KURAMOCHI Ibuki : Une unicité à la conquête du monde

À l’occasion de son passage dans la capitale en 2017 pour la seconde édition de Paint Your Teeth In Paris, Journal du Japon avait brièvement présenté la jeune artiste KURAMOCHI Ibuki lors de son retour sur l’événement. Pour autant, l’artiste voit depuis plusieurs années sa notoriété mondiale croître, avec notamment des performances et expositions à Taïwan, en Australie, en Italie ainsi qu’un passage dans l’Hexagone lors de la 17e édition de la Japan Expo Paris. Ainsi, il est désormais temps de consacrer un portrait digne de ce nom, à cette artiste qui combine, entre autres, le live-painting, le body-painting et le butō.

KURAMOCHI Ibuki

KURAMOCHI Ibuki

Un art en continuelle maturation

Bien qu’il soit d’usage de débuter un portrait en précisant l’année et le lieu de naissance de la personne concernée, il semble d’autant plus important de le préciser lorsqu’il s’agit de KURAMOCHI Ibuki. Née en 1990 dans la préfecture de Gunma, l’artiste a grandi dans une région montagneuse située au nord de Tokyo qui a particulièrement influencé son art. Dans cet environnement où la nature prédomine, KURAMOCHI Ibuki a développé une réflexion artistique majeure aux ascendances shintō et s’est intéressée très tôt au dessin et à la peinture.

Spirit of eyesKURAMOCHI Ibuki

Cependant, c’est à l’âge de 12 ans qu’elle s’est sentie pour la première fois transportée par l’art, lors d’un voyage familial dans la ville de Nara. Face à la série de peintures de HIRAYAMA Ikuo représentant la Route de la Soie, KURAMOCHI Ibuki a alors compris la puissance artistique que la peinture pouvait dégager. Dans le travail du peintre, elle y a retrouvé un motif qu’elle avait d’ores et déjà côtoyé au sein de la nature de Gunma, celui de la vie et de la mort ainsi que les rapports qu’entretiennent ces deux concepts.

Par la suite, elle s’est rendue au Asagaya College of Art and Design à Tokyo pour y étudier l’art contemporain. Bien qu’aujourd’hui la majeure partie de ses œuvres soient réalisée avec des pinceaux et de l’encre sumi, à l’époque, son travail s’axait principalement sur l’usage de crayons à papier. Durant ces études, elle réalisa sa première performance lors du Design Festa, un événement d’art populaire au Japon où elle y reçut de nombreux retours positifs de la part de l’audience. Présentant d’ores-et-déjà des éléments qui caractériseront l’art de KURAMOCHI Ibuki, cette performance de live-painting a été réalisée entièrement avec de l’acrylique noire et blanche sur une toile de presque 4,5 mètres.

Ce n’est que plus tardivement que KURAMOCHI Ibuki intégra le butō à ses performances. Lors d’une exposition du peintre Francis BACON, elle découvrit en vidéo cette danse apparue au Japon dans les années 1960 alors que le kabuki et le nō semblaient incapables de proposer de nouvelles choses. Impressionnée, elle décida d’apprendre le butō au Kazuo Ohno Butoh Dance Studio à Yokohama auprès de OHNO Yoshito, qui n’est autre que le fils de OHNO Kazuo, l’un des créateurs de cette danse.

KURAMOCHI Ibuki

Une unicité aux influences multiples

Outre la révélation face aux peintures de HIRAYAMA Ikuo ainsi que celle à l’exposition de Francis BACON, KURAMOCHI Ibuki a développé un art qui trouve son origine dans de multiples influences. Au cours des différentes interviews qu’elle a eut l’occasion de donner, de nombreux noms sont mentionnés tels que William BLAKE, KAWANABE Kyosai ou encore MARUE Suehiro. Cependant, il faut principalement citer Éloge de l’ombre de TANIZAKI Jun’ichirō qui accompagne la jeune artiste dans chacun de ses déplacements à l’étranger pour des expositions ou des performances. Ce roman, signé par l’un des auteurs les plus reconnus du Japon, constitue une influence majeure pour KURAMOCHI Ibuki de part la richesse de sa représentation de la culture japonaise ainsi que de l’expression japonaise wabi-sabi qui, pour simplifier, réfère à la beauté des choses dites imparfaites, impermanentes et/ou incomplètes.

