez peu de films suite à l’appel ouvert et public, alors que je sais que la quantité de documentaires japonais récents est assez importante. Les réalisateurs et producteurs nippons n’ont pas encore trop l’habitude de voir leurs films proposés au cinéma à l’étranger…
JDJ : Dans ce cas, comment s’est faite la sélection des films en compétition ? Est-ce que vous avez vous-même démarché des réalisateurs et des réalisatrices ? Dans l’ensemble, je suis curieux d’en savoir plus sur l’organisation en amont d’un tel événement.
MN : Un reliquat de mon précédent métier de producteur/réalisateur est un important réseau de connaissances du milieu, un peu partout dans le monde, y compris au Japon, que j’ai beaucoup visité. C’est ce réseau qui est le « parrain » des premières éditions du festival. Il sera complété, tous les ans un peu plus, par le vécu de chaque édition, et finira par disparaître dans sa mémoire…
JDJ : On l’a dit, il s’agit de la troisième édition du festival. Que retenez-vous des précédentes éditions ? Et quelles sont vos attentes pour celle de cette année ?
MN : Nous sommes toujours en phase de rodage : les festivals de cinéma de fiction existent depuis longtemps, ils célèbrent le cinéma. Nous, festival et cinéclub de documentaires, célébrons la société. Nous devons trouver nos marques, faire connaître cette initiative, faire comprendre notre rôle d’observateur indépendant, et notre position neutre par rapport à l’actualité, trouver progressivement nos publics… Nous sommes en train de créer une nouvelle voie, nous avons besoin d’apprendre, d’expérimenter, d’avancer prudemment.
JDJ : Vous pouvez nous en dire un peu plus sur cette nouvelle voie justement ?
MN : Comment connaître, comment appréhender, comment saisir l’essentiel d’une société, d’un pays, d’une civilisation ? Les moyens historiques sont sans doute la voie de la science : anthropologie, ethnographie, sociologie et d’autres branches se sont penchées sur la question sociétale depuis leurs débuts. Ensuite, avec les moyens technologiques nouveaux, ce sont les médias (presse, radio, télévision, médias sociaux, plateformes) qui se sont emparés du sujet, et nous en connaissons les dérives. Enfin, c’est au tour des beaux-arts, et notamment la peinture et le dessin, le théâtre, la littérature, la musique et le cinéma, de dessiner les contours spécifiques d’une société. Avec le documentaire de création (rien à voir avec les reportages), nous sommes dans une nouvelle voie hybride qui permet de cerner et d’observer les sociétés : un peu journaliste, un peu dramaturge et un peu technicien à travers l’image et le son. Le travail du cinéaste documentariste représente un effort original, dynamique et hybride pour rencontrer le réel. Comme à un moment donné dans l’histoire des civilisations, sont apparus des quotidiens, puis des télévisions, puis des plateformes et des médias sociaux, des réseaux de tiers-lieux risquent de s’installer dans la société. Le réseau français des cinémas art et essai est à mon avis une préfiguration de ce développement.
JDJ : Puisqu’on parle des différences entre cette édition et celles qui l’ont précédée, 2025 est la première année de votre partenariat avec le festival Kinotayo. Comment s’est fait ce partenariat, et qu’est-ce que vous en attendez ?
MN : Comme je l’ai indiqué ci-dessus, nous cherchons notre voie, et si nous restons très fermement attachés au documentaire (qui est au cœur de notre ADN), il faut tenter toutes les voies authentiques qui nous permettent de rendre service aux publics. L’équipe de Kinotayo avec Nousha Saint-Martin à sa tête fait un formidable travail pour faire connaître le cinéma japonais, et nous travaillons ensemble pour actionner les synergies. Ce partenariat entre les deux festivals fait sens si nous nous rencontrons au point de convergence entre la fiction et le documentaire, en l’occurrence, quand les frontières entre les deux se diluent, c’est-à-dire quand la fiction est basée résolument sur le réel, ou quand un phénomène du réel inspire résolument une fiction.

JDJ : On a parlé du festival, j’aimerais maintenant en venir aux films sélectionnés. Le film d’ouverture sera celui d’Andréas Hartmann, Johatsu – Les Évaporés, qui sera présent pour présenter son documentaire. Vous pouvez nous parler un peu plus du film et de la soirée ? Et de ce qui vous a poussé à le choisir comme film d’ouverture ?
MN : Un film d’ouverture doit, d’après moi, bien représenter le cœur même de l’identité éditoriale du festival. Ici, c’est de faire connaître une autre civilisation, une autre société à travers la mise en avant d’une dimension très particulière, celle des agences de disparition, quasi unique et tout de même représentative. Je ne connais pas d’autres pays qui ont ce type d’agence, et leur existence, même réduite, illustre bien la pression sociale très forte que la société japonaise exerce sur ses citoyens. Par ailleurs, et j’aurais dû commencer par là, c’est un excellent film du réel qui fait vibrer les émotions, et qui partage avec les spectateurs un récit fort, ancré solidement dans l’expérience humaine.
