Légendes Pokémon Z-A : Game Freak prend les Paris
En 1853, sur ordre de Napoléon III, le Baron Haussmann inaugure des travaux sur près de vingt ans pour moderniser la ville de Paris. Ses boulevards, ses façades, ses parcs… la capitale, telle que nous la connaissons aujourd’hui, renaît lors de ces travaux pharaoniques. En 2025, c’est un peu la même chose pour Pokémon : la licence la plus prolifique au monde fêtera bientôt ses 30 ans et commence à accuser son âge. Légendes Pokémon : Z-A a-t-il réussi à redonner un coup de jeune à cette série monumentale ? C’est ce que nous allons découvrir lors de notre pérégrination à Illumis, l’autre ville lumière…

Promenons-nous rue de r’Evoli
Asseyons-nous quelques instants sur un banc, humons le parfum des platanes et des croissants chauds de la boulangerie voisine, et plantons le décor de cette nouvelle aventure. Dans l’histoire des RPG japonais, il y a des séries comme Final Fantasy pour lesquelles chaque épisode est une prise de risque, un renouveau, avec d’immenses triomphes et de cuisants échecs. Il y en a d’autres comme Dragon Quest, réputées pour rester très conservatrices dans leur direction artistique ou leur gameplay. Pokémon a pendant longtemps appartenu à cette seconde catégorie. L’aventure est toujours plus ou moins la même : on choisit son Pokémon de départ, on bat huit champions d’arène, une team de méchants et les membres de la ligue régionale, puis on termine notre partie en essayant de « tous les attraper ». Chaque épisode déroule la même trame en ajoutant les nouveautés au compte-goutte, comme de nouveaux types (seulement 3 supplémentaires depuis ceux des premiers jeux) ou un cycle jour-nuit. Même la façon de se déplacer n’a changé qu’une seule fois, lors du passage à la 3D avec Pokémon X & Y.
Pourtant, à pas de souris (électrique), la licence a commencé à voir plus grand lors de son arrivée sur Nintendo Switch. Pokémon Let’s Go Pikachu & Evoli se sont révélés plutôt jolis à l’œil, en osant se départir de la capture classique des Pokémon pour un gameplay plus proche de Pokémon Go. Pokémon Épée & Bouclier tentaient timidement d’ajouter du monde ouvert et des combats coopératifs, et rompaient avec la tradition des « troisièmes versions » (comme Pokémon Émeraude ou Pokémon Ultra-Soleil/Lune) en préférant le modèle du DLC post-lancement. Cependant, le jeu semblait se retenir de révolutionner plus en avant sa franchise, peut-être par sa nature d’épisode canonique. C’est alors qu’un spin-off que personne n’attendait a pris les joueurs par surprise, et fait franchir à Pokémon un point de non-retour dans son évolution.
Remontons à présent le Boulevard Drackhausmann
En janvier 2022, quelques mois après le remake fainéant Pokémon Diamant Étincelant & Perle Scintillante, Game Freak inaugure un nouveau jeu dérivé, Légendes Pokémon : Arceus. De par sa nature de spin-off, le développement de ce dernier peut s’affranchir plus simplement des carcans de la série. C’est en effet dans ces titres à part que le studio expérimente le plus autour de son univers phare, à travers des jeux comme Pokémon : Donjon Mystère et son modèle rogue-like, Pokémon Snap qui s’apparentait plutôt à un safari photographique, ou encore Pokémon Conquest, curieux hybride entre la licence Pokémon et les jeux de stratégie Nobunaga’s Ambition. Moins populaires sur le plan commercial, tous ces titres sont cependant parvenus à marquer les mémoires. Certains d’entre eux ont alors la chance de ressortir sous forme de portages, d’autres deviennent de petites pépites pour les amateurs de rétrogaming.
