L’épopée japonaise : épisode 3, Heian, une paix provisoire

La période Heian (794-1185) fait suite aux nombreux conflits de l’ère Nara durant laquelle différents clans et personnalités s’opposent et qui s’est terminé par la victoire du clan Fujiwara. Cette époque est une période de paix qui durera un peu plus de trois cents ans avant l’avènement de nouvelles guerres civiles à la fin du XIIe siècle.

Régents Fujiwara et Empereurs Retirés

Comme nous l’avons vu précédemment, la période Heian s’ouvre alors que l’Empereur tente de se libérer de l’influence des bouddhistes en créant une nouvelle capitale à Heian-Kyô, l’actuelle Kyoto. Mais ce sont toutefois les Fujiwara qui sont réellement en position de force, les femmes de ce clan sont toujours mariées aux Empereurs et ces derniers sont donc forcément les beaux-fils, fils et maris des Fujiwara. Ce clan a donc un contrôle total sur l’Empereur qui n’a plus qu’un rôle représentatif. De plus un système de régence est mis en en place pour donner directement le pouvoir aux Fujiwara.

Ce système de régence fonctionne via deux titres, le premier, Sesshô, désigne le régent qui tient le pouvoir à la place d’un Empereur trop jeune ou d’une Impératrice. Le Kanpaku en revanche n’est pas officiellement régent mais seulement conseiller d’un Empereur adulte. Dans les fait toutefois le Kanpaku est aussi un régent et les Empereurs en fonction n’ont finalement aucun pouvoir.

Portrait de l'empereur Go-Shirakawa

Portrait de l’empereur Go-Shirakawa

La situation change toutefois suite à la montée au pouvoir de l’empereur Go-Sanjô. Celui-ci n’était pas un fils de Fujiwara et commence à miner le pouvoir de ces derniers via diverses réformes pour renforcer le pouvoir des Empereurs. Il ne règne que quelques années avant de mourir de maladie en 1073 mais il ouvre le chemin à son fils et successeur, l’empereur Shirakawa qui va systématiser la pratique des Empereurs Retirés. Ce système permet de contrebalancer l’influence des Régents Fujiwara, l’Empereur en fonction durant ces périodes n’est souvent qu’un enfant alors que le pouvoir est exercé dans les coulisses par l’Empereur Retiré, lorsqu’un Empereur arrive à l’âge adulte il se retire alors rapidement après avoir désigné un très jeune héritier. Ainsi durant la période s’étalant de 1073 à 1185 on compte pas moins de onze Empereurs mais dans les faits ce sont les Empereurs Retirés Shirakawa, Toba et Go-Shirakawa qui dirigent le pays.

Syncrétisme et Amida

Malgré le déplacement de la capitale de Nara à Kyoto, le bouddhisme reste très influent au cours de cette époque. On compte l’arrivée de deux nouvelles sectes bouddhistes venues de Chine. La première, la secte Tendai qui se concentre sur le sutra du lotus, est amenée par Saichô et se base au mont Hiei. Saichô était un moine bouddhiste qui est rentré dans les ordres dès l’age de treize ans, une fois arrivé à l’âge adulte il construit l’Enryaku-ji, situé sur le mont Hiei. Lorsque la capitale est déplacée à Kyoto, ce temple se situe au nord-est de la ville. Cette direction est également celle de la porte des démons et donc ce temple est rapidement considéré comme le protecteur de la capitale ce qui donne une grande influence à Saichô. L’empereur lui accorde ensuite le droit de se rendre en Chine en compagnie d’une ambassade qui comprenait notamment Kûkai, afin de recevoir l’enseignement de Daosui au mont Tiantai(qui devient Tendai en japonais). Il en profite pour copier de nombreux textes et ramène avec lui ce nouveau courant de pensée.

Saichô et Kûkai

Saichô et Kûkai

La seconde, la secte Shingon est amenée par Kûkai et se base sur le bouddhisme ésotérique. Kûkai était quant à lui le fils d’un gouverneur et se prédestinait à être lui aussi fonctionnaire, toutefois ses études tournent peu à peu vers le bouddhisme. Il reste toutefois insatisfait de l’enseignement de l’époque et il part en Chine étudier le bouddhisme ésotérique qui est alors presque inexistant. Il y rencontre Huiguo qui aurait prévu sa venue et lui enseigne tout ce qu’il sait avant de mourir. Il revient ensuite au Japon où il enseigne ce qu’il avait lui-même appris en Chine à de nombreux moines, y compris Saichô avec lequel il entrera plus tard en conflit.