JDJ : Pour le reste de la sélection, les films que vous avez choisis couvrent une variété de thèmes, de la question LGBTQ+ à la politique contemporaine, en passant par le système éducatif, la place des sans-abris ou l’histoire du pays. Est-ce que, parmi tous ces sujets, il y en a que vous avez particulièrement hâte de faire découvrir au public français ? À l’inverse, est-ce que ça vous arrive, dans cette édition ou dans d’autres, de présenter des films en craignant la réaction du public ?
MN : Chaque film est pour moi un voyage de découverte. Pour ce festival comme pour tous les autres. En les programmant, j’ai l’espoir que le spectateur trouvera dans chaque film, pour lui-même, une manière nouvelle d’appréhender le monde dans lequel nous vivons. Et comme je suis attaché au réel, je sais pertinemment que ce monde n’est pas fait que du merveilleux. Au contraire, nous vivons en ce moment, hélas, un côté très sombre de notre histoire. Bien que cela représente le risque de déplaire, il serait injuste de le nier dans la programmation. Un des secrets de la programmation, ne serait-il pas de réussir le dosage entre films de consensus et de contradiction, entre film plaisant et film dérangeant ?
JDJ : Avec Kinotayo, se sont invités dans la sélection trois films qui ne sont pas des documentaires à proprement parler, mais plutôt des fictions inspirées de la réalité. Pourquoi ce choix d’avoir ouvert le festival à la fiction ? Et que pensez-vous qu’elle apporte en plus des documentaires ?
MN : Au-delà des raisons déjà évoquées ci-dessus, je crois qu’il est important de ne pas s’enfermer dans une logique qui ignore la diversité du monde. Ou, pour le dire autrement, une règle, un choix qui ne connaît pas d’exceptions est un choix qui se condamne à l’implosion. En l’occurrence, les fictions proposées sont inspirées de faits réels, on ne trahit donc pas l’un de nos principes fondateurs…

JDJ : Parmi ces trois fictions, il y a Septembre 1923, le nouveau film de Tatsuya Mori, documentariste qui commence à jouir d’une certaine reconnaissance internationale, ainsi que Ann, de Yu Irie, autre réalisateur qui commence à se faire une réputation dans les festivals. Est-ce que vous auriez quelques mots à adresser à nos lecteurs et lectrices pour leur donner envie de découvrir les films de réalisateurs et de réalisatrices que vous présentez et qui seraient peut-être moins connus que ces deux-là ?
MN : Merci pour cette question. Elle me permet de souligner l’importance des festivals comme événements d’exception aidant précisément à sortir du carcan du monde commercial et de se donner la chance de découvrir les œuvres de cinéastes pas encore connus. Chaque film proposé d’un.e réalisateur.trice inconnu.e est l’occasion de découvrir une planète inexplorée. Les grands maîtres, les créateurs connus ont bien commencé, sans exception, par des premiers, puis des deuxièmes et des troisièmes films… Après les découvertes, on fait ses choix : on aime ou on n’aime pas. Mais découvrons avant de juger !!
JDJ : Le fil rouge de la sélection, c’est l’humanisme des films choisis, et ça me donne envie, pour finir, de vous demander ce qu’est, à vos yeux, le rôle du cinéma et en particulier du documentaire dans le monde contemporain ?
MN : Nous vivons dans un monde de plus en plus complexe, et les innovations technologiques se présentent à une vitesse fulgurante : pour paraphraser une fameuse bande dessinée [NDLR : Lucky Luke], je dirais que les innovations avancent plus vite que nos capacités de les appréhender. En plus, nous vivons une période de surinformation, rendant difficile notre capacité de faire le tri entre l’essentiel et l’accessoire. Dans ce contexte, le documentaire est un formidable moyen de nous aider à réfléchir, à comprendre et in fine, à agir dans le respect des vraies valeurs humaines.
JDJ : Enfin, pour nos lecteurs et lectrices que l’événement intéresserait mais qui ne seraient pas à Paris, y a-t-il d’autres moyens de découvrir les films sélectionnés ou ceux des éditions précédentes ?
MN : Hélas, pas encore. Dans le cadre d’autres festivals, nous avons mis en place une boutique internet avec des DVD ou Blu-ray, et même une humble plateforme de documentaires par abonnement. Pour les documentaires japonais, c’est visiblement un peu tôt, les ayants droit sont encore réticents à nous autoriser à permettre à leurs films d’être présents sous de multiples formes. Mais j’espère que cela n’est que temporaire.
Journal du Japon tient à remercier Michell Noll pour ses réponses complètes à nos questions, ainsi que Carla Plantive, qui a rendu cette interview possible.
Pour les lecteurs et lectrices intéressé.e.s par le festival, sa programmation est à retrouver ici.