Légendes Pokémon : Arceus est toutefois un cas particulier. Il ne s’agissait pas de jouer au flipper, de sauver des Pokémon ou de gérer son petit café : c’était une aventure à part entière, où l’on incarne un dresseur devant affronter d’autres dresseurs et tenter, lui aussi, de compléter un Pokédex. Il s’avérait donc beaucoup plus proche des jeux canoniques, avec des twists bienvenus à la sacro-sainte formule de Game Freak : des Pokémon visibles dans les zones ouvertes, de la furtivité pour pouvoir les capturer plus aisément, un scénario libéré des conventions de la série… et si les ressources graphiques n’avaient rien de révolutionnaire (d’autant plus quand on connaît les profits que génère la marque), la direction artistique et sonore du titre, oscillant entre The Legend of Zelda : Breath of the Wild et un carnet d’estampes ukiyo-e, lui accordait une grâce que l’on n’avait peut-être pas revue depuis Pokémon Or/Argent/Cristal en 1999. Fort de toutes ces nouveautés, Légendes Pokémon : Arceus a ainsi pavé la route – et même un boulevard – pour les épisodes à suivre.

Entrons dans la station Châtelet-Terhal
Fin 2022 sortent Pokémon Écarlate & Violet, premiers épisodes classiques depuis Légendes Pokémon : Arceus. La réception est plus tiède : si le jeu semble avoir tiré des leçons du passé – avec un monde encore plus ouvert, des Pokémon toujours visibles et une progression moins linéaire -, il accuse toujours certains travers de la série. L’histoire manque globalement d’originalité (hormis dans son dernier acte) et la technique semble à bout de souffle. Pokémon semble mal mesurer ses ambitions, et doit désormais prendre le temps et les moyens de poser un diagnostic et remédier à ses problèmes chroniques. La dixième génération se fait donc désirer – et nous n’avons à ce jour aucune information officielle à ce sujet – et le délai depuis l’épisode précédent se creuse comme jamais auparavant entre deux jeux principaux de la licence.
Pour mieux s’y préparer, Game Freak a donc choisi d’expérimenter à travers un nouvel épisode de la série Légendes. Sorti le 16 octobre 2025, Légendes Pokémon : Z-A porte donc sur ses épaules la responsabilité de consolider sa franchise pour les jeux à venir. Et disons-le d’emblée : s’il est loin d’incarner le Saint-Graal de sa série, ni même d’égaler son illustre prédécesseur, ce nouveau volet ose, essaie des choses, échoue parfois et parvient aussi à quelques prouesses.
Terminus place Denfert Sapereau
Comme dans Légendes Pokémon : Arceus, nous n’incarnons pas un dresseur de 10 ans entamant son traditionnel voyage initiatique à travers les arènes de sa région. Nous jouons un personnage un peu plus âgé, qui prend le train pour visiter Illumis, la capitale de Kalos (qui servait de décor 12 ans plus tôt à Pokémon X & Y). La métropole a bien changé : d’importants travaux visent en effet à créer des zones sauvages au cœur-même de ses arrondissements afin d’offrir aux Pokémon un écosystème plus accueillant et de faciliter la cohabitation avec les humains. Une réflexion sur le rapport de nos villes à la nature qui n’est évidemment pas sans rappeler certains projets récents – y compris parisiens – de rendre nos centres urbains plus sains et plus verts. Ambitieuse comme l’étaient en leur siècle les travaux de Haussmann, cette restructuration n’est pas sans causer quelques désagréments : ici et là, une source d’énergie méconnue plonge les Pokémon dans une folie furieuse, qui les fait se transformer. C’est le retour de la méga-évolution, mécanique signature de la sixième génération.
Légendes Pokémon : Z-A a ses forces, mais son scénario n’en fait clairement pas partie. Celui-ci sert avant tout de prétexte à nous faire combattre des dresseurs dans un pseudo-championnat, avant de confronter (toujours par vagues de 3) des Pokémon méga-évolués aux côtés de nos compagnons de route, qui ne se démarquent ni en bien ni en mal des personnages des jeux récents. On aura toutefois le plaisir de retrouver A-Z, l’ancien roi de Kalos, dans son nouveau costume de réceptionniste hôtelier. Du reste, le casting de Pokémon X & Y est, curieusement, en majorité absent de cette suite. Au total, l’histoire compte environ une trentaine de missions, répétitives et peu engageantes dans l’ensemble. Toutefois, si vous vous accrochez (et vous resterez, pas nécessairement pour l’histoire, mais vous resterez), vous pourrez vivre l’une des conclusions les plus audacieuses de la série.