Que ce soit dans le Shingon ou dans le Tendai, on peut voir un fort syncrétisme avec le shinto : les kami sont systématiquement associés aux bouddhas et les temples et sanctuaires se rapprochent. On voit également l’apparition des sôhei, des moines guerriers combattants pour les différents temples qui entraient souvent en conflit les uns avec les autres ou avec les nobles. Un sôhei très célèbre est Benkei, dont on dit qu’il s’était placé sur un pont afin de collecter les lames des guerriers qui passaient, en amassant neuf cent quatre-vingt-dix-neuf avant d’être vaincu par Minamoto no Yoshitsune.

Statue du Bouddha Amida par Jôchô réalisée en 1053

Statue du Bouddha Amida par Jôchô réalisée en 1053

De plus un bouddha en particulier, Amida, prend de plus en plus d’importance à cette époque. En effet à l’époque on pensait que la loi bouddhique perdait peu à peu de sa substance, ainsi après la naissance du et qu’arriverait une époque où ces enseignements disparaitrait, empêchant alors d’atteindre l’éveil par la seule pratique du bouddhisme. On liait ainsi des périodes de troubles, comme ceux précédant l’ère Heian à celles de fin de la loi (mappô). Durant cette période censée durer dix mille ans avant l’arrivée d’un nouveau bouddha, le seul moyen étant alors de faire appel au bouddha Amida, en récitant la formule « Namu Amida Butsu » afin que celui-ci accorde l’accès à sa Terre Pure. Les nobles avaient ainsi l’habitude de la réciter mais également de faire des pèlerinages dans les montagnes de Kumano où est vénéré Amida.

Un art nouveau

La période marque également la perte d’influence de la Chine ce qui donne l’occasion à la culture japonaise de se différencier de la culture Chinoise jusqu’alors dominante. L’écriture japonaise est inventée avec l’introduction des hiraganas, même si l’utilisation du Chinois est toujours courante. On voit apparaître de nombreux textes écrits avec ce nouveau système d’écriture, en particulier par les femmes. Ainsi on voit naître le premier grand roman japonais, Le Dit du Genji (Genji Monogatari), écrit par Murasaki SHIKIBU, une noble de l’époque Heian durant le XIe siècle. Cette œuvre traite de la vie d’un noble, le Genji et est aujourd’hui encore reconnu pour décrire des sujets encore d’actualité. Vous pouvez d’ailleurs en apprendre plus sur ce roman dans cet article.

Genji monogatari

Pour ce qui est de la peinture on voit l’apparition de rouleaux illustrés dans un style plus japonais, nommé yamato-e (Peinture Yamato) en opposition aux kara-e (Peinture Tang). On voit ainsi l’apparition de rouleaux illustrant des évènements historiques, des représentations mythologiques ou des illustrations de romans de l’époque tel que le Genji Monogatari. La sculpture elle aussi évolue, et les statues en bronze laissent leur place aux statues en bois beaucoup moins couteuses.

Représentation des enfers bouddhiques à l'ère Heian

Représentation des enfers bouddhiques à l’ère Heian

Montée des clans guerriers

C’est en 1156 que commence une série de guerres civiles entre les trois plus grands clans du pays, les Fujiwara, les Taira et les Minamoto. Tout commence avec le décès de l’empereur retiré Toba, alors que l’empereur Go-Shirakawa s’oppose à l’empereur retiré Sutoku. Les grandes forces du pays sont alors complètement divisées et des membres de chacun des trois clans sont présent de chaque côté. C’est finalement l’empereur Go-Shirakawa qui l’emporte, mais la guerre a donné une grande importance aux clans des guerriers Minamoto et Taira comparé au clan des nobles Fujiwara qui sont alors relayés au second plan.