KURAMOCHI Ibuki

KURAMOCHI Ibuki en collaboration avec TAKAHASHI Gaho. ©Frédéric COUNE

Cependant, l’élément le plus caractéristique des performances et œuvres de KURAMOCHI Ibuki se situent dans son travail du contraste entre le noir et le blanc, parfois accompagné de rouge. Dès lors, il devient évident de voir les influences de Aubrey BEARDSLEY, de Shin Taga ou encore SESSHŪ Tōyō, le célèbre moine bouddhiste spécialisé dans le lavis et la peinture à l’encre. Cependant, chez KURAMOCHI Ibuki, ce contraste vient représenter son rapport à la vie et à la mort qu’elle a développé depuis son enfance dans la préfecture de Gunma. L’artiste va jusqu’à théoriser son usage des couleurs en renvoyant le rouge au sang, le blanc à la vie et le noir à la mort. Si le fait que le noir correspond au néant et à la mort semble effectivement acquis par tous, le blanc lui signifie la vie en renvoyant à la couleur du lait maternelle qui – avant la naissance de l’enfant – s’avère n’être que du sang de la mère, soit le rouge. Ainsi, le travail de KURAMOCHI Ibuki se concentre autour de la représentation de l’intervalle que représente la vie d’un humain entre sa naissance et sa mort, et cela dans un pur élan shintoïste.

De même, il est important de parler du rapport à la musique qu’entretient KURAMOCHI Ibuki. Citant régulièrement les noms de Claude DEBUSSY, Michael NYMAN, Steve REICH ou encore Bjork, elle commença très rapidement à accompagner ses prestations de musique pré-enregistrée. Cependant, progressivement, ses prestations furent de plus en plus caractérisées par des collaborations avec divers artistes musicaux. Si à l’origine, elle était principalement accompagnée de musiciens japonais jouant du shamisen, du koto et du shakuhachi, sa récente popularité mondiale lui a permis de diversifier ses performances et de multiplier les collaborations aux sonorités plus variées.

Enfin, l’art de KURAMOCHI Ibuki peut se présenter par les vêtements qu’elle porte lors de ses performances. Ayant principalement usage de vieux kimono, ses tenues vestimentaires varient fortement en alternant entre les 200 pièces de sa riche collection – dont certains qu’elle a peint entièrement à la main – et qu’elle accompagne d’accessoires plus contemporains allant parfois chercher aussi dans des styles plus occidentaux. À cela, elle ajoute un maquillage blanc inspiré de celui que les geisha portaient pour affirmer l’aspect principalement japonais de son art. Dès lors, lorsque cette combinaison entre peinture, tenue vestimentaire, danse et musique s’opère en direct, l’audience peut décerner un certain érotisme entre onirisme et abstraction qui se dégage des performance de KURAMOCHI Ibuki.

©Frédéric COUNE

C’est de part son développement progressif pour devenir un mélange savant d’influences et d’arts venus de différents horizons que le travail de KURAMOCHI Ibuki se caractérise aujourd’hui par son unicité. Ce caractère unique, l’artiste l’a par ailleurs toujours porté en elle au travers de son prénom « Ibuki » qui – au Japon – est très peu répandu et s’avère unisexe.

Après des performances mondiales, avec notamment la Japan Expo Paris en juillet 2016 et son exposition au Little MOCA Art Gallery à Taïwan en septembre 2017, KURAMOCHI Ibuki s’affirme de plus en plus comme une artiste aboutie créant un pont culturel entre le Japon et le reste du monde qui saura, on l’espère, très prochainement revenir dans l’Hexagone pour d’autres performances.

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