Faisons la fête au Moulin Passerouge
Si l’on reste honnête, Légendes Pokémon : Arceus n’avait pas non plus marqué les esprits pour son récit – et ce n’est le cas d’aucun des jeux récents de la franchise, du moins depuis la cinquième génération. Son succès reposait avant tout sur son expérience de jeu. Et, manette en main, Légendes Pokémon : Z-A a bien des choses à nous faire vivre. Le plus gros changement, et ce dès les premières minutes, est son nouveau système de combat. Oui : à l’instar de Final Fantasy, Pokémon abandonne momentanément le tour par tour pour des affrontements en temps réel. Certes, nous ne sommes pas non plus dans un Monster Hunter. Ce nouveau mode de jeu se rapproche plutôt d’un Xenoblade Chronicles ou d’un Final Fantasy XIV : chaque Pokémon dispose toujours de quatre capacités, mais peut désormais les lancer dès qu’il le souhaite, sans attendre la réponse de l’adversaire. Néanmoins, des attaques plus puissantes comme Ultralaser mettront plus longtemps à se recharger, et il faudra choisir minutieusement les quatre capacités de chaque Pokémon en fonction des types, mais aussi de leur vitesse, un peu à la manière d’une rotation d’actions dans un MMORPG.
Ces combats en temps réel redéfinissent énormément la stratégie. Avec un peu de maîtrise, il devient possible d’esquiver des attaques ennemies en changeant de Pokémon au bon moment. Certaines capacités comme Piège de roc existent désormais physiquement sur le terrain : elles feront plus de dommages continus aux joueurs inattentifs, mais il devient possible de les contourner en forçant son Pokémon à se mouvoir dans un autre point de la zone d’affrontement. Le décor peut aussi jouer en notre faveur lorsqu’un lampadaire intercepte par exemple une capacité ennemie ou que notre créature vol gagne l’avantage du terrain sur les hauteurs. Toutefois, ces aménagements peuvent rapidement se retourner contre nous lorsqu’ils nous empêchent de porter le premier coup aux dresseurs adverses – sans compter plusieurs soucis d’exécution, qui conduisent par exemple des Pokémon terrestres à constamment se jeter des toits sans jamais pouvoir porter une seule attaque… du reste, il faudra probablement attendre la sortie de Pokémon Champions pour mesurer l’impact stratégique des nouvelles Méga-évolutions qui, pour le moment, ne disposent d’aucun talent passif (il n’y en avait pas non plus dans Légendes Pokémon : Arceus), c’est-à-dire une capacité inhérente à chaque espèce et qui lui permet de se distinguer au combat. Ainsi, Ohmassacre, seul Pokémon sans la moindre faiblesse, retrouve temporairement sa faiblesse au type sol, et sa forme finale se voit dès lors dotée d’un sérieux talon d’Achille.

Contemplons Notre-Dame-de-Stari
Les nouvelles Méga-évolutions, parlons-en justement ! C’est l’un des principaux arguments de vente de Légendes Pokémon : Z-A. Il signe le retour de cette mécanique de combat très appréciée, et de formes alternatives adorées des fans comme le duveteux Méga-Altaria, ou Méga-Dracaufeu X dont les écailles deviennent noires et les flammes bleu électrique. Toutes les Méga-évolutions d’origine ne sont cependant pas présentes – il manque notamment celles issues de Pokémon Rubis Oméga & Saphir Alpha – mais le jeu compense cette absence en en créant 26 nouvelles pour l’occasion. Parmi les plus notables, Méga-Momartik dont le corps semble enveloppé d’un kimono tout de glace immaculé et dont les cornes évoquent les démons oni, Méga-Empiflor qui ressemble désormais à une gourde japonaise traditionnelle, ou encore Méga-Staross dont les nouvelles jambes lui permettent d’adopter une démarche cartoonesque, digne de Patrick l’étoile de mer dans le dessin animé Bob l’Éponge. Légendes Pokémon : Z-A prend le temps de nous introduire chacune de ces formes inédites à travers des « combats Ferox », ressemblant aux affrontements contre les Monarques de Légendes Pokémon : Arceus : d’une part, il faut affaiblir le Pokémon adverse ; de l’autre, le dresseur doit régulièrement esquiver les patterns ennemis, presque à la manière d’un souls-like.
À ceci s’ajoutent d’autres nouveautés, certaines bienvenues, d’autres beaucoup moins. Tout d’abord, l’exploration d’Illumis est immédiatement plus libre. Nul besoin de montures ni de Capacités Secrètes comme les sempiternelles Coupe, Force ou Surf pour progresser dans la ville : désormais, n’importe quelle attaque combat permet par exemple de briser des rochers. Cette liberté totale reste toutefois chevillée à la progression dans le scénario, qui débloque au fur et à mesure de nouvelles zones de combat – et donc de nouveaux Pokémon accessibles. Dans celles-ci, malheureusement, plus de système d’apparitions massives ponctuelles, qui se prêtaient bien à la chasse aux Pokémon chromatiques (plus rares, et d’une couleur inhabituelles). Soulignons enfin le cycle jour-nuit, qui se répète environ toutes les 20 minutes. S’il permet de varier les Pokémon présents dans certaines zones, son caractère obligatoire se révèle plutôt contraignant, et vous soufflerez plus d’une fois lorsque le passage du jour à la nuit remettra une zone sauvage à zéro et fera disparaître la créature que vous tentiez de capturer, entre autres désagréments.
Prenons de la hauteur sur la butte Montmartik
Le panorama que nous offre à contempler Légendes Pokémon : Z-A est assez singulier : si la licence nous a habitués à aller de villes en villages et à nous perdre dans les forêts et sur les sentiers de montagne, ce jeu-ci prend le pari de situer l’intégralité de son action dans un décor urbain. Des façades en pierre en taille nous encerclent constamment, avec par ici des cafés et des galeries marchandes, et par là de rares bouffées de nature dans des parcs cloisonnés et des places végétalisées. En clair, la série perd ici ce qui faisait son sel à nos yeux, à savoir sa capacité à nous faire vivre un « voyage d’apprentissage ». Malheureusement, ce ne sont ni les escapades sur les échafaudages et les toits, ni les promenades clandestines dans les égouts qui viendront rompre avec la monotonie.
Cela étant dit, il reste un point à saluer concernant la direction artistique du jeu : sa musique. Certes, ses thèmes de combat ne comptent pas parmi les plus mémorables de la série (et se distinguent à peine de ceux des autres épisodes Switch) et la bande originale ne parvient pas à reproduire la grâce épurée de Légendes Pokémon : Arceus et ses subtiles notes de piano. Pour autant, c’est dans l’exploration quotidienne d’Illumis, le long de ses boulevards ou dans le hall de l’hôtel AZ que le jeu nous prend par surprise avec ses délicieuses ambiances jazzy. Game Freak a en effet eu le bon coup d’enrichir son équipe de compositeurs et d’arrangeurs en s’offrant les services d’Insaneintherainmusic, qui s’est justement fait connaître par des reprises jazz des musiques de Nintendo – dont un album entièrement dédié à Pokémon Platine, « Sinnohvation ». S’il fallait formuler un souhait pour l’avenir de la série, pourquoi pas embaucher Braxton Burks, auteur lui-aussi de sublimes arrangements, pour un éventuel Pokémon Legends : Johto ?
Légendes Pokémon : Z-A se découvre avec un certain plaisir. Il a le mérite d’apporter à cette licence bientôt trentenaire un certain coup de fraîcheur en osant bouleverser sa narration et son système de combat. Malheureusement, la proposition finale n’est pas aussi aboutie qu’elle ne l’était sur Légendes Pokémon : Arceus. Une fois l’aventure principale terminée et le Pokédex complet, le jeu peine à nous retenir davantage et ne semble pas faire de véritable effort dans ce sens. Loin d’être mémorable, il est et reste à nos yeux une expérience intéressante, sur laquelle fonder ensuite la dixième génération.

Ah oui ça suce bien..
On dirait du jeuxvideo.com.
J’espère que pour avaler aussi profondément nintendo vous paye au moins pareil que jeuxvideo.com car sinon c’est clairement de l’arnaque pour vous.
Bonjour,
Paul OZOUF, rédacteur en chef. Merci de nous avoir lu.
Devant un commentaire d’une telle qualité, je reste sans voix… aussi vais-je juste citer la réaction de quelques uns de nos camarades à la lecture de votre post :
« Charmant. Vraiment. On aimerait l’avoir en soirée lui. »
« Est ce que l’on sait combien Nintendo paie jeuxvideo.com au moins ? »
Et sur ce, on retourne jouer à Pokémon ZA parce que, c’est peut-être incroyable pour vous, mais nous on l’a bien aimé.
Et on vous fait un câlin Mathias, ça a pas l’air facile pour vous tous les jours. 🙂