Les conflits ne prennent toutefois pas fin immédiatement, car les clans Taira et Minamoto s’opposent pour le contrôle du pays et se font face durant la rébellion de Heiji. Les Taira se sont rapprochés de l’empereur désormais retiré Go-Shirakawa depuis les derniers conflits et se retrouvent en opposition directe avec le clan Minamoto. Ces derniers montent un coup d’état et font prisonnier l’empereur Nijô et l’empereur retiré Go-Shirakawa, alors que Taira no Kiyomori est en pèlerinage à Kumano en janvier 1160. Toutefois ils ne parviennent pas à garder le pouvoir et le clan Taira renverse rapidement la situation à son avantage, le clan Minamoto est alors presque totalement exterminé, seuls les deux fils de Minamoto no Yoshitomo sont épargnés. Les Taira semblent alors maîtres du Japon mais sont incapables de gérer correctement le pays ce qui mène le pays à un nouveau conflit entre Minamoto et Taira : la guerre de Genpei.

Peinture illustrant la guerre de Genpei

Peinture illustrant la guerre de Genpei

Le climat est tendu à la capitale alors que les Taira suivent le même chemin que les Fujiwara, ils abolissent le système des empereurs retirés en 1179 et placent le jeune empereur Antoku sur le trône du chrysanthème. Go-Shirakawa, Minamoto no Yorimasa (lequel avait pris le parti de l’empereur durant le précédent conflit) et le prince Mochihito se rebellent et lancent un appel à l’aide auprès des clans guerriers et des monastères bouddhistes.

Le conflit s’étend sur cinq années, Minamoto no Yorimasa et le prince Mochihito sont rapidement vaincus, Yorimasa se fait seppuku alors que Mochihito est exécuté. Minamoto no Yoritomo, fils de Yoshitomo, prend la relève avec l’aide du clan Hôjô (son gendre n’est autre que Tokimasa Hôjô). Leurs assauts sont infructueux face aux Taira et les moines guerriers de Nara sont eux aussi vaincus au cours d’un siège qui détruira notamment la grande statue du Bouddha en bronze du Tôdai-ji. La famine frappe toutefois les Taira qui perdent également leur dirigeant ce qui affaiblit grandement le clan. Les Minamoto arrivent alors à libérer l’empereur retiré Go-Shirakawa et la capitale alors que les Taira s’enfuient avec l’empereur Antoku. Heureusement pour eux les Minamoto subissent des conflits internes et une guerre éclate entre Yoshinaka et Yoritomo qui se conclue par la victoire de ce dernier grâce à l’aide de son frère Yoshitsune.

Représentation de la bataille de Dan no Ura par Tosa Mitsunobu

Représentation de la bataille navale de Dan no Ura par Tosa Mitsunobu (XVème siècle)

Les hostilités reprennent en 1184 et les Minamoto sont en position de force. Toutefois, les Taira arrivent à s’enfuir à bord de navires et les Minamoto n’ont alors pas de flotte pour les poursuivre. Il faudra attendre 1185 et la bataille navale de Dan no Ura pour que le clan Taira soit finalement vaincu par la flotte des Minamoto. De nombreux soldats se suicident alors en se jetant à la mer, y compris le jeune empereur, emporté par sa grand-mère. Ils emmènent avec eux le joyaux et l’épée impériale : le premier est retrouvée mais la seconde semble avoir disparue. L’épée aurait réapparue et serait désormais entreposée au sanctuaire d’Atsuta : toutefois, elle est cachée à la vue du public et ni son existence, ni son authenticité ne sont aujourd’hui sûres.

Pour comprendre un peu mieux la guerre de Genpei nous vous conseillons cette vidéo de Maître Jean-Jacques :

Ainsi, la période Heian fut d’abord une période de paix durant laquelle la religion et l’art ont pu se développer, mais l’incapacité du Clan Fujiwara à gérer le Pays a permis aux clans guerriers de prendre l’ascendant. C’est suite à des nombreuses victoires militaires que le clan Minamoto prend le pouvoir et instaure un shogunat : le pouvoir n’est plus dans les mains de l’Empereur ou des nobles mais dans celui des guerriers et Kamakura devient la capitale du pays en 1192, après le décès du dernier Empereur Retiré, Go Shirakawa.

C’est ainsi que débutera la période de Kamakura… que nous verrons au prochain épisode !

 

Retrouvez toute l’histoire du Japon à travers notre dossier L’épopée japonaise et sa mythologie avec notre dossier Kojiki.

5 réponses

  1. 22 mars 2018

    […] la fin de la période de Heian (794-1185), les gouverneurs de domaines s’organisent pour protéger les terres des brigands […]

  2. 2 avril 2